Ministre de l’Économie, 31 juillet 2000, n° ECOC0000399Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ÉCONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société CVC Partners SA
MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 31 mai 2000, vous avez notifié l'acquisition par le groupe CVC Partners SA (composé de fonds d'investissement et de sociétés de conseil) d'un ensemble de sept sociétés actives dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation des équipements de protection individuelle, dénommées collectivement "groupe Almar".
Cette opération consiste à regrouper au sein de trois holdings les entreprises objet de l'acquisition avec celles du groupe Jallatte, acquis en 1998 par CVC Partners SA. Le futur groupe sera structuré de la manière suivante : les sociétés acquises dans les pays de l'Union européenne (France, Italie, [...](1), Allemagne et Royaume-Uni) seront regroupées dans une première holding, celles situées en Tunisie dans une seconde. La troisième contrôlera directement le groupe Jallatte (présent en France, dans plusieurs pays de l'Union européenne, au Japon et au Mexique), contrôlera également les deux holdings précédentes et mettra en œuvre la stratégie du groupe.
Dans la mesure où elle emporte transfert de propriété des sociétés identifiées sous l'appellation " groupe Almar ", cette opération constitue une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Le chiffre d'affaires total du groupe CVC Partners SA est de [...] Mds F et de [...]Mds F en France. Le chiffre d'affaires brut consolidé du groupe Jallatte s'élevait à 577,2 MF au 31 août 1999 (dernier exercice clos), dont 259,2 MF en France, et celui de l'ensemble des sociétés à acquérir à 486,6 MF au 31 décembre 1999 (dernier exercice clos), dont 81 MF en France.
Cette opération n'étant pas contrôlable en termes de chiffre d'affaires du fait de la taille des sociétés acquises, il convient de délimiter les marchés pertinents sur lesquels les entreprises sont actives.
Les entreprises concernées appartiennent au secteur de la fabrication et de la commercialisation des équipements de protection individuelle. Au sein de ce secteur, un ensemble d'entreprises sont actives en Europe dans la fabrication et la commercialisation des chaussures de sécurité répondant aux normes de sécurité EN 345 (chaussures de sécurité et de protection avec embout permettant de résister à un choc de 200 joules), EN 346 (chaussures de sécurité et de protection avec embout permettant de résister à un choc de 100 joules) et EN 347 (chaussures de travail sans spécifications d'embout). A l'intérieur de chaque norme, chaque type de chaussures est répertorié dans une des catégories suivantes : "S" (chaussures de sécurité), "P" (chaussures de protection) et "O" (chaussures de travail), elles-mêmes divisées en deux classes (classe 1 pour les produits "tout cuir" et classe 2 pour les produits "tout caoutchouc ou polymère").
Cette classification permet d'identifier les propriétés fondamentales de chaque catégorie, par exemple l'absorption d'énergie du talon, l'imperméabilité à l'eau, les semelles à crampons ou antiperforation, les propriétés antistatiques, la résistance de la semelle aux hydrocarbures.
De plus, les fabricants divisent leurs catalogues en gammes et se positionnent les uns par rapport aux autres en soulignant la qualité des matériaux utilisés, la technique de fabrication, l'esthétique et les éléments de mode (coloris, gammes spéciales destinées aux femmes).
Même s'ils répondent à des exigences sensiblement différentes, ces produits ne constituent pas autant de marchés pertinents car tous les professionnels se doivent de présenter des catalogues qui les rassemblent tous.
Chaque fabricant dispose donc d'une gamme complète de produits complémentaires satisfaisant aux exigences techniques des industriels soumis à des obligations particulières d'équipements par la réglementation du travail.
Il convient donc de délimiter un seul marché pertinent : celui de la fabrication et de la commercialisation des chaussures de sécurité, de protection et de travail.
Pour la France, les ventes du groupe sur ce marché s'élèvent à 340 MF, soit [30 à 40 %] du total, ce qui induit la contrôlabilité de l'opération.
Le marché est cependant de dimension européenne.
En effet, depuis le début des années 90, l'ensemble des producteurs nationaux sont devenus opérateurs européens en étant en mesure de vendre leurs produits dans tous les pays où les normes EN sont en vigueur : les importations de produits en provenance de l'Union européenne en France sont passées d'un million de paires en 1993 à 2,5 millions de paires en 1999 (sur un total de 7,2 millions de paires vendues en France) et en Allemagne, ce nombre est passé de 2,6 millions de paires en 1993 à 3,4 millions de paires en 1997.
Parmi eux, si le groupe Jallatte, partie à l'opération de concentration, fabrique et commercialise ses produits sous des marques différentes par pays (en Allemagne, sous les marques Lupos et Fotec, en Espagne, sous la marque Calseg, au Royaume-Uni sous la marque Technical Footwear, en Italie, sous la marque Auda), le second groupe, partie à l'opération commercialise, en revanche, ses produits sur l'ensemble de l'Europe sous les marques Almar, Princetown, Colvex et Trucker. Ces marques sont déposées comme marques communautaires.
Quel que soit le pays membre de l'Union européenne considéré, la structure des circuits de distribution des fabricants de chaussures de sécurité est identique. Une part d'environ 30 % de la production est achetée directement par des industriels " grands comptes " soit par la voie d'appels d'offres (entreprises pétrolières, du gaz et de l'électricité, de la chimie, administrations sur appels d'offre européens comme les armées), soit par l'intermédiaire de circuits de distribution spécialisées dans les équipements de protection individuels, soit auprès des réseaux intégrés de distribution (notamment pour Almar). Le volume des ventes directes en Europe tend cependant à décroître fortement.
Les différents groupes européens développent également de plus en plus et de manière uniforme une stratégie de délocalisation de la production vers les pays émergents (Afrique et Asie) pour rester compétitifs, ce qui accroît les flux de produits.
Au terme de l'opération, le futur groupe devient leader avec [20 à 30 %] du marché européen, ce qui correspond à des ventes à hauteur de 7,6 millions de paires. Cette part de marché dépasse très sensiblement celles détenues par les principaux concurrents puisque le second groupe sur le marché, d'origine italienne, se situe à environ 8 %.
L'opération de concentration se traduit par une addition de marques : toutefois, le positionnement actuel des marques concernées est différent. Alors que Jallatte est perçu par le marché comme une marque de savoir-faire et de qualité, Almar offre des produits peu sophistiqués et peu chers. Les parties notifiantes ont indiqué que cette différence de positionnement serait conservée. En revanche, le positionnement d'Almar sera proche de celui de la seconde marque de Jallatte, Auda.
L'opération permet également au nouveau groupe de disposer simultanément d'une marque renommée et d'usines délocalisées offrant des coûts de production plus faibles.
Elle n'est cependant pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché concerné pour les raisons suivantes :
- les normes, aujourd'hui distinctes sur les marchés européens et nord-américain, sont en voie de standardisation mondiale, ce qui renforcera la concurrence entre les différents offreurs mondiaux ;
- les groupes concurrents utilisent pour la plupart déjà des sites de production délocalisés ;
- à l'avenir, les parties ont indiqué qu'elles ne pratiqueront pas de remises de gammes et de volumes et resteront de ce fait dans la continuité de la politique actuelle ;
- certaines marques actuellement connues auprès d'un public jeune (Adidas, Nike, Dr-Martens, Timberland) pourraient s'intéresser aux chaussures de sécurité. Par ailleurs, des groupes de fabricants de chaussures de ville de taille internationale sont entrés sur ce marché : Bata est le seul fabricant de chaussures de sécurité aux Pays-Bas et le groupe Eram fabrique et commercialise des chaussures de sécurité sous la marque " Parade ". Il existe donc une forte concurrence actuelle et potentielle ;
- l'ensemble des professionnels interrogés indiquent que, compte tenu de la faiblesse des coûts de transport et de la standardisation de l'offre, il n'est pas difficile de changer de fournisseur.
Je vous informe qu'il n'est donc pas dans mon intention de saisir le Conseil de la Concurrence de cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'assurance de mes sentiments les meilleurs.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus général.
Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret n° 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.
(1) Une erreur matérielle s'étant glissée dans l'énumération, celle-ci a été corrigée.