Ministre de l’Économie, 10 février 2000, n° ECOC0000352Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ÉCONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société Arjo Wiggins Fine Paper Ltd
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 10 décembre 1999, vous avez notifié l'acquisition par la société de droit anglais Arjo Wiggins Fine Paper Ltd des actifs de Chartham Paper Mill, division papier spécialisé de la société de droit anglais Rexam CFP Ltd, filiale de Rexam Plc.
La société Arjo Wiggins Fine Paper Ltd appartient au groupe Arjo Wiggins Appelton Plc, qui exerce son activité dans la fabrication et dans la distribution de papier à travers le monde et détient 23 sites de production en Europe. Son chiffre d'affaires mondial était, en 1998, de 32,6 milliards de francs dont 5,6 milliards de francs en France.
La société Rexam CFP Ltd fait partie du groupe Rexam Plc, qui exerce son activité dans le papier couché, les emballages, la fabrication et la conception de certains matériaux de construction et de biens d'équipement. Pour 1998, son chiffre d'affaires mondial est de 18,6 milliards de francs, dont 1 milliard de francs en France. La division cédée, Chartham, est localisée sur un seul site de production dans la région du Kent, au Royaume-Uni, et opère à partir de trois machines de production de papier dont deux sont dédiées au papier calque. Elle réalise un chiffre d'affaires de 51,9 millions de francs, dont 13,7 millions de francs en France.
L'opération emporte transfert de propriété ou de jouissance sur certains biens, droits et obligations de la société Rexam CFP Ltd. Elle constitue donc une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.
Les seuils de chiffres d'affaires prévus à l'article 38 de l'ordonnance susvisée ne sont pas franchis. Il convient donc de définir les marchés pertinents.
En ce qui concerne le papier standard, le groupe Arjo Wiggins acquiert une machine d'une capacité de production de cinq kilotonnes, ce qui est négligeable comparé à l'étendu du marché de papier standard. En outre, si l'on tient compte du fait qu'Arjo Wiggins est lui-même peu présent dans la production de papier standard, la présente opération n'aura aucun effet sur ce marché.
Le marché pertinent est celui du papier calque, qui se distingue des autres types de papier par le très haut raffinage de pâte à papier obtenu selon un procédé mécanique et non chimique.
Ce papier calque est vendu par les producteurs sous forme de bobines ou de feuilles à une clientèle diversifiée qui se charge ensuite de le distribuer au consommateur final. Une société de transformation peut éventuellement transformer les bobines de calques en feuilles lorsque le producteur n'assure pas cette fonction.
Les différents canaux de distribution qui correspondent à trois segments distincts sont les suivants :
Le réseau dit des "marchands de papier", qui constitue un intermédiaire entre le fabricant de papier calque et l'imprimeur de brochures et d'emballages pour le secteur de la communication. Le calque, dans ce segment "impression-écriture", n'est pas alors utilisé pour ses propriétés de transparence mais pour produire des effets esthétiques ou pour apporter une connotation "haut de gamme" aux documents dans lesquels il s'insère. Aussi n'est-il pas d'un usage indispensable et d'autres types de papier peuvent lui être substitués selon les choix du concepteur de la brochure inspirés, en partie, par la tendance du moment dans le secteur de la communication écrite;
Le réseau dit des "détaillants" ou des "grossistes", qui achète le papier calque aux fabricants pour le vendre à une clientèle d'architectes, bureaux d'étude ou reprographes. Ce papier calque est destiné au dessin technique exercé à la main ou par conception assistée par ordinateur;
Le réseau dit des "grandes et moyennes surfaces" (GMS), qui commercialise le papier calque à destination essentiellement des écoliers.
La question se pose de savoir s'il convient de retenir un marché pertinent distinct selon les canaux de distribution du papier calque dans la mesure où chacun d'entre eux s'adresse à une partie bien identifiée de la clientèle et met en ouvre, de ce fait, des stratégies de commercialisation particulières.
Pour autant, les producteurs utilisent de manière indifférenciée leurs capacités de production pour tous les canaux de distribution, chaque canal étant accessible pour chaque producteur. Ceci impose de considérer un marché amont du papier calque dans son ensemble.
La dimension du marché est européenne. En effet, l'importance des flux transfrontaliers (59 % des produits vendus en France sont par exemple importés) et la quasi-symétrie des parts de marché des opérateurs sur chacun des territoires considérés impose de prendre en compte, en l'espèce, une délimitation géographique plus vaste que celle des Etats. Néanmoins, la dimension mondiale n'est pas pertinente puisque le marché n'est pas au même stade de maturité. Dans certaines régions, l'usage du papier calque, jusqu'à présent beaucoup moins répandu, tend à se développer. L'Europe, qui est traditionnellement un lieu de forte utilisation de ce type de papier, entre au contraire dans une phase de stagnation.
L'opération est contrôlable dans la mesure où les deux entités fusionnantes ont réalisé, en France, en 1999, [50 à 60 %] des ventes de papier calque.
L'objectif de l'opération est de permettre au groupe Arjo Wiggins de se renforcer sur le marché du papier calque conformément à ses choix de spécialisation sur des produits haut de gamme à forte valeur ajoutée.
Ainsi, il double presque ses ventes au niveau mondial (de [20 % à 30 %] à [40 % à 50 %] des ventes) et au niveau européen (de [20 % à 30 %] à [50 % à 60 %] des ventes). Cette forte position au niveau de la production s'accompagne de surcroît du contrôle financier d'un des distributeurs de papier les plus importants.
L'opération n'est pas cependant de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création d'une position dominante pour les raisons suivantes :
Le groupe est confronté à la concurrence des sociétés Schoellershammer ([20 % à 30 %] des parts de marché en Europe), Sihl ([10 % à 20 %] des parts de marché) et Zanders, cette dernière appartenant au premier papetier mondial, International Papers. La production de papier calque représente seulement 10 à 22 % du chiffre d'affaires de ces concurrents dont l'activité ne repose donc pas uniquement sur la production de ce type de papier. La pérennité de cette concurrence ne peut donc être mise en doute.
Les réseaux de distribution de papier calque sont ouverts à tous les concurrents de la nouvelle entité. La présente opération ne remettra pas en cause la possibilité pour les parties de faire appel à des distributeurs indépendants. Par ailleurs, l'un des concurrents, Zanders, peut recourir, à l'instar des parties, à un réseau de distribution intégré.
Si le groupe acquéreur contrôle l'un des plus gros distributeurs en France, ce dernier n'est présent que dans l'un des segments de distribution, le segment "impression-écriture". Or, parmi les trois segments identifiés, ce segment est celui où les parties sont les plus faibles, et où l'addition des ventes, limitée à 8 %, les laisse en seconde position en France derrière Zanders. Qui plus est, il n'existe pas de lien d'exclusivité entre les divisions de production et de distribution du groupe.
S'agissant des marques, elles n'ont guère d'importance, sauf dans le segment de la vente aux écoliers où l'avantage concurrentiel que détiendraient les parties au travers de la marque Canson est atténué du fait de l'utilisation par la société Sihl de la marque "Clairefontaine", également à très forte notoriété. S'agissant de la recherche-développement, le papier calque n'est pas différencié en terme de qualité et ne soulève donc pas de problème de propriété industrielle.
Le papier calque est confronté à la concurrence de produits dont la substituabilité n'est certes pas suffisante pour les intégrer dans le marché pertinent, mais qui peuvent néanmoins constituer des alternatives suffisamment sérieuses pour limiter les hausses de prix ultérieures. L'usage du papier calque n'a en effet pas toujours un caractère indispensable et une hausse des prix se traduirait à plus ou moins long terme par un report de la demande sur d'autres types de papier. C'est le cas sur le segment "impression-écriture", sur lequel le papier calque a connu une forte croissance due à un effet de mode, ou sur la clientèle des architectes et bureaux d'études, dont la consommation de papier calque régresse au profit des applications informatiques.
En conséquence, je vous informe qu'il n'est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette opération, ni de la soumettre à des conditions particulières.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'assurance de mes sentiments les meilleurs.
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie,
Pour le ministre et par délégation : Le chef de service, N. Diricq
Nota : à la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret n° 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.