CA Paris, 4e ch. B, 22 octobre 1987, n° 12942
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Caugant (SA)
Défendeur :
Viandes de Penthièvre (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnefont
Conseillers :
Mme Béteille, M. Gouge
Avoués :
Mes Moreau, Valentie
Avocats :
Mes Combeau, Gaultier.
La société Caugant est titulaire d'un modèle d'emballage déposé le 10 août 1982 sous le n° 822775 à l'INPI, dont les reproductions photographiques ont été exposées le même jour.
Il s'agit d'un plateau rectangulaire de faible profondeur, à coins arrondis, dont le fond comporte en son centre deux rainures ou cannelures circulaires concentriques.
Le plateau contient quatre variétés de saucisses alignées cote à cote parallèlement au petit côté du plateau et qui sont visibles comme étant recouvertes par une pellicule transparente.
Dans le coin en haut à gauche est apposée une étiquette en forme de trapèze isocèle dont le petit côté situé dans l'angle est arrondi et presque tangent aux deux côtés du plateau.
Dans l'arrondi est une cartouche sensiblement ovale où sont représentées plusieurs personnes dans un jardin entourant un grill où cuisent des saucisses. Sous l'ovale, on lit l'inscription " Saucisses Barbecue " et en plus petit " 3 grillettes de volailles, 3 saucisses aux herbes, 3 chipolatas, 3 véritables merguez ", encore en dessous, dans une cartouche rectangulaire aux coins arrondis et dépassant légèrement du bord de l'étiquette la dénomination Caugant suivie d'un petit monogramme.
La matière du plateau est claire. Le fond de l'étiquette est plus foncé ; le bord supérieur et inférieur de l'étiquette comportent deux lignes claires de part et d'autre d'une ligne foncée.
Les indications sont imprimées en lettres claires sauf la dénomination Caugant qui se détache en foncé sur un caractère en cartouche clair cerné de foncé.
La société Caugant utilise en pratique des plateaux vert clair, des étiquettes marrons, des liserés et le cartouche Caugant vert clair, des lettres blanches sauf pour la dénomination Caugant qui est en noir comme le liseré de son cartouche. Elle appose dans le coin en bas à droite une étiquette reproduisant des mentions obligatoires sur le prix, le poids, le prix au kg, la date limite de vente, la température de conservation le nom et l'adresse du fabricant.
Au dos est collée une étiquette toute en longueur parallèle au grand côté du plateau avec la composition en quatre colonnes des quatre catégories de saucisses à gauche la figuration d'un réfrigérateur ouvert et une flèche indiquant l'emplacement où déposer les aliments et en dessous la température de conservation et les additifs.
La société des Viandes de Penthievre utilise des plateaux de la même dimension mais dont le fond et les côtés sont cannelés pour vendre sous pellicules transparentes les quatre mêmes variétés de saucisses. Elle appose sur ces plateaux, dans le coin en haut à gauche une étiquette en forme de rectangle aux coins arrondis surmonté d'un triangle isocèle dont l'angle supérieur est arrondi.
Cette étiquette est bordée d'un liseré marron-rouge. On y remarque de haut en bas, en petites lettres les mentions " chipolatas ", véritables merguez, saucisses aux herbes, grillettes de volaille, dans un cartouche en arc de cercle souligné en noir l'inscription " LES PANACHEES " en lettres majuscules fantaisie, en dessous, dans un cartouche dont le haut est en forme d'arc de cercle, deux cow-boys figurés en ombres chinoises brun foncé sur fond blanc, l'un veillant en selle sur son cheval, l'autre présentant un grill au dessus d'un feu, en dessous dans un cartouche allongé aux extrémités arrondies les mots " GRILL ET " en lettres majuscules fantaisie, juste en dessous en très grosses lettres majuscules fantaisie le mot BARBECUE dont la première et la dernière lettre sont presque le double de la taille des autres lettres, en dessous, en toutes petites lettres bien que majuscules " Viandes de Penthievre ".
Le fond de l'étiquette (sauf pour les cow-boys) est vert clair. Les lettres sauf pour " grill et " sont marron-rouge doublées en blanc.
L'étiquette portant les mentions obligatoires est identique à celle de Caugant sauf pour la flèche renvoyant le consommateur à consulter des indications au dos et elle est apposée en bas à droite.
L'étiquette informative au dos est identique à celle de Caugant à la couleur des lettres près (marron foncé au lieu de marron rouge). Après avoir remarqué la présentation des Viandes de Penthievre au SIAL 84, Caugant autorisée par ordonnance du 18 juillet 1984 a fait procéder le 21 juillet 1984 à une saisie-contrefaçon au Centre Leclerc, 25 rue Vitruve à Paris au préjudice des Viandes de Penthievre.
A la suite d'une procédure introduite par Caugant, procédure qui a été suffisamment exposée par les premiers juges, le Tribunal de commerce de Paris (1re chambre) a par son jugement du 28 janvier 1985 débouté les parties de leurs prétentions principales et reconventionnelles et partagé les dépens par moitié.
Caugant a relevé appel par déclaration du 22 juillet 1985 et saisi la cour le 9 août 1985. Les Viandes de Penthievre ont conclu banalement à des nullité, l'irrecevabilité ou au mal fondé de l'appel et au paiement par Caugant d'une indemnité de 200.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.
Caugant a conclu à l'infirmation, à la constatation d'une contrefaçon de modèle et d'une concurrence déloyale.
Elle a sollicité les défenses sous astreinte définitive de 10.000 F par jour de retard et les publications d'usage, la destruction des emballages, documents commerciaux et publicitaires et le paiement d'une indemnité de 500.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile et des dépens.
Par de nouvelles écritures Viandes de Penthievre a conclu à la confirmation du jugement et au paiement d'une somme de 25.000 F pour frais non taxables exposés devant la Cour. Caugant a répliqué le jour même de la clôture.
Sur ce LA COUR,
Qui pour un plus ample exposé des prétentions des parties se réfère au jugement et aux écritures d'appel.
1 - SUR LA CONTREFACON DE MODELE :
Considérant que les Viandes de Penthievre allèguent que ne sont pas protégeables :
- le format rectangulaire du plateau - sa faible profondeur - ses angles arrondis - l'utilisation d'une pellicule transparente - la présentation des saucisses côte à côte - l'employeur de l'étiquette dans un angle comme procurant pour chacune de ces caractéristiques un résultat industriel et que les deux étiquettes diffèrent complètement par leur forme et leur destination ;
Que Caugant soutient au contraire qu'aucune nécessité technique n'imposait la forme, les dimensions et proportions du plateau, l'emploi d'une feuille transparente pour le fermer, l'apposition dans un coin d'une étiquette disposée en biais et qu'il y a protection pour une combinaison d'éléments ; qu'elle ajoute que les différences relevées par l'intimée sont de détail et que la contrefaçon qui doit s'apprécier par les ressemblances est constituée ;
Considérant, ceci étant exposé que si la forme, les dimensions et proportions du plateau ne sont pas normalisées, ces caractéristiques sont imposées par les dimensions du contenant, c'est à dire des saucisses qui sont bien déterminées dans la charcuterie industrielle ; que les barquettes ou plateaux revêtus d'une pellicule transparente étaient à la date du dépôt de modèle d'une utilisation courante pour présenter et protéger les produits de charcuterie et de boucherie dans les libre-service ; que cette forme est indissolublement liée à une double fonction de présentation et de protection dans les magasins où le client se sert lui-même ; que les angles arrondis ne sont pas des formes arbitraires mais répondent seuls à la nécessité de fixer une pellicule transparente, relativement fragile tout autour du plateau à l'aide d'une machine sans qu'il y ait un risque de déchirement aux angles ; que ces caractéristiques de forme inséparables du résultat industriel quelles procurent ne peuvent être protégées en combinaison cette combinaison à supposer qu'elle existe au sens de la loi sur les brevets étant elle-même inséparable du résultat industriel, que s'il n'en est pas de même pour l'étiquette et sa position qu'il ne relèvent pas du domaine industriel il demeure que la forme, le décor, la typographie, ci-dessus décrits sont entièrement différents et qu'aucun élément essentiel et protégeable du modèle n'étant reproduit c'est à bon droit que le Tribunal a écarté le grief de contrefaçon ;
2 - SUR LA CONCURRENCE DELOYALE :
Considérant que les Viandes de Penthievre soutiennent qu'aucune confusion n'est possible entre les deux produits concurrents en raison des différences de couleurs des plateaux, de l'aspect différent des étiquettes ; que la seconde étiquette ne sert pas à individualiser le produit mais n'est que l'application de prescriptions réglementaires ; que le réfrigérateur est un symbole banal ;
Que Caugant répond qu'un consommateur d'attention moyenne ne peut qu'être trompé et qu'il y a une copie quasi-servile de son emballage ;
Considérant ceci étant exposé que tout commerçant honnête doit faire en sorte d'individualiser son produit ;
Qu'en l'espèce on est en présence de deux emballages de même taille renfermant un même produit ayant un même aspect ; que Caugant a cherché à distinguer son produit par une étiquette placée dans un angle c'est à dire à un emplacement relativement inhabituel et plus précisément dans l'angle gauche en haut; qu'il a placé son étiquette obligatoire en bas à droite sur la même diagonale avec une petite flèche rouge invitant le consommateur à retourner le plateau pour consulter une étiquette informative dont la forme n'était ni nécessaire ni banale sur ce genre de produit;
Considérant queViandes de Penthievre a choisi précisément le même angle du plateau pour apposer son étiquette sur laquelle il faut faire effort pour distinguer son nom, qu'alors que les mentions réglementaires sont seules obligatoires mais non pas la forme de l'étiquette et son emplacement dès lors qu'elle est visible sur le dessus du produit, l'intimée a choisi la même étiquette qu'elle a placée au même endroit avec une flèche rouge assez semblable renvoyant le consommateur à regarder l'étiquette placée au dos ; que si le consommateur retourne l'emballage il retrouvera une étiquette en tous points identique à celle de Caugant ; que la couleur du plateau et les cannelures seront insuffisantes à le détromper s'il n'a pas les deux produits simultanément sous les yeux, de même que les couleurs des étiquettes et les scènes de genre reproduites dans un cartouche; qu'il convient donc de réformer le jugement en tant qu'il a écarté le grief de concurrence déloyale par confusion ;
3 - SUR LA REPARATION :
Considérant que la Cour a des éléments pour fixer à la somme de 200.000 F le montant de l'indemnité due à Caugant ; qu'il sera fait défense sous astreinte à Viandes de Penthievre de persister dans les agissements déloyaux ; que la publication de l'arrêt sera un complément de réparation ; qu'il est équitable que les frais non taxables exposés par Caugant en première instance et en appel soient mis à la charge de l'intimée selon ce qui sera indiqué ci-après ; que celle-ci qui succombe entièrement n'est pas fondée en ses prétentions reconventionnelles à fins indemnitaires ; qu'elle supportera les dépens de première instance et d'appel ;
Par ces motifs : Réforme le jugement du 28 janvier 1985 en tant qu'il a écarté le grief de concurrence déloyale et statuant à nouveau ; Condamne la SA des Viandes de Penthievre en réparation des actes de concurrence déloyale à payer à la société Caugant ; - une indemnité de 200.000 F, - une somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile. Lui fait défense sous astreinte de 1.000 F par jour de retard à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt de persister à commercialiser des plateaux avec l'étiquetage décrit dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 21 juillet 1984 ; Autorise la SA Caugant à faire publier dans trois journaux ou périodiques de son choix aux frais de la SA Viandes de Penthievre sans que le coût total des insertions puisse excéder 30.000 F hors taxes le texte suivant : " Par un arrêt de la 4ème chambre B de la Cour d'appel de Paris du 22 octobre 1987 la SA des Viandes de Penthievre a été condamnée pour acte de concurrence déloyale commis au préjudice de la SA Caugant " ; Déboute les parties de leurs prétentions pour le surplus ; Condamne la société Viandes de Penthievre aux dépens de première instance et d'appel. Autorise Me Moreau, avoué, à les recouvrer conformément à l'article 699 du Nouveau code de Procédure Civile.