Conseil Conc., 12 avril 2000, n° 00-D-16
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisines de la société Les Carrières de Sainte-Marthe
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de Mme Wibaux, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, M. Jenny, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 28 novembre 1994, sous le numéro F 729, par laquelle la société Les Carrières de Sainte-Marthe a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu'elle qualifie de contraires aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre ; Vu la lettre enregistrée le 12 mai 1997, sous le numéro F 963, par laquelle la société Les Carrières de Sainte-Marthe a de nouveau saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu'elle qualifie de contraires aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la société Les Carrières de Sainte-Marthe et par le commissaire du Gouvernement ; Vu l'ordonnance en date du 2 septembre 1996, par laquelle le tribunal de grande instance de Marseille a prononcé la nullité des opérations de visite et de saisie effectuées auprès de trois entreprises (la société Entreprise Bronzo, la société Joseph Perasso et ses fils et la SNC Carrières et Béton Bronzo-Perasso) ; Vu l'ordonnance du 7 mars 1996 par laquelle le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a prononcé la nullité de la saisie d'un courrier adressé à la société Colas Midi Méditerranée par l'avocat de cette entreprise ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la société Les Carrières de Sainte-Marthe entendus au cours de la séance du 15 mars 2000 ; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs exposés (II) :
I. LES CONSTATATIONS
A. Le régime juridique des carrières, les caractéristiques du produit et le marché régional des granulats
Le régime juridique des carrières
Les granulats sont extraits des carrières, lesquelles sont soumises à un régime juridique spécifique établi par les articles 105 et suivants du Code minier et par le décret n° 79- 1108 du 20 décembre 1979 : si le droit d'exploitation est accordé par le propriétaire du sol par contrat fixant les obligations des parties, son exercice est subordonné, dans le cas général où la superficie est supérieure à 500 mètres carrés, à la délivrance par arrêté préfectoral d'une autorisation d'ouverture et d'un permis d'exploitation temporaire et renouvelable pour les opérations très importantes, après une enquête publique ; schémas d'urbanisme et plans d'occupation des sols doivent être respectés.
Les caractéristiques des produits
Les granulats sont constitués de grains minéraux et agrégats. On distingue, selon leur granulométrie : les farines minérales ou fillers, les sables, les gravillons et les pierres concassées, les blocs et enrochements, les produits de pré criblage, servant principalement pour les remblais routiers ou les plates-formes. Les granulats sont utilisés pour les travaux publics afin de viabiliser les terrains et dans l'industrie du bâtiment pour fabriquer des bétons hydrauliques dont ils représentent environ 75% du total de la composition. Le coût du transport des granulats représente un élément très important du prix du produit en raison de sa faible valeur unitaire et de son caractère pondéreux : selon les professionnels, le prix est multiplié par deux lorsque les granulats sont livrés à plus de quarante kilomètres de leur lieu d'extraction. Le marché des granulats est donc un marché local dont les dimensions géographiques sont restreintes.
Le marché régional des granulats
De fait, à cause des coûts de transport à l'intérieur du département des Bouches-du- Rhône, il est possible de distinguer deux zones de production : la première, de dimension réduite, recœuvre le territoire de l'agglomération marseillaise et sa proche banlieue, limitée au nord par la chaîne de l'Etoile ; la seconde zone cœuvre le reste du département des Bouches-du-Rhône, plus vaste mais moins urbanisé. En 1994, la production annuelle de granulats du département des Bouches-du-Rhône se situe autour de 11 milliers de tonnes. Cette production est stable, comme le confirment les données statistiques de l'Union nationale des industries des carrières et matériaux (UNICEM).
Le tableau ci-après rassemble, pour le département des Bouches-du-Rhône et pour l'année 1994, les principaux producteurs, leur volume de production, leurs parts de marchés calculées à partir de ce volume, leur chiffre d'affaires ainsi que leur part de marché calculée à partir de ce chiffre.
B. LES ENTREPRISES EN CAUSE :
Le GIE Béton et Granulats Phocéens (GIE BGP).
Ce groupe constitué en 1968, regroupait jusqu'au 24 juin 1994, date de sa dissolution, neuf entreprises adhérentes :
Deux entreprises ayant pour actionnaire majoritaire la société Colas Midi Méditerranée : SA Joseph Perasso et fils ; SARL Gardanne Béton exploitant une carrière à Malle et une centrale à Gardanne ;
Quatre sociétés dont la société Ciments Lafarge est actionnaire minoritaire à savoir : Eurl Carrières et Matériaux du Littoral, exploitant une carrière à Marseille et une carrière à Cassis ; SA Durance Matériaux, exploitant une carrière à Mallemort et une carrière à Istres ; SA Béton Chantier de Marseille, exploitant trois centrales à Marseille, une centrale à Venelle et une centrale à Berre.
SA Carrières et Béton B. Bronzo et fils ;
SARL Carrières Gontero ;
SARL Béton Chantiers Martigues exploitant une centrale à Martigues, dont le capital est partagé par moitié entre la SARL Carrières Gontero et SA Béton Chantiers de Marseille, filiale de Lafarge.
Depuis octobre 1994, la SA Bronzo et fils et la SA Joseph Perasso et fils se sont associées dans une société appelée "Carrières et Bétons Bronzo-Perasso".
La société les carrières de Sainte-Marthe et l'exploitation de la carrière du même nom
La société Les Carrières de Sainte-Marthe
En 1995, date de l'enquête administrative, la société Les Carrières de Sainte-Marthe appartenait au Groupe Grandi (Grandi SA), holding détenant des participations dans huit autres sociétés. Ce groupe exploitait principalement deux carrières, la carrière de Palama et la carrière Sainte-Marthe (située dans la commune de Marseille) et possédait trois centrales de béton prêt à l'emploi, la première sur le site de la carrière Sainte- Marthe, la deuxième près de Marignane et la troisième sur le site de la carrière de Palama ;
L'exploitation de la carrière Sainte-Marthe
Elle date de 1982, date à laquelle un contrat de bail est conclu entre le propriétaire de la carrière et la société Les Carrières de Sainte-Marthe (CSM) pour l'exploitation d'une surface de 2,7 hectares. En 1987, le propriétaire de la carrière donne congé à la société Les Carrières de Sainte-Marthe avec effet au 1er décembre 1987 et conclut un nouveau un bail le 5 février 1988 avec la Société Méridionale des Terrassements (Somet), émanation du GIE "Béton et Granulats Phocéens" (BGP).
La société Les Carrières de Sainte-Marthe, considérant que ce bail était le résultat d'une entente, a saisi le Conseil de la concurrence sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance.
Dans sa décision n° 91-D-47 rendue le 5 novembre 1991, le conseil a relevé que :
"les sociétés Carrières et matériaux du littoral, Durance matériaux, Joseph Perasso et ses fils, Gardanne béton et Carrières Gontero se sont entendues, d'une part, pour conduire une négociation commune lors du renouvellement du bail d'exploitation de la carrière de Sainte-Marthe afin de se réserver collectivement l'accès au marché des granulats de la zone desservie par cette carrière antérieurement exploitée par un concurrent, d'autre part, pour que l'exploitation de cette carrière ne remette pas en cause la répartition du marché des granulats à laquelle elles avaient procédé en fonction des capacités de production que chacune détenait avant l'exploitation collective du bail de la carrière de Sainte-Marthe".
C. Les circonstances de l'origine de l'enquête : le litige à propos du bail conclu entre le propriétaire de la carrière et la société Cofirem
Le bail signé le 23 mars 1994 entre le propriétaire de la carrière et la SARL Cofirem, entreprise spécialisée dans les transactions immobilières et commerciales, sous la condition suspensive de l'annulation du bail à carrière du 5 février 1988 par un jugement ayant force de chose jugée au sens de l'article 500 du nouveau Code de procédure civile, est l'élément central de la saisine de la société Les Carrières de Sainte-Marthe, selon laquelle le nouveau contrat passé avec la Cofirem, "nouvelle coquille vide", n'est que "la copie servile" du bail passé entre la Somet et le propriétaire de la carrière et, dès lors, le résultat d'une entente entre les membres du GIE BGP, ses principaux concurrents, destinée à l'évincer du marché des granulats.
A la suite de cette saisine, une enquête a été réalisée par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes au cours de l'année 1995. Elle a donné lieu à la mise en œuvre des dispositions de l'article 48 de l'ordonnance.
a) L'enquête au siège de la société Cofirem
Une lettre, saisie par les enquêteurs, émanant de la SARL Cofirem, société spécialisée dans l'expertise et les transactions immobilières et financières, et adressée à Colas SA, fait le point sur les formalités accomplies :
"Nous avons régularisé la convention de fortage dans l'aéroport de Marignane, le 23 mars dernier. (...) Dès que l'ensemble des pièces auront été réunies, nous pourrons procéder au dépôt et à la publication dudit acte".
Par ailleurs, le gérant de la SARL Cofirem, entendu par les enquêteurs le 25 juillet 1995, a déclaré :
"La société Cofirem n'a aucune relation d'affaires avec la SA Colas autre que le dossier en cause. (...) Le dénouement de cette opération interviendra ultérieurement entre les parties contractantes. Il appartiendra à Cofirem et à Colas d'examiner les conditions de réalisation de ce dossier. Cofirem n'a aucun a priori sur la sortie de ce dossier".
b) l'enquête chez Colas-Midi-Méditerranée
Le 27 juin 1995, les enquêteurs ont entendu le président du conseil d'administration de la société Colas-Midi-Méditerranée qui a déclaré :
"C'est une opération qui a été faite dans la plus grande discrétion par Colas à son seul bénéfice".
c) l'enquête auprès de Colas SA
Le directeur des services juridiques de Colas SA et président-directeur général de la SA Sospar, entendu par les enquêteurs le 13 septembre, a fait les déclarations suivantes :
"Colas SA est en relation d'affaires depuis plus de dix ans avec plusieurs sociétés de l'ensemble auquel Cofirem appartient. Il s'est établi des relations de confiance avec Cofirem, j'ai ainsi une quasi certitude de pouvoir récupérer auprès de Cofirem le bail Caulet s'il y a lieu".
D. Les autres pratiques
Des négociations ont eu lieu, en 1994, entre la société Les Carrières de Sainte-Marthe et les groupes Colas et Lafarge, en vue d'une prise de participation au capital de cette société (1), puis de projets de restructuration du GIE Bétons Granulats Phocéens (2) Le comportement adopté par les entreprises membres de ce GIE postérieurement à la décision n° 91-D-47 précitée a, en outre, été examiné (3).
1. Les négociations intervenues en 1994 entre la société Les Carrières de Sainte- Marthe et les groupes Colas et Lafarge en vue d'une prise de participation de ces deux groupes au capital de cette société
Au cours de l'année 1994, des négociations sont intervenues entre M. Grandi, gérant de la société Les Carrières de Sainte-Marthe et principal actionnaire de la société Grandi SA, et les groupe Colas et Lafarge. Ces négociations ont connu deux phases. La première s'est déroulée au cours du 1er semestre 1994 à l'initiative d'une filiale du Crédit Lyonnais, la société Clinvest. La seconde phase a débuté en juin de la même année et a été initiée par M. Grandi, assisté de ses avocats. Toutes ces négociations pour une prise de participation au capital de la société Les Carrières de Sainte-Marthe n'ont pas abouti.
C'est dans ce contexte que l'existence d'un projet de " convention de croupier " entre Colas et Lafarge a été révélée. Les enquêteurs ont, en effet, saisi une télécopie qui fait état d'un "schéma envisageable" pour le dossier CSM. Ledit schéma se présente comme suit :
"Au départ, la société a un capital de 22 M., réparti 50 % G.SA et 50 % notre structure. Au bout de 5 ans, on rachète les 50 % de G.SA
Au total, G. peut régler : 16+ 3+11 = 30 millions ce qui lui permet de solder ses dettes et il reste avec 50 % de l'affaire pendant 5 ans pour une valeur des titres de 11 M.
2. Nos accords avec notre partenaire : "Convention de croupier" (égale env. SP) par laquelle on porte 50 % pour leur compte jusqu'au rachat final et ils font la trésorerie de 50 % de tout ce que l'on met dans l'affaire, soit un remboursement de 15 M. au départ. Au bout de 5 ans, on se retrouve officiellement à 50/50 ".
Interrogé par les enquêteurs, le directeur juridique de Colas SA a précisé le 13 septembre 1995 :
"Dans le cadre des négociations en vue d'une participation au capital de la société Les Carrières de Sainte-Marthe (CSM) qui se sont déroulées au cours de l'année 1994, Clinvest est intervenue dans une première phase qui s'est déroulée au niveau local et qui a concerné Colas Midi Méditerranée et l'agence régionale de Lafarge Béton Granulats. C'est Clinvest qui a pris, d'abord localement, l'initiative de contacter Colas Midi Méditerranée et Lafarge Bétons Granulats, les maisons mères ayant été informées. Ces premières négociations ont rapidement échoué. (...)
L'association dans ces négociations de Colas avec Lafarge Béton Granulats s'explique par l'importance de l'opération et le règlement des contentieux anciens qui concernent ces deux sociétés.
Des montages juridiques divers ont été envisagés. (...) En définitive, une divergence principale est apparue dès le départ : le prix, qui a conduit à une impasse dès le mois de décembre 1994".
Enfin, au sujet de la télécopie saisie faisant état de la "convention de croupier" entre Colas et Lafarge, le nouveau directeur juridique de Colas SA, interrogé par le rapporteur, a indiqué le 12 janvier 1999 :
"Vous m'interrogez sur la signification du paragraphe 2 du fax(...) La seule réponse que je peux vous apporter est une analyse a posteriori des pièces saisies le 12/04/95 (...) C'est sous cette réserve que je souhaite faire observer :
Tout d'abord, que l'entreprise saisissante n'évoque à aucun moment (ni dans sa lettre de saisine du 23/11/94, ni dans le procès-verbal d'audition de M. Grandi du 30/01/95) les projets de reprise de sa société qu'elle avait pourtant initiés et qui sont au surplus antérieurs. Je m'étonne donc d'être interrogé sur ce point. Ensuite, qu'il s'agit probablement d'un projet envisageable mais qui n'a jamais abouti.(...)
"Nos accords avec notre partenaire" :
signifie probablement à la lumière des documents saisis et des déclarations faites l'association de Colas avec Lafarge Bétons Granulats.
"Convention de croupier" :
Je m'interroge sur cette terminologie et ce d'autant plus que je n'ai pas connaissance de cette convention. En tout état de cause, je ne comprends pas cette référence. Pour moi, la lecture des documents saisis dans les locaux de la société Colas Midi Méditerranée et des déclarations (...) fait apparaître un projet de reprise en commun par une entité du groupe Colas et Lafarge Bétons Granulats aux côtés du groupe Grandi.(...)".
2. Les projets de transformation, puis la dissolution du GIE BGP
L'enquête réalisée auprès de Lafarge Granulats Provence a permis aux enquêteurs de saisir divers documents datés de juillet et août 1992, qui font état des discussions menées entre le groupe Lafarge et le groupe Colas au sujet de l'avenir du GIE.
a) les raisons de la transformation du statut de GIE
Dans un courrier daté du 15 juillet 1992 entre les deux sociétés, il est exposé les raisons de la transformation du GIE BGP en une nouvelle structure :
"(...) Le conseil de la Concurrence (relayé par la Cour d'Appel de Paris) a sanctionné les membres du GIE BGP pour avoir procédé à :
- la répartition de la production et de la livraison en proportion des capacités totales de production de chacun ;
- la fixation concertée d'un tarif commun ;
par application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Il faut donc sortir de ce cadre suspect et il a été conclu qu'il fallait se placer dans le cadre de la concentration économique visée par l'article 39 de cette ordonnance et qui résulterait de "tout acte ... qui emporte transfert de propriété et de jouissance sur tout ou partie de biens, droits et obligations d'une entreprise".
(...) A partir de ces données, deux schémas ont été esquissés (...) :
A.- Schéma Colas
B.- Schéma LBG.(...)".
b) les projets
Le document précédent ainsi que divers autres documents saisis (courriers internes de Lafarge Béton Granulat avec le groupe Colas en juillet et août 1992) permettent d'esquisser les formes de ces deux projets alternatifs :
Le premier, dit "schéma Colas", vise à transformer le GIE BGP en société commerciale (probablement en SNC), propriétaire ou, de préférence, locataire-gérant des fonds de commerce et activités de ses membres pour une durée longue (par exemple dix ans), moyennant redevance. BGP exploite les sites (carrières et centrales) pour son compte ou, de préférence, sous-traite la fabrication aux associés qui n'auraient en charge que les coûts variables et de personnel et percevraient des prestations industrielles. Les résultats sociaux de BGP seraient répartis entre les associés en proportion de leur participation ou selon quote-part modulable statutaire.
Le second projet, dit "schéma LBG" (pour Lafarge Béton Granulats), peut être résumé comme suit : les adhérents du GIE producteurs de granulats et de béton prêt à l'emploi cèdent leur fonds de commerce à une société commerciale remplaçant le GIE BGP. Ils demeurent propriétaires et exploitants de leurs installations mais produisent à façon pour la nouvelle structure qui assure la commercialisation et le transport. Un projet de convention d'associés (annexé audit compte rendu) complète les propositions de Lafarge Béton Granulats en précisant notamment le fonctionnement de cette structure.
En définitive, aucun de ces projets n'a abouti. Le 24 juin 1994, les adhérents du GIE BGP ont décidé de le dissoudre.
3. Les pratiques tarifaires et commerciales du GIE BGP relevées par le conseil dans sa décision n° 91-D-47
a) la fixation concertée d'un tarif commun pour la vente des granulats
Deux tableaux présentent les tarifs pratiqués par les entreprises membres du GIE BGP pour la vente des granulats. Sur le premier tableau, sont indiqués les prix pratiqués au début de 1994 par plusieurs carrières des Bouches-du-Rhône appartenant à des membres du GIE, pour l'ensemble des granulats, classés en fonction de leur granulométrie. Il ressort de ce tableau que les fillers produits par les carrières ont des prix identiques. Le second tableau présente les prix des graves traitées pour les différentes carrières. Tous les prix de ces graves sont identiques.
b) La répartition de la production et de la livraison de granulats et de béton prêt à l'emploi
En ce qui concerne les volumes de production de granulats desdites carrières, l'enquête a fait apparaître que, pour la période allant de fin 1991 à 1993, date de la dernière estimation, les parts relatives des différents intervenants n'ont pas été sensiblement modifiées.
Ainsi, la part des diverses carrières du groupe Lafarge est passée de 42,7 % à 43,1 %, celle de la carrière de St Tronc (société Joseph Perasso) est passée de 22,6 % à 24,2 %, celle de la carrière d'Aubagne (société Carrières et Béton B. Bronzo) est passée de 21,6 % à 19,4 % et celle de la carrière de La Mède (société Carrières Gontero) de 13,1 % à 13,3 % .
Sur la base de ces constatations, le rapporteur a estimé qu'il n'y avait pas lieu de notifier des griefs.
II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur la régularité des procès verbaux
Considérant que le tribunal de grande instance de Marseille a prononcé la nullité des opérations de visite et de saisie effectuées auprès de trois entreprises (la société Entreprise Bronzo, la société Joseph Perasso et ses fils et la SNC Carrières et Béton Bronzo-Perasso) ; que le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a prononcé la nullité de la saisie d'un courrier adressé à la société Colas Midi Méditerranée par l'avocat de cette entreprise ; qu'il y a donc lieu d'écarter ces documents du dossier ;
Sur les pratiques relevées
En ce qui concerne le bail
Considérant que la société Les Carrières de Sainte-Marthe (CSM) soutient que le bail conclu entre M. Caulet, propriétaire du gisement, et la société Cofirem est la copie du bail précédent conclu entre M. Caulet et la société Somet dont il a été démontré qu'il était le résultat d'une entente impliquant les sociétés du groupe Lafarge, du groupe Colas (carrières Perasso), de la société Carrières et Béton Bronzo et de la société Sables Lavés Gontéro ; qu'elle en déduit que ce second bail, qui a été conclu sous condition suspensive de l'annulation du premier, aurait pour objet l'élimination de la société Les Carrières de Sainte-Marthe du marché ;
Mais considérant, en premier lieu, que la circonstance que le bail du 23 mars 1996 est la copie du premier ne saurait démontrer que ce bail a été conclu au profit des mêmes preneurs, la plupart des actes juridiques de cette nature étant établis à partir de formulaires ; que l'insertion d'une condition suspensive ne permet pas non plus d'aboutir à une telle déduction, dans la mesure où cette condition était nécessaire à la validité du contrat qui portait sur la même parcelle que le bail précédent dont l'annulation avait été demandée au tribunal de grande instance de Marseille mais n'était pas encore prononcée ;
Considérant, en second lieu, que l'enquête a établi que le propriétaire de la carrière ne souhaitait plus conclure de bail avec la société Les Carrières de Sainte-Marthe (CSM), en raison des nombreux litiges passés et en cours, et qu'il s'est tourné vers la société Cofirem, société spécialisée dans les transactions immobilières depuis 1974, présentant les garanties financières requises ; que cette société, après avoir conclu le nouveau bail, en a effectué le dépôt au rang des minutes d'un notaire et en a informé le siège de la société Colas SA (maison mère du groupe Colas) par un courrier en date du 28 mars 1994 ; que cette transmission d'information implique que le groupe Colas était intéressé par la reprise du bail, ce qui a, notamment, été confirmé par les déclarations du propriétaire de la carrière, du président du conseil d'administration de la société Colas Méditerranée et de la société Cofirem, ainsi que du directeur juridique de la société Colas SA ; qu'aucun élément de l'enquête ne démontre que la société Colas SA n'agissait pas pour son seul bénéfice ;
Considérant qu'il ressort de ce qui précède qu'il n'est pas établi que le bail signé par la société Cofirem serait le résultat d'une entente anticoncurrentielle ayant pour objet l'élimination du marché de la société Les Carrières de Sainte-Marthe ;
En ce qui concerne les négociations intervenues en 1994 entre la société Les Carrières de Sainte-Marthe et les groupes Colas et Lafarge en vue d'une prise de participation de ces deux groupes au capital de ladite société
Considérant que la société Les Carrières de Sainte-Marthe fait valoir que le projet de "convention de croupier", dont l'existence a été révélée par la saisie d'une télécopie datée du 29 septembre 1994, projet de convention aux termes duquel le groupe Colas aurait été déclaré vis-à-vis des tiers seul acquéreur de la moitié du capital de la société Les Carrières de Sainte-Marthe alors que le financement de cette acquisition aurait été partagé entre le groupe Colas et le groupe Lafarge, "avait nécessairement un objet, et compte tenu des motivations mises en exergue par la décision du conseil de la Concurrence dans sa décision du 5 novembre 1991, cet objet ne pouvait être que l'appropriation des carrières sainte Marthe" et, en conséquence, l'éviction de la société Les Carrières de Sainte-Marthe du marché des granulats ;
Mais considérant que la prise de participation à hauteur de 50% du capital de la société Les Carrières de Sainte-Marthe constitue une opération de concentration au sens des dispositions de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que,dès lors que la société Les Carrières de Sainte-Marthe ne fait pas état de pratiques anticoncurrentielles détachables, il résulte de la jurisprudence constante du conseil, et notamment de la décision "SA Europe Régie" n° 99-D-04 du 19 janvier 1999, que le Conseil de la concurrence n'est pas compétent pour examiner les accords intervenus dans le cadre d'une telle opération ; que, si, en application de la "convention de croupier", le groupe Lafarge était aussitôt entré dans le capital de la société Les Carrières de Sainte-Marthe, il se serait agi d'une seconde opération de concentration qui, comme la précédente, aurait relevé du titre V de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et n'aurait pu faire l'objet d'un examen dans le cadre de la présente saisine ; qu'enfin, ce projet de convention est resté à l'état de schéma qui n'a finalement pas été mis en œuvre ;
En ce qui concerne les projets de modification de la structure du GIE
Considérant qu'après la décision du Conseil de la concurrence condamnant les pratiques du GIE, les membres de celui-ci ont souhaité modifier son statut juridique ; que divers projets, parmi lesquels "le schéma Colas" et le "schéma LBG", ont été envisagés ; que ces divers projets ont été présentés à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ; que celle-ci n'a pas reconnu le caractère d'opération de concentration à ces projets ; que, faute d'un accord des membres du GIE sur la nouvelle structure, ces projets ont été abandonnés ; qu'aucun élément ne permet d'établir que les deux projets, "le schéma Colas" et le "schéma LBG", avaient un objet anticoncurrentiel ; qu'au surplus, il faudrait, pour les qualifier d'ententes, établir l'existence d'un accord de volonté dont l'existence paraît incertaine puisque ces projets ont été abandonnés ;
En ce qui concerne la réitération des pratiques tarifaires et commerciales relevées par le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 91-D-47
S'agissant des prix pratiqués
Considérant que les prix pratiqués début 1994 par plusieurs carrières des Bouches-du- Rhône appartenant à des membres du GIE étaient, pour les graves traitées et les fillers, identiques ;
Mais considérant, s'agissant des fillers, qu'ils ne constituent qu'une catégorie de granulats sur les quarante neuf présentées dans le tableau saisi; que le pourcentage de granulats dont le prix est identique s'élève ainsi à environ 2% du total ; que ce pourcentage n'est pas significatif ; que, s'agissant des graves traitées, la circonstance que les prix soient identiques peut s'expliquer par le caractère peu différencié de ces produits ; que cette circonstance est donc insuffisante à elle seule pour établir la preuve d'une pratique concertée ; qu'en conséquence, l'existence d'une entente anticoncurrentielle prohibée par l'article 7 de l'ordonnance n'est pas établie ;
S'agissant de la répartition des marchés de production des granulats
Considérant que, si l'enquête a fait apparaître, pour la période allant de fin 1991 à 1993 en ce qui concerne les volumes de production de granulats, une relative stabilité des parts de marché de chacune des entreprises, la période examinée est trop courte pour être représentative, alors surtout que les conditions de production de ces granulats n'ont pas varié pendant cette période ; qu'en l'absence d'autres éléments, il n'est pas possible d'en déduire l'existence d'une concertation entre membres du GIE ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'appliquer les dispositions de l'article 20 de l'ordonnance précitée,
Décide :
Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.