CA Rennes, 2e ch. sect. 1, 6 mai 1987, n° 650-84
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Allibert (SA)
Défendeur :
Paul Craemer (GmbH)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mathias
Conseillers :
MM. Guibout, Fourcheraud
Avoués :
SCP Massart Guillou Brebion, Me Leroyer-Barbarat
Avocats :
Mes Stenger, Gaultier.
Considérant que la SA Allibert a régulièrement relevé appel du jugement contradictoire rendu le 25 mai 1984 par le Tribunal de commerce de Lorient, qui l'a déboutée de sa demande en réparation de préjudice pour concurrence déloyale dirigée contre la société de droit allemand Paul Craemer GmbH, la condamnant à payer à celle-ci une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Considérant que les premiers juges ont retenu qu'il n'y avait pas copie servile des bacs Allibert par la Sté Craemer de sorte qu'il est aisé de faire un choix entre les différents types de bacs sans risques de confusion de marque ; qu'il n'y avait donc pas risque de détournement de clientèle par une marque au détriment de l'autre du fait de la confusion des produits fabriqués par elles ;
Considérant que l'appelante soutient que si est connu en soi le dispositif permettant d'emboîter ou de gerber les récipients selon les besoins, elle a créé deux bacs caractérisés par leur forme et le choix des dimensions et a réalisé un effort promotionnel pour les présenter et les imposer sur le marché ; qu'en copiant quasi servilement les modèles lui appartenant pour obtenir des bacs absolument interchangeables avec les siens, la partie adverse s'est emparée de son expérience et s'est épargnée les frais d'une mise au point technique, les légères modifications apportées n'ôtant pas à la clientèle le sentiment de continuer à utiliser le même type de récipients alors que le critère de la concurrence déloyale ne réside pas seulement dans le risque de confusion, d'autant que les caractéristiques des bacs copiés n'étaient pas imposées par des nécessités techniques ;
Qu'elle objecte que la demande reconventionnelle de l'intimée ne se rattache pas aux prétentions originaires par un lien suffisant ni ne répond à aucun des cas prévus par l'article 564 du nouveau code de procédure civile, et n'est pas fondée en toute hypothèse ;
Que c'est ainsi qu'elle conclut à l'irrecevabilité de la demande en nullité de dépôt de modèle et subsidiairement à son débouté ; à l'infirmation du jugement et à l'interdiction sous astreinte de l'importation et la vente des bacs constituant une copie servile ou quasi servile des siens, avec publication de l'arrêt ; à la condamnation de la Sté Craemer à lui verser une indemnité de 100 000 F avec expertise comptable pour apprécier son préjudice, outre une " indemnité " de 10 000 F pour ses frais irrépétibles ;
Considérant que soulignant qu'il convient préalablement, en raison du grief de faute par copie servile qui lui est faite, de déterminer si la Sté Allibert peut prétendre à un droit privatif sur la forme des bacs en cause et donc de se prononcer sur la nullité du dépôt des modèles, laquelle s'impose pour le motif que touteS les caractéristiques de formes sont inséparables du résultat utile qu'elles doivent procurer, l'intimée rétorque qu'il n'y a pas de risque de confusion de la part des acheteurs eu égard aux importantes différences de formes et à l'apposition de son monogramme - ce qui explique que l'huissier instrumentaire a pu repérer de l'extérieur, dans les piles, les divers bacs bien qu'ils soient de même couleur -, les formes communes qui sont dans le domaine public étant inséparables de la fonction technique des récipients et des meilleurs propriétés qu'ils doivent procurer à l'emboîtage et à l'empilage, mais surtout eu égard à la réalisation d'un système - ayant fait l'objet d'un brevet d'invention - qui permet l'écoulement à l'extérieur de l'eau de fonte provenant des bacs supérieurs d'une pile afin d'éviter la pollution des poissons ;
Qu'aussi sollicite-t-elle la confirmation du jugement et, sur sa demande reconventionnelle, la nullité du dépôt de modèles émanant de l'appelante, outre la condamnation de celle-ci au paiement d'une somme de 20 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Considérant que pour un plus ample exposé de la procédure ainsi que des fins et des moyens des parties la Cour se réfère aux énonciations du jugement et aux conclusions, étant précisé que, au vu des explications fournies par le conseil de l'appelante qui présentait à la Cour des modèles de chacune des catégories de bacs en question, il a été vérifié contradictoirement à l'audience que les nervures des bacs 60 de la Sté Craemer correspondaient à celles des modèles de 60 de la Sté Allibert mais qu'il n'y avait pas de correspondances pour les bacs respectifs de 75 ;
Considérant que si elle n'avait pas été expressément demandée en première instance, la nullité du brevet déposé par la Sté Allibert avait été néanmoins invoquée et dans cette mesure elle était virtuellement comprise dans la défense soumise aux premiers juges ;
Mais considérant que non seulement la protection de ce brevet n'est pas opposée mais que de surcroît l'appelante admet que dans la réalisation de ses bacs elle a utilisé un procédé connu en soi ;
Que ce qu'elle reproche à la Sté Craemer c'est d'avoir copié quasi servilement ses modèles qui sont caractérisés par leur forme, les dessins des nervures, le choix des dimensions, sans pouvoir justifier d'une nécessité technique si ce n'est la volonté d'échapper aux frais de recherches et de réalisation d'un modèle propre ;
Que dès lors, à défaut d'être un préalable à la solution du litige, il n'y a aucun intérêt à prononcer la nullité du brevet ;
Considérant que ce qui importe, c'est de rechercher si, bien que la règle soit la liberté du commerce et de la concurrence, la Sté Craemer a commis une faute constitutive de la concurrence déloyale dont l'action est destinée à assurer la protection de toute personne ne pouvant se prévaloir d'un droit privatif ;
Considérant que dans cette optique est à prendre en compte la commercialisation de produits réalisés à moindres frais en profitant des études ou des recherches d'un concurrent, ou de frais publicitaires exposés par lui pour faire connaître le produit ;
Qu'il faut cependant qu'il existe un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle, en particulier par le recours au procédé de la copie servile ou quasi servile qui ne permet pas à un acheteur moyennement attentif de distinguer les produits émanant de chacun des concurrents ;
Considérant que, toutefois, la similitude ne peut être tenue comme un moyen déloyal lorsqu'elle est justifiée par des nécessités techniques, par la normalisation de produits industriels qui, de plus en plus, dans certains domaines, est recherchée ou même imposée;
Considérant que si, dans le cas d'espèce, la forme générale des bacs et leur profil s'expliquent par les besoins, aussi bien de la manutention que du gerbage ou de l'empilage, le choix par la Sté Craemer des mêmes capacités de 60 et 75 litres répond à un soucis délibéré - d'ailleurs revendiqué - de permettre une utilisation indifférenciée de ses récipients et de ceux de la Sté Allibert, dont elle ne conteste pas l'antériorité ni la commercialisation étendue ; que ce choix répond donc à une politique commerciale qui lui est propre et qui n'est pas dictée par des nécessités fonctionnelles;
Mais considérant que, d'une part, encore que l'élément intentionnel soit indifférent en la matière, il convient de noter que la Sté Craemer a entendu faire connaître la provenance de ses produits en les marquant de son nom et de son monogramme ;
Que d'autre part, il s'agit de produits offerts à une clientèle de professionnels aptes à déceler les différences et à s'apercevoir des avantages particuliers à chaque catégorie de produits commercialisés ;
Que les bacs de cette société présentent un avantage appréciable qui consiste dans un dispositif d'écoulement à l'extérieur de l'eau provenant de la fonte de la glace, ayant pour objectif d'éviter que le poisson baigne dans cette eau ;
Que ce dispositif - qui a été déposé - a nécessité une structure interne différente et de ce fait, malgré certaines similitudes extérieures, la réalisation d'un moule différent ;
Que surtout, comme l'ont relevé les premiers juges, il n'existe aucun risque de confusion dans le choix des produits et de détournement de clientèle, au demeurant non établi ;
Que leur décision sera en conséquence confirmée ;
Considérant que devant supporter les dépens en tant que partie succombante, l'appelante ne peut bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Qu'il est inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés en appel pour la défense de ses intérêts et en compensation desquels lui sera allouée une somme de 4000 F ;
Par ces motifs: Rejette l'appel ; Dit sans intérêt la demande reconventionnelle en nullité de brevet formée par la société de droit allemand Paul Craemer GmbH ; Confirme le jugement déféré ; Condamne la SA Allibert à verser à ladite société une somme de 4000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; La condamne aux dépens qui seront recouvrés par Me Leroyer-Barbarat avoué, selon les modalités de l'article 699 de ce code.