Ministre de l’Économie, 26 janvier 2000, n° ECOC0000351Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ÉCONOMIE
Défendeur :
Président-directeur général de la société Totalfina
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Monsieur le président-directeur général,
La société Totalfina a notifié le 24 août 1999 à la Commission européenne, conformément au règlement du Conseil n° 4064-89 relatif au contrôle des concentrations, son intention de fusionner avec la société Elf Aquitaine. Cette opération, qui consiste en l'acquisition d'un contrôle unique, au sens de l'article 3 paragraphe 1 du règlement sus-mentionné, constitue une concentration de dimension communautaire.
Le dossier de notification a été transmis par la Commission européenne aux autorités françaises, qui en ont accusé réception le 27 août 1999. Le 17 septembre 1999, ces dernières ont adressé à la Commission, en application des dispositions de l'article 9 du règlement précité, une demande de renvoi partiel pour ce qui concerne certains marchés locaux français des services de stockage de produits pétroliers finis, de la vente de carburant en réseau sur les autoroutes et de la fourniture de GPL aux revendeurs.
Par décision du 26 novembre 1999, la Commission a autorisé le renvoi partiel aux autorités françaises en estimant que l'opération menace de créer une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée d'une manière significative sur quatre marchés locaux de stockage de produits pétroliers finis, c'est-à-dire les marchés des zones de Port-la-Nouvelle, de Lyon, du sud de la région parisienne et du nord de la région parisienne.
S'agissant d'une opération dont la finalité est la prise de contrôle des actifs de la société Elf Aquitaine par la société Totalfina, celle-ci constitue une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Il convient donc d'examiner si l'opération est de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés susmentionnés, notamment par création ou renforcement de position dominante.
Sur le marché du stockage de produits raffinés dans la zone située autour de Port-la-Nouvelle, l'offre côtière est constituée par le dépôt " fermé " de Sète détenu par Totalfina (120 000 m3), le dépôt " partiellement ouvert " de Port-la-Nouvelle détenu par SARAM (136 000 m3), filiale d'Elf et anciennement Esso, le dépôt " fermé " de Port-la-Nouvelle détenu par Totalfina (27 000 m3, en vente), le dépôt " ouvert " de la Port-la-Nouvelle détenu par Totalfina (133 000 m3) et le dépôt " ouvert " de Frontignan (900 000 m3) détenu par Mobil.
A l'intérieur des terres, l'offre est constituée par les deux dépôts de Toulouse " partiellement ouverts " à Elf et détenus par Totalfina (95 000 m3), le dépôt de Toulouse détenu par Esso (40 000 m3) et le dépôt " fermé " d'Albi détenu par Totalfina (34 000 m3).
Les seuls dépôts d'importation possédant de grandes capacités de stockage sont ceux de Frontignan (Mobil), de Port-la-Nouvelle et de Sète (tous deux détenus par Elf et Totalfina).
Totalfina était donc déjà, avant l'opération, un offreur important de capacités dans la zone. Après l'acquisition, en 1999, du dépôt de Port-la-Nouvelle détenu par Petrofina, sa position s'est encore renforcée avec l'intégration du dépôt de Port-la-Nouvelle de SARAM (filiale d'Elf) ouvert à hauteur de [...] m3 sur un total de 136 000 m3.
Or, la société Totalfina ayant une politique de gestion traditionnellement fermée de ses dépôts, la situation ainsi créée aboutirait à ne laisser aux tiers, à titre de substitution, que le seul dépôt de Frontignan. Cette possibilité n'apparaît pas de nature à garantir aux tiers un accès équitable au marché dans la mesure où ce dépôt, à l'avenir incertain, est une ancienne raffinerie qui a une faible activitécaractérisée par une rotation de deux fois l'an (alors que la moyenne se situe autour de 10 à 20 fois) et par des modalités d'exploitation obsolètes.
A l'issue de l'opération, Totalfina se trouvera donc en position dominante sur ce marché, cette situation risquant d'entraver de manière significative la concurrence sur le marché de stockage et par voie de conséquence sur les marchés de la distribution des produits pétroliers, dont certains des acteurs sont très dépendants des détenteurs de capacités.
Sur le marché du stockage de produits raffinés dans la région lyonnaise, l'offre est constituée par les dépôts ouverts de Lyon (183 000 m3) géré par EPL dans lequel Elf et Totalfina ont une participation de 62,9 % et de Saint-Priest (91 400 m3) géré par CPA, détenu à 61,28 % par un indépendant, Rubis, mais dans lequel Total a des participations, et les dépôts fermés de Lyon (45 800 m3) appartenant à BP, de Lyon (80 000 m3) propriété d'Esso et de Shell, de Lyon (62 400 m3) détenu par Mobil, de Collonges (34 200 m3) détenu par Shell et de Givors (62 000 m3) possédé par Elf.
Par cette opération, Totalfina/Elf devient le plus gros actionnaire du dépôt de Lyon géré par EPL.
Or, ce dépôt est celui qui met le plus de capacité à la disposition des tiers dans la région, avec le dépôt de Saint-Priest où le nouveau groupe sera également présent. Dans la mesure où Totalfina sera actionnaire majoritaire de EPL, il y a un risque que le dépôt soit beaucoup moins ouvert à l'avenir. En effet, les clients de ce dépôt sont des concurrents de Totalfina sur les marchés en aval, et ce dépôt est précisément un outil indispensable à l'accès à ces marchés : le renforcement de la participation de Totalfina dans ce dépôt crée donc un risque réel d'atteinte à la concurrence.
Le seul dépôt de substitution dans cette zone est celui de Saint-Priest qui semble même être le plus attractif de la région. Cependant, ce dépôt a déjà un taux de rotation très important par rapport aux autres dépôts du reste de la zone et est régulièrement saturé. Ce dépôt est donc dans l'impossibilité de louer plus de capacité aux tiers. De plus, une partie des capacités de stockage est allouée à Totalfina du fait de ses participations dans CPA.
En cas de fermeture aux tiers du dépôt de Lyon géré par EPL, les opérateurs indépendants ne disposeront pas de solution alternative avec le dépôt de Saint-Priest.
C'est pourquoi l'opération crée une position dominante sur le marché des services de stockage de produits finis dans la zone de Lyon.
Sur le marché du stockage du produit pétrolier autour du sud de la région parisienne, la CIM (50 % Elf) gère, à Coignières, un dépôt de stockage (44 500 m3) et Totalfina détient des participations à hauteur de 33 % dans l'autre dépôt de la ville (158 000 m3). Le dépôt CIM a une faible capacité de stockage d'essence (3 000 m3 pour 41 500 m3 de gazole et de fioul domestique) ce qui limite fortement les possibilités pour les distributeurs indépendants de livrer les points de vente par camion multiproduits à partir de ce dépôt. La clientèle du dépôt est constituée d'enseignes de la grande distribution et d'entreprises de distribution de fioul domestique. La zone de chalandise du dépôt couvre le département des Yvelines et une partie des départements limitrophes (Essonne, Hauts-de-Seine, Val-d'Oise, Eure-et-Loir).
A Grigny, la CIM possède un dépôt (84 500 m3) qui a des capacités de stockage équilibrées en essence et en gazole ou fioul domestique, ce qui permet aux distributeurs indépendants d'utiliser des camions multiproduits. Sa zone de chalandise recouvre les départements des Yvelines, de l'Essonne, des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne et d'Eure-et-Loir.
Dans cette zone, l'offre est constituée par les trois dépôts précités, ainsi que le dépôt d'Ivry détenu par Totalfina (70 000 m3), le dépôt de Vitry détenu par BP (100 600 m3), le dépôt de Villeneuve-le-Roi détenu par GPVM, un indépendant, (59 000 m3), le dépôt de Choisy-le-Roi détenu par Shell (70 500 m3) et le dépôt de La Ferté-Alais (215 000 m3) détenu par SFMM (Elf 49 %).
Totalfina et Elf représentent donc 292 400 m3 des 802 000 m3 de capacités détenues dans la zone du sud de la région parisienne, ce qui représente un accroissement de près de 150 %.
Le dépôt BP est peu ouvert et le dépôt Shell est totalement fermé. Il résulte de cette situation que plus de 60 % des capacités de stockage de la zone sont fermées, alors même que, parmi les distributeurs indépendants, les grandes surfaces assurent plus de 50 % de la distribution de détail de produits finis.
Dans la mesure où les clients de ces dépôts sont des concurrents de Totalfina sur les marchés en aval, et dans la mesure où les dépôts dans lesquels Elf a une participation sont précisément des outils indispensables à l'accès à ces marchés, la prise de contrôle d'Elf par Totalfina menace de créer une position dominante.
Sur le marché du stockage de produits pétroliers dans la région située autour du nord de la région parisienne, l'offre est constituée du dépôt de Nanterre (131 100 m3) détenu par Totalfina, du dépôt de Saint-Ouen (98 000 m3) détenu par Totalfina, du dépôt de Gennevilliers (100 800 m3) détenu par Mobil (70 %) et Distriservice (30 %), du dépôt de Gennevilliers détenu par Elf (61 300 m3), du dépôt de Gennevilliers (61 300 m3) détenu par SISTESC dans lequel Elf a une participation de 95 %, du dépôt de Nanterre détenu par SPDN (68 800 m3) dans lequel Totalfina a une participation de 70 %.
Après la fusion, Totalfina va prendre le contrôle des deux dépôts Elf de Gennevilliers. Le seul dépôt où Total n'aura pas de participation est celui de Mobil à Gennevilliers. Totalfina va également prendre le contrôle de la seule raffinerie de la zone, celle de Grandpuits.
La seule alternative aux dépôts de la nouvelle entité sera donc le dépôt de Mobil. Or, les dépôts appartenant aux raffineurs sont des dépôts traditionnellement fermés aux distributeurs indépendants. En tout état de cause, l'utilisation de leurs dépôts est réservée en priorité aux actionnaires qui décident discrétionnairement d'en ouvrir ou non l'accès à des tiers. Le dépôt Mobil est le seul appartenant à cette compagnie dans la zone, et s'il devait être ouvert aux tiers, il ne le serait pas totalement.Les capacités mises à la disposition des tiers semblent donc insuffisantes pour permettre aux opérateurs indépendants de stocker leurs produits.
Totalfina/Elf sera donc en mesure de rendre plus difficile et plus coûteux l'accès aux marchés de la distribution des produits pétroliers raffinés, pour les opérateurs indépendants. L'opération crée donc une position dominante sur cette zone.
Par lettre du 25 janvier 2000, la société Totalfina s'est engagée à procéder à des cessions, détaillées ci-après, sur ces quatre marchés locaux de stockage des produits finis, dans un délai de [...] à compter de l'autorisation de l'opération. Les engagements s'intègrent dans l'ensemble des mesures adoptées afin de répondre aux problèmes de concurrence relevés par les autorités communautaires et françaises.
S'agissant du marché situé autour de la zone de Port-la-Nouvelle, la société Totalfina s'est engagée à céder 100 % du dépôt Totalfina d'une capacité de 133 000 m3, ce qui permettra aux distributeurs indépendants de disposer désormais d'une capacité de stockage importante dans ce dépôt traditionnellement ouvert. Aussi est-il possible, au regard de l'ampleur des capacités ainsi libérées, de permettre à la société Totalfina d'élargir [...], la liste des opérateurs susceptibles d'acquérir les actifs qu'elle détient encore dans un autre dépôt de Port-la- Nouvelle (27 000 m3), mais qu'elle s'est engagée à céder par lettre du 27 avril 1999 adressée au ministre chargé de l'économie [...].
S'agissant du marché situé autour de Lyon, la société Totalfina s'est engagée à céder une participation de 8,76 % du capital ainsi qu'un poste d'administrateur du dépôt EPL de Lyon. [...]. Totalfina a souscrit, par ailleurs, un deuxième engagement. Il s'agit de la vente de sa participation de 38,72 % dans le dépôt CPA de Saint-Priest (détenue jusqu'à présent par BTT dont l'actionnariat est composé à parité d'Elf et de Total). Dès lors, ce dépôt, libéré des capacités détenues par Totalfina, pourra retrouver, vis-à-vis des distributeurs indépendants, une partie de son attractivité quelque peu altérée par les problèmes de saturation.
S'agissant du marché situé au sud de la région parisienne, la société Totalfina s'est engagée à céder les participations de 50 % d'Elf dans la CIM (propriétaire, entre autres, du dépôt de Coignières et de Grigny) et de 49 % dans la SFDM (propriétaire, entre autres, du dépôt de La Ferté-Alais). De ce fait, la nouvelle entité n'acquiert plus, à l'issue de l'opération, de capacités de stockage supplémentaires sur cette zone.
S'agissant du marché situé au nord de la région parisienne, la société Total s'est engagée à céder le dépôt Totalfina de Nanterre (ex-Fina) d'une capacité de 131 000 m3, ce qui aura pour effet de renforcer l'offre alternative composée, jusqu'à présent, du seul dépôt Mobil de Gennevilliers.
En conséquence, les engagements ci-dessus, pris par la société Totalfina au titre de l'article 40 de l'ordonnance susvisée,me paraissent de nature à rétablir une concurrence effective sur les quatre marchés concernés en ouvrant largement leur accès aux tiers souhaitant disposer de capacités.
Je vous informe qu'il n'est donc pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette opération.
Je vous prie de croire, M. le président-directeur général, en l'assurance de mes sentiments les meilleurs.
Nota : - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées.
Ces informations relèvent du "secret d'affaires", en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret n° 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.