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Décisions

Conseil Conc., 17 mai 1994, n° 94-A-18

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Jean-Claude Facchin, par M. Barbeau, président, MM. Cortesse, Jenny, vice-présidents, , MM. Blaise, Robin, Rocca, Sloan, Thiolon, membres.

Conseil Conc. n° 94-A-18

17 mai 1994

Le Conseil de la concurrence (section III),

Vu la lettre enregistrée le 28 décembre 1993 sous le numéro A 129 par laquelle le ministre de l'économie a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, d'une demande d'avis relative au projet de création d'une filiale commune par les sociétés Metaleurop et Heubach & Lindgens et sur ses effets au regard de la concurrence et du progrès économique ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence, et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la société Metaleurop et le commissaire du Gouvernement ;Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Metaleurop et Heubach & Lindgens entendus, Adopte l'avis fondé sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - L'opération envisagée

Aux termes d'un projet d'accord du 10 décembre 1993, tel qu'il a été notifié au ministre, les groupes Metaleurop et Heubach & Lindgens envisagent de mettre en commun leurs activités de production et de commercialisation d'oxydes de plomb.

Les deux groupes constitueront une filiale commune de droit français, la société anonyme à directoire et conseil de surveillance dont la raison sociale prévue est Euroxyde. Chacun détiendra la moitié du capital de 10 millions de francs. Le mandat des membres du directoire et du conseil de surveillance sera de deux ans. Le premier président du directoire, qui compte deux membres, sera un représentant de Metaleurop, tandis qu'un représentant de Heubach & Lindgens présidera le conseil de surveillance, qui compte six membres.

Euroxyde procédera aux acquisitions nécessaires pour lui assurer la direction effective des activités de fabrication et de commercialisation d'oxydes de plomb des deux groupes. Elle achètera ainsi à Metaleurop le fonds de commerce de l'usine de Rieux, ainsi que tout ou partie du capital de ses filiales concernées par l'opération : 100 p. 100 du capital de Coplosa, 95 p. 100 de celui de Metalindustrie et 34 p. 100 de celui de PbO (dans un second temps, elle portera à 100 p. 100 sa participation dans cette dernière société). Par ailleurs, elle achètera à Heubach & Lindgens le fonds de commerce de l'usine de Cologne et 100 p. 100 du capital de la société Heubach & Lindgens Engineering. Enfin, elle louera le terrain, les bâtiments et les installations industrielles des sites de Rieux et de Cologne respectivement à Metaleurop ou une de ses filiales et à Heubach & Lindgens.

B. - Les entreprises parties à l'opération

1. Le groupe Metaleurop

Puissant groupe européen de métallurgie du plomb, du zinc et de métaux spéciaux, dont notamment le cadmium et l'indium, le groupe Metaleurop possède des installations industrielles (mines, fonderies de première et de deuxième fusion, fabrication d'oxydes de plomb et de zinc, galvanisation, etc.) en Allemagne, en France, en Espagne et en Italie. La société mère Metaleurop SA, dont 50,89 p. 100 du capital et 65,38 p. 100 des voix sont détenus par l'entreprise allemande Preussag AG, possède trente-quatre filiales dans le périmètre de consolidation : dix-huit en Allemagne, sept en France, trois en Italie, deux en Espagne, deux en Belgique, une aux Pays-Bas et une au Maroc. Elle possède en outre (à 100 p. 100) la société en nom collectif Metalindustrie (services d'ingénierie).

Au cours de l'exercice 1991-1992, le groupe a produit 395 000 tonnes de plomb, 239 000 tonnes de zinc, 385 tonnes d'argent et 250 tonnes de cadmium, et réalisé un chiffre d'affaires de 4 520 millions de francs (contre 4 790 millions de francs au cours de l'exercice précédent), et une perte nette de 167 millions de francs (contre 597 millions de francs au cours de l'exercice précédent), avec un effectif de 4 590 personnes.

La société anonyme à directoire et conseil de surveillance Metaleurop, dont le siège social est à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), a un capital social de 748 469 950 francs. S'agissant plus particulièrement des oxydes de plomb, elle exploite directement une unité de fabrication à Rieux et détient des participations dans des sociétés italienne et espagnole : 34 p. 100 de la société à responsabilité PbO qui exploite l'usine de La Spezia et 100 p. 100 de la société anonyme Coplosa qui exploite celle de Barcelone. Au total, elle a produit 66 500 tonnes d'oxydes de plomb au cours du dernier exercice : 32 500 tonnes dans l'usine de Rieux, 12 500 tonnes dans l'usine de Barcelone et 21 500 tonnes dans l'usine de La Spezia. Pour ce même exercice, elle a réalisé un chiffre d'affaires de 1 948,76 millions de francs dont 732 millions à l'exportation, pour une perte d'exploitation de 172,63 millions et une perte nette de 269,85 millions.

2. Le groupe Heubach & Lindgens

Le groupe allemand Heubach & Lindgens exerce le principal de ses activités dans les oxydes de plomb et de zinc, les stabilisants et les pigments pour la fabrication de la peinture.

La société en commandite simple de droit allemand, Heubach & Lindgens GmbH & Co KG, dont les porteurs de parts sont Dr. Hans Heubach GmbH & Co. KG (60 p. 100) et Lindgens & Söhne GmbH & Co. (40 p. 100), a son siège social situé à Langelsheim. Sa filiale à 100 p. 100 Heubach & Lindgens Engineering GmbH se verrait confier l'exploitation du fonds de commerce de l'usine de fabrication d'oxydes de plomb de Cologne.

Au cours de l'exercice 1992, Heubach & Lindgens a produit 20 000 tonnes d'oxydes de zinc et réalisé un chiffre d'affaires global de 208,58 millions de francs pour un résultat net de 7,20 millions.

C. - Le marché concerné

Les produits concernés par l'opération de concentration examinée sont la litharge, la litharge à haute teneur en plomb employée pour les batteries, le minium, la litharge granulée et le plombate de calcium.

La demande émane des fabricants de batteries pour le démarrage des moteurs et le stockage d'énergie, de céramique, d'additifs pour matières plastiques (notamment de stabilisants pour PVC), de verre industriel (notamment de tubes cathodiques), de cristal, de pigments de peinture et de peintures anti-corrosion.

En 1992, la consommation d'oxydes de plomb en Europe et en France se répartissait comme suit :

EMPLACEMENT TABLEAU

Deux catégories d'industriels fabriquent les oxydes de plomb : les premiers les produisent uniquement pour les commercialiser ; les seconds les produisent pour leur propre compte, pour les intégrer dans leurs fabrications aval, et ils vendent leurs excédents à d'autres utilisateurs. Parmi cette seconde catégorie, les plus importants sont les fabricants de batteries et d'additifs pour matières plastiques. A l'inverse, les fabricants de verres industriels ne produisent pas d'oxydes de plomb et font donc exclusivement appel aux producteurs de la première catégorie.

Ainsi, sur les 580 000 tonnes d'oxydes de plomb consommées en 1992 dans la Communauté européenne, 425 000 tonnes, soit 73,3 p. 100, ont été produites par des industriels qui les ont intégrées à leurs propres fabrications. Sur les 155 000 tonnes commercialisées, 33 000 tonnes (soit 21,3 p. 100) étaient des surplus de ces industriels qui les ont donc vendues, et 122 000 tonnes provenaient de producteurs d'oxydes de plomb stricto sensu. En France, sur les 100 000 tonnes environ consommées, 75 000 ont été produites par des industriels qui les ont intégrées à leurs propres fabrications.

Sur le plan technique, il existe deux procédés de fabrication des oxydes primaires de plomb : l'un emploie des réacteurs, l'autre des broyeurs (ou "moulins"). Il existerait dans le monde environ 700 réacteurs installés, contre 250 à 300 broyeurs (Chaque fabricant de batteries, notamment, utilise sa propre formule, son propre mélange d'oxydes primaires de plomb, depuis les oxydes uniquement thermiques jusqu'aux oxydes uniquement broyés, en passant par toutes sortes de mélanges). Enfin, les chaînes de fabrication sont différentes selon le type d'oxyde final à produire, les unes à base de réacteur ou de four tournant "à minium", les autres à base de réacteurs ou de four tournant "à Litharge".

Les principaux producteurs d'oxydes de plomb dans le monde sont les sociétés concernées dans la concentration examinée (Heubach & Lindgens et Metaleurop), ainsi que Ohrdruf (Allemagne), Sardoz (Italie), Chemson (Autriche), Hammond Lead (Etats-Unis), Pyosa & Pipsa (Mexique), Dansuk Industriel (Corée), Nobel Industry (Corée), Thai Plastic Chemical (Thaïlande), Fuh Shan Chemical (Taïwan), Mitsui (Japon), Dai Hipont Paint (Japon), et quelques autres situés en Chine, en Bulgarie et en Roumanie.

En Europe, les seuls offreurs sont Heubach & Lindgens et Metaleurop et, marginalement, Ohrdruf, Sardoz, Chemson, Hammond Lead et un producteur roumain. En France, à part Heubach & Lindgens et Metaleurop, seuls réalisent des ventes significatives Ohrdruf (550 tonnes) et les producteurs intégrés Harcross (Pays-Bas : 200 tonnes) et Varia (Allemagne : 1 200 tonnes).

Selon les chiffres fournis dans la notification au ministre, la part de marché en France de la société Metaleurop serait passée de 97 à 81 p. 100 de 1982 à 1992 et, au cours de cette même année 1992, les ventes en France d'oxydes de plomb des sociétés Metaleurop et Heubach & Lindgens, et leurs parts de marché, auraient été les suivantes :

EMPLACEMENT TABLEAU

Les parts de marchés concernées par l'opération examinée étaient donc, en 1992 : 81,4 p. 100 pour Metaleurop et 9,7 p. 100 pour Heubach & Lindgens.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL

Sur la nature de l'opération :

Considérant qu'aux termes de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "La concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises, une influence déterminante" ;

Considérant que la constitution d'Euroxyde implique que les deux sociétés mères, Metaleurop et Heubach & Lindgens, abandonnent une partie de leurs biens, droits et obligations, au profit de la nouvelle société, dont elles seront copropriétaires et qu'elles dirigeront paritairement, comme il est prévu au protocole d'accord ; que ce dernier indique en effet que les décisions touchant à la gestion quotidienne seront prises par le directoire, le cas échéant avec l'approbation du conseil de surveillance, à la majorité simple (article 9-1), seules les décisions touchant à la substance même de l'entreprise requérant un vote qualifié (article 9-2), et qu'Euroxyde sera dirigée comme une entité indépendante, qu'elle constituera un centre de profit séparé, et qu'elle n'accordera de préférence à ses porteurs de parts que dans le cadre de l'"arm's length principle" (article 11) ;

Considérant qu'Euroxyde reprendra toutes les activités industrielles, commerciales et financières relatives aux oxydes de plomb des deux sociétés mères, lesquelles s'interdiront en outre toute activité entrant directement ou indirectement dans le domaine d'activité d'Euroxyde (article 14 du protocole d'accord) ;

Considérant qu'à l'issue de l'opération, les substances produites par Metaleurop et Heubach & Lindgens et techniquement substituables aux oxydes de plomb commercialisés par leur filiale commune seront, d'une part, le cadmium produit par Metaleurop et qui peut être utilisé pour la fabrication de batteries et, d'autre part, les oxydes et poudres de zinc produits par Heubach & Lindgens qui peuvent entrer dans la fabrication de peintures anticorrosion, de stabilisants pour PVC et de frittes pour céramiques ;

Considérant cependant que les usages susmentionnés des composés du plomb, du cadmium et du zinc ne représentent qu'une part minime des débouchés totaux de ces substances et une part faible de la production des entreprises concernées ; que les sociétés Metaleurop et Heubach & Lindgens n'assurent que moins de 20 p. 100 de l'offre de cadmium et d'oxydes et poudres de zinc sur le territoire national ; que l'utilisation effective des substances techniquement substituables aux oxydes de plomb dans les usages susmentionnés résulte principalement des choix et des contraintes technologiques des entreprises clientes et ne dépend que marginalement des prix relatifs de ces matières ;

Considérant dès lors qu'à supposer même que les composés de cadmium et de zinc soient, pour des usages extrêmement limités, économiquement substituables aux oxydes de plomb, ce qui n'est pas établi en l'espèce, la structure de l'offre ne serait pas de nature à inciter ou à permettre à l'une ou l'autre des sociétés mères de coordonner leurs comportements avec Euroxyde ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur les seuils et le marché de référence :

Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence ne peut examiner une opération de concentration que "lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs" ;

Considérant que les oxydes de plomb produits par une entreprise pour les intégrer à ses propres fabrications ne sont pas offerts à la vente, et ne peuvent donc être regardées comme présents sur le marché ;

Considérant que le cadmium, les oxydes et poudres de zinc, les dérivés du zirconium et de l'indium ne constituent pas des substituts suffisamment proches des oxydes de plomb pour pouvoir être considérés comme appartenant au même marché ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le marché à prendre en compte pour l'examen de l'opération de concentration examinée est celui des oxydes de plomb ; que les entreprises concernées ont réalisé ensemble largement plus du quart des ventes sur ce marché (91,1 p. 100) ; que, par suite, le Conseil de la concurrence peut examiner, sur le fondement des dispositions précitées de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'opération dont il est saisi ;

Sur les conséquences de l'opération en matière de concurrence :

Considérant qu'au terme de l'opération soumise à examen, le nombre d'offreurs indépendants sera diminué d'une unité ; que toute concurrence qu'était susceptible de faire Heubach & Lindgens à la société Metaleurop sera supprimée ; que si, réalisant plus de 90 p. 100 des ventes et n'étant plus confrontée qu'à quelques concurrents peu significatifs, l'entreprise commune pourrait sembler en mesure de déterminer souverainement sa politique commerciale, notamment en matière de prix, tel ne sera toutefois pas le cas en raison de l'existence de producteurs intégrés, de la structure de la demande et de l'apparition de produits de remplacement ;

Pour ce qui concerne les producteurs intégrés :

Considérant que lorsque les utilisateurs d'oxydes de plomb qui fabriquent ces derniers pour leurs propres besoins mettent leurs excédents sur le marché, ils accroissent l'offre et deviennent concurrents des autres producteurs ; que, selon la notification au ministre, ils ont intérêt à produire eux-mêmes leurs oxydes de plomb dès lors qu'ils peuvent consommer quelques milliers de tonnes par an (ce qui est le cas des fabricants de batteries les plus importants qui ne s'approvisionnent sur le marché que lorsque leurs propres chaînes de fabrication ne suffisent pas à satisfaire les pics de la demande), et ils en ont la possibilité en acquérant les matériels et le savoir-faire auprès d'entreprises spécialisées ; que, parmi celles-ci, les filiales Metalindustrie et H & L Engineering des groupes Metaleurop et Heubach & Lindgens ont jusqu'à ce jour vendu clé en main l'une quarante et un réacteurs, et l'autre vingt réacteurs ou broyeurs ; que ces appareils sont totalement automatiques, d'un réglage aisé, d'entretien réduit, et acceptent les plombs métal de toute origine ; que d'autres entreprises vendent des appareils comparables, comme Linklater (USA), Sovema (Italie), Chloride (Royaume-Uni), Hammond Lead (USA), Penoles (Mexique), Ballox et Shimadzu ;

Considérant au contraire que les quantités d'oxydes de plomb traitées par les fabricants de batteries les moins importants sont trop faibles pour justifier l'investissement dans des chaînes à base de réacteur ou de broyeur ; qu'outre le coût non négligeable de l'investissement correspondant, la fabrication d'oxydes de plomb présente de sérieux risques de pollution ; qu'ainsi les seuls utilisateurs d'oxydes de plomb qui fabriquent eux-mêmes ces derniers sont, soit les principaux fabricants de batteries, soit les industriels de la chimie, accoutumés à gérer les risques de pollution inhérents à ces activités ;

Considérant qu'en 1992, 21,3 p. 100 des oxydes de plomb commercialisés dans la Communauté européenne provenaient de tels producteurs intégrés ; que, comme le soutient la société Metaleurop, ces derniers auraient la faculté de vendre leurs excédents sur le marché français, comme l'ont fait deux d'entre eux, et que trois clients de Metaleurop et de Heubach & Lindgens auraient engagé des négociations avec ces offreurs potentiels ; que tout offreur peut vendre ses produits à tout demandeur, sans qu'il soit besoin d'avoir recours à aucun intermédiaire ou aucun circuit de distribution ; que les frais de transport des oxydes de plomb ne représentent que de 3 à 13 p. 100 du prix de vente ;

Considérant que les producteurs intégrés ne mettront leurs excédents sur le marché que s' ils peuvent encore pratiquer des prix de vente inférieurs ou égaux à ceux du concurrent principal ; que du reste, pour l'essentiel, ils écoulent à l'heure actuelle leurs excédents sur leur marché national ; que s'ils décidaient néanmoins d'accroître leur production et de vendre leurs excédents sur le marché français, ils accroîtraient l'offre d'autant, et seraient donc en mesure de peser à la baisse sur le prix de transaction des oxydes de plomb, contrariant ainsi la tentation que pourrait avoir Euroxyde d'abuser de sa position par une dérive haussière des prix ; qu'à l'inverse, si Euroxyde cédait à cette tentation, son prix de vente, qui constitue la référence sur le marché, pourrait se révéler supérieur aux coûts moyen et marginal des producteurs intégrés et inciter ceux- ci, à la perspective de réaliser les profits correspondants, à entrer sur le marché ;

Pour ce qui concerne la structure de la demande :

Considérant que les ventes de Metaleurop et de Heubach & Lindgens en 1992 à leurs quinze principaux clients dans la Communauté européenne représentaient 55 p. 100 environ de leurs ventes totales ; qu'au terme de la concentration, cinq clients représenteront le tiers des ventes totales ; que, pour ce qui concerne le seul marché français, 78 p. 100 des ventes de la société Metaleurop en 1992 ont été réalisées avec ses cinq premiers clients et 95 p. 100 avec ses quinze premiers clients ;

Considérant que la concentration de la demande constitue un facteur de modération des hausses de prix éventuelles de la part d'un offreur, fût-il en position de quasi-monopole, bien que la part des oxydes de plomb dans le prix de revient des produits finis soit très faible ;

Pour ce qui concerne les produits de remplacement :

Considérant que doit être pris en compte le fait que, en raison de la nocivité du plomb et de ses oxydes sur la santé, ainsi que de la mise au point de nouvelles technologies, apparaissent ou se développent des produits finis ne faisant plus appel aux oxydes de plomb et susceptibles de remplacer, à terme, certains de ceux qui en contiennent actuellement ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en conférant un quasi-monopole à la filiale commune, et malgré l'effet modérateur de la concentration de la demande, de la possibilité qu'interviennent de nouveaux offreurs et de l'apparition de produits de remplacement, l'opération notifiée reste susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché des oxydes de plomb ;

Sur les contributions de l'opération au progrès économique :

Considérant que l'opération examinée est présentée, par les deux parties concernées, comme une restructuration du secteur à l'échelon européen pour tenter de résister au déclin structurel de l'usage des oxydes de plomb déclenché, notamment, par des préoccupations écologiques ; que, de ce point de vue, "l'opération projetée (serait) absolument nécessaire pour permettre le sauvetage de l'industrie, déjà en grand péril" ; qu'elles ajoutent que cette opération permettrait d'accroître la compétitivité des deux partenaires, grâce notamment aux économies d'échelle réalisées et aux synergies dégagées ;

Considérant qu'elles évoquent, en premier lieu, la restructuration projetée des lignes de production des quatre sites industriels concernés qui, le taux d'utilisation des capacités productives n'étant à l'heure actuelle que de 56 p. 100 au plus, permettrait une augmentation sensible de la production sans investissement supplémentaire ; que les technologies de fabrication employées dans les différents sites de production étant différentes, et de performances inégales, le transfert de productions d'un site vers l'autre permettrait à Euroxyde de se concentrer sur les lignes les plus performantes, de saturer leur capacité de production et d'offrir à leurs clients des produits de meilleure qualité ; qu'entre autres résultats, cette réorganisation entraînerait la fermeture des lignes de production les moins rentables ; que les coûts de production seraient diminués de 10 p. 100 environ, ce qui permettrait de rendre les prix de vente plus compétitifs ;

Considérant qu'elles ajoutent, en deuxième lieu, que la réorganisation des sites entraînerait l'abandon des techniques les plus polluantes, et leur remplacement par les techniques "propres" déjà mises au point ; que ce transfert de technologie permettrait aussi "de réduire de façon significative les dépenses liées au contrôle et à la réduction des émissions de plomb dans l'air et dans l'eau", alors que ces "dépenses antipollution sont actuellement de l'ordre de 2 millions de francs par an à Rieux et de 3,5 millions de francs à Cologne" ;

Considérant qu'elles affirment, en dernier lieu, que, grâce à la mise en commun des technologies les plus performantes, la nouvelle société Euroxyde pourrait abandonner certaines des études de recherche et développement concurrentes actuellement menées par les deux groupes, ce qui représenterait un gain de plus de 47 p. 100, et consacrer un budget d'autant plus important à de nouvelles études, actuellement arrêtées ou ralenties, de telle sorte que l'effort de recherche serait maintenu à son niveau de 5 p. 100 des coûts totaux ;

Considérant que la prise en compte croissante de la toxicité des composés plombifères peut expliquer, au moins en partie, la phase de déclin où est entrée la consommation d'oxydes de plomb ; que, dans ce cadre,l'opération envisagée pourra permettre la rationalisation de la production, la réorganisation des sites ainsi que l'abandon de technologies polluantes et leur remplacement par des technologies "fermées"; que le développement du progrès économique peut s'entendre également d'une contribution à la lutte contre la pollution de l'environnement;

Sur la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale :

Considérant que, selon les parties à l'opération notifiée, le marché national des oxydes de plomb ne serait en fait qu'une sous-partie du véritable marché, qui est mondial ; que l'absence de réglementation communautaire à l'entrée des oxydes de plomb et la faiblesse des droits de douane (3,5 p. 100) permettraient aux demandeurs de se reporter facilement sur les producteurs de l'Europe de l'est ou des continents américain ou asiatique ; que Metaleurop aurait perdu plusieurs clients au cours de la dernière période en raison de prix supérieurs à ceux de ses concurrents sur le marché mondial ; que la réduction de 10 p. 100 des coûts attendue de la concentration envisagée permettrait à Euroxyde d'aligner ses prix de vente sur ceux de la concurrence internationale, notamment asiatique, et donc d'une part, de regagner sa clientèle européenne passée à la concurrence, et, d'autre part de développer ses ventes à l'exportation ; que l'amélioration de la qualité des produits (litharge granulée notamment) attendue des transferts de production entre Metaleurop et Heubach & Lindgens dans le cadre de la concentration permettrait de regagner la clientèle des cristalliers qui ont choisi de s'approvisionner auprès des Pays-Bas ; que les efforts de recherche et développement qu'Euroxyde pourra concentrer sur quelques projets importants seraient de nature à favoriser les ventes aux Etats-Unis, malgré les normes toxicologiques qui s'y imposent ;

Considérant que les ventes dans la Communauté européenne en 1992 d'oxydes de plomb des sociétés Metaleurop et Heubach & Lindgens auraient été de 52 800 et 55 100 tonnes, et leurs parts de marché de 33,4 p. 100 et 34,9 p. 100 ; qu'au terme de l'opération, les ventes des deux sociétés regroupées dans Euroxyde s'élèveraient à 108 000 tonnes, soit une part de marché de 68,4 p. 100 lui conférant la première place, les dix autres offreurs, communautaires et mondiaux, se partageant en effet les 31,6 p. 100 restants, soit environ 50 000 tonnes ;

Considérant que les importations dans la Communauté européenne et en France sont négligeables ; qu'à part celles de Heubach & Lindgens et de Metaleurop, les ventes en France en 1992 ont été réalisées par Ohrdruf (550 tonnes), Harcross (200 tonnes) et Varta (1 200 tonnes) ; que les exportations de Metaleurop et Heubach & Lindgens s'élevaient respectivement à 29,5 et 32,5 p. 100 de leur production, dont 20 et 14 p. 100 hors de la Communauté européenne ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, si elle est limitée, la contribution de l'opération au progrès économique et à la compétitivité internationale est suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence que cette opération est susceptible d'entraîner,

Est d'avis :

Qu'il n'y a lieu, sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ni de faire opposition au projet de création d'une filiale commune des sociétés Metaleurop et Heubach & Lindgens, ni de subordonner cette opération à des conditions particulières.