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Décisions

Conseil Conc., 11 juillet 1995, n° 95-A-13

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport de Mlle Valérie Michel, M. Jean-René Bourhis par MM. Barbeau, président, Cortesse, Jenny, vice-présidents, Blaise, Rocca, Thiolon, membres.

Conseil Conc. n° 95-A-13

11 juillet 1995

Le Conseil de la concurrence (section III),

Vu la lettre enregistrée le 7 avril 1995 sous le numéro A 164, par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence d'une demande d'avis relative au projet de filialisation de l'activité ferroviaire de De Dietrich et la prise de participation de GEC Alsthom aux côtés d'un groupe d'investisseurs dans le capital de la société créée à cet effet ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment son titre V, et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu la directive 93-38 du Conseil des Communautés européennes du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications ; Vu la loi n° 92-1282 du 11 décembre 1992, modifiée, relative aux procédures de passation de certains contrats dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications ; Vu les observations présentées par les sociétés GEC Alsthom, De Dietrich, Ferromeca et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés GEC Alsthom, De Dietrich et Mécafinance entendus, Adopte l'avis fondé sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

1. L'opération envisagée

Par une lettre d'intention en date du 8 février 1995, M. Claude Darmon, président-directeur général de la société GEC Alsthom Transport a, au nom des trois sociétés De Dietrich, Anarip (ci-après Ferromeca, dénomination que prendra Anirip lors de la réalisation de l'opération) et GEC Alsthom SA, notifié au ministre de l'économie leur projet commun de concentration portant sur la Division de matériel roulant de la société De Dietrich.

Cette opération se réaliserait au moyen du mécanisme suivant :

- constitution d'une SARL dénommée Mécafinance, dont le capital de 1 million de francs est détenu par M. Perricaudet, ancien directeur général de la division Transport de la société GEC Alsthom, et par M. Delcros, ancien collaborateur de M. Perricaudet, toujours salarié de la société GEC Alsthom. La société Mécafinance obtiendra un prêt d'un montant de 9 millions de francs de la Société générale et la totalité de l'actif de cette société sera constituée par un portefeuille d'actions de la société Ferromeca évalué à 10 millions de francs. Cette dernière société sera acquise auprès de la Société générale par la société Mécafinance. Le fait que la société Ferromeca ait plus de deux ans d'existence permettra l'émission d'obligations convertibles en actions conformément aux conditions fixées par l'article 285 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ;

- apport en capital par De Dietrich de l'actif et du passif de sa division ferroviaire pour un montant de 1 million de francs à sa filiale De Dietrich Ferroviaire, créée en 1992 avec un capital de 250 000 F, mais restée jusqu'à présent sans activité ;

- augmentation de capital de De Dietrich Ferroviaire pour un montant de 78,75 millions de francs souscrite par De Dietrich Financière, autre filiale de la société De Dietrich ;

- cession d'actions, après autorisation du ministre des finances, par De Dietrich Financière pour un montant de 41 millions de francs à Ferromeca et 14 millions de francs à GEC Alsthom ;

- émission par Ferromeca d'obligations convertibles en actions à hauteur de 100 millions de francs au profit de GEC Alsthom, qui s'engage à les souscrire en totalité.

A la suite de ces opérations, le capital de De Dietrich Ferroviaire s'élèvera à 80 millions de francs et sera réparti de la façon suivante :

De Dietrich : 1,25 million de francs

De Dietrich Financière : 23,75 millions de francs

Ferromeca : 41 millions de francs

GEC Alsthom : 14 millions de francs

Il est en outre prévu dans la convention signée entre les parties que De Dietrich s'engage à conserver pendant cinq ans les titres remis par De Dietrich Ferroviaire en contrepartie de son apport et que Ferromeca s'engage irrévocablement à acquérir ces derniers entre le 1er janvier et le 31 décembre 2000. Le prix de cession sera égal au montant des actions souscrites augmenté d'un intérêt annuel de 6 p. 100 capitalisé annuellement.

L'article 12.3 du projet dispose que "Pour garantir cet engagement de Newco (1), GEC Alsthom s'engagera à payer à De Dietrich, contre transfert au profit de GEC Alsthom des actions visées ci-dessus, à première demande écrite de De Dietrich, trois mois après l'expédition à Newco, avec copie à GEC Alsthom, de la lettre de levée d'option restée sans effet".

Le projet de convention entre les parties contient en outre un pacte d'actionnaires qui prévoit que GEC Alsthom détiendra un siège et Ferromeca deux sièges au conseil d'administration de De Dietrich Ferroviaire. De Dietrich, quant à elle, n'en occupera aucun. Il est également prévu que De Dietrich, qui cessera toute activité dans le domaine de la construction du matériel ferroviaire roulant, consentira à De Dietrich Ferroviaire une licence de la marque De Dietrich et de la marque figurative pour une durée de dix ans moyennant une redevance annuelle et non révisable de 2 millions de francs.

Enfin la convention prévoit pour conditions de son entrée en vigueur :

- l'approbation de l'apport par les assemblées générales extraordinaires des actionnaires de De Dietrich et De Dietrich Ferroviaire réunies avant le 30 juin 1995 ;

- l'approbation tacite ou expresse de l'opération objet du présent accord par le ministre chargé de l'économie statuant en application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

- la confirmation par le client à De Dietrich Ferroviaire du maintien en l'état du "marché Irlande".

2. Les entreprises parties à l'opération

a) Le groupe GEC Alsthom

Ce groupe, détenu conjointement par la société de droit anglais The General Electric Compagnie plc et la société française Alcatel Alsthom, qui ont fusionné en juillet 1989, est géré par une société holding située en Hollande : GEC Alsthom NV. Il emploie 77 000 personnes et occupe en Europe une place de premier rang dans l'énergie et le transport ferroviaire.

En fonction de ses différents domaines d'activités, la compagnie est organisée en 7 divisions, dont la division Transports. Ces divisions ne sont pas des entités juridiques en tant que telles mais constituent des centres de responsabilité et de gestion.

Le groupe GEC Alsthom détient de nombreuses filiales en Europe et dans le reste du monde. S'agissant de la France, il détient des participations dans les entreprises suivantes :

GEC Alsthom Transport SA : 100 p. 100

CLMT Lorraine : 99 p. 100

Couplomatic : 100 p. 100

Interinfra : 25 p. 100

Société française de locotracteurs : 41 p. 100

Société concessionnaire des transports de Reims : 19 p. 100

L'activité matériel ferroviaire de GEC Alsthom est en France exercée au sein d'une filiale créée à cet effet en 1992 et dénommée GEC Alsthom Transport SA.

Cette filiale s'intègre dans la division Transport du groupe qui emploie environ 17 000 personnes réparties sur 5 pays. Le directeur général de cette division est M. Claude Darmon qui, parallèlement, est président-directeur général de la société GEC Alsthom Transport SA.

La gamme de matériel roulant et de signalisation offerte par GEC Alsthom Transport est extrêmement variée : trains à grande vitesse (TGV), locomotives électriques et Diesel, automotrices et voitures à un ou deux niveaux, autorails, métros lourds et légers, systèmes de signalisation, automatismes ferroviaires, informatique embarquée, composants mécaniques, électriques et électroniques. GEC Alsthom présente la particularité d'être en France le seul constructeur de matériel ferroviaire qui construit du matériel de traction électrique, ses concurrents directs comme De Dietrich et ANF Industrie, filiale française du constructeur canadien Bombardier, ne fabriquant que des voitures pour voyageurs et des éléments tels que des bogies.

En France, GEC Alsthom Transport dispose de neuf sites industriels, dont trois fabriquent du matériel roulant ferroviaire ; ces derniers sont situés à Marly-lès-Valenciennes (transports urbains et suburbains), Aytré-La Rochelle et Belfort (transports grandes lignes).

Sur le marché français, GEC Alsthom est le premier des constructeurs de matériel roulant ferroviaire. En effet, le groupe a été attributaire, seul ou en cotraitance avec De Dietrich, Bombardier ou ANF Industrie, de tous les marchés passés par la SNCF jusqu'à l'an 2000. Il est titulaire de tous les contrats en cours de matériel ferroviaire roulant passés par la RATP.

Concernant les autres modes de transports urbains, GEC Alsthom a, sous l'impulsion du ministère des transports, développé en 1975 un prototype de tramway dénommé le "tramway standard". Sur cette base ont été construits les tramways de Rouen en 1991 et de Nantes en 1992 et une commande de seize tramways a été passée par la RATP pour la desserte des rives de Seine.

Le rapport annuel du groupe pour l'année 1993-1994 indique que le carnet de commandes de la division ferroviaire représentait en fin d'exercice trois ans d'activité. A l'heure actuelle, ce carnet de commandes représente environ 5 milliards d'écus. En dépit de ces commandes, la direction de GEC Alsthom a récemment annoncé la mise en œuvre sur le territoire national d'un plan social qui prévoit une réduction d'environ un millier d'emplois sur trois ans.

Le chiffre d'affaires consolidé du groupe réalisé en France en 1993, dernier exercice connu, s'est élevé à 14,9 milliards de francs.

b) Le groupe De Dietrich

De Dietrich, implanté dans le Bas-Rhin depuis 1684, est à l'heure actuelle un groupe coté en bourse, contrôlé à 25 p. 100 par la famille De Dietrich et pour 11 p. 100 par un holding familial, la Cogepa. Ses activités sont diversifiées dans plusieurs métiers : la construction de chaudières (De Dietrich thermique), les installations fixes ferroviaires au travers de sa filiale à 88 p. 100, le groupe Cogifer, les équipements chimiques, l'exploitation forestière et les équipements ferroviaires et mécaniques.

Le groupe dirigé par MM. Gilbert de Dietrich et Régis Bello, respectivement président-directeur général et vice-président et directeur général, employait en 1993 environ 5 900 personnes au total.

Dans le secteur ferroviaire, le groupe De Dietrich exerce deux activités distinctes : les installations ferroviaires fixes, exploitées par le groupe Cogifer, dont De Dietrich a pris le contrôle en 1992, et le matériel ferroviaire roulant, exploité au sein de la division ferroviaire et mécanique de la société De Dietrich. Le groupe est, par l'intermédiaire du groupe Cogifer, leader en Europe des installations ferroviaires fixes. Ce dernier a réalisé en 1993 près de la moitié du chiffre d'affaires consolidé du groupe De Dietrich.

La division ferroviaire et mécanique emploie environ 1 000 personnes et son unité de production est située à Reichshoffen, dans le Bas-Rhin. Sur le plan national, 70 p. 100 des commandes de cette division sont réalisées en commun avec GEC Alsthom, son activité concernant essentiellement, depuis environ quinze ans, la fabrication des remorques extrêmes du TGV Depuis 1995, cette production représente 50 p. 100 de son activité totale. La gamme de produits est complétée par la conception et la réalisation de voitures voyageurs de type Corail, d'automotrices thermiques, de voitures et d'automotrices à deux niveaux et de bogies.

A la suite d'une régression de son chiffre d'affaires en 1992, la société De Dietrich s'est engagée dans une politique de diversification commerciale qui lui a permis d'accéder à plusieurs appels d'offres en Europe et dans le reste du monde, notamment pour des marchés de moyenne importance, en Roumanie, en Irlande et en Ukraine. En outre, De Dietrich est cotraitant de GEC Alsthom sur de nombreux marchés à l'exportation, et notamment ceux portant sur les remorques extrêmes de TGV dont le PBKA (2) ; elle est sous-traitant sur le marché du TGV coréen.

Le chiffre d'affaires réalisé par le groupe au cours de l'exercice 1993, dernier exercice connu, s'est élevé à 4,256 milliards de francs, dont 641 millions pour la division ferroviaire. Le chiffre d'affaires réalisé sur le plan national s'est élevé à 2,9 milliards de francs au cours du même exercice.

c) La société De Dietrich Ferroviaire

La convention prévue entre les parties dispose que cette société sera le "successeur universel" de la branche ferroviaire de la société De Dietrich et en exercera toutes les activités, que l'équipe dirigeante actuelle devrait y être maintenue et que son conseil d'administration comprendra trois membres, à savoir, la société GEC Alsthom, M. Perricaudet et M. Delcros, coactionnaire avec M. Perricaudet dans la société Mécafinance et salarié de GEC Alsthom jusqu'à la réalisation de l'opération.

3. Le secteur d'activité

Les caractéristiques du secteur du matériel ferroviaire roulant pour voyageurs

Le secteur du matériel ferroviaire roulant destiné aux voyageurs présente quatre caractéristiques principales :

En premier lieu, la présence dans ce secteur d'activité impose aux entreprises de pouvoir mobiliser des crédits importants et de disposer d'une bonne assise financière. Par ailleurs, l'avance technologique dont peuvent disposer certaines entreprises et leur capacité à assurer des transferts de technologie, notamment en ce qui concerne les trains à grande vitesse, procure à ces entreprises un avantage dans la concurrence, et ce plus particulièrement dans le domaine des matériels complexes incorporant une forte valeur ajoutée, domaine dans lequel il est nécessaire de pouvoir présenter une offre qui intègre à la fois la réalisation de parties électriques et de parties mécaniques. Sur le plan national, seule la société GEC Alsthom est actuellement en mesure de présenter de telles offres.

En second lieu, ce secteur a connu de multiples regroupements (ou projets de regroupements) au cours des dernières années, qui ont abouti à une concentration de l'offre sur le plan européen. Ainsi, en 1992, le Bundeskartellamt s'est opposé à un projet de cession de l'activité ferroviaire de la société AEG à la société Siemens. Au cours de la même année, la Commission des Communautés européennes a autorisé l'acquisition de la société Brel (Royaume-Uni) par le groupe helvético-suédois Asea Brown Boveri AG (ABB). En juin 1994, la société GEC Alsthom a acquis 51 p. 100 du capital de la société Linke-Hofman-Busch (LHB), la société Preussag en conservant 49 p. 100. Le 8 mai 1995, la société ABB a notifié à la Commission des Communautés européennes un projet de fusion de sa division ferroviaire avec celle de la société Daimler-Benz AEG.

En troisième lieu, le marché du matériel roulant ferroviaire connaît une surcapacité de l'offre par rapport à la demande, celle-ci tendant à se raréfier sur le plan national, voire sur le plan européen, en raison des restrictions budgétaires des principaux donneurs d'ordre.

Enfin, le secteur est confronté à des difficultés engendrées par le caractère cyclique des marchés dû, d'une part, à la durée de vie relativement longue des matériels roulants (environ trente ans) et, d'autre part, aux modifications des budgets des demandeurs (SNCF, RATP) qui entraînent des variations importantes de la demande et une difficulté de l'offre à s'y adapter.

L'offre sur le plan européen

Il existe en Europe cinq grands groupes dans le secteur du matériel ferroviaire roulant pour voyageurs : ABB, GEC Alsthom, AEG, Siemens et Bombardier ainsi que plusieurs sociétés indépendantes dont les principales sont Bréda, Fiat et Ansaldo en Italie, CAF et Talgo en Espagne, Brush au Royaume-Uni, De Dietrich et Matra en France.

Selon les chiffres versés au dossier, la part de GEC Alsthom en Europe de l'Ouest serait d'environ 24 p. 100, celle d'ABB de 23 p. 100, celle du groupe Siemens de 16 p. 100 et celles d'AEG et de Bombardier respectivement de 10 p. l00 et 6 p. 100 :

Le groupe ABB, constitué en 1988 par fusion des sociétés Asea (Suédoise) et Brown Boveri (Suisse) est devenu, selon GEC Alsthom, son concurrent majeur. Le chiffre d'affaires total de ce groupe serait de l'ordre de 16,4 milliards de francs ;

Le groupe Siemens réalise un chiffre d'affaires mondial de l'ordre d'un milliard d'écus en matériel ferroviaire, et se positionne comme le concurrent direct de la société GEC Alsthom sur le secteur des trains à grande vitesse avec l'ICE ;

Le groupe Bombardier, qui a développé ses activités ferroviaires en Amérique du Nord et en Europe, emploie environ 37 000 personnes. Le chiffre d'affaires de ce groupe s'élève environ à 5,9 milliards de dollars canadiens ;

La société ANF Industrie, acquise par le groupe Bombardier en 1989, exerce une activité de conception, construction et vente de matériel roulant pour les grandes lignes ou pour les transports urbains. N'ayant pas de compétence en matière électrique, elle est un mécanicien ensemblier qui participe en groupements à la réalisation du TGV Atlantique, des TGV Réseau et deux niveaux, des navettes transmanche, d'autorails, de matériel banlieues à deux niveaux, de tramways et de métros.

En France, la Fédération des industries ferroviaires (FIF) a chiffré le montant total des facturations pour le matériel voyageur en 1993 à 4 478 millions de francs, dont 618 millions à l'exportation et 3 860 millions sur le marché intérieur. La part des commandes SNCF représentait environ 84 p. 100 des facturations, celle des transports urbains et suburbains, y compris la RATP, environ 16 p. 100.

Selon la même source, le nombre total de salariés de la branche Construction de l'industrie ferroviaire est passé de 18 971 en 1984 à 13 021 en 1993 (soit - 31 p. 100), le nombre d'ouvriers passant de 12 470 à 6 850 au cours de la même période (soit - 45 p. 100).

La demande de matériel ferroviaire roulant pour voyageurs

Il existe trois types de demandeurs : la SNCF, la RATP et les collectivités territoriales.

La SNCF, établissement public industriel et commercial depuis 1982, a passé tous les marchés correspondant aux principaux équipements programmés jusqu'à l'an 2000. Jusqu'à ce jour, les sélections aux appels d'offres lancés par cette dernière ont gardé un caractère exclusivement national en raison de la "préférence nationale". Depuis 1992 GEC Alsthom ou sa filiale CIMT ont toujours été attributaires, dans la plupart des cas en groupement avec De Dietrich, Bombardier ou ANF Industrie, des marchés passés par la SNCF.

La Régie autonome des transports parisiens (RATP) constitue le deuxième demandeur en matière de matériel ferroviaire roulant. A l'instar de la SNCF, la RATP a passé ses principales commandes fermes jusqu'à l'an 2000 et n'a pas encore établi de programmes de commandes pour les années ultérieures. Les consultations de cet établissement se limitent aux seules entreprises présentes physiquement sur le territoire national et la société GEC Alsthom est quasiment la seule entreprise attributaire des marchés, en groupement soit avec ANF Industrie, soit avec De Dietrich.

Enfin, les collectivités publiques sont nombreuses à lancer des appels d'offres relatifs soit à l'extension des réseaux existants, soit à la création de nouveaux réseaux par métro ou tramway.

Sur cinq villes en France ayant opté pour le métro, Lyon et Marseille ont respectivement fait appel à GEC Alsthom ou à sa filiale CIMT, Lille, Rennes et Toulouse ayant pour leur part choisi le Val de Matra.

Depuis le début des années 1980, la majeure partie des collectivités publiques oriente son choix vers le tramway ou des produits assimilables. On constate à cet égard que si GEC Alsthom a vendu son tramway standard à plusieurs collectivités (Grenoble, Nantes, Rouen, Saint-Denis - Bobigny et Val de Seine), les marchés sont, sur ce secteur, beaucoup plus ouverts et d'envergure européenne. Ainsi la communauté urbaine de Lille a-t-elle sélectionné l'entreprise italienne Bréda, la ville de Caen la société franco-canadienne ANF Industrie et la communauté urbaine de Strasbourg un groupement composé de la société italienne Socimi et de la société ABB.

On observe donc qu'à la différence des marchés relatifs aux matériels destinés à équiper les principaux pôles urbains situés en dehors de l'agglomération parisienne, qui sont ouverts à la concurrence européenne, ceux destinés à équiper les "grandes lignes" exploitées par la SNCF, et le réseau ferré de la région parisienne exploité par la RATP, ont, jusqu'à une période récente, été réservés à des entreprises françaises. Cette pratique, qui n'était pas spécifique à la France, devrait cependant se trouver levée par l'entrée en application, à compter du 1er juillet 1994, de la directive 93-38 du Conseil des Communautés du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications, dont le champ d'application couvre notamment l'"exploitation de réseaux destinés à fournir un service au public dans le domaine du transport par chemin de fer, systèmes automatiques, tramways, trolleybus ou autobus par câble" et qui fait obligation aux services acheteurs de faire jouer la concurrence au niveau européen. En droit interne, la loi n° 92-1282 du 11 décembre 1992, modifiée par la loi n° 93-1416 du 29 décembre 1993, oblige les exploitants publics et les établissements publics de l'Etat ayant un caractère industriel et commercial à procéder à des mises en concurrence pour la passation de contrats de fourniture et de travaux dont le montant excède un seuil fixé par arrêté ministériel. Le champ d'application de cette loi, qui prévoit la possibilité pour les personnes qui s'estiment lésées d'avoir recours aux juridictions afin d'assurer son respect sous astreinte, recouvre celui de la directive communautaire précitée.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL

Sur la nature de l'opération :

Considérant qu'aux termes de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "La concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations, d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante" ;

Considérant que le projet de concentration soumis au Conseil de la concurrence prévoit, outre la prise de participation de GEC Alsthom SA à hauteur de 17,25 p. 100 dans le capital de la société De Dietrich Ferroviaire, la possibilité pour GEC Alsthom de convertir à tout moment en actions les obligations qu'elle détient dans la société Ferromeca qui, elle-même, détiendra pour sa part 51,25 p. 100 du capital de la société De Dietrich Ferroviaire ; que par cette conversion la société GEC Alsthom deviendra majoritaire dans le capital de la société Ferromeca, ce qui lui permettra de détenir 68,5 p. 100 du capital de la société De Dietrich Ferroviaire ; que par ailleurs les trois sièges du conseil d'administration de cette dernière société seront répartis entre Ferromeca et GEC Alsthom ; que la société De Dietrich, qui s'est engagée à ne plus exercer pendant une durée de dix ans toute activité industrielle et commerciale dans le secteur considéré, ne détiendra aucun siège au conseil d'administration de la société De Dietrich Ferroviaire, bien qu'elle conserve 31,50 p. 100 du capital social de cette société ;

Considérant, ainsi que l'a précisé la Commission des Communautés européennes dans sa décision du 10 novembre 1992 (Warner-Lambert/Gillette et autres), qu'il y a lieu de tenir compte, pour l'appréciation du caractère déterminant de l'influence d'une entreprise sur une autre, non seulement des effets virtuels des accords au moment de leur examen, comme par exemple une simple participation minoritaire dans le capital, mais également des "effets potentiels" de ces accords, comme par exemple les incidences d'une importante créance ou encore des droits de conversion d'obligations, de préemption ou d'options sur l'émission possible d'actions nouvelles;

Considérant que si les créanciers obligataires d'une société commerciale ne disposent pas du pouvoir d'intervenir directement dans la gestion de cette dernière, il résulte toutefois des dispositions de l'article 313 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales que les obligataires peuvent s'opposer, en exigeant le remboursement de leur créance, à certaines propositions pouvant avoir des répercussions sur leurs intérêts, comme la fusion ou la scission de la société ; qu'en l'espèce, les fonds propres de la société Ferromeca seront constitués par 10 millions de francs d'actions et 100 millions de francs d'obligations convertibles ; que les obligations convertibles que détiendra en totalité la société GEC Alsthom dans la société Ferromeca serviront, d'une part, à financer la prise de participation de cette dernière dans l'augmentation de capital de la société De Dietrich Ferroviaire à hauteur de 41 millions de francs et, d'autre part, à financer un prêt de 69 millions à cette société ; qu'ainsi la société GEC Alsthom assure, pour la quasi-totalité, le financement de l'ensemble de l'opération avec la Société générale, qui ne sera pas représentée au conseil d'administration de De Dietrich Ferroviaire ; que la possibilité donnée à GEC Alsthom de convertir ses obligations constitue, selon les propres termes de M. Perricaudet, initiateur du projet dont la participation au financement de l'opération se limitera à 1 million de francs, "la contrepartie de la participation de GEC Alsthom au financement et au fonctionnement de la nouvelle entreprise" ;

Considérant en outre, qu'en cas de conversion de ses obligations en actions la société GEC Alsthom s'est engagée à racheter la totalité des parts que détient la société Ferromeca dans la société De Dietrich Ferroviaire ; qu'enfin, la société De Dietrich s'est engagée à céder, dans cinq ans, la totalité des parts qu'elle détient dans la société De Dietrich Ferroviaire à la société Ferromeca ou, en cas d'abstention de cette dernière, à GEC Alsthom ; que ces dernières dispositions permettent une prise de contrôle en totalité de GEC Alsthom sur De Dietrich Ferroviaire ; que la société GEC Alsthom exercera, soit directement par sa participation au capital et par les sièges qu'elle détiendra au conseil d'administration, soit indirectement par l'importance de sa participation financière dans la nouvelle structure, une influence déterminante sur la société De Dietrich Ferroviaire ; que dès lors le projet soumis au Conseil de la concurrence constitue une concentration au sens des dispositions de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Sur le contrôle de l'opération :

Considérant que l'article 38 de la même ordonnance dispose que : "Tout projet de concentration ou toute concentration de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante, peut être soumis, par le ministre chargé de l'économie, à l'avis du Conseil de la concurrence.

Ces dispositions ne s'appliquent que lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de 7 milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins 2 milliards de francs" ; que le décret d'application du 29 décembre 1986 précise que "le chiffre d'affaires pris en compte (...) est celui réalisé sur le marché national par les entreprises concernées et s'entend de la différence entre le chiffre d'affaires global hors taxes de chacune de ces entreprises et la valeur comptabilisée de leurs exportations" ;

Considérant que les sociétés GEC Alsthom et De Dietrich, qui sont parties à la concentration, ont réalisé respectivement 14,9 milliards de francs et 2,9 milliards ; qu'il n'est pas contesté que, sur l'ensemble du matériel ferroviaire roulant pour voyageurs, l'opération permettra à la société GEC Alsthom d'augmenter sa part du marché national de 60 à 75 p. 100 ; que les conditions d'application de l'article 38 précité sont dès lors réunies et que l'opération est contrôlable ;

Sur les marchés de référence :

Considérant que les sociétés GEC Alsthom et De Dietrich ne construisent que du matériel ferroviaire roulant destiné au transport de voyageurs, à l'exclusion du matériel destiné au transport de marchandises qui appartient à un marché distinct ;

Considérant que le matériel ferroviaire roulant de transport de voyageurs est destiné à l'assemblage de rames complètes de différents types de matériels tels que les TGV, les trains Corail, les trains interrégionaux, les métros et les tramways ; que ces matériels répondent aux différents besoins de transports des réseaux de la SNCF, de la RATP et des collectivités locales ;

Considérant que ces différentes rames qui possèdent leurs propres spécificités techniques comportent toutes le point commun d'être constituées, d'une part, d'éléments à forte composante électrique ou électronique comme la plupart des matériels de traction et, d'autre part, d'éléments à dominante mécanique comme les voitures de voyageurs ; qu'en France, seule la société GEC Alsthom dispose d'une compétence conjuguée d'électriciens et de mécaniciens lui permettant de proposer des systèmes complets alors que la société De Dietrich se limite, à la conception et la fabrication de parties mécaniques ;

Considérant qu'il résulte des déclarations des représentants de la SNCF et de la RATP en séance qu'en raison de la complexité croissante des matériels la demande s'oriente de plus en plus vers des rames complètes avec motorisation rendant dès lors exceptionnelle la demande de voitures séparées, et que, par voie de conséquence, un constructeur qui ne dispose pas de compétences en matière électrique ne peut répondre seul aux appels d'offres ;

Considérant par ailleurs que ces deux entreprises nationales sont soumises aux dispositions de la directive 93-38 du Conseil des Communautés et de la loi du 11 décembre 1992 et aux obligations qui leur sont faites de procéder à des appels d'offres européens et d'ouvrir leurs marchés, et que, dans ce cadre, la SNCF avait procédé à deux consultations de niveau européen, en janvier 1993 pour la fourniture de matériel ferroviaire roulant destiné à équiper la ligne Paris - Bruxelles - Cologne - Amsterdam (PBKA) et, en avril 1994, concernant le réseau national pour la fourniture de 100 autorails X TER ; qu'en outre les consultations ou les choix opérés par plusieurs collectivités locales pour la fourniture de tramways ou de matériels assimilés démontrent que ces dernières ont déjà largement ouvert leurs marchés ;

Sur les effets de l'opération sur la concurrence :

Considérant que, bien que les parties prétendent souhaiter conserver l'indépendance de De Dietrich Ferroviaire vis-à-vis de GEC Alsthom et une certaine concurrence entre les deux entités, l'influence déterminante dont disposera la société GEC Alsthom sur la gestion de cette nouvelle filiale empêche que cette dernière puisse être regardée comme un opérateur indépendant ; que dès lors l'opération aboutit à la disparition d'un offreur potentiel sur le marché ;

Considérant que la part d'activité la plus importante de la branche ferroviaire de la société De Dietrich concerne la fabrication de "voitures extrêmes" pour le TGV réalisées en sous-traitance ou en cotraitance avec GEC Alsthom, le plan de charge de De Dietrich au 31 janvier 1995 faisant ressortir cette part respectivement à 77 p. 100 des commandes totales sur le plan national et à environ 50 p. 100 des commandes sur le plan international, le reste de l'activité consistant principalement en la construction de voitures (environ 25 p. 100) et de la partie mécanique d'automotrices (environ 23 p. 100) destinées à l'exportation et réalisées de manière autonome ; que, concernant les matériels destinés aux transports urbains, le carnet de commandes de De Dietrich ne mentionne que la réalisation d'études et de couloirs d'intercirculation de tramways ; que les commandes passées à cette entreprise par les demandeurs nationaux sont peu susceptibles d'évoluer dans les années à venir, dès lors que la SNCF et la RATP ont assuré la couverture de leurs besoins jusqu'en l'an 2000 ;

Considérant que, compte tenu des compétences en partie différentes des sociétés GEC Alsthom et De Dietrich, il convient d'examiner les effets de l'opération, en distinguant entre les matériels réclamant la mise en œuvre d'un savoir-faire électrique et électronique et ceux ne réclamant qu'une compétence de mécanique et d'assemblage ;

En ce qui concerne les matériels à dominante électrique et électronique :

Considérant que la société De Dietrich ne possède pas de compétence propre dans le domaine électrique ; qu'elle ne peut donc, de ce fait, entrer en concurrence avec GEC Alsthom pour la construction de ce type de matériels ; que, par voie de conséquence, si la société De Dietrich participe en cotraitance ou sous-traitance avec la société GEC Alsthom à la réalisation de "remorques extrêmes" de TGV et de voitures de trains grandes lignes ou interrégionaux, cette entreprise ne peut répondre seule ni à la demande de rames complètes qui constitue l'essentiel de la demande de matériel ferroviaire roulant ni à la demande de matériel de traction comme les locomotives ; que dès lors l'opération n'aura aucune conséquence sur la fourniture de ces matériels ;

En ce qui concerne les matériels à dominante mécanique :

Considérant qu'en raison de leur savoir-faire de mécanicien les deux entreprises parties à l'opération disposent de la capacité de concevoir et de produire des voitures de voyageurs ; que, cependant, la demande portant sur des parties exclusivement mécaniques tend à diminuer, la demande s'orientant principalement vers des rames complètes réalisées par des électromécaniciens et en dehors du champ de compétence de la société De Dietrich ; que, s'agissant de la réalisation de matériels plus simples, à composante exclusivement mécanique, la société De Dietrich Ferroviaire ne pourra répondre qu'à une demande résiduelle et se trouvera confrontée à la concurrence d'autres mécaniciens comme la société ANF Industrie ainsi qu'à celle de toutes les entreprises capables de réaliser des rames complètes ; qu'en outre, l'ouverture des marchés à la concurrence européenne permet la présence sur ceux-ci de groupes multinationaux de taille comparable à celle de GEC Alsthom comme les groupes ABB, Siemens, AEG et Bombardier ; que, dès lors, la disparition d'un offreur de capacité réduite comme la société De Dietrich n'est pas de nature à constituer une atteinte à la concurrence sur cette partie du marché ;

Considérant au total que l'opération projetée n'est pas, en raison des éléments susanalysés, de nature à modifier le fonctionnement de la concurrence dans le secteur du matériel ferroviaire roulant pour voyageurs ; qu'il n'y a dès lors pas lieu pour le Conseil de se prononcer sur la question de la contribution au progrès économique que l'opération peut entraîner,

Est d'avis :

Qu'il n'y a pas lieu, sur le fondement des dispositions de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de faire opposition à l'opération relative à la prise de participation des sociétés GEC Alsthom et Ferromeca au capital de la société De Dietrich Ferroviaire ou de la subordonner à des conditions particulières.

(1) Newco (New Company) est la dénomination provisoire de Ferromeca.

(2) PBKA : TGV Paris - Bruxelles - Cologne - Amsterdam.