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Décisions

Ministre de l’Économie, 7 juin 2000, n° ECOC0000382Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseil de la société CGEA Transport SA

Ministre de l’Économie n° ECOC0000382Y

7 juin 2000

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maître,

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 7 avril 2000, vous avez notifié l'acquisition par CGEA Transport SA, filiale du groupe Vivendi, de certains actifs de VIA GTI, dans le secteur du transport routier de voyageurs.

L'opération se décompose en plusieurs étapes par lesquelles SNCF Participations (SNCFP) prendra le contrôle de VIA GTI au moyen du rachat des actions de ce groupe détenues par Paribas Affaires industrielles, tant pour son compte que pour celui de CGEA, agissant conjointement avec SNCFP dans cette opération, et parallèlement des cessions d'actifs de VIA GTI par SNCFP à CGEA.

Ce sont ces dernières cessions d'actifs qui font l'objet de l'opération notifiée.

Vivendi a réalisé, en 1998, un chiffre d'affaires consolidé de 208,181 milliards de F, dont 191,131 milliards de F dans l'Union européenne et 140,533 milliards de F en France.

CGEA a réalisé en 1998 un chiffre d'affaires de près de 29 milliards de F, dont 13,7 milliards de F en France.

VIA GTI a réalisé en France en 1998 un chiffre d'affaires de 6,8 milliards de F, dont 1,7 milliard de F pour la partie acquise par CGEA.

SNCFP a réalisé en France en 1998 un chiffre d'affaires de 25,2 milliards de F et la SNCF un chiffre d'affaires de 77 milliards de F.

Dans la mesure où elle emporte transfert de propriété sur une partie des actifs de VIA GTI, l'opération constitue une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

SNCFP demeurant active, à l'issue de l'opération, sur les marchés du transport routier de voyageurs, par l'intermédiaire de ses filiales VIA GTI et Cariane, il convient de prendre en compte le chiffre d'affaires réalisé par la SNCF en France pour apprécier la contrôlabilité de l'opération au regard des seuils en chiffres d'affaires visés à l'article 38 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

Compte tenu des chiffres d'affaires réalisés par Vivendi et la SNCF en 1998, les seuils exprimés en chiffres d'affaires prévus à l'article 38 de l'ordonnance susvisée sont franchis. L'opération est donc contrôlable. Ces deux groupes ayant réalisé plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires communautaire en France, l'opération n'est pas de dimension communautaire.

Trois catégories de marchés sont concernées par l'opération : le marché des transports routiers urbains de voyageurs ; les marchés des transports routiers interurbains de voyageurs ; les marchés des transports routiers de voyageurs en Ile-de-France.

Les transports routiers urbains de voyageurs se distinguent des transports interurbains en raison de leur régime spécifique résultant de la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982. En particulier, l'organisation des transports urbains de voyageurs relève de la compétence exclusive des communes et des établissements publics intercommunaux dans la limite d'un périmètre de transports urbains (PTU) arrêté par le préfet du département.

Les matériels utilisés sont différents. On peut notamment relever que la réglementation autorise le transport de voyageurs en station debout dans les bus de transport urbain, alors qu'elle l'exclut dans les autocars utilisés pour le transport interurbain.

Les conventions collectives applicables aux personnels du transport urbain et du transport interurbain sont différentes, de même que les dispositions législatives et réglementaires relatives à la durée et l'organisation du travail.

Il convient donc de faire la distinction entre les transports urbains et les transports interurbains.

Dans le domaine des transports urbains, il peut être admis une certaine substituabilité entre différents modes de transport public, notamment entre autobus, tramway et métro. Cependant, on observe plus souvent une complémentarité entre ces différents modes de transport qu'une substituabilité. En tout état de cause, au cas d'espèce, l'analyse demeurera inchangée, que l'on admette ou non cette substituabilité.

La substituabilité avec d'autres modes de transport, tels que les taxis, les véhicules individuels ou la marche à pied est, en revanche, très contestable, que l'on se place du point de vue de l'offre ou de celui de la demande. En outre, le maintien et le développement d'un réseau de transport public procèdent d'une volonté politique des collectivités locales et participent de la politique de la ville. Il en résulte que les transports publics sont largement financés par les collectivités locales et que, du point de vue de l'usager, les tarifs pratiqués sont très attractifs en comparaison du coût d'autres modes de transport.

Le marché du transport routier urbain de voyageurs est de dimension nationale. En effet, lorsque les collectivités locales souhaitent déléguer l'exploitation de ce service, elles organisent des appels d'offres auxquels peuvent répondre l'ensemble des opérateurs nationaux, et ce d'autant plus facilement que le matériel d'exploitation reste souvent propriété de la collectivité locale et que le personnel d'exploitation est repris par le nouveau titulaire de la délégation en application de l'article L. 122-12 du Code du travail.

Le régime juridique des transports interurbains de voyageurs est défini au chapitre 3 de la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982, intitulé " Du transport routier non urbain de personnes ". La loi distingue quatre catégories de services de transport interurbain de voyageurs : les services réguliers, au sein desquels on peut distinguer les lignes régulières proprement dites et les transports scolaires, les services à la demande, les services occasionnels et les services privés qui, étant mis en œuvre pour compte propre, ne constituent en tout état de cause pas un marché pertinent.

CGEA et VIA GTI sont essentiellement actifs dans le domaine des services réguliers, ainsi que des services occasionnels dits de réemploi, tels que les transports d'élèves dans le cadre d'activités sportives ou périscolaires, intervenant en complément de l'activité de " ramassage " scolaire proprement dite.

On peut s'interroger sur la nécessité de distinguer deux marchés pertinents au sein des services réguliers : les transports scolaires et les lignes régulières.

Ces deux activités présentent des caractéristiques communes: le conseil général est dans les deux cas l'organisateur de ces transports, certains transports scolaires sont assurés par des lignes régulières et le public peut, dans certains cas, avoir accès aux lignes scolaires, les véhicules et les chauffeurs effectuent dans la même journée les deux types de transports.

A contrario, on peut relever que, si l'on se place du point de vue de l'offre, il existe un nombre relativement restreint d'offreurs à même de répondre à un appel d'offres de lignes régulières, tandis que l'offre est beaucoup plus atomisée en ce qui concerne le transport scolaire, secteur dans lequel de très nombreux opérateurs de petite taille interviennent.

La comptabilité des sociétés de transport ne fait habituellement pas le distinguo entre lignes régulières, transport scolaire et transport occasionnel, les mêmes véhicules pouvant, dans une même journée, effectuer ces trois types de prestation.

En tout état de cause, que l'on retienne un marché du transport interurbain ou que l'on segmente de manière plus fine les marchés, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.

Les parties considèrent que la dimension géographique du ou des marchés du transport interurbain est nationale, une entreprise pouvant, selon elles, répondre à un appel d'offres dans n'importe quel département français avec des investissements minimaux.

On relève cependant que la concurrence s'exerce principalement au niveau local, les entreprises ayant une dimension nationale intervenant généralement par l'intermédiaire de filiales de dimension régionale. La structure du marché montre également de fortes disparités entre départements en termes de parts de marché détenues par les différents intervenants. Les appels d'offres sont lancés au niveau départemental. S'il a pu être répondu à certains appels d'offres non remportés à partir du siège social du transporteur, la plupart des projets sont portés par des filiales implantées dans le département ou dans des départements peu éloignés du département lançant l'appel d'offres. Il ne peut donc être exclu que le ou les marchés concernés soient de dimension départementale ou, à tout le moins, régionale, structurés autour des implantations locales des opérateurs.

En tout état de cause, les conclusions de l'analyse demeurent inchangées, au cas d'espèce, que l'on mène celle-ci au niveau départemental ou national.

L'Ile-de-France constitue un marché spécifique. En effet, la LOTI précitée n'y est pas applicable et le système des transports publics en Ile-de-France est régi par l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative à l'organisation des transports de voyageurs dans la région parisienne et le décret du 14 novembre 1949 relatif à la coordination et à l'harmonisation des transports ferroviaires et routiers. L'organisation du système de transports dans la région parisienne est régie par le Syndicat des transports parisiens (STP), qui définit l'organisation et assure la coordination des transports collectifs de voyageurs dans la région. Il procède au choix de l'exploitation d'un service de transport et il intervient sur les conditions générales d'exploitation des services et la politique tarifaire.

Les prestataires tenant, dans la plupart des cas, leur droit d'exploitation d'une autorisation administrative, on ne se trouve pas en présence d'une délégation de service public entrant dans le champ de la loi Sapin.

La rémunération des transporteurs privés provient aux deux tiers de la compensation pour l'utilisation de la Carte orange.

En outre, les transports publics dans la région sont largement structurés autour du réseau ferroviaire et routier de la RATP, qui bénéficie d'un monopole historique à Paris et dans la proche banlieue, mais étend ses activités au-delà de ce périmètre.

Si l'on peut considérer que les réseaux ferroviaires de la RATP et de la SNCF sont complémentaires des réseaux routiers, les réseaux routiers exploités par la RATP en dehors de sa zone de monopole historique doivent être pris en compte pour évaluer l'impact de l'opération sur le marché, la présence de cet opérateur venant significativement modifier la situation concurrentielle par rapport à la situation prévalant sur les marchés de province.

Enfin, en Ile-de-France, les transports collectifs sont organisés par l'intermédiaire de l'APTR et l'ADATRIF, interlocuteurs du STP, regroupement d'opérateurs privés liés à la région par contrat.

Ces caractéristiques conduisent à délimiter un marché spécifique à l'Ile-de-France, hors zone de monopole de la RATP. On peut également, dans cette région, s'interroger sur l'opportunité de distinguer un marché des lignes régulières et un marché du transport scolaire. Cependant, compte tenu de la densité du réseau de lignes régulières en Ile-de-France, celles-ci sont largement empruntées par les scolaires, dont le transport ne représente pas dans cette région une activité aussi importante que dans les autres régions de France.

On peut également distinguer en Ile-de-France un marché des transports collectifs non réguliers, qui englobe le transport scolaire occasionnel, les transports de salariés et d'autres formes de transports occasionnels tels que les transports touristiques.

En conséquence, l'analyse se concentrera en Ile-de-France sur les transports réguliers, lignes scolaires incluses, étant entendu que si l'on devait délimiter deux marchés, l'un des lignes régulières, l'autre du transport scolaire, l'analyse ne serait pas substantiellement modifiée.

<stong>Sur le marché national des transports urbains de voyageurs hors Ile-de-France, l'opération ne vient pas substantiellement renforcer la position de CGEA, dont la part de marché passe de [20 à 30 %] à [20 à 30 %].

Si l'on peut faire valoir que l'opération pourrait cependant affecter la concurrence, [...] en réduisant ainsi le nombre d'opérateurs susceptibles de répondre à ce type d'appel d'offres, on peut cependant relever [...] l'émergence de Cariane, jusqu'alors marginal sur ce marché, qui bénéficiera du savoir-faire de VIA GTI en ce domaine.

En outre, bien que les barrières à l'entrée sur ce marché soient relativement élevées, une expertise et des références étant nécessaires pour remporter des appels d'offres portant sur la gestion de systèmes complexes de transports, il n'est pas exclu que les opérateurs français commencent à subir, dans les années à venir, la concurrence d'opérateurs européens. Bien que ce mouvement demeure encore marginal, on peut relever que des opérateurs britanniques ont répondu à certains appels d'offres d'importance moyenne et qu'un opérateur espagnol a remporté le marché de Perpignan.

En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché des transports urbains hors Ile-de-France.

Si l'on appréhende le marché des transports interurbains de voyageurs hors Ile-de-France à l'échelle nationale, CGEA verra, à l'issue de l'opération, sa part de marché passer de [moins de 10 %]. Bien que significatif, ce renforcement ne sera pas de nature à conférer à CGEA une position dominante sur ce secteur.

Il convient cependant d'examiner si l'opération est susceptible de créer des positions dominantes locales au profit de la nouvelle entité. Pour ce faire, et faute d'informations disponibles plus précises, on évaluera les parts de marché sur les lignes régulières et le transport scolaire à travers le nombre de lignes exploitées.

L'opération conduit à des additions de parts de marché dans [10 à 20] départements.

Toutefois, que l'on considère le transport scolaire, les lignes régulières ou la réunion de ces deux activités, les additions de parts de marché sont très faibles, inférieures à 5 % dans [moins de 10] départements et compris entre 5 et 10 % dans [moins de 10] départements. Les parts de marché résultant de ces additions sont toutes inférieures à 50 %, sauf en Charente, dans la Seine-Maritime et la Meuse.

Dans le département de la Meuse, VIA GTI détenait avant l'opération [...] des [...] lignes régulières du département. A l'issue de l'opération, la nouvelle entité détiendrait l'ensemble de ces lignes, par l'apport des deux lignes auparavant détenues par CGEA. Cependant, cette position peut être relativisée par le fait que CGEA ne détiendra à l'issue de l'opération que [30 à 40 %] des lignes du département (lignes régulières et transport scolaire) ; que, à l'échelle de la région Lorraine, la part de marché, exprimée en nombre de lignes, détenue par la nouvelle entité sera de [30 à 40 %] sur les lignes régulières et de [10 à 20 %] toutes lignes confondues ; qu'en conséquence des opérateurs de transports scolaires présents dans le département ou des opérateurs présents sur le transport scolaire et les lignes régulières dans des départements limitrophes seront susceptibles de proposer des offres alternatives à celle de CGEA lors des prochains appels d'offres de lignes régulières dans le département de la Meuse.

Dans les [10 à 20] autres départements, l'opération n'est pas non plus susceptible de créer ou renforcer une position dominante au profit de la nouvelle entité (1).

En Seine-Maritime, la part de marché de la nouvelle entité s'élève à [50 à 60 %] sur les lignes régulières, avec une addition de [moins de 10] points. Toutefois, il existe sur le marché des lignes régulières du département des concurrents susceptibles de représenter une alternative à la nouvelle entité, dont Cariane et les transports Verney.

En Charente, la nouvelle entité détiendra [50 à 60] % des lignes de transport scolaire, avec une addition de [moins de 10] points. Cette situation n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence, notamment en raison des faibles barrières à l'entrée sur le marché du transport scolaire.

Par ailleurs, l'opération ne crée ou ne renforce une position dominante au profit de la nouvelle entité dans aucune région française - hors la région Ile-de-France qui fait l'objet d'une analyse séparée - si l'on devait retenir une dimension régionale des marchés géographiques.

En conséquence, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés du transport interurbain de voyageurs.

En Ile-de-France, en ce qui concerne les transports réguliers, il convient de prendre en compte le chiffre d'affaires réalisé par l'activité bus de la RATP en dehors de sa zone de monopole légal. La part de marché de la RATP peut être évaluée à [40 à 50 %] sur les lignes régulières. CGEA détenait avant l'opération une part de marché d'environ [10 à 20 %] sur les transports réguliers (lignes régulières et transports scolaires). A l'issue de l'opération elle détiendra une part de marché estimée à [10 à 20 %].

En ce qui concerne les transports collectifs occasionnels, la part de marché de CGEA passera de [10 à 20 %] à [10 à 20 %]. Il existe sur ce marché, outre les sociétés membres de l'APTR et de l'ADATRIF, environ 130 opérateurs. Parmi les concurrents de la nouvelle entité, on trouve des opérateurs puissants, tel que la société VISUAL, rachetée par TRANSDEV en 1999.

En conséquence, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés de la région Ile-de-France.

Il ressort de cette analyse que l'opération n'est susceptible de créer ou renforcer une position dominante au profit de CGEA sur aucun des marchés concernés. En conséquence, je vous informe qu'il n'est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette opération.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret n° 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.