Ministre de l’Économie, 29 mars 1995, n° ECOC9510077A
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Arrêté
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Le ministre de l'économie et le ministre de l'agriculture et de la pêche,
Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, et notamment ses articles 38, 40 et 42 ; Vu le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 fixant les conditions d'application de l'ordonnance précitée, notamment son article 30 ; Vu la notification en date du 30 septembre 1994 faite par la société Paul Paulet relative à l'acquisition par cette société du capital du Consortium financier de bois tropicaux SA et de la société Océanique de pêche et d'armement SA ; Vu les lettres de saisine du Conseil de la concurrence du 16 novembre 1993 et du 27 juillet 1994 ; Vu l'avis du Conseil de la concurrence du 7 février 1995 ; Vu les observations de la Compagnie Optorg en date du 28 mars 1995 et de la société Paul Paulet en date du 29 mars 1995 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "La concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises, une influence déterminante" ;
Considérant que les opérations analysées consistent, d'une part, en l'acquisition par la Compagnie Optorg, filiale de l'ONA, de 58,44 p. 100 du capital de la société Pêche et Froid, et, d'autre part, en l'acquisition par la société Paul Paulet, filiale de la société Heinz, de 100 p. 100 du capital du Consortium financier des bois tropicaux (Cofibois) et de la société Océanique de pêche et d'armement (SOPAR) ; que ces opérations, en tant qu'elles emportent transfert de propriété en tout ou partie, constituent des concentrations au sens de l'article 39 de l'ordonnance précitée ;
Considérant que ces deux opérations concernent une même filière ; qu'il y a donc lieu de les examiner conjointement ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qu'une opération de concentration ne peut être soumise à l'avis du Conseil de la concurrence que "lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs" ;
Considérant que l'activité économique liée aux produits de la pêche maritime appertisés constitue une filière qui comporte les activités de la pêche maritime, celles du transport frigorifique des produits des captures et l'appertisation et la commercialisation de ces produits ;
Considérant qu'en ce qui concerne la pêche il existe autant de marchés que d'espèces de poisson dont un marché du thon tropical destiné à appertisation ;
Considérant que la SOVETCO commercialise la totalité du produit de la pêche des thoniers senneurs gérés par la COBRECAF, que la SOVETCO utilise, quasi exclusivement, pour transporter les thons congelés vers les usines d'appertisation les cargos frigorifiques dont la gestion est assurée par la COBRECAF ; qu'en matière de transport frigorifique les offres d'autres sociétés présentent des caractéristiques techniques, notamment en ce qui concerne la réfrigération, et économiques liées à la négociation ponctuelle de chaque prestation de transport, qui ne les rendent pas substituables à celles de la COBRECAF ; qu'il existe, en conséquence, un marché du transport du thon tropical congelé par les bateaux frigorifiques gérés par la COBRECAF ;
Considérant qu'en acquérant les sociétés SOPAR et Cofibois la société Heinz, par l'intermédiaire de ses filiales, a pris le contrôle de 52 p. 100 du capital de la COBRECAF ; qu'ainsi elle est à même de contrôler la totalité du marché du transport du thon congelé destiné à appertisation assuré par les cargos frigorifiques de la société COBRECAF ; que sur ce marché le seuil en valeur relative fixé à l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est atteint ;
Considérant qu'en ce qui concerne les conserves de poisson il existe autant de marchés que de produits de la pêche maritime ; qu'en ce qui concerne le thon il y a lieu de distinguer, eu égard aux différences de prix constatées, entre les conserves de thon tropical et celles de thon blanc ; que ces deux espèces correspondent donc à deux marchés différents ;
Considérant qu'à la suite de la prise de contrôle de la société Pêche et Froid par la Compagnie Optorg la part de cette société sera de 40 p. 100 sur le marché national de la conserve de thon tropical; que dès lors, sur ce marché, le seuil en valeur relative fixé à l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est atteint ;
Considérant que les sociétés ONA et Heinz, en acquérant respectivement les sociétés Pêche et Froid, SOPAR et Cofibois, ont modifié l'équilibre interne qui prévalait au sein de la COBRECAF, grâce auquel aucun conserveur ou armateur ne pouvait utiliser à son avantage et au détriment de ses concurrents la position dominante de cette société sur le marché du transport par cargos frigorifiques ;
Considérant que le contrôle de la société COBRECAF permet de garantir l'approvisionnement des usines en thon congelé ; qu'en effet, la pêche au thon tropical est soumise à de forts aléas et qu'il n'est pas techniquement possible de stocker ces produits sur une longue période ; que la société qui dispose du contrôle de la flotte de cinq cargos frigorifiques permettant d'assurer la livraison du poisson congelé peut organiser en fonction des besoins d'approvisionnement de ses propres conserveries les rotations de ces cargos ; qu'elle peut donc privilégier ses propres conserveries et contraindre ses concurrents à acheter du thon sur le marché mondial à des conditions moins favorables que celles fournies par la COBRECAF ;
Considérant, en outre, que s'il existe dans le monde d'autres cargos frigorifiques, la plupart d'entre eux ne sont pas utilisés pour le transport du thon congelé en vrac qui présente des contraintes particulières liées, d'une part, à la nécessité d'une désodorisation, ce qui le différencie du transport des autres denrées alimentaires congelées, qu'il s'agisse de viande congelée ou de poissons de taille plus réduite qui sont triés et préemballés et, d'autre part, de contraintes techniques, résultant de la nécessité d'un transbordement de bateau à bateau alors que ces chargements s'opèrent sur des produits à basse température dans des pays situés sous les tropiques et que les remontées de température doivent être limitées, pour des raisons sanitaires ;
Considérant par ailleurs que les cargos frigorifiques utilisés pour le transport du thon congelé sont généralement contrôlés par des armements thoniers ; que c'est le cas par exemple d'armements espagnols ; que l'éloignement des lieux de pêche des lieux de transformation ou de consommation a favorisé le développement de flottilles de bateaux frigorifiques appartenant aux armements thoniers ; qu'elles sont donc indisponibles pour les autres thoniers sauf de façon ponctuelle ; qu'en conséquence, il n'existe pas pour le transport du thon destiné aux conserveries françaises de solution alternative au transport par les bateaux de la COBRECAF ;
Considérant que le contrôle des cargos frigoriques de la COBRECAF par une entreprise intégrée verticalement peut avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence entre conserveurs ;
Considérant que l'ONA fait valoir que la prise de contrôle de la société Pêche et Froid doit lui permettre de lutter contre les importations de conserves en provenance des pays d'Asie du Sud-Est et de créer des synergies financières et commerciales avec des usines africaines ; que pour sa part la société Heinz soutient que l'opération devrait avoir des répercussions sur l'emploi dans les conserveries bretonnes ;
Mais considérant, en premier lieu, que les possibilités d'importations en provenance d'Asie du Sud-Est de conserves de thon tropical sont limitées, en raison d'un contingentement en vigueur jusqu'au 31 décembre 1996 ; que la société Pêche et Froid, avant l'opération de concentration, fournissait déjà les grandes surfaces, avec des produits substituables à ceux en provenance d'Asie du Sud-Est, en ayant recours à des "marques de distributeur" ou à des marques "premier prix" ; que le rachat du bloc de contrôle de la société Pêche et Froid n'était donc pas indispensable à la mise en place d'une telle politique de prix ; qu'en outre, si l'ONA invoque la création de synergies financières et commerciales avec des entreprises africaines, elle n'établit pas en quoi celles-ci seraient nouvelles ou renforcées, alors même que, selon ses observations, certaines synergies existaient préalablement aux opérations de concentration examinées ; qu'il n'est pas établi, par ailleurs, que d'autres sociétés, ne disposant pas de position similaire sur les marchés concernés, n'auraient pas été à même d'apporter des contributions comparables ;
Considérant, en second lieu, que si la prise de contrôle par Heinz des sociétés SOPAR et Cofibois devait développer la productivité des entreprises et ainsi permettre la création d'emplois, notamment dans la société Paul Paulet du groupe Heinz, il n'est démontré ni que ce développement de l'emploi ne se ferait pas au détriment de l'emploi dans les conserveries concurrentes sur le sol français ni que l'amélioration de la productivité alléguée n'aurait pu être obtenue sans cette opération ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que tant l'acquisition du bloc de contrôle de la société Pêche et Froid par la Compagnie Optorg, que l'acquisition du capital du Consortium financier des bois tropicaux et de la Société océanique de pêche et d'armement du groupe Le Flanchec par la société Paul Paulet ont entraîné une modification de la répartition du capital social de la COBRECAF, ainsi que de celle des droits de vote dans la société SOVETCO ; que les effets de cette modification, en entraînant une prise de contrôle de la flotte de cargos frigorifiques détenue par la COBRECAF comporte des risques d'atteinte à la concurrence entre les conserveurs sur les marchés concernés, sans que ces risques soient compensés par une contribution au progrès économique suffisante, au sens des dispositions de l'article 41 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant dès lors qu'il y a lieu de prescrire l'adoption de mesures propres à préserver les conditions d'une concurrence suffisante;
Considérant que pour atteindre cet objectif il convient que ni la société ONA ni la société Heinz ne détiennent chacune directement ou indirectement une participation supérieure à celle dont disposait la société Heinz, par l'intermédiaire de sa filiale Star-Kist, préalablement aux opérations en cause, soit 36 p. 100 du capital de la COBRECAF; qu'un montant inférieur au pourcentage détenu par le groupe Heinz avant les opérations aurait le caractère d'une sanction à l'égard de ce groupe;
Considérant que la Compagnie financière de participation maritime (CFPM), société détenue à parts égales par la société Pêche et Froid et par l'ensemble constitué des sociétés SOPAR et Cofibois, détenait 64 p. 100 du capital de la société COBRECAF ; qu'elle a été dissoute par jugement du tribunal de Quimper, confirmé en appel ; qu'il convient de tenir compte des conséquences de cette dissolution dans les mesures prises pour le rétablissement de la concurrence ;
Considérant que les lettres d'engagement de la société Optorg, d'une part, de la société Paul Paulet, d'autre part, en date du 28 mars 1995, correspondent aux objectifs précédemment définis,
Arrêtent :
Art. 1er. -Les concentrations résultant, d'une part, de l'acquisition du bloc de contrôle du capital de la société Pêche et Froid par la Compagnie Optorg, filiale de l'ONA, et, d'autre part, du capital du Consortium financier des bois tropicaux SA et de la Société océanique de pêche et d'armement SA par la société Paul Paulet, filiale de la société Heinz, sont autorisées sous réserve qu'elles n'aboutissent pas, d'une manière directe ou indirecte, notamment à la suite de la liquidation de la CFPM, à ce que l'ONA ou la société Heinz détiennent individuellement, directement ou indirectement, plus de 36 p. 100 du capital de la COBRECAF dans les conditions et suivant les modalités prévues par les lettres d'engagement du 28 mars 1995 susvisées.
Art. 2. - Les sociétés Optorg et Paul Paulet rendront compte au ministre chargé de l'économie, au terme du délai prévu par les lettres précitées, des mesures prises pour se conformer à leur engagement.