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Décisions

Ministre de l’Économie, 29 décembre 1999, n° ECOC0000102Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseil des sociétés Nova Chemicals Corp. et Royal Dutch Shell

Ministre de l’Économie n° ECOC0000102Y

29 décembre 1999

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maître,

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 29 octobre 1999, vous avez notifié l'acquisition par Nova Chemicals Corporation (Nova) de l'activité de production et de commercialisation de polystyrène du groupe Royal Dutch/Shell.

Nova est une société de droit canadien qui a pour activité la production et la commercialisation de produits chimiques de base. En 1998, Nova a réalisé un chiffre d'affaires mondial de $ 2,075 milliards, soit environ 12 milliards de francs. Ses ventes en France se sont élevées à (30-40) millions d'Euros, soit environ (197-262) millions de francs.

Shell est un groupe multinational actif dans les secteurs du pétrole, du gaz naturel, des produits chimiques et du charbon. En 1998, Shell a réalisé un chiffre d'affaires mondial de 93,692 millions de dollars, soit environ 553 milliards de francs. Ses ventes en France se sont élevées à (19-26) milliards de francs, soit (3-4) milliards d'Euros.

Les actifs cédés ont généré, en 1998, un chiffre d'affaires mondial de (...) millions de dollars ([...]) milliards de francs), (10-20 %), soit environ (...) millions de francs, ayant été réalisés en France.

L'opération emporte transfert de propriété de l'ensemble des éléments d'actifs liés à la production de polystyrène, à l'exception des permis, de l'immobilier et des personnes y afférentes. Elle emporte également transfert de tous les actifs liés à l'activité de commercialisation du polystyrène, en ce compris les contrats, la clientèle et le personnel.

L'opération emporte transfert de propriété de l'essentiel des actifs de production et de commercialisation de polystyrène de Shell. Elle constitue donc une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

Les seuils de chiffres d'affaires prévus à l'article 38 de l'ordonnance susvisée ne sont pas franchis. Il convient donc de définir les marchés pertinents.

Les parties sont actives dans le secteur du polystyrène, qui est un dérivé du styrène. On distingue deux formes de polystyrène : le polystyrène compact (PSC) et le polystyrène expansible (PSE). Le PSE et le PSC sont fabriqués selon des processus différents et ont des caractéristiques techniques différentes, notamment en termes de durée de conservation. Le prix du PSE est sensiblement supérieur à celui du PSC et les consommateurs finaux ne sont pas les mêmes pour ces deux produits. Tant du point de vue de l'offre que de celui de la demande, le PSE et le PSC ne sont pas substituables.

Le PSE, qui est plus cher que le PSC d'environ 20 %, est utilisé dans les secteurs de l'isolation et de l'emballage. Il est obtenu par polymérisation du styrène, en présence de pentane. Le PSE est utilisé dans 70 % des cas comme isolant et sert dans 30 % des cas à la fabrication d'emballages. Cependant, bien que les caractéristiques techniques du PSC destinée à l'isolation soient légèrement différentes, notamment par l'ajout de produits ignifuges, le processus de fabrication est le même, les mêmes installations sont utilisées pour produire les deux types de PSE et l'on peut passer de l'un à l'autre type de production sans délais et sans coûts additionnels.

On peut en outre relever que les principaux opérateurs produisent tous du PSE correspondant à ces deux applications et que la Commission européenne, dans sa décision IV-M.1078 - BP/Hüls du 13 février 1998, a considéré qu'il n'était pas nécessaire de segmenter le marché du PSE en fonction de l'usage final du produit.

Le polystyrène compact (PSC) peut se segmenter en deux catégories, le PSC générique, qui est une matière plastique claire utilisée par exemple pour les emballages de disques compacts et le PSC hautement résistant, utilisé par exemple pour les caissons d'appareils électroménagers ou audiovisuels. Cependant, il apparaît qu'il est relativement aisé de passer d'une production du PSC générique à une production de PSC hautement résistant, que les investissements requis sont faibles et que le temps d'ajustement du processus de production est négligeable. En outre, il n'est pas nécessaire de déterminer s'il convient de segmenter le marché du PSC, dans la mesure où les conclusions de l'analyse ne seraient pas modifiées par une telle segmentation.

Les parties font valoir que certaines matières plastiques, tel le polypropylène, sont substituables au PSC. Cependant, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées que l'on considère un marché du PSC ou un marché plus large incluant d'autres matières plastiques.

En conséquence, on retiendra, pour les besoins de l'analyse, deux marchés pertinents affectés par l'opération : le marché du PSE et le marché du PSC.

Shell réalise (10-20 %) des ventes de PSE en France et Nova (20-30 %). L'opération est donc contrôlable.

Les coûts de transport sont peu élevés et représentent 3 à 5 % de la valeur des produits. Les flux d'importations et d'exportations sont importants : ainsi, en France, en 1998, 49 859 tonnes de PSE ont été importées et 138 858 tonnes ont été exportées, pour une production de 226 000 tonnes ; 173 494 tonnes de PSC ont été importées et 250 473 tonnes ont été exportées, pour une production de 446 000 tonnes. Les opérateurs du marché s'approvisionnent sur une base européenne, voire mondiale, pour 11 à 12 % du marché. La Commission européenne a considéré, dans sa décision Veba/Degussa du 3 décembre 1997, que le marché des matières plastiques transparentes, en ce compris le PSC, était de dimension au moins européenne.

La dimension géographique des marchés du PSE et du PSC est donc au moins européenne.

A l'issue de l'opération, Nova disposera d'une part de marché en volume, sur le marché européen de (10-20 %), sur le marché du PSC et de (20-30 %) sur le marché du PSE.

Sur le marché du PSC, les principaux concurrents de Nova sont Basf (10-20 %), Atochem (10-20 %), Dow (10-20 %), BP/Hüls (10-20 %) et Enichem (10-20 %). Ce marché est très concurrentiel et la nouvelle entité sera confrontée à des opérateurs puissants, dont la plupart sont intégrés verticalement.

Sur le marché du PSE, les principaux concurrents de Nova sont Basf (10-20 %), BP (10-20 %) et Enichem (0-10 %).

La position de Nova sera importante, mais non dominante. Nova restera confrontée à des opérateurs puissants, dont certains sont intégrés.

On peut en outre relever que l'opération sera, dans une certaine mesure, favorable à la concurrence dans la mesure où Shell était très fortement intégrée : elle produisait du styrène, qu'elle transformait en PSE et qu'elle vendait entre autres à ses filiales Synbra et Styropack, actuellement en cours de cession, qui exercent une activité de transformation du PSE. A l'issue des opérations en cours, Shell ne demeurera présent que sur le marché amont de la production de styrène, Nova sera présent uniquement sur le marché intermédiaire de transformation du styrène en polystyrène et des transformateurs indépendants opéreront sur les marchés avals de l'emballage et de l'isolation.

A contrario, un opérateur important sur les marchés de la transformation du PSE, Knauf, implanté en France, a commencé une intégration sur le marché amont de la fabrication du polystyrène en développant une activité de fabrication de PSE, destinée à sa propre consommation. Ainsi,si des barrières à l'entrée existent sur ce marché, notamment du fait du montant des investissements et des autorisations gouvernementales nécessaires, elles ne sont pas insurmontables pour un opérateur puissant déjà présent sur les marchés amont ou aval.

L'opération est assortie de deux contrats d'approvisionnement en styrène et en pentane, d'une durée de [...] ans, par lesquels Shell s'engage à céder à Nova, et Nova à acheter à Shell, un certain volume de ces matières premières.

L'accord d'approvisionnement en pentane contenant une clause [...], on peut considérer que cet accord préserve la possibilité d'une concurrence active sur le marché de la fourniture de pentane.

En revanche, par l'accord d'approvisionnement en styrène, Nova s'engage à acheter à Shell au moins [...] tonnes de styrène par an, ce qui représente [une part importante] des besoins prévisionnels en styrène des actifs acquis.

Les parties justifient cet accord par le fait notamment que Nova n'est pas un producteur intégré, contrairement à certains de ses concurrents, et qu'il lui est donc nécessaire de sécuriser ses approvisionnements en matières premières. Elles font également valoir que, sur le marché européen, l'autoconsommation des producteurs intégrés représente 80 % de la production, le marché libre étant de ce fait très étroit et les cours étant particulièrement volatiles et soumis à de fortes tensions. Ce point n'est cependant pas confirmé par les autres opérateurs du marché, même si l'on constate que le cours du styrène suit globalement l'évolution du cours du pétrole brut. Il ne ressort pas non plus de l'analyse du marché que des accords de si longue durée constituent une pratique courante, les contrats étant usuellement conclus annuellement.

Compte tenu du fait que Nova n'est pas un producteur intégré, il apparaît cependant qu'il est nécessaire pour cette société d'assurer la continuité des approvisionnements de l'activité acquise. Il est également nécessaire à Shell d'assurer la continuité de ses débouchés en matières premières, autrefois autoconsommées, pour une durée suffisante pour rééquilibrer son portefeuille de clients. L'accord d'approvisionnement en styrène conclu entre Nova et Shell est donc, pour une durée qui peut être estimée à trois ans, nécessaire à la poursuite de l'activité et peut donc être considéré, dans la limite de cette durée, comme un accord accessoire à l'opération de concentration.

En conséquence, cette opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés, notamment par création ou renforcement d'une position dominante. Je vous informe qu'il n'est donc pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette opération.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret n° 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.