Conseil Conc., 14 octobre 1997, n° 97-A-22
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de MM. Alain Dupouy, Loïc Guérin, par M. Barbeau, président, M. Cortesse, viceprésident, M. Bon, Mme Boutard-Labarde, M. Gicquel, Mme Hagelsteen, MM. Marleix, Pichon, Robin, Rocca, Sargos, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence (formation plénière),
Vu la lettre enregistrée le 4 juillet 1997 sous le numéro A 223 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, d'une demande d'avis relative à l'acquisition de la société Loctite France par la société Henkel KGaA ; Vu l'ordonnance n° 861243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment son titre V, et le décret n° 861309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par les sociétés Henkel KGaA et Loctite Corporation et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus, les représentants du Groupement Edouard Leclerc (SC GALEC) et de la société UHUFrance entendus conformément aux dispositions de l'article 25 de l'ordonnance précitée et le représentant des sociétés Henkel KGaA et Loctite Corporation entendu ; Adopte l'avis fondé sur les constatations (I) et les motifs (II) ciaprès exposés :
Le 4 juillet 1997, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a saisi le Conseil de la concurrence d'une demande d'avis relative à l'acquisition de la société Loctite France par la société Henkel KGaA. L'opération de concentration entre les sociétés Henkel et Loctite a également été soumise aux autorités nationales de la concurrence d'Allemagne, de Belgique, d'Italie et du RoyaumeUni.
I.- CONSTATATIONS
A. - L'opération notifiée
A la suite d'une offre publique d'achat lancée aux EtatsUnis le 6 novembre 1996 par la société HC Investments puis transférée à une société dénommée Henkel Merger Corporation, ellemême filiale à 100 % de la société Henkel Acquisition Corporation, la société Henkel KGaA a indirectement acquis le 3 janvier 1997 61 % des actions de la société américaine Loctite Corporation, dont elle détenait déjà 35 %. Entre le 3 et le 15 janvier 1997, Henkel Merger Corporation a acquis les 4 % des actions de la société Loctite Corporation qu'elle ne détenait pas encore.
Le 15 janvier 1997, la société Henkel Merger Corporation a été absorbée par la société Loctite Corporation. La société Loctite Corporation est donc dorénavant filiale à 100 % de la société Henkel Acquisition Corporation, société ellemême détenue à hauteur de 25 % par la société Henkel KGaA et de 75 % par sa filiale, la société HC Investments.
En acquérant ainsi la totalité du capital de la société Loctite Corporation, la société Henkel KGaA est devenue indirectement propriétaire de la société Loctite France, filiale à 100 % de Loctite Corporation.
B. - Les parties à l'opération
1. Le groupe Henkel
Henkel est un groupe chimique de dimension mondiale spécialisé dans la production et la commercialisation de produits chimiques et notamment de détergents, de produits d'entretien, de colles, de produits d'hygiène corporelle, de cosmétiques et de produits pharmaceutiques. Il est également présent dans le secteur agroalimentaire et dans celui des emballages. En ce qui concerne les colles, Henkel est le premier opérateur mondial (8,1 % des ventes). Les effectifs mondiaux du groupe Henkel sont d'environ 41 000 personnes et le chiffre d'affaires réalisé au plan mondial a été de 16,301 milliards de DM en 1996.
La société mère, Henkel Kommanditgesellschaft auf Aktien (KGaA), est une société en commandite par actions dont le siège est à Düsseldorf en Allemagne. Elle possède des filiales en Allemagne, dans la plupart des pays de l'Union Européenne et dans de nombreux autres pays à travers le monde.
La société Henkel France est une filiale à 100 % de la société Henkel KGaA. Elle possède plusieurs filiales constituant le groupe Henkel France : Henkel Adhésifs, SPHF, Sidobre Sinnova, Henkel Entretien, Henkel Chimie des métaux, Novamax Technologies, Schwarzkopf, Henkel les Milles et Yon. Deux autres sociétés, dont le capital est détenu par la société Henkel Klebstoffe, filiale allemande de Henkel KGaA, exercent également leur activité en France : Téroson et SAIM
Le chiffre d'affaires réalisé en France par le groupe Henkel a été de 6,188 milliards de francs en 1996.
La société Henkel dispose de deux unités de production de colles en France. La première, sise à ChâlonsenChampagne, produit des colles "froides" (du type des colles blanches utilisées en papeterie) fabriquées à partir de polymères en dispersion dans l'eau, des colles thermofusibles, des colles réactives polyuréthanes, et des colles en phase solvant sur base polychlorophène (néoprène) ; la seconde, sise à Louviers, fabrique des produits d'étanchéité pour les entreprises spécialisées dans les travaux du bâtiment et le grand public.
La commercialisation des produits est assurée par une force de vente d'une quarantaine de personnes réparties selon les catégories d'utilisateurs : grand public, "après vente auto" (AVA), industrie, bâtiment.
2. Le groupe Loctite
Le groupe Loctite est le cinquième producteur mondial de colles et adhésifs. La société Loctite Corporation est une société de droit américain ayant son siège dans l'Etat du Delaware. Son dernier chiffre d'affaires connu (1995) s'élevait à 785 millions de dollars, dont 40 % était réalisé en Europe et 37 % en Amérique du Nord. Elle possède des filiales dans la plupart des pays de l'Union Européenne.
La société Loctite France, filiale à 100 % de la société Loctite Corporation, a pour objet social l'exploitation d'un fonds de commerce d'achat et de vente de tous produits chimiques, notamment d'adhésifs. Cette société n'a pas d'unité de production en France, mais dispose de services logistiques et commerciaux. Les produits commercialisés par Loctite France sont fabriqués à Dublin (Irlande).
Le chiffre d'affaires réalisé en France par la société Loctite France en 1996 a été de 434 millions de francs, contre 459 millions en 1995.
C. - Le secteur des colles
1. Les produits
Du point de vue technologique, les colles et adhésifs sont des substances de viscosité variable qui, appliquées sur une surface, produisent un effet liant. Cette propriété résulte de la polymérisation du produit, processus provoquant son passage d'un état liquide à un état solide du fait de l'évaporation ou de la dispersion d'un solvant ou de l'agent de dispersion qu'il contient, de l'application d'une force de compression, d'un processus de refroidissement ou de réactions chimiques plus complexes.
Les produits dénommés mastics ont plusieurs fonctions. Les mastics courants ont une fonction d'étanchéité, d'isolation et d'occlusion des cavités des substrats traités, d'autres (les mastics de fixation) ont une fonction purement adhésive.
Le tableau suivant décrit les principales catégories de colles selon leurs caractéristiques chimiques et technologiques telles que retenues par le Syndicat français des colles et adhésifs (SFCA) :
97_A_22_TAB1.jpg
La fabrication d'une colle ou d'un adhésif consiste, en général, à mettre dans un mélangeur différentes matières définies dans une formulation et constituant un lot dénommé " batch ". Les formulations de base ne sont pas protégées par des droits de propriété industrielle et peuvent être fournies par les producteurs de matières premières, chaque entreprise améliorant la formulation standard selon ses propres besoins.
L'approvisionnement en monomères ou polymères, matière première des adhésifs, est réalisé par les fabricants auprès des grands groupes chimiques mondiaux (Rhône Poulenc, ICI, Hoechst, BASF ...). Les monomères entrant dans la composition des polymères utilisés pour fabriquer des adhésifs servent également à la production d'autres dérivés. Il en résulte qu'en fonction des opportunités du marché, leurs producteurs privilégient tel ou tel type de filières aval au détriment des autres. Cette situation est susceptible de créer des tensions sur les disponibilités et donc sur les prix des produits aval désavantagés. Enfin, le prix des solvants utilisés comme bases de certains adhésifs est sensible aux variations de cours du pétrole brut ou du dollar, dans la mesure où ces solvants sont des sousproduits de craquage.
Il est généralement admis que les capacités de production excèdent la demande et que le déblocage de capacités additionnelles serait technologiquement aisé et non onéreux. Il convient de relever cependant que les ateliers de fabrication de colles sont construits, équipés et affectés à la production d'une famille de colles. Il en résulte que la reconversion d'un appareil spécialisé dans la production de colles appartenant à une famille particulière vers la fabrication de colles appartenant à une autre famille, qui est techniquement possible, n'apparaît économiquement ni opportune, ni nécessaire.
Selon les statistiques établies par le SFCA, dont la partie notifiante estime qu'elles sousévaluent "largement" le marché, les ventes réalisées par les opérateurs adhérents ont été les suivantes pour les trois dernières années :
97_A_22_TAB2.jpg
La progression des ventes sur le territoire national est faible.
La balance des échanges extérieurs de colles et adhésifs est sujette à controverse et il est difficile de tirer une conclusion directe des statistiques douanières qui agrègent sous une même position tarifaire, les adhésifs et les gélatines alimentaires. Selon une étude concernant l'année 1995, le marché français serait largement ouvert aux produits étrangers dont la part dans la valeur totale des adhésifs commercialisés atteindrait près de 30 %. Cette ouverture s'expliquerait par la présence de groupes internationaux qui commercialisent en France des produits fabriqués à l'extérieur. L'Allemagne est ainsi le premier fournisseur de la France avec plus de 36 % du total des importations en valeur. Les exportations, en progression régulière, atteindraient 21 % des volumes produits sur le territoire national. L'Union Européenne concentre près des trois quarts des exportations françaises en volume et plus des deux tiers en valeur, près d'un quart des exportations exprimées en valeur étant destiné à l'Allemagne et plus de 12 % aux EtatsUnis.
2. L'offre
La structure de l'offre d'adhésifs est caractérisée par la présence de nombreux groupes multinationaux, le plus souvent fabricants de produits chimiques ou parachimiques parmi lesquels les colles.
L'absence d'implantation d'une unité de production sur le territoire français n'est pas un obstacle à la pénétration d'un opérateur dans la mesure où, à l'exception de certaines colles réactives, les adhésifs sont des produits dont la "durée de vie" est longue et le transport aisé, non soumis à des contraintes particulières de sécurité. L'existence de règles d'étiquetage fixées au niveau communautaire est un élément favorisant la circulation des colles.
Les investissements nécessaires pour le lancement de nouvelles productions (hors colles réactives) sont relativement modestes tant pour les colles que pour les mastics, le coût total d'un atelier de colles thermofusibles, génie civil inclus, serait d'environ 15 millions de francs et celui d'un mélangeur de "colles froides" d'environ 1,5 million de francs.
L'examen du degré de spécialisation des principaux opérateurs adhérents au SFCA témoigne de situations diverses. Certains opérateurs ont une spécialisation sectorielle forte centrée sur un type de colles ou sur une catégorie de clients (UHU, Loctite, National Starch, Esselte) alors que d'autres ont, au contraire, une production très diversifiée (3M, Ato Findley, Bostik, Henkel).
Les parts des entreprises parties à l'opération dans les ventes totales de colles classées par catégories chimiques recensées par le SFCA étaient les suivantes en 1995 :
97_A_22_TAB3.jpg
Selon la partie notifiante, les ventes totales de colles réactives seraient très largement supérieures aux estimations du SFCA Il en résulterait que les parts de Henkel et de Loctite ne seraient pas, respectivement, de 11,5 % et 38,5 %, mais seulement de 8,4 % et 28 %.
3. La demande
Les colles sont employées dans des circonstances très diverses par des opérateurs professionnels ou particuliers. De façon générale, leur coût est marginal par rapport à celui du substrat.
a) Les utilisateurs professionnels
Les documents tarifaires élaborés par les fabricants de colles permettent de distinguer trois groupes d'utilisateurs professionnels :
- les professionnels du bâtiment (second œuvre), qui utilisent des colles d'assemblage et de rénovation dont les formulations sont identiques à celles utilisées par le grand public mais dont les conditionnements sont différents. Les approvisionnements des entreprises utilisatrices, dont la plupart sont de taille modeste, sont en général effectués auprès de grossistes spécialisés, constitués en réseaux ou en chaînes de magasins ;
- le secteur de la réparation automobile, qui utilise des adhésifs pour l'isolation des caisses, la fixation de parebrise, le collage des garnitures intérieures. Les utilisateurs sont des entreprises de taille variable dont certaines appartiennent aux réseaux de distribution des constructeurs automobiles et obéissent à ses préconisations ou s'approvisionnent par son intermédiaire ;
- "l'industrie", conglomérat de secteurs allant des travaux publics à la construction aéronautique en passant par la fabrication de papier ou de jouets, utilise des colles appartenant à l'ensemble des familles chimiques. De façon générale, les opérateurs les plus importants s'approvisionnent suivant des procédures d'appel d'offres portant sur la fourniture de produits parfois formulés spécifiquement. Le cycle de production de cette catégorie d'utilisateurs exige une grande fiabilité de l'adhésif et la collaboration avec les fournisseurs est souvent indispensable. Les plus petits opérateurs s'adressent, quant à eux, aux réseaux de grossistes.
Le SFCA établit également des statistiques de vente de colles en retenant la nomenclature d'utilisateurs suivante :
- fabricants de papiercarton et produits connexes : ce secteur regroupe les fabricants d'emballages (boîtes, cartons, sacs, enveloppes, tubes), de rubans (médicaux, industriels), d'étiquettes, de tissu à usage unique et d'hygiène, de produits autoadhésifs ... ;
- entreprises de bâtiment et travaux publics, artisanat : dans ce secteur sont réunies des entreprises de travaux publics qui utilisent les adhésifs dans la construction des ponts, des chaussées, et des entreprises appartenant au secteur du bâtiment et réalisant des travaux de premier ou second œuvre ;
- fabricants de meubles et menuiseries ;
- fabricants d'équipement de transport : construction navale, aéronautique, ferroviaire et spatiale, caravanes ... ;
- fabricants de chaussures et d'articles en cuir ;
- entreprises procédant à des opérations d'assemblage : cette rubrique est utilisée lorsqu'aucune des autres ne convient. Elle inclut notamment des fabricants d'appareils électriques, électroniques, de jouets, d'équipements sportifs ...
L'agrégation au sein d'un même "secteur" d'activités très diverses ajoutée aux disparités de taille des entreprises les composant, allant de l'entreprise unipersonnelle au groupe multinational, nuit tant à l'appréhension du degré de concentration de la demande en fonction des secteurs qu'à celle des évolutions de comportements.
Le tableau ciaprès montre la part en pourcentage de chaque famille chimique de colles dans les achats totaux de colles exprimés en valeur de chaque secteur économique pour l'année 1996 :
97_A_22_TAB4.jpg
Suivant que l'on retienne les estimations du SFCA ou celles de la partie notifiante, la part des parties à l'opération dans les ventes totales de colles aux différents secteurs industriels est variable. Ainsi, s'agissant des systèmes réactifs utilisés par les professionnels, la prise en compte dans cette catégorie des résines anaérobies conduit à considérer que la société Loctite réalise près de 40 % des ventes totales de cette catégorie d'adhésifs telle que délimitée par le SFCA Par contre, selon ses propres estimations, elle n'en commercialiserait que 8,2 %.
b) Les utilisateurs non professionnels (grand public)
La clientèle grand public est composée de consommateurs désirant réaliser des travaux de bricolage ou de réparation pour lesquels la colle reste, en général, un produit accessoire dont le prix est marginal par rapport à celui du substrat.
Les tarifs élaborés par les fabricants ou les distributeurs distinguent trois familles de colles en fonction des usages. La première regroupe les colles dites d'assemblage employées pour le bricolage et la réparation de tous matériaux ; la deuxième comprend toutes les colles utilisées en rénovation et décoration qui permettent la pose d'éléments décoratifs et isolants tels que papiers peints, revêtements muraux, carrelage, moquette, etc. ; enfin, les colles dites de papeterie sont utilisées dans le cadre scolaire, domestique ou des "bureaux" essentiellement pour coller du papier.
Les ventes de colles grand public progressent régulièrement, mais les estimations du SFCA et de la partie notifiante diffèrent sur ce point de façon importante :
97_A_22_TAB5.jpg
Pour l'essentiel, la distribution est assurée par les grandes surfaces alimentaires (GSA) et spécialisées (GSS). La répartition des ventes de colles, en valeur, entre les trois circuits de distribution est la suivante :
97_A_22_TAB6.jpg
Les GSA ont une position prédominante dans les ventes de colles d'assemblage, mais cette position s'inverse au profit des GSS pour les colles de rénovation/décoration dont la valeur à l'unité de conditionnement est plus faible que celle des produits précédents. La distribution des colles de papeterie se fait quant à elle exclusivement dans les circuits traditionnels et en GSA.
Ces opérateurs sont en position d'offreurs sur le marché du détail et, soit directement, soit par l'intermédiaire de leurs centrales de référencement et d'achat, en position de demandeurs sur le marché amont.
Les parts des principaux opérateurs dans les ventes totales de colles au grand public et classées selon les catégories tarifaires des fabricants, exprimées en pourcentage des valeurs, sont les suivantes :
97_A_22_TAB7.jpg
Au sein de la catégorie des colles d'assemblage, si l'on considère le segment plus étroit des colles cyanoacrylates, il apparaît que la société Henkel réalise 7,5 % des ventes totales, en valeur, de ces colles, contre 73,5 % pour la société Loctite.
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur la nature de l'opération :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "La concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante" ;
Considérant que l'acquisition indirecte par la société Henkel KGaA de la totalité du capital de la société Loctite Corporation lui permet d'exercer une influence déterminante sur cette société; qu'ainsi, cette opération constitue une concentration au sens des dispositions de l'article 39 précité ;
Sur les seuils de référence :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, une opération de concentration ne peut être soumise à l'avis du Conseil de la concurrence que "lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 % des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs" ;
Considérant que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France, en 1996, par la société Loctite s'est élevé à 434 millions de francs ; que celui de la société Henkel France et de ses filiales s'est élevé à 6,188 milliards de francs ; qu'ainsi, la condition fixée à l'article 38 de l'ordonnance susvisée relative au montant du chiffre d'affaires des entreprises concernées n'est pas remplie ; qu'il importe donc de rechercher si le seuil en valeur relative fixé par ce même texte est atteint ;
Sur les marchés concernés par l'opération et les seuils en valeur relative :
Considérant que la société Loctite ainsi que la société Henkel et certaines de ses filiales ont pour activité la vente de colles à des utilisateurs professionnels ou au grand public ; que, suivant qu'il s'agisse d'utilisations professionnelles ou domestiques, les modes de distribution, de conditionnement ou les marques de colles diffèrent ; qu'il en est de même du comportement des acheteurs et de leur connaissance du produit ; qu'il convient en conséquence de différencier le secteur des utilisateurs professionnels de celui des utilisateurs domestiques :
En ce qui concerne les utilisations à des fins professionnelles :
Considérant que les utilisateurs professionnels de colles et adhésifs appartiennent à des secteurs d'activité très divers ; que, cependant, l'examen de la consommation des secteurs utilisateurs tels que définis par la nomenclature établie par le Syndicat français des colles et adhésifs (SFCA) montre l'utilisation préférentielle de certains types de colles selon les activités ; que l'élasticitéprix concernant les différentes colles utilisées dans un secteur économique donné peut être considérée comme faible ; que ce constat est confirmé par les déclarations de certains opérateurs selon lesquels les variations des prix relatifs des colles sont insuffisantes, dans le court terme, pour provoquer un transfert de consommation d'une famille chimique de colles vers une autre ; qu'au surplus, la relative rigidité technologique des processus de production de même que les risques de perte de qualité de la production encourus en cas de changement de colles constituent des freins à ces transferts ;
Considérant qu'il y a lieu, dès lors, de retenir l'existence d'autant de marchés de colles à usage professionnel qu'il y a de familles chimiques de colles ; que, sur le marché des colles réactives (y compris les résines anaérobies) sur lequel se trouvent simultanément présentes les sociétés Henkel et Loctite, la part cumulée des deux entreprises s'est élevée en 1995 à près de 54 % ; que cette part excède le seuil de 25 % fixé par l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que l'opération est donc contrôlable ;
En ce qui concerne les utilisations à des fins domestiques :
Considérant que les utilisateurs autres que professionnels n'opèrent que rarement leurs choix en fonction des propriétés chimiques des produits mais portent plutôt leur attention sur les préconisations d'emploi établies par les fabricants ; que si, comme le souligne la partie notifiante, certaines colles peuvent être utilisées à la fois pour l'assemblage et en papeterie,d'une façon générale les préconisations d'emploi des fabricants sont suffisamment marquées pour permettre d'établir une distinction entre les colles d'assemblage, les colles de rénovation et de décoration et les colles de papeterie; que cette distinction correspond d'ailleurs pour partie à des différences de compositions chimiques ; qu'on observe, en outre, l'existence pour chacun de ces types de colles de circuits de distribution dominants et de modalités particulières de présentation à la clientèle dans les magasins ; qu'enfin, leur substituabilité économique est faible ; que l'ensemble de ces éléments conduit à retenir l'existence de trois marchés distincts des colles destinées au grand public;
Considérant que si la société Henkel est présente sur les trois marchés, la société Loctite ne commercialise que des colles cyanoacrylates appartenant, eu égard à leurs préconisations d'emploi, au marché des colles d'assemblage ; que la part du marché des colles d'assemblage détenue par la société Loctite est de 33,8 % en valeur et celle de la société Henkel de 14,8 % en valeur ; que la part cumulée des deux entreprises sur ce marché excède également le seuil en valeur relative fixé par l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Sur les effets de l'opération sur la concurrence :
En ce qui concerne le marché des colles réactives destinées aux utilisateurs professionnels :
Considérant que s'agissant des colles destinées aux utilisateurs professionnels, les sociétés Henkel et Loctite ne sont simultanément présentes que sur le marché des colles réactives ; que l'essentiel des colles réactives proposées par Henkel est constitué de colles polyuréthanes ; que, pour sa part, la société Loctite ne produit et ne commercialise que des colles réactives cyanoacrylates et anaérobies ; que l'opération a donc pour conséquence principale à la fois d'augmenter significativement la part du marché des colles réactives détenue par le nouveau groupe Henkel et d'enrichir sa gamme de colles offerte aux utilisateurs professionnels ;
Considérant que l'offre d'une gamme complète de colles peut constituer un avantage dans la concurrence dans la mesure où elle facilite la concentration des approvisionnements et donc la diminution des coûts d'achat et de transaction des distributeurs; qu'il apparaît cependant que le choix des clients industriels s'opère principalement, compte tenu de la faible incidence du coût des adhésifs sur le coût global, en fonction des caractéristiques techniques des produits, de leur degré d'adéquation à l'usage requis et également de la qualité de l'assistance offerte par le fournisseur ; qu'il doit par ailleurs être observé que la puissance d'achat des principaux clients industriels constitue un contrepoids efficace au renforcement de la position de la société Henkel sur le marché concerné; qu'enfin, la plupart des concurrents de Henkel sur ce marché sont des groupes internationaux de taille comparable ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en l'état des marchés des colles destinées aux professionnels, l'opération soumise au Conseil ne présente pas de risque d'atteinte à la concurrence dans ce secteur d'activité ;
En ce qui concerne les marchés des colles destinées au grand public :
Considérant que l'opération de concentration aura pour conséquence de permettre au nouveau groupe de disposer d'une part de marché des colles d'assemblage s'élevant à plus de 48 % ; qu'elle se traduira par la disparition d'un offreur sur ce marché, même si les marques commerciales des deux sociétés sont conservées ; qu'il convient en outre d'observer que sur le segment particulier des colles cyanoacrylates, la part du nouvel ensemble atteindra 81 % ; que les produits cyanoacrylates de marque "Superglue" commercialisés par Loctite sont présents dans 84 % des points de vente, contre respectivement 42 % et 29 % pour ceux de marques " Cyanolit " (Eleco) et "Sader" (Ato Findley) ; que les dépenses publicitaires réalisées par la société Loctite en 1996 pour la promotion des colles cyanoacrylates ont représenté 31 % de l'investissement publicitaire total concernant les colles destinées au grand public ; qu'en revanche, les parts de marchés des colles de rénovation/décoration et des colles de papeterie ne sont pas modifiées par l'opération, la société Loctite n'étant pas présente sur ces marchés ;
Considérant que les représentants des grands groupes de distribution ont déclaré au cours de l'instruction ne pouvoir renoncer à la distribution des produits de la marque "Superglue" en raison de leur grande notoriété ; que certains opérateurs soulignent, en outre, la tendance de la grande distribution, en particulier celle à dominante alimentaire, à réduire le nombre de marques proposées aux consommateurs dans chaque segment de marché ; que le ministre fait valoir que le risque d'atteinte à la concurrence résultant de l' "effet de gamme" est aggravé par la détention par le nouveau groupe de deux marques de colles cyanoacrylates qui pourraient être simultanément commercialisées ;
Mais considérant, en premier lieu, que s'il n'est pas exclu que l'opération de concentration donne au nouveau groupe la possibilité de mettre à profit la notoriété de la marque "leader" du segment des colles cyanoacrylates pour tenter de développer les ventes des autres produits de sa gamme et si certains distributeurs ont reconnu qu'ils ne pouvaient pas renoncer à proposer à la vente les colles "Superglue" en raison de la notoriété de la marque, ces mêmes distributeurs ont indiqué qu'ils pouvaient facilement importer et faire fabriquer sous marque de distributeur des produits concurrents ; que la part des colles cyanoacrylates sur le marché des colles d'assemblage est en contraction régulière depuis deux ans ; que les parts relatives des marques "Superglue" et "Pattex" tendent à diminuer au profit de marques concurrentes telles "Sader", "Bostik" ou des marques de distributeurs ; que certaines marques concurrentes sont présentes dans tous les segments du marché des colles d'assemblage ; qu'elles détiennent une position nettement supérieure à celle détenue par la société Henkel sur des segments autres que celui des colles cyanoacrylates (34 % des colles néoprène liquides et 66 % des colles vinyliques pour la marque Sader) ; qu'au surplus, elles sont souvent commercialisées par de grands groupes internationaux ;
Considérant, en second lieu, que l'objectif de rationalisation de leur approvisionnement peut conduire certains distributeurs à diminuer le nombre de leurs fournisseurs et que cette politique est de nature à donner un avantage comparatif aux groupes qui, comme Henkel, disposent d'un ensemble de marques et d'une gamme de produits étendus ; que, cependant, l'existence d'offres concurrentes émanant d'entreprises de taille et de capacités technologiques comparables mais également d'entreprises de plus petite dimension opérant sur des segments particuliers du marché des colles d'assemblage, le développement des marques de distributeurs et enfin le souci des distributeurs d'éviter toute dépendance à l'égard d'un fournisseur permettent de considérer que l'opération ne présente pas de risque d'atteinte à la concurrence,
Est d'avis :
Que la concentration résultant de la prise de contrôle de la société Loctite Corporation par la société Henkel KGaA n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.