Conseil Conc., 15 novembre 1994, n° 94-A-26
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Avis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport de M. Jean-Pierre Lehman, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents, MM. Bon, Blaise, Gicquel, Marleix, Robin, Rocca, Sargos, Sloan, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence (formation plénière),
Vu la lettre enregistrée le 26 avril 1994 sous le numéro A 142 par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, d'une demande d'avis relative au projet de prise de contrôle par la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion des stations Fun Radio et M 40 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du la décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n0 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifiée ; Vu la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, modifiée ; Vu les observations présentées par la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion, la Société Española de radiodifusion et par le commissaire du Gouvernement ; Vu l'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel en date du 15 septembre 1994 ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion entendus, Adopte l'avis fondé sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
Le 26 avril 1994, le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de la prise de contrôle par la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion (CLT) de la société Finvest, propriétaire du programme radiophonique Fun Radio, et de la Sodera, propriétaire du programme radiophonique M 40.
A. - Les entreprises parties à l'opération
1. L'acheteur
La CLT, concessionnaire depuis 1931 du service public de radio et de télévision du Grand-Duché de Luxembourg, exploite directement ou indirectement, seule ou avec des partenaires, neuf programmes de télévision et treize radios en Europe. A ce titre, la CLT est aujourd'hui l'un des premiers intervenants en Europe. En 1993, le chiffre d'affaires consolidé de cette société s'est élevé à 12,2 milliards de francs (dont 1,07 milliard en France) pour un résultat net de 491 millions de francs.
A la date du 8 octobre 1994, le groupe Bruxelles Lambert (GBL), directement, et indirectement par sa filiale Electrafina dans laquelle GBL détient une participation majoritaire, contrôlait 55 p. 100 du capital de la société holding Audiofina. Cette dernière société et sa filiale majoritaire Fratel contrôlaient à leur tour 58,8 p. 100 du capital de la CLT. Le groupe français de communication Havas détenait pour sa part 16 p. 100 du capital de la société holding Audiofina.
Lors d'une déclaration à la presse le 17 octobre 1994. Le directeur financier du groupe Havas a fait savoir que la composition de l'actionnariat de la société Audiofina sera modifiée à la fin de l'année 1994 ou au début de l'année 1995. Une nouvelle société holding appelée New Co sera alors créée et son capital sera détenu à 40 p. 100 par le groupe Havas et, à hauteur de 60 p. 100, par GBL. Cette société holding, dont le président sera celui du groupe Havas, qui détiendra 51 p. 100 de la société Audiofina, contrôlera, à son tour, 100 p. 100 du capital de la CLT.
S'agissant de la France, les principales participations directes ou indirectes de la CLT sont les suivantes :
- 100 p. 100 du capital d'Ediradio, société de droit français, qui est l'éditeur radiophonique du groupe ;
- 50 p. 100 du capital d'IP-RTV, société chargée de la régie publicitaire de la télévision RTL-TV en Lorraine et de RTL sur l'ensemble du territoire national ;
- 50 p. 100 du capital d'IP-FM, société chargée de la régie publicitaire des station, Fun Radio et M 40 ;
- 35,2 p. 100 du capital de la société Métropole Télévision qui contrôle la chaîne de télévision M 6.
La CLT détient, en outre, dans les secteurs de la presse et de la production télévisée : 100 p. 100 du capital de la société Télé Star, 50 p. 100 du capital de la Société Télé Union Paris, 100 p. 100 du capital de la société VCF, qui est une entreprise de prestations audiovisuelles, 10 p. 100 du capital des éditions Calman Lévy, 100 p. 100 du capital de la société immobilière Bayard d'Antin.
C'est la société Ediradio qui conçoit le programme radiophonique connu en France sous le nom de RTL Cette station obtient la plus forte audience sur le territoire national, principalement dans le Nord de la France, Après avoir obtenu en mars 1986 la possibilité de relayer le programme ondes longues RTL en modulation de fréquence dans le Nord de la France, la CLT a sollicité et obtenu des attributions de fréquence FM par la CNCL, puis par le CSA sur l'ensemble du territoire. C'est ainsi que la CLT dispose aujourd'hui de 117 émetteurs FM. Grâce à la duplication de ce programme en modulation de fréquence, la station RTL peut être écoutée en France par un ensemble de 47 millions d'habitants.
La commercialisation de l'espace publicitaire des supports dans lesquels la CLT détient une participation (à l'exception de M 6, de la radio britannique Atlantic 252 et de la chaîne câblée Série-Club) est assurée par des filiales communes dans lesquelles la CLT et la société Information et Publicité (IP), dont le capital est détenu à 100 p. 100 par le groupe Havas, détiennent chacune 50 p. 100 du capital.
2. Les vendeurs
La Finvest est une société holding de droit français dont l'activité principale est le placement de valeurs mobilières. La Sociedad Española de Radiodifusion (SER) est la plus ancienne société privée éditrice de programme radiophonique en Europe. Le capital de cette société est détenu par la société de presse El Pais qui détient également 25 p. 100 du capital de la société Canal Plus en Espagne.
B. - Les opérations de rapprochement
Depuis 1990, la CLT a développé son activité d'éditeur et de radio-diffuseur dans les réseaux musicaux nationaux. Pour compléter le programme RTL, qui est écouté par des auditeurs dont l'âge moyen est de quarante-huit ans, la CLT a acquis deux supports dont les formats correspondent aux goûts des moins de trente-cinq ans, Fun Radio et M 40. L'acquisition de ces deux stations de radio s'est effectuée de la manière suivante :
1° Fun Radio
La Finvest, société holding appartenant à M. Hersant, a acquis le 8 février 1993, avec l'accord du CSA, auprès de la société TVES, autre société holding détenue par M. Hersant, 100 p. 100 des actions de la société SERC. Le 28 février 1993, M. Hersant, après avoir reçu préalablement l'autorisation du Trésor, a consenti à la CLT une promesse unilatérale de vente qui a permis à cette dernière d'acquérir, dans un premier temps, 34 p. 100 du capital de la Finvest, pour un prix de 43 350 000 F, et de souscrire, dans un second temps, un emprunt obligataire convertible en actions émis par la société Finvest pour un montant de 224 000 000 F en vue d'acquérir 100 p. 100 du capital de la SERC. En mars 1994, la CLT a racheté à M. Hersant 66 p. 100 du capital de la Finvest. Cette opération a reçu le 13 mai 1994 l'autorisation du CSA Le 14 juin 1994, le CSA a autorisé la société Métropole Télévision, elle-même détenue à hauteur de 35,2 p. 100 par la CLT, à acquérir 10,5 p. 100 du capital de la société Finvest. A ce jour la CLT détient donc 89,5 p. 100 du capital de la Finvest qui, elle-même, détient 100 p. 100 des actions de la société SERC qui édite et exploite le programme radiophonique Fun Radio.
2° M 40
En 1989, la CLT a pris une participation de 87 p. 100 dans le capital de la société Sodera qui exploitait le programme Aventure FM alors que la société Bayard Presse détenait les 13 p. 100 restant. Ce programme a été transformé et dénommé Maxximum. Le CSA a agréé l'opération le 25 avril 1989. Par l'effet des dispositions alors en vigueur de la loi du 30 septembre 1986, le développement de cette radio était limité à un bassin d'audience de 15 millions d'auditeurs. Pour permettre au programme Maxximum de se développer, la CLT en cédant 48,05 p. 100 du capital de la société Sodera à la société espagnole SER et 13,72 p. 100 du capital de cette même société aux propriétaires du réseau Métropolys (les sociétés Sony Music, Cicom, Nord Média Diffusion et Médialeaders) a permis à celles-ci de participer au capital de la Sodera. La fusion des réseaux Maxximum et Métropolys fut autorisée par le CSA le 15 octobre 1991. Elle donna naissance le 6 janvier 1992 à une nouvelle station rebaptisée M 40. Pour des raisons de restructuration interne, la SER a fait savoir à la CLT qu'elle souhaitait lui céder, d'une part, les 39 402 actions (soit 48,05 p. 100 du capital social) qu'elle détenait dans la Sodera, d'autre part, les 7 429 actions (soit 7,71 p. 100 du capital social) actuellement détenues par les sociétés Sony et Médialeaders qu'elle était en train de négocier avec ces dernières sociétés. Cette opération qui n'a pas encore reçu l'autorisation du CSA permettra à la CLT de détenir, à terme, après que les actionnaires aient réalisé différents apports, 91,49 p. 100 du capital de la Sodera.
C. - La publicité radiophonique
1° L'offre
Depuis 1984, deux évolutions caractérisent le secteur de la radio. D'une part, les radios traditionnelles à couverture nationale ont recours pour leurs émissions à la modulation de fréquence, d'autre part, les réseaux de radios locales se sont développés et offrent aujourd'hui aux annonceurs une couverture nationale pour leurs messages.
Selon le Centre d'étude des supports publicitaires (CESP), les Français écoutent la radio en moyenne deux heures par jour. Cette audience se répartit entre un secteur public (Radio France) qui n'est que marginalement offreur d'espace publicitaire et quatre stations privées qui représentent 80 p. 100 de l'audience :
- RTL occupe le premier rang en termes d'audience en France, selon les sources professionnelles. Le programme en langue française de cette station représente un élément important de l'activité de la CLT et génère la majorité des recettes de cette société ;
- Europe n° 1 Communication, société holding de droit monégasque dépendant du groupe Hachette, contrôle directement ou indirectement l'activité des différentes sociétés qui participent à l'activité de radiodiffusion du groupe (Europe n° 1, Europe n° 2, RFM et Skyrock), et notamment Régie 1 qui en assure la régie publicitaire. Europe n° 1 occupe le deuxième rang français en termes d'audience, comme en part du marché publicitaire ;
- RMC, société anonyme de droit monégasque, est une filiale commune de la Sofirad, société financière de radiodiffusion (83,33 p. 100) et du Trésor Princier Monégasque (16,67 p. 100). RMC émet en ondes longues et en modulation de fréquence. Bien que ses émissions soient également transmises en modulation de fréquence, sa part de marché est passée de 6,3 p. 100 à 2,4 p. 100 de 1988 à 1994 pour ce qui concerne l'audience et de 17,3 p. 100 à 11,98 p. 100 pour ce qui concerne la part de marché publicitaire ;
- NRJ, société anonyme créée en 1981, est la première des radios émettant exclusivement en modulation de fréquence. En termes d'audience, sa part de marché est passée de 11,3 p. 100 en 1988 à 10,19 p. 100 en 1994. Dans le même temps, sa position sur le marché de la publicité radiophonique est passée de 11,4 p. 100 en 1988 à 13,61 p. 100 en 1994 ;
- Sud-Radio, société anonyme dont le siège social est à Toulouse, émet dans le Sud-Ouest de la France. Elle commercialise son espace publicitaire conjointement avec Witt FM, station de radio locale de la ville de Bordeaux.
Le tableau de l'annexe A présente les parts d'audience et de marché publicitaire radiophonique de ces grands groupes.
2° La demande
En 1994, il existe plus de soixante-dix entreprises ou centrales d'achat d'espace. Les principales d'entre elles, qui représentent plus de 60 p. 100 de l'achat d'espace sont Carat France, Publi Média Service (PMS) filiale de Publicis, Euro RSCG filiale d'Havas et The Media Partnership France (TMPF) filiale d'Omnicom. En 1993, la part des quatre premières centrales dans le chiffre d'affaires d'IP-RTV pour la station RTL représentait respectivement 26,2 p. 100 pour Carat France, 23,6 p. 100 pour Euro RSCG, 16,5 p. 100 pour PMS et 15,9 p. 100 pour TMPF.
3° Les différentes remises
Depuis l'entrée en application de la loi du 29 janvier 1993, les médias ont mis en place des conditions commerciales comprenant, le plus souvent, un tarif brut auquel sont associées de nombreuses remises tarifaires (annexe B) : remise de "float", remise de dégressif de volume, remise de part de marché, remise "nouveaux annonceurs", remise d'exclusivité, remise professionnelle, remise de groupage ou de cumul des mandats et, enfin, remise pour achat d'espaces publicitaires sur plusieurs stations partenaires de la même régie, dite de couplage.
En juin 1992, IP a créé une nouvelle remise de couplage, dénommée "First Radio". Cette remise est octroyée aux annonceurs qui souhaitent toucher au moins 40 p. 100 de l'une des quatre cibles mercatiques proposées par IP dans une période de quatorze jours maximum et dont les plans médias, d'une part, prévoient une répartition minimum des investissements entre les stations RTL, Fun Radio, M 40, Sud-Radio (y compris Witt FM) et, d'autre part, un maximum de 60 p. 100 de "prime-time" sur chacun des supports.
Cette remise de couplage a été modifiée au début de 1993 : pour les annonceurs respectant ces conditions, le calcul des différentes remises fait désormais intervenir une remise de base forfaitaire de 26 p. 100 sur le tarif brut de chacune des stations (y compris RTL), puis une remise de dégressif de couverture, liée aux performances du plan média et prévoyant une remise supplémentaire proportionnelle, lorsque le taux de couverture déterminé par l'annonceur est supérieur à 40 p. 100. L'annonceur bénéficie également d'une remise professionnelle de 15 p. 100 et d'une remise de cumul des mandats fixée à 4 p. 100. Le volume des investissements réalisés dans le cadre d'une remise de couplage "First Radio" est pris en compte lors des calculs relatifs aux remises de dégressif de volume pour l'achat total d'espace sur chacun des supports.
Les premières remises de couplage "First Radio" selon les dernières modalités tarifaires retenues par la régie publicitaire, ont été consenties par IP-RTV durant le premier semestre de 1993, alors que la société éditrice de Fun Radio avait fait l'objet d'une promesse de vente le 28 février 1993 et que des négociations en vue de l'accroissement de la prise de participation dans le capital de la société éditant le programme M 40 étaient déjà engagées par la CLT. Depuis le second trimestre de 1993, les chiffres d'affaires des stations Fun Radio et M 40 ont connu une progression qu'ils n'avaient jamais enregistrée par le passé et qui s'est poursuivie durant le premier semestre de 1994. Selon les données statistiques fournies par la Secodip entre janvier et juin 1994 par rapport à la même période de l'année précédente, les investissements sur le média radio ont progressé de 54 p. 100, alors que le volume des investissements réalisés dans le cadre de la remise de couplage "First Radio" a connu une progression de 72 p. 100. Dans le même temps, les ressources publicitaires de Fun Radio augmentaient de 113,6 p. 100, celles de Sud Radio de 375 p. 100, alors que celles des stations concurrentes enregistraient une progression plus lente: RFM (29,5 p. 100), Europe 2 (22,1 p. 100), Skyrock (I p. 100).
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL
Sur la compétence :
Considérant qu'il est soutenu par la CLT que la loi du 30 septembre 1986 modifiée par la loi du 17 janvier 1989 a réservé une compétence au Conseil de la concurrence en matière contentieuse, excluant le contrôle des concentrations ; qu'il est avancé que, dans l'avis qu'il a adressé au Conseil de la concurrence, "le Conseil supérieur de l'audiovisuel a revendiqué une compétence exclusive sur toute question relative à la concentration radiophonique, reconnaissant la compétence du Conseil de la concurrence pour des projets de concentration qui concerneraient directement des sociétés de régie publicitaire ainsi que pour les abus de position dominante qui pourraient en résulter" ;
Considérant que si l'article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée prévoit : "Le Conseil de la concurrence veille au respect du principe de la liberté de la concurrence dans le secteur de la communication audiovisuelle, selon les règles et dans les conditions prévues par l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, à l'exception de son titre V", ces dispositions, s'agissant des marchés publicitaires sur les différents médias qui peuvent être affectés par ces opérations de concentration, n'ont pu avoir ni pour objet ni pour effet d'écarter la compétence du Conseil de la concurrence, telle que fixée par l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dont les dispositions "s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de service, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques" ;
Sur le marché de référence :
Considérant que les annonceurs désirant faire de la publicité doivent déterminer, outre le montant des sommes qu'ils entendent consacrer à la publicité, la nature des messages qu'ils entendent diffuser et les supports sur lesquels ils doivent diffuser ces messages ; qu'il existe divers médias (presse, radio, télévision, affichage, journaux d'annonces gratuits, etc.) pouvant servir de support à la communication publicitaire ; que chacun de ces médias possède des caractéristiques propres tant en ce qui concerne les conditions techniques d'émission du message publicitaire qu'en ce qui concerne les conditions de réception de ces messages ou le type de public auquel ils s'adressent ; qu'ainsi, par exemple, une campagne de publicité à la télévision n'aura pas le même impact et ne touchera pas le même type de public qu'une campagne dans la presse ; que dès lors, les divers médias ne peuvent être considérés, pour la diffusion de messages publicitaires, comme suffisamment substituables entre eux pour constituer un seul marché ; qu'au contraire les campagnes publicitaires réalisées sur des médias différents peuvent être dans un certain nombre de cas complémentaires et permettent de toucher des publics différents ;
Considérant que, pour chaque média, il existe une diversité de supports ; que si tous les supports appartenant à un même média peuvent ne pas être des substituts parfaits entre eux pour un annonceur ou un groupe d'annonceurs particuliers, il n'en reste pas moins qu'ils entretiennent globalement des relations de concurrence suffisantes pour que la tarification de l'espace publicitaire de l'un d'entre eux ait une influence directe sur la tarification des autres supports du même média : qu'ainsi par exemple des annonceurs désireux de diffuser leurs messages auprès des auditeurs de radio disposent de plusieurs possibilités dont ils peuvent utilement comparer les avantages et les inconvénients ; qu'en conséquence, il existe un marché de l'espace publicitaire radiophonique ;
Sur la nature des opérations :
Considérant qu'aux termes de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, "La concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante" ;
Considérant que l'acquisition de 89,5 p. 100 de la société holding Finvest va permettre à la CLT d'exercer une influence déterminante sur cette dernière société, propriétaire de 100 p. 100 du capital de la société SERC qui édite et exploite le programme radiophonique Fun Radio ; que l'acquisition de 91,45 p. 100 du capital de la Sodera va permettre à la CLT d'exercer une influence déterminante sur cette société, propriétaire du programme de radio M 40 ; que ces opérations constituent donc des concentrations au sens de l'article 39 de l'ordonnance précitée ;
Sur les seuils et les marchés de référence :
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 38 de l'ordonnance du décembre 1986 que le Conseil de la concurrence ne peut examiner une opération de concentration que "lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxe de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs" ;
Considérant qu'à la suite de l'opération par laquelle la CLT a pris le contrôle de la station Fun Radio, la part de marché de ces deux supports sera de 34,3 p. 100 sur le marché de l'espace publicitaire radiophonique ; qu'à la suite de l'opération par laquelle la CLT a pris le contrôle de la station M 40, la part de marché de ces deux supports sera de 32,8 p. 100 sur ce même marché ; que ces parts étant supérieures au seuil fixé en valeur relative par l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les dispositions du titre V de l'ordonnance sont applicables aux opérations susdécrites;
Sur les effets de ces opérations sur la concurrence :
Considérant que, dans le temps même où avait lieu la prise de contrôle de la société Finvest, propriétaire de 100 p. 100 du capital de la société SERC, elle-même éditrice du programme Fun Radio, et alors que la CLT détenait 38 p. 100 de la société Sodera, éditrice du programme M 40, la remise de couplage "First Radio" associant différents supports dont RTL, Fun Radio et M 40, a été modifiée sur la suggestion de la régie IP et avec l'accord de la CLT ; que dès lors que la CLT, par les opérations de concentration susdécrites a pris le contrôle de Fun Radio et M 40, elle est en position de pérenniser cette remise de couplage et ses modalités de commercialisation ; qu'elle a d'ailleurs indiqué sa volonté à cet égard dans ses observations orales ; qu'il y a, dès lors, lieu de prendre en compte la mise en œuvre de ce couplage publicitaire pour apprécier les effets des opérations de concentration ;
Considérant que sur le marché de l'espace publicitaire radiophonique les annonceurs choisissent généralement plusieurs supports ; que lorsque deux supports décident de mettre en œuvre une remise de couplage publicitaire consistant à offrir un avantage tarifaire spécifique aux annonceurs acceptant d'acheter de l'espace simultanément sur ces deux supports, cette pratique de couplage publicitaire doit être distinguée de la simple baisse des tarifs de l'un ou de l'autre des supports qui s'appliquerait à tous les annonceurs indépendamment des stations de radio qu'ils retiendraient dans leurs plans médias; que la remise tarifaire résultant du couplage est de nature à dissuader les annonceurs d'acheter de l'espace publicitaire radiophonique auprès d'un seul de ces deux supports et auprès d'une autre régie publicitaire radiophonique, même si cet espace a un "coût au mille" comparable à celui de l'un ou l'autre des supports offrant la remise de couplage; qu'en effet,en ne concentrant pas ses achats sur les deux supports en cause, l'annonceur perdrait automatiquement le bénéfice du couplage; que cette stratégie peut avoir pour effet de diminuer artificiellement la compétitivité des supports concurrents de ceux concernés par le couplage et est susceptible de limiter la concurrence sur le marché de l'espace publicitaire radiophonique;
Considérant que les effets sur la concurrence de la remise de couplage résultent de ce que RTL offre un "coût au mille" parmi les plus bas du marché, que la remise forfaitaire de couplage de 26 p. 100 est d'un montant très élevé par rapport aux remises sur volume consenties sur le même support ; que cette remise forfaitaire s'applique non seulement sur Fun Radio et M 40, mais aussi sur RTL, support disposant d'une forte position sur le marché de l'espace publicitaire radiophonique ;
Considérant, par exemple, que si un annonceur, disposant d'un budget de 1,83 million de francs, décide de dépenser la totalité de ce budget publicitaire radiophonique sur le seul support RTL, il bénéficiera d'une remise de dégressif de volume et d'une remise professionnelle de 17,55 p. 100, son investissement net étant alors de 1,52 million de francs ; que dans un second cas, en retenant un niveau de budget publicitaire de 2,6 millions de francs sur les supports RTL, Fun Radio, M 40 et Sud Radio (y compris Witt FM), dont un budget identique sur le support RTL de 1,8 million de francs permettant de disposer du même nombre d'espaces publicitaires radiophoniques sur ce support et en respectant les conditions fixées pour bénéficier de la remise de couplage "First Radio", cet annonceur bénéficiera d'une remise de 40,87 p. 100 sur chacun des supports, y compris RTL ; que la dépense nette de cet annonceur sera de 1,57 million de francs; que le fait de profiter de la remise de couplage "First Radio" par rapport à un investissement sur le seul support RTL, procure ainsi un avantage tarifaire à l'annonceur qui lui permet de bénéficier artificiellement d'un volume d'espaces publicitaires sur les supports Fun Radio et M 40 dont la valeur brute est de 526 000 F pour un supplément d'investissement limité à 50 000 F, créant ainsi un déséquilibre dans la concurrence au détriment des autres stations de radio musicales;
Considérant que cette remise de couplage comporte d'autant plus de risques d'atteinte au jeu de la concurrence sur le marché de l'espace publicitaire radiophonique que la CLT y occupe une position prééminente; que son support RTL enregistre le taux d'audience le plus élevé du média radio ; que la part des recettes publicitaires de sa régie IP dans le total des recettes publicitaires radiophoniques, 32,73 p. 100, est la plus importante du marché ; que sur certaines cibles, et notamment sur la cible "ménagères de moins de cinquante ans", RTL est largement préconisé par les annonceurs ; qu'après la conclusion d'un nouveau pacte d'actionnaires à la fin de l'année 1994 ou au début de l'année 1995, les intérêts d'Havas et de la CLT seront encore plus liés ; que par ailleurs Havas détient 100 p. 100 du capital de la régie Information et Publicité qui assure, par le canal de filiales communes avec la CLT la régie publicitaire des stations radiophoniques de la CLT ; que le principal concurrent de la CLT, à savoir le groupe Europe n° 1 Com Holding, ne représente que 25,30 p. 100 du même marché et est adossé à un groupe de communication moins important ; que les sociétés Sofirad (11,98 p. 100), NRJ (10,19 p. 100) et le secteur public (2,38 p. 100) sont des concurrents de taille plus modeste sur le marché de l'espace publicitaire radiophonique ; qu'en outre la réglementation relative au secteur de l'audiovisuel limite la création de nouvelles stations radiophoniques ou le développement des opérateurs déjà en place et constitue une barrière à l'entrée sur le marché ;
Sur la contribution au progrès économique et la compétitivité internationale des entreprises en cause :
Considérant que l'article 41 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dispose : "Le Conseil de la concurrence apprécie si le projet de concentration ou la concentration apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Le conseil tient compte de la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale" ;
Considérant que la CLT fait valoir que le contrôle de Fun Radio et de M 40 doit lui permettre de compenser l'affaiblissement des recettes publicitaires des radios généralistes ; qu'elle invoque également les créations d'emploi, les économies d'échelle en matière de dépenses de promotion, la poursuite d'activité de la station M 40 et le développement sur des marchés étrangers de son savoir faire acquis en matière radiophonique qui devraient résulter de ces opérations ;
Considérant, en premier lieu, que le fait, pour une entreprise de vouloir, par une opération de concentration, améliorer ses positions sur un marché ne constitue pas en lui-même un progrès pour la collectivité;
Considérant, en second lieu, que s'il est allégué que les opérations en cause permettraient de créer des emplois, notamment dans les stations musicales du groupe CLT, il n'est démontré ni que ce développement ne se ferait pas au détriment de l'emploi dans les stations concurrentes ni qu'il n'aurait pu être obtenu sans ces opérations ;
Considérant, en troisième lieu, que la CLT, laquelle est déjà largement implantée à l'extérieur du territoire national, n'établit pas que les acquisitions des stations Fun Radio et M 40 seraient indispensables à la réalisation des objectifs qu'elle s'est fixés sur les marchés étrangers ;
Considérant, en quatrième lieu, à supposer que les économies d'échelle réalisées en matière de dépenses de promotion, la réduction des dépenses de fonctionnement et enfin la poursuite de l'activité de la station M 40 puissent constituer une contribution au progrès économique au sens des dispositions ci-dessus rappelées, la CLT n'a apporté, dans ses observations, aucun élément à l'appui de ses affirmations ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de contributions au progrès économique au sens des dispositions de l'article 41 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, suffisantes pour compenser les atteintes à la concurrence qu'impliqueraient les opérations de concentration examinées, il y a lieu de subordonner ces dernières à des conditions de nature à rétablir le jeu de la concurrence sur le marché de l'espace publicitaire radiophonique ;
Est d'avis : Qu'il y a lieu, au regard des critères fixés à l'article 41 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 de subordonner les opérations de concentration examinées à la condition que la CLT ainsi que ses filiales SERC et Sodera refusent de donner leur accord à la mise en œuvre par leurs régies publicitaires d'une remise forfaitaire de couplage pour les achats d'espaces publicitaires sur les supports Fun Radio et M 40 dès lors que cette remise s'appliquerait également aux achats d'espaces publicitaires sur RTL.
ANNEXE A
EMPLACEMENT TABLEAU
ANNEXE B
Source : Médiamétrie (janvier à mars 1994). Les "divers" reprennent pour partie les radios locales. L'indicateur ici retenu est la part de volume d'écoute.
EMPLACEMENT TABLEAU