CE, sect. du contentieux, 6 octobre 2000, n° 216645
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pernod-Ricard (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Labetoulle
Rapporteur :
Mlle Hédary
Avocats :
SCP Defrenois, Lévis, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Baraduc, Duhamel
LE CONSEIL D'ETAT : - Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire présentés pour la société Pernod-Ricard demandant que le Conseil d'Etat : 1°) annule pour excès de pouvoir, en premier lieu, l'arrêté du 24 novembre 1999 par lequel le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et le ministre de l'Agriculture et de la Pêche ont enjoint à la société The Coca-Cola Company de renoncer à l'acquisition des actifs du groupe Pernod-Ricard relatifs aux boissons "Orangina" pour ce qui concerne la France et ont décidé que la répartition des actifs des boissons "Orangina" pour les activités françaises et internationales sera soumise à l'accord préalable du ministre chargé de l'Economie, en second lieu et en tant que de besoin l'avis rendu le 28 septembre 1999 par le Conseil de la concurrence ; 2°) prescrive au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et au ministre de l'Agriculture et de la Pêche de procéder à un nouvel examen du projet d'acquisition notifié par la société The Coca-Cola Company et de statuer dans les plus brefs délais, le cas échéant sous astreinte ; 3°) condamne l'Etat à lui verser la somme de 200 000 francs sur le fondement des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ; - Vu les autres pièces du dossier ; l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée ; le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié ; l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 40 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Tout projet de concentration ou toute concentration ne remontant pas à plus de trois mois peut être soumis au ministre chargé de l'Economie par une entreprise concernée (...)" ; que, selon l'article 42 de la même ordonnance : "Le ministre chargé de l'Economie et le ministre dont relève le secteur économique intéressé peuvent, à la suite de l'avis du Conseil de la concurrence, par arrêté motivé et en fixant un délai, enjoindre aux entreprises, soit de ne pas donner suite au projet de concentration ou de rétablir la situation de droit antérieure, soit de modifier ou de compléter l'opération ou de prendre toute mesure propre à assurer ou rétablir une concurrence suffisante. Ils peuvent également subordonner la réalisation de l'opération à l'observation de prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence (...)" ;
Considérant qu'à la suite d'un premier refus des ministres de l'Agriculture et de la Pêche et de l'Economie, des Finances et de l'Industrie d'accepter le projet d'acquisition, par la société The Coca-Cola Company, des actifs du groupe Pernod-Ricard relatifs aux boissons "Orangina" pour ce qui concerne la France, la société The Coca-Cola Company a saisi le 4 mai 1999 ces ministres, en application des dispositions précitées, d'un nouveau projet ayant le même objet ; que le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et le ministre de l'Agriculture et de la Pêche ayant, par leur arrêté du 24 novembre 1999, enjoint à la société The Coca-Cola Company de renoncer à ce projet, la société Pernod-Ricard demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêté, d'enjoindre aux ministres de procéder à un nouvel examen du projet, et d'annuler en tant que de besoin l'avis du Conseil de la concurrence du 28 septembre 1999 ;
Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué : - En ce qui concerne la compétence des signataires de l'arrêté attaqué : - Considérant qu'en application du décret modifié du 23 janvier 1947 autorisant les ministres à déléguer par arrêté leur signature, un arrêté du 9 juillet 1999 du ministre de l'Agriculture et de la Pêche, publié au Journal officiel de la République française du 10 juillet 1999, a donné délégation à M. Toussain, directeur des politiques économique et internationale, pour signer dans la limite de ses attributions et au nom du ministre tous actes, arrêtés et décisions, à l'exception des décrets, relatifs à la mise en œuvre et à l'évaluation de la politique de développement des industries agricoles et alimentaires ; qu'en application du même décret modifié du 23 janvier 1947, un arrêté du 5 novembre 1999 du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, publié au Journal officiel de la République française du 9 novembre 1999, a donné délégation de signature à M. Gallot, Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes pour signer dans la limite de ses attributions et au nom du ministre tous actes, arrêtés, décisions ou conventions ; que, dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué, qui a été signé par ces deux directeurs, est entaché d'incompétence ;
En ce qui concerne l'existence d'une décision implicite d'acceptation faisant obstacle au prononcé d'une décision expresse de rejet : - Considérant qu'aux termes de l'article 40 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "(...) Le silence gardé pendant deux mois vaut décision tacite d'acceptation du projet de concentration ou de la concentration ainsi que des engagements qui y sont joints. Ce délai est porté à six mois si le ministre saisit le Conseil de la concurrence" ; qu'en outre, aux termes de l'article 28 du décret du 29 décembre 1986 pris pour l'application de l'ordonnance précitée : "La notification au ministre chargé de l'Economie d'un projet ou d'une opération de concentration en application de l'article 40 de l'ordonnance est accompagnée d'un dossier (...). Le point de départ du délai de deux mois prévu à l'article 40 de l'ordonnance est fixé au jour de la délivrance des accusés de réception, sous réserve que le dossier soit complet" ; qu'il résulte de ces dispositions d'une part que, lorsque la notification du projet ou de l'opération de concentration ne comporte pas l'ensemble des documents nécessaires pour mettre le ministre chargé de l'Economie à même d'en apprécier la portée, il appartient à l'administration de demander à l'entreprise concernée de compléter sa notificationet, d'autre part que, dans un tel cas, l'accusé de réception du dossier délivré par l'administration et qui constitue le point de départ du délai susindiqué doit être adressé au demandeur dès que le dossier est complet ; que, s'il n'est pas délivré le jour même, l'accusé de réception doit préciser la date de réception des pièces complétant le dossier, laquelle date constitue alors le point de départ du délai ;
Considérant que si la société The Coca-Cola Company a notifié le 4 mai 1999 au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie le projet de concentration susévoqué, M. Noël Diricq, sous-directeur ayant régulièrement reçu délégation, par décret du 1er avril 1999 publié au Journal officiel de la République française du 3 avril 1999, pour signer tous actes dans la limite des attributions de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, a demandé par une lettre en date du 12 mai 1999 à la société The Coca-Cola Company de compléter sa notification en fournissant des informations portant, d'une part, sur les éléments dont l'article 28 du décret du 29 décembre 1986 précise qu'ils doivent être joints à la notification et, d'autre part, sur des données concernant la société Schweppes France et les accords de distribution pouvant lier cette société à la société The Coca-Cola Company; que ces dernières informations, de même que l'actualisation de celles données à l'occasion de la précédente procédure, étaient nécessaires pour identifier les entreprises avec lesquelles la société The Coca-Cola Company se trouve économiquement liée ainsi que pour déterminer les marchés à prendre en compte, pour calculer les parts détenues sur ces marchés par les entreprises concernées et pour apprécier l'existence et la portée des effets anticoncurrentiels de l'opération en cause ; que si certains des documents demandés ont été adressés le 21 mai 1999 par la société The Coca-Cola Company et le 28 mai 1999 par la société Pernod-Ricard, le sous-directeur compétent a par une lettre du 28 mai 1999 demandé à nouveau celles des informations sollicitées par sa précédente lettre du 12 mai 1999 qui n'avaient pas été fournies et que les derniers documents les contenant ont été adressés le 14 juin 1999 à l'administration ; que le Conseil de la concurrence ayant été saisi le 12 mai 1999, le délai prévu à l'article 40 précité de l'ordonnance du 1er décembre 1986 se trouvait porté à six mois ; que si l'accusé de réception du dossier a été délivré par l'administration le 2 juillet 1999, cette pièce fait expressément mention de ce que le dossier était complet le 14 juin 1999 ; qu'ainsi, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le Conseil de la concurrence avait été saisi à une date antérieure, le délai imparti aux ministres pour statuer devait être computé à compter du 15 juin 1999 zéro heure, et expirait le 14 décembre 1999 à 24 heures; que dès lors, contrairement à ce que soutient la requête, aucune décision implicite d'acceptation du projet de concentration n'était née le 24 novembre 1999, date à laquelle les destinataires de l'arrêté attaqué en ont reçu notification ;
En ce qui concerne la procédure devant le Conseil de la concurrence : - Considérant, d'une part, que le Conseil de la concurrence a été destinataire en temps utile de l'ensemble des informations nécessaires pour lui permettre de formuler, le 28 septembre 1999, son avis au vu d'un dossier complet ;
Considérant, d'autre part, que l'article 40 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prévoit que, si le Conseil de la concurrence est saisi, la décision doit être acquise dans un délai maximum de six mois ; que selon l'article 30 du décret du 29 décembre 1986, avant de prendre sa décision le ministre "envoie le projet de décision accompagné de l'avis du Conseil de la concurrence aux parties intéressées et leur impartit un délai pour présenter leurs observations" ; que la combinaison de ces dispositions implique que les ministres ne sont pas tenus à une nouvelle saisine du Conseil de la concurrence après que les entreprises intéressées ont répondu au projet de décision et à l'avis du Conseil de la concurrence qui leur ont été adressés ; que, par suite, la circonstance qu'en l'espèce les entreprises intéressées ont formulé de nouvelles propositions le 22 novembre 1999 en réponse à la transmission du projet d'arrêté et de l'avis du Conseil de la concurrence ne faisait pas obstacle à ce que les ministres prennent leur décision sur le projet en cause sans avoir sollicité un nouvel avis de cette instance;
En ce qui concerne la motivation de l'arrêté attaqué : - Considérant qu'en faisant référence à l'observation du Conseil de la concurrence concernant le marché "hors foyer", selon laquelle ce marché "jouait un rôle moteur sur celui de la consommation à domicile dans la mesure où c'est sur ce marché hors foyer que se prennent les habitudes de consommation" et en faisant état notamment des résultats chiffrés des enquêtes menées auprès des distributeurs sur les comportements des consommateurs, les ministres ont suffisamment motivé leur arrêté en ce qui concerne l'effet d'entraînement de la consommation "hors foyer" sur la consommation "alimentaire";
Considérant que, dans leur décision, les ministres ont relevé, pour justifier leur décision de ne pas retenir les propositions faites par la société The Coca-Cola Company, en premier lieu, que l'absence de coordination avec le licencié distributeur d'"Orangina" sur le marché "hors foyer" proposée par la société The Coca-Cola Company dans ses engagements du 22 novembre 1999 laisserait subsister le contrôle qu'en tant que propriétaire de la marque "Orangina" cette société exercerait sur le licencié, en deuxième lieu, que le dispositif proposé pour inciter le licencié à développer "Orangina", n'étant pas révisable pendant dix ans, deviendrait rapidement inadapté et ne pourrait ainsi plus jouer ce rôle d'incitation, en troisième lieu, que la notion de "communications essentielles et légitimes" proposée par la société The Coca-Cola Company pour définir les contacts qu'elle pourrait avoir avec le licencié était imprécise et difficile à délimiter et enfin que la tenue d'un "registre des contacts" entre les entreprises ne serait pas suffisante pour permettre au ministre chargé de l'Economie de vérifier que les contacts entre la société The Coca-Cola Company et le licencié seraient limités à ceux strictement nécessaires à la gestion commune de la marque "Orangina" sur le territoire français ; qu'en formulant ces observations, qui répondaient aux points essentiels figurant dans les engagements proposés par la société The Coca-Cola Company le 22 novembre 1999, les ministres ont suffisamment motivé leur réponse à ces propositions ;
Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué : - En ce qui concerne l'appréciation des effets anticoncurrentiels de l'opération de concentration projetée : - Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué que les ministres se sont fondés, pour apprécier les effets anticoncurrentiels de l'opération de concentration projetée, sur l'existence, dans le secteur considéré des boissons gazeuses sans alcool, d'une part, de deux circuits de distribution, celui destiné à la consommation "alimentaire" et celui destiné à la consommation "hors foyer", ce dernier circuit devant être distingué du premier en raison des prestations qui accompagnent la consommation et des contraintes particulières d'espace propres aux distributeurs qui y opèrent, d'autre part, d'un effet de "gamme" ou de "portefeuille" tenant à ce qu'il est indispensable au producteur qui entend accéder à ce secteur ou s'y maintenir de proposer aux acheteurs un assortiment de boissons gazeuses sans alcool comprenant au moins un "cola", une boisson gazeuse au goût d'orange et une boisson gazeuse "claire", l'un de ces produits devant au surplus être distribué sous une marque considérée comme "incontournable" compte tenu de la demande des consommateurs; que les ministres ont également observé que le groupe Coca-Cola, qui détient désormais près de 91 % du marché des "colas" "hors foyer" ainsi qu'une marque "incontournable" sur ce marché, détiendrait en outre, si l'opération se trouvait réalisée, plus de 57 % du marché connexe des boissons gazeuses sans alcool "hors cola" "hors foyer" ainsi qu'une autre marque "incontournable" sur ce marché connexe ; qu'ainsi le groupe Coca-Cola pourrait bénéficier sur le secteur des boissons gazeuses sans alcool "hors foyer" d'un effet de "gamme" ou de "portefeuille" susceptible d'entraîner une situation anticoncurrentielle; que les ministres ont relevé, également, qu'après l'acquisition projetée, le groupe Pepsico, jusqu'alors lié par un accord de distribution avec Orangina et placé en situation de concurrence directe avec la société The Coca-Cola Company, ne disposerait plus d'une offre complète de produits dotés d'une notoriété suffisante susceptible de constituer une alternative à l'offre présentée par le groupe Coca-Cola ; qu'en outre les ministres ont relevé que cette situation sur le marché "hors foyer" ne manquerait pas d'entraîner des effets anticoncurrentiels sur le marché "alimentaire" ; qu'enfin, les ministres ont estimé que l'acquisition, aux termes d'un contrat conclu le 11 décembre 1998 et modifié le 23 mai 1999, par la société The Coca-Cola Company de marques et activités liées du groupe Cadbury-Schweppes dans un certain nombre de pays dont, au sein de la Communauté européenne, le Royaume-Uni, l'Irlande et la Grèce, entraînait des effets anticoncurrentiels sur le marché national des boissons gazeuses sans alcool ; que la requête conteste le bien-fondé de l'appréciation ainsi portée tant sur les conséquences de l'existence de deux circuits de distribution que sur celles du rapprochement avec le groupe Cadbury-Schweppes ;
Considérant, en premier lieu, que si, d'une part, les distributeurs opérant sur le circuit de la consommation "alimentaire" bénéficient d'un pouvoir important de négociation et sont soumis dans une moindre mesure que ceux opérant sur le circuit de la consommation "hors foyer" à des contraintes d'espace pour proposer un certain choix de boissons gazeuses sans alcool et si, d'autre part, les modes d'achat ne sont pas identiques sur les deux marchés, il ressort toutefois de l'instruction diligentée devant le Conseil de la concurrence et de l'ensemble des pièces du dossier que des interactions nombreuses et croissantes existent entre ces distributeurs et que les consommateurs prennent sur le marché "hors foyer" des habitudes de consommation liées notamment au fait que sur ce marché les actes d'achat sont plus fréquents et le nombre de marques offertes moins important ; que, par suite, en estimant que les marchés de la consommation "alimentaire" et de la consommation "hors foyer" ne sont pas cloisonnés etqu'une atteinte à la concurrence sur le second de ces marchés aurait une incidence sur le premier, les ministres n'ont pas porté une appréciation erronée ;
Considérant, en second lieu, que, lors de l'acquisition par elle de marques et activités liées du groupe Cadbury-Schweppes, la société The Coca-Cola Company n'a pas été autorisée à acheter les usines de ce groupe ; que, dès lors, le contrôle de qualité des produits "Schweppes" continuera d'être exercé par le groupe Cadbury-Schweppes dont fait partie la société Schweppes France ; qu'ainsi cette dernière ne pourra pas utilement invoquer le droit à la protection de sa marque pour s'opposer à l'entrée sur le territoire national de produits "Schweppes" en provenance des pays de la Communauté européenne dans lesquels la société The Coca-Cola Company a acquis des marques et activités du groupe Cadbury-Schweppes ; que dans ces pays ce groupe élabore en concertation avec la société The Coca-Cola Company la politique commerciale de leurs marques ; que par suite, en estimant qu'alors même que la société Schweppes-France restera juridiquement indépendante de la société The Coca-Cola Company les stipulations de l'accord susévoqué ne permettaient pas de garantir que la société Schweppes France serait économiquement indépendante du groupe Cadbury Schweppes lié au groupe Coca-Cola, et en en déduisant que l'accord en cause aurait lui-même des effets anticoncurrentiels sur le marché national des boissons gazeuses sans alcool, les ministres n'ont pas porté une appréciation erronée sur les conséquences de cet accord ;
En ce qui concerne l'existence d'une compensation des effets anticoncurrentiels par une contribution suffisante au progrès économique et social : - Considérant, d'une part, qu'il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué que les ministres ont examiné le projet de concentration dans son ensemble et pris en compte les compensations que ce projet était globalement susceptible d'apporter au progrès économique et social ;
Considérant, d'autre part, que la société requérante fait état des perspectives de développement qui seraient ouvertes à la marque "Orangina" à l'étranger grâce à l'opération projetée, des possibilités de développement qu'offrirait au groupe Pernod-Ricard le produit de la cession de ses actifs relatifs aux boissons "Orangina" et des effets bénéfiques de cette cession pour la collectivité ; que, toutefois,dès lors que la cession des actifs relatifs aux boissons "Orangina" pour ce qui concerne les activités internationales n'est pas interdite, le développement à l'étranger de cette marque, qui au demeurant ne bénéficierait que de manière limitée à l'économie française, peut être assuré sans que soient cédés les actifs concernant le marché national; qu'en outre, si le développement de la société Pernod-Ricard était susceptible d'être favorisé grâce aux disponibilités financières dégagées par l'opération de cession envisagée, un tel développement ne constitue pas en tant que tel, et n'apporte pas à lui seul, une contribution au progrès économique et social de nature à compenser les effets anticoncurrentiels de l'opération projetée ; qu'une telle compensation ne peut davantage être regardée comme constituée par le produit fiscal susceptible d'être encaissé par le Trésor public si l'opération se réalise ou par les investissements dont la réalisation serait rendue possible dans cette hypothèse ; qu'enfin, le projet pris dans son ensemble n'est pas davantage susceptible de compenser par une contribution au progrès économique et social suffisante les atteintes à la concurrence qu'il entraîne;
En ce qui concerne la légalité de l'injonction prononcée : - Considérant que la société The Coca-Cola Company a, comme l'article 40 de l'ordonnance le lui permettait, présenté des propositions d'engagements destinés à compenser les effets anticoncurrentiels relevés par les ministres compétents et qui consistent pour l'essentiel en l'octroi, à un tiers indépendant, pour une durée de dix ans, d'une licence exclusive de vente et de distribution des produits "Orangina" sur l'ensemble du marché "hors foyer" à l'exception de grands événements sportifs parrainés par "Coca-Cola";
Considérant, en premier lieu, que ces engagements apportent des garanties plus importantes que ceux qui avaient été souscrits par la société The Coca-Cola Company lors de la présentation du premier projet d'acquisition notifié le 11 février 1998 ; que, toutefois, les modalités des relations envisagées entre la société The Coca-Cola Company et ce tiers indépendant - sur lequel la société The Coca-Cola Company exercerait le contrôle du propriétaire d'une marque sur son distributeur et notamment,aux termes mêmes des engagements souscrits par la société The Coca-Cola Company, le contrôle de qualité des produits, l'emballage et la publicité, - seraient de nature à créer le risque que les échanges entre la société The Coca-Cola Company et le distributeur sur le marché "hors foyer" conduisent, soit à une concertation dans la gestion de leurs marques concurrentes "Fanta" et "Orangina", soit à un affaiblissement de la marque "Orangina", et avec elle de l'offre de boissons gazeuses sans alcool concurrente de celle présentée par la société The Coca-Cola Company avec sa marque "Fanta";
Considérant, en second lieu, que la société Pernod-Ricard soutient qu'il incombait aux ministres dès lors qu'ils écartaient les propositions d'engagements formulés par la société The Coca-Cola Company de définir les mesures adéquates et proportionnées susceptibles d'être imposées aux parties à l'opération de concentration et d'autoriser cette opération en l'assortissant de l'injonction de mettre en œuvre lesdites mesures ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier, qu'eu égard à la nature et à l'importance des effets anticoncurrentiels qu'aurait eus l'opération de concentration envisagée et qui se seraient trouvés aggravés par le renforcement de la position du groupe Coca-Cola sur le marché des boissons gazeuses sans alcool à la suite de l'acquisition de marques et activités du groupe Cadbury-Schweppes, la décision prise par les ministres de s'opposer purement et simplement à l'opération projetée était nécessaire à la sauvegarde de la concurrence sur le marché national et ne peut dès lors être regardée comme ayant porté une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie;
Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint, le cas échéant sous astreinte, aux ministres compétents de procéder à un nouvel examen du projet de concentration dans les plus brefs délais : - Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 6-1 ajouté à la loi du 16 juillet 1980 par la loi du 8 février 1995 : "Lorsqu'il règle un litige au fond par une décision qui implique nécessairement une mesure d'exécution dans un sens déterminé, le Conseil d'Etat, saisi de conclusions en ce sens, prescrit cette mesure et peut assortir sa décision d'une astreinte à une date qu'il détermine" ;
Considérant que la présente décision n'implique pas de mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et au ministre de l'Agriculture et de la Pêche de procéder à un nouvel examen du projet de concentration doivent être écartées ;
Sur les conclusions tendant à ce que le Conseil d'Etat annule, en tant que de besoin, l'avis du Conseil de la concurrence du 28 septembre 1999 : - Considérant que l'avis du Conseil de la concurrence dont l'annulation est demandée en tant que de besoin ne lie pas les autorités auxquelles il est destiné et ne présente pas, dès lors, le caractère d'une décision faisant grief ; que les conclusions tendant à son annulation sont par suite irrecevables ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 : - Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser à la société Pernod-Ricard la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Décide :
Article 1er : La requête de la société Pernod-Ricard est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Pernod-Ricard, à la société The Coca-Cola Company, à la société Pepsico France SNC, au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et au ministre de l'Agriculture et de la Pêche.