Ministre de l’Économie, 27 avril 2000, n° ECOC0000268Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société Air France
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 29 février 2000, vous avez notifié l'acquisition par Air France de Regional Airlines, dans le secteur du transport aérien de passagers.
Première compagnie aérienne française, Air France a réalisé au cours de l'exercice comptable 1998-1999 un chiffre d'affaires de 59,7 milliards de francs, dont 33 milliards en France, si l'on retient comme critère d'imputation géographique du chiffre d'affaires le pays dans lequel a été émis le titre de transport (1).
Air France totalise un effectif de 55 200 personnes et exploite une flotte de 210 avions. Elle est active dans le transport aérien de passagers, le transport de fret et l'entretien aéronautique. Elle développe également des activités autour de son métier principal, à travers ses filiales Servair (commissariat aérien), Amadeus (systèmes de réservation, d'information et de gestion des voyages) et Fréquence Plus (programme de fidélisation).
Regional Arlines est une société anonyme active dans le transport aérien de passagers, détenu à 67 % par le groupe Dubreuil, actif par ailleurs dans les secteurs de la distribution et l'hôtellerie. Elle s'est développée autour d'un " hub " situé à Clermont-Ferrand et assure des liaisons à partir d'aéroports de province, à destination de la France métropolitaine ou de l'Europe, sans passer par Paris. Elle a réalisé en 1998 un chiffre d'affaires de 1,07 milliard de francs et compte un effectif de 770 personnes. Elle opère 250 vols quotidiens, dont 150 via le " hub " de Clermont-Ferrand. Elle a également développé des " mini-hubs " sur Bordeaux, vers l'Europe du Sud, et Le Havre, vers l'Europe du Nord.
Dans la mesure où elle emporte changement de contrôle de Regional Arlines, l'opération constitue une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.
Compte tenu du chiffre d'affaires réalisé par Regional Airlines en 1998, les seuils de chiffres d'affaires prévus à l'article 38 de l'ordonnance susvisée ne sont pas franchis.Il convient donc de définir les marchés pertinents.
En matière de transport aérien, trois types de marchés pertinents peuvent être délimités : les routes ou faisceaux de routes ; les plates-formes aéroportuaires ; les réseaux.
En ce qui concerne les routes, la Commission européenne définit le marché pertinent comme étant la route ou le faisceau de routes (2), la substituabilité entre routes s'appréciant au cas par cas en fonction notamment de la distance entre le point d'origine et le point de destination, la distance entre les aéroports situés à chaque extrémité de la route et le nombre de fréquences offertes sur chaque route.
En l'occurrence, compte tenu des distances relativement faibles entre les points d'origine et de destination des routes desservies par Regional Airlines, ces routes ne sont pas substituables entre elles.
Air France fait valoir que " le train à grande vitesse est un concurrent très compétitif sur les temps de trajet inférieurs ou égaux à deux heures (3) ". Cependant, en l'espèce, il n'existe pas de liaisons ferroviaires impliquant un temps de trajet inférieur à deux heures susceptibles de venir concurrencer le transport aérien sur les routes concernées par l'opération.
Regional Airlines détenant, seule ou conjointement avec Air France, un monopole sur plusieurs routes, le seuil exprimé en part de marché visé à l'article 38 de l'ordonnance susvisée est franchi. Les informations exprimées en chiffre d'affaires ou en nombre de passagers transportés n'étant pas disponibles pour la plupart des routes, on se fondera essentiellement sur le nombre des fréquences opérées pour apprécier les effets de l'opération sur chacune des routes.
Les vols directs et les vols en correspondance sont, à ce stade de l'analyse, pris en compte, pour peu qu'ils correspondent à des substituabilités réelles et soient comparables en termes de temps de trajet. Ont notamment été exclus les vols impliquant un changement d'aéroport entre Orly et Roissy, compte tenu du temps de correspondance nécessaire et compte tenu de la différence de nature des vols intérieurs à destination de ces deux aéroports, Orly accueillant essentiellement des passagers dont Paris est la destination finale et Roissy accueillant principalement des passagers en correspondance sur le " hub " d'Air France.
Les routes affectées par l'opération, c'est-à-dire les routes sur lesquelles les parties sont toutes deux présentes, sont les suivantes :
EMPLACEMENT TABLEAU
EMPLACEMENT TABLEAU
EMPLACEMENT TABLEAU
EMPLACEMENT TABLEAU
EMPLACEMENT TABLEAU
La clientèle de Regional Airlines et, de manière plus générale, la clientèle des transports aériens sur de courtes distances, est essentiellement une clientèle d'affaires, particulièrement sensible au facteur temps (passagers dits time sensitive) et prête, le cas échéant, à payer un prix élevé pour pouvoir être rapidement à destination, voire faire un aller-retour dans la journée.
Il n'est de ce fait pas certain que l'on puisse considérer qu'une compagnie qui opère un vol direct soit en concurrence avec une compagnie qui dessert la même destination avec une correspondance.
On constate ainsi que, sur la ligne Clermont-Ferrand-Amsterdam, Regional Airlines a transporté [...] passagers en 1999, tandis qu'Air France, qui dessert la même ligne, mais avec une correspondance à Paris, n'en a transporté que [...].
Sur la ligne Strasbourg-Milan, Regional Airlines a transporté [...] passagers en 1999, tandis qu'Air France, avec une escale à Paris, n'en a transporté que [...]. Sur la ligne Toulouse-Milan, Regional Airlines a transporté [...] passagers en 1999 sur ses vols directs, tandis qu'Air France, avec une escale à Lyon, n'en a transporté que [...].
Il est donc permis de s'interroger sur la substituabilité qu'il peut y avoir, en l'espèce, entre vols directs et vols en correspondance et il n'est pas certain qu'Air France puisse être considérée comme opérant sur la même route que Regional Airlines lorsque ces deux compagnies offrent l'une un vol direct et l'autre un vol en correspondance.
En tout état de cause, dans les circonstances de l'espèce, l'analyse ne sera pas modifiée, que l'on admette ou non la substituabilité entre vols directs et vols en correspondance.
En effet, dans le domaine du transport aérien, la principale barrière à l'entrée réside dans l'accès aux aéroports, qualifiés par la Commission européenne de " facilité essentielle ", et notamment dans leur accès aux horaires les plus demandés par la clientèle d'affaires, soit en début et en fin de journée.
Les aéroports français desservis par Regional Airlines ne sont pas saturés. Un opérateur peut donc sans restriction mettre en place des fréquences pour venir concurrencer la nouvelle entité sur les routes desservies à partir des ces aéroports.
Il n'y a pas de restriction à l'établissement sur le territoire national de compagnies communautaires. La nouvelle entité est donc susceptible d'être concurrencée par les compagnies aériennes européennes avec lesquelles Regional Airlines a actuellement des accords de " Code sharing ", ainsi que par les compagnies AOM et Air Littoral, filiales du groupe Swissair. Air Liberté, appartenant à British Airways, qui a annoncé son intention de céder cette filiale, constituera également un concurrent significatif de la nouvelle entité.
En conséquence, compte tenu de cette concurrence potentielle et compte tenu du fait que les aéroports concernés par l'opération ne sont pas saturés, à la différence de l'aéroport d'Orly, l'opération n'est pas de nature à créer ou renforcer une position dominante au profit d'Air France sur les routes affectées par l'opération.
La Commission européenne considère que les conditions structurelles prévalant sur les aéroports doivent être étudiées non seulement en connexion avec les routes, mais aussi indépendamment (4), les créneaux (" slots ") n'étant pas affectés à une route mais à une compagnie aérienne, qui peut disposer de ces créneaux comme elle l'entend.
En l'occurrence, l'opération n'est pas de nature à affecter les conditions de concurrence sur les aéroports concernés, les aéroports français desservis par Regional Airlines n'étant pas saturés. Bien que certains des aéroports européens desservis par cette même compagnie soient saturés, on peut cependant relever qu'ils sont la plupart du temps desservis en partage de Codes avec une autre compagnie européenne et que ces accords de partage de Codes expirent, au plus tard, à la fin de la saison IATA 2000. Ainsi, Iberia a, à la suite de l'opération, rompu son accord de partage de Code avec Regional Airlines, ce qui a conduit Air France à abandonner trois fréquences au départ de Toulouse sur Madrid au profit de Regional Airlines. En tout état de cause, Air France n'est pas en position dominante sur les aéroports européens concernés et l'opération n'est pas susceptible de modifier cette situation. Une concentration dans le secteur du transport aérien est également examinée sous l'angle des effets de réseau qu'elle peut induire. Le fait pour une compagnie de disposer d'un réseau étendu, offrant des fréquences élevées et des connexions rapides structurées autour d'un " hub ", peut constituer une barrière à l'entrée importante pour des compagnies concurrentes qui ne bénéficieraient pas d'un réseau aussi attractif. Les programmes de fidélisation que proposent les compagnies peuvent également constituer une barrière à l'entrée, des compagnies offrant un réseau peu étendu et qui ne feraient pas partie d'une alliance globale pouvant difficilement s'imposer face à un concurrent offrant des fréquences élevées, des correspondances rapides vers un nombre important de destinations et un programme de fidélisation regroupant des compagnies majeures.
Regional Airlines a transporté 256 000 passagers en 1998 sur des vols nationaux, soit 1,03 % du total des passagers des vols intérieurs. Sur les vols à partir de la France et à destination de l'Europe, Regional Airlines a transporté environ 750 000 passagers sur les 30 millions de passagers ayant emprunté ces routes, soit 2,5 % du total. Bien que l'apport de Regional Airlines bénéficie à Air France en termes d'effets de réseau, il ne semble cependant pas que cette opération vienne modifier sensiblement le paysage concurrentiel.
On peut en outre relever que les concurrents français d'Air France sont pour deux d'entre eux membres du programme Qualiflyer, structuré autour de Swissair, et pour l'un d'entre eux membre du programme Oneworld, dont fait notamment partie British Airways.
L'opération ne crée en conséquence pas d'effets de réseau significatifs au profit d'Air France.
Il ressort de ces éléments que l'opération de concentration entre Air France et Regional Airlines n'est pas susceptible de créer ou renforcer une position dominante sur les routes affectées ; elle n'est pas non plus de nature à créer ou renforcer une position dominante au profit d'Air France sur les aéroports concernés ; elle n'est pas susceptible d'engendrer des effets de réseau tels qu'elle serait de nature à porter atteinte à la concurrence.
En conséquence, je vous informe qu'il n'est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette opération.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées. Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret n° 95-916 du 9 août 1995, avant- dernier alinéa.
(1) D'autres méthodes ont été envisagées, telles que l'imputation du chiffre d'affaires au pays de destination ou l'imputation pour moitié au pays de départ et pour moitié au pays de destination. (2) Affaire n° IV/M.157 - Air France/Sabena du 5 octobre 1992. (3) Dossier de notification en date du 11 février 2000, chapitre IV (4) KLM/Air UK du 22 septembre 1997.