CA Paris, 4e ch. A, 7 mai 1986, n° 0499
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Layrac, Le Club Vénitien (SA)
Défendeur :
Le Grand Zinc (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bodevin
Conseillers :
M. Robiquet, Mme Rosnel
Avoués :
SCP Gaultier-Kistner, SCP Dauthy-Naboudet
Avocats :
Mes Hautecoeur, Fourgoux.
LA COUR : - Statuant sur l'appel formé le 14 décembre 1984 par Monsieur Layrac et la société Le Club Vénitien (ci-après les consorts Layrac) d'un jugement du Tribunal de grande instance de Paris (3e chambre - 1e section) du 30 octobre 1984 qui les a déboutés de leurs demandes en contrefaçon de marque et concurrence déloyale formées contre la société Le Grand Zinc (ci-après Grand Zinc) et sur l'appel incident de cette dernière société.
Faits et procédure :
A. - Monsieur Layrac a déposé le 19 mars 1971 la marque " Le Petit Zinc " en caractères d'imprimerie sous le n° II2.341 enregistrée sous le n° 969.714 pour les classes 5, 29, 31, 31 et 42. B. Il n'est pas contesté que cette marque a été renouvelée le 4 mars 1981 sous le n° I.232.I7I,
Par ailleurs, Layrac aurait rajouté le 30 mars 1981 les classes 32 et 33 à son dépôt.
B. - Le 1er décembre 1978 Layrac a également déposé la marque complexe " Le Petit Zinc " sous le n° 304.089 et enregistrée sous le n° I.099.531.
C. - Par ailleurs, le Club Vénitien dont Layrac est le Président-Directeur-Général était propriétaire d'un restaurant à l'enseigne " Le Petit Zinc " rue de Buci à Paris créé à une date en litige,
D. - Apprenant qu'était exploité rue du faubourg Montmartre à Paris (9e ) un restaurant " Le Grand Zinc " les consorts Layrac ont assigné la société du même nom, propriétaire du fonds de commerce, pour contrefaçon de marque et en concurrence déloyale le 23 février 1984.
E. - Le Tribunal de grande instance de Paris, dans son jugement du 30 octobre 1984, a estimé que le dépôt de la première de leur marque n'était ni enregistré, ni publié, qu'il y avait donc lieu de débouter les consorts Layrac de leur demande en contrefaçon de marques, sur la demande en concurrence déloyale, il a estimé que l'enseigne " Le Petit Zinc " était dépourvue de toute originalité ou caractère distinctif et qu'aucun acte de concurrence déloyale ne pouvait être retenu contre Grand Zinc. Il a, en conséquence, débouté les consorts Layrac de toutes leurs demandes et les a condamnés à verser à Grand Zinc la somme de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.
F. - Les consorts Layrac ont formé appel de cette décision le 14 décembre 1984.
Dans leurs conclusions du 21 mai 1985, ils demandent à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de dire et juger que la marque Le Petit Zinc a été régulièrement déposée et enregistrée, de condamner Grand Zinc pour usurpation d'enseigne, contrefaçon de marque et concurrence déloyale, de la condamner à 100.000 F de dommages-intérêts, d'ordonner au Grand Zinc la suppression de toute référence à cette dénomination dans ses documents commerciaux et publicitaires dans le délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt, d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans deux journaux au choix des appelants et aux frais de Grand Zinc, et de condamner Grand Zinc à 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.
G. - Grand Zinc demande à la Cour, dans ses conclusions du 8 juillet 1985 de la recevoir en son appel incident, de l'y déclarer bien fondée, et y faisant droit, d'annuler la marque Le Petit Zinc n° 969.714 en ce qu'elle concerne la classe 42, d'ordonner la publication à intervenir dans trois journaux au choix de Grand Zinc et aux frais de Layrac, d'annuler la marque complexe le Petit Zinc n° 1099.531 en ce qu'elle concerne la classe 42 et plus particulièrement les produits café, cafétéria, brasserie, bar d'une part, restaurant d'autre part, subsidiairement pour le cas où la Cour ne croirait pas pouvoir annuler pour l'ensemble de la classe 42 les deux marques dont s'agit déposées par Layrac, d'ordonner la suppression de toutes références au service de restaurant compris dans le dépôt enregistré sous le n° 969.714 et d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux au choix de la demanderesse reconventionnelle et aux frais de Layrac, d'ordonner la publication de la décision à intervenir à l'Institut National de la Propriété Industrielle et au Bulletin Officiel de la Propriété Industrielle, de condamner solidairement les consorts Layrac à payer à Grand Zinc, la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de les condamner à payer la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.
Discussion
Sur la justification de l'existence des marques
A. - Considérant que les premiers juges ont estimé qu'en ce qui concerne la marque dénominative déposée en 1971 et renouvelée en 1981 seule invoquée dans l'exploit introductif d'instance, il ne résultait d'aucun document produit que celle-ci ait été ni enregistrée, ni publiée et que, dès lors, les consorts Layrac devaient être déclarés irrecevables en leur action, d'autant plus qu'ils n'avaient justifié d'aucune notification de leur demande d'enregistrement au présumé contrefacteur,
B. - Mais considérant que devant la Cour les consorts Layrac justifient bien, par les documents produits qu'ils ont déposé régulièrement et renouvelé à l'Institut National de la Propriété Industrielle les deux marques susvisées,
Que Grand Zinc ne contexte d'ailleurs pas dans ses conclusions d'appel l'existence ni le renouvellement de ces marques mais seulement leur portée comme il le sera dit ci-après,
C. - Considérant par contre que Grand Zinc fait valoir que la société le Club Vénitien, dont Layrac est le Président-Directeur-Général, a absorbé par fusion en 1969 les sociétés " Layrac et Cie " et la société " Le Buci-Saint-Germain-Le Petit Zinc " qui utilisait l'appellation " Le Petit Zinc " dans sa dénomination sociale,
Que postérieurement à la fusion de 1969, Le Club Vénitien, n'a pas conservé dans sa dénomination sociale le vocable " Le Petit Zinc " ; qu'il n'est nullement démontré que cette enseigne " Le Petit Zinc " ait fait l'objet d'une publication au registre du commerce,
Considérant que Grand Zinc fait valoir que de plus, aucun contrat de concession de licence de marque n'est produit au débat par le Club Vénitien,
D. - Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que seul Layrac serait éventuellement recevable en sa demande en contrefaçon de marques et non " Le Club Vénitien "
Sur la validité des marques
A. - Considérant que les consorts Layrac font valoir que le restaurant " Le Petit Zinc " jouit d'une notoriété certaine depuis 1965 et qu'ils possédaient d'ailleurs d'autres restaurants,
Qu'ils emploient leur marque comme enseigne ; que cette marque a acquis une réputation nationale et mondiale qui, même si la marque avait un caractère nécessaire ou générique, justifierait sa protection sur l'ensemble du territoire nationale, en vertu des dispositions de l'article 6 quinquiès C 1 de la Convention d'Union,
Que Grand Zinc devait donc être condamnée pour contrefaçon ou imitation illicite de marque,
B. - Mais considérant que ce raisonnement ne peut concerner que le seul Layrac, car le Club Vénitien ne pouvait intenter une action en contrefaçon de marque qui ne lui appartenait pas et ne lui a pas été cédée,
C. - Considérant que Grand Zinc fait valoir que la marque nominative est nécessaire et générique ; qu'elle n'a aucun caractère d'originalité en ce qui concerne leurs activités de Bar-Cafés-Restaurant et brasserie (classe 42)
Considérant que par jugement du tribunal administratif de Paris du 13 mai 1976, il a été décidé que la marque litigieuse avait un caractère générique en ce qui concerne les " cafés, brasseries, cafétérias et bars ", et que la décision de rejet partiel du Directeur de l'Institut National de la Propriété Industrielle a été confirmée,
Considérant qu'il y a donc chose jugée sur ce point et que la marque ne peut donc être invoquée dès à présent quant à ces diverses activités,
Considérant qu'il en va de même en ce qui concerne l'activité de restaurant qui n'a pas été évoquée devant le Tribunal administratif ; que, dès lors, il y a lieu de prononcer la nullité de la marque en ce qui concerne les restaurants visés à la classe 42, l'appellation ayant un caractère descriptif et nécessaire pour des activités complémentaires s'adressant à la même clientèle de celles déjà rejetées,
D. - Considérant par ailleurs qu'il est établi que Grand Zinc exploitait son établissement sous l'enseigne " le grand Zinc " depuis l'année 1969 ; que dès lors des termes n'étaient donc plus disponibles et l'élément essentiel " Zinc " ne pouvait donc être valablement déposé en 1971 ou postérieurement comme marque par Layrac qui, en toute hypothèse, n'a exploité personnellement l'établissement " Le Petit Zinc " qu'à partir de 1974, d'après les documents versés aux dossiers, qu'aucune exploitation antérieure sous la dénomination Le Petit Zinc par Layrac n'est établie,
Considérant que dès lors Grand Zinc est bien fondée à demander l'annulation de la première marque dénominative Le Petit Zinc en ce qui concerne les services de la classe 42 pour les restaurants, et qu'il y a lieu de faire droit à cette demande, sans s'arrêter à l'argumentation des consorts Layrac sur la notoriété de la marque car celle-ci n'est nullement établie en l'espèce, au sens de la Convention d'Union,
Considérant par contre qu'aucun motif n'est donné dans les conclusions de Grand Zinc à l'appui de la demande d'annulation de la marque complexe et qui comporte, outre la dénomination, un élément emblématique qu'il convient de prendre en son ensemble ; que la demande en nullité doit donc être rejetée pour cette seconde marque,
Sur la concurrence déloyale
A. - Considérant que les premiers juges ont estimé que l'enseigne " Le Petit Zinc " était dépourvue de toute originalité pour désigner un établissement débitant des boissons ; qu'elle n'avait pas non plus de caractère distinctif pour désigner un restaurant, compte tenu de ce que de nombreux établissements exercent également cette activité,
Considérant qu'ils ont également relevé que l'enseigne ne confère à son titulaire q'une protection territoriale limitée et que les deux établissements étaient situés dans des quartiers bien différents de Paris, les deux enseignes coexistant depuis plusieurs années sans qu'aucune confusion en soit résultée,
Qu'enfin, la présentation extérieure des restaurants, si elle était voisine, ne résulte que de l'emploi de matériaux couramment employés pour la décoration des restaurants,
Qu'ils ont en conséquence débouté les consorts Layrac de leur demande en concurrence déloyale,
B. - Considérant que les consorts Layrac font valoir que " Le Petit Zinc " est un restaurant de " notoriété internationale ",
Que la reproduction de l'enseigne d'un concurrent montre bien une volonté de créer une confusion, même si les deux établissements ne sont pas de la même classe ; que le public peut supporter qu'il s'agit d'un établissement plus important appartenant à la même société,
Que de plus, l'aspect extérieur des deux restaurants telle que démontrées par les photographies et articles de presse versés aux débats accroît considérablement le risque de confusion,
Qu'enfin, le propriétaire de Grand Zinc, qui connaissait bien la famille Layrac, avec laquelle il a travaillé, a modifié son enseigne qui n'est devenue Le Grand Zinc qu'en 1969 quatre années après la création de Petit Zinc,
C. - Mais considérant que ce raisonnement doit être rejeté
Considérant qu'en effet, il n'est pas contestable que les deux établissements ont coexisté pendant quinze années dans des quartiers bien différents de Paris sans qu'aucune confusion n'ait jamais été invoquée, malgré une certaine notoriété des deux établissements, les clientèles étant bien distinctes,
Que l'aspect extérieur des deux restaurants résulte des tendances de la mode; que Grand Zinc fait d'ailleurs valoir à juste titre que sa présentation a été effectuée pour une brasserie avec des matériaux utilisés par tous les établissements rénovés sous l'égide du même brasseur et que la référence au nom du brasseur, maître de l'agencement, est une pratique constante; que d'ailleurs Grand Zinc se réfère à la bière de Munich alors que le restaurant Le Petit Zinc est bien distincte du restaurant Le Muniche, propriété du Club Vénitien,
Que dès lors, l'action en concurrence déloyale doit être rejetée, d'autant plus que les consorts Layrac n'établissent pas le moindre préjudice à cet égard,
Sur les diverses demandes des parties
A. - Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que les diverses demandes en dommages-intérêts des consorts Layrac doivent être rejetées,
Que, de même, il apparaît équitable de laisser à leur charge les frais occasionnés par le litige puisqu'ils y succombent,
B. - Considérant que Grand Zinc sollicite à juste titre l'annulation de la marque n° 969-714 renouvelée sous le n° 1.232.171 en ce qu'elle concerne la classe 42 mais seulement pour les " restaurants " qu'il y a lieu de dire que copie du présent arrêt sera adressée à l'Institut National de la Propriété Industrielle pour qu'il soit fait mention de cette décision,
Considérant par contre qu'il convient de rejeter la mesure de publication de l'arrêt, cette réparation n'apparaissant pas adéquate en l'espèce,
Considérant qu'il y a lieu de rejeter la demande d'annulation de la marque figurative comme il l'a été dit ci-dessus,
C. - Considérant qu'il convient de rejeter la demande pour procédure abusive de Grand Zinc, les consorts Layrac ayant pu se méprendre de bonne foi sur la portée et l'étendue de leurs droits, compte tenu de la complexité de l'affaire,
D. - Considérant par contre qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Grand Zinc à laquelle les premiers juges ont exactement alloué une somme de 3 000 frs pour frais irrépétibles d'instance, les frais non taxables à elle occasionnés par l'appel de ses adversaires ; que la Cour condamnera en conséquence in solidum les consorts Layrac à verser à Grand Zinc la somme supplémentaire justifiée de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.
Par ces motifs : et ceux non contraires des premiers juges, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 30 octobre 1984 sauf en ce qu'il a débouté la société Le Grand Zinc de sa demande reconventionnelle, Statuant à nouveau de ce chef : Prononce la nullité de la marque n° 1.232.171 en ce qui concerne la classe 42 pour les restaurants, Dit que copie de la présente décision sera adressée par le Greffier à l'Institut National de la Propriété Industrielle, Rejette la demande en annulation de la marque n° 1099531, Condamne in solidum Monsieur Layrac et la société Le Club Vénitien à payer à la société Le Grand Zinc la somme supplémentaire de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile, Condamne in solidum Monsieur Layrac et la société Le Club Vénitien à tous les dépens d'appel, Dit que la SCP Dauthy-Naboudet, titulaire d'un office d'avoué, pourra recouvrer directement contre eux ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.