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Décisions

Conseil Conc., 29 août 1995, n° 95-A-14

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport de M. André-Paul Weber, par M. Barbeau, président, M. Cortesse, vice-président, MM. Blaise, Robin, membres.

Conseil Conc. n° 95-A-14

29 août 1995

Le Conseil de la concurrence (section III),

Vu la lettre enregistrée le 22 février 1995 sous le numéro A 162 par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, d'une demande d'avis relative à l'acquisition par la société américaine Sensormatic Electronics Corporation des actifs de la société Knogo Corporation situés en dehors de l'Amérique du Nord ; Vu la lettre enregistrée le 29 mars 1995 par laquelle le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a informé le président du Conseil de la concurrence que la concentration Sensormatic Electronics Corporation - Knogo Corporation lui a été notifiée et que le dossier a fait l'objet d'un accusé de réception à la date du 23 mars 1995 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la société Sensormatic Electronics Corporation, par le ministre de l'Industrie et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Sensormatic Electronics Corporation entendus, Adopte l'avis fondé sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - Constatations

Le 14 août 1994 un contrat de fusion a été conclu entre les sociétés américaines Sensormatic Electronics Corporation et Knogo Corporation.

A. - Les entreprises parties à l'opération

1. Créée en 1968, Sensormatic Electronics Corporation est une société cotée à la Bourse de New York. Avec ses différentes filiales, cette société est spécialisée dans la conception, la fabrication, la vente, la location et la maintenance de systèmes de sécurité essentiellement pour le commerce : systèmes électroniques de protection article par article, équipements de vidéosurveillance en circuit fermé de télévision, systèmes de sécurité intégrés et systèmes de contrôle d'accès.

Pour l'exercice clos le 30 juin 1994, le chiffre d'affaires consolidé de la société Sensormatic Electronics Corporation s'est élevé à 656 millions de dollars. A la même date, cette société et ses filiales employaient à travers le monde 5 500 personnes.

L'activité de production de la société Sensormatic Electronics Corporation est localisée aux Etats-Unis, à Porto Rico et en Irlande. De 1968 à 1994, la société Sensormatic Electronics Corporation a développé ses activités de distribution et de maintenance en Amérique latine, en Asie et en Europe.

La société Sensormatic Electronics Corporation est présente sur le marché français par l'intermédiaire de la société Sensormatic SA qui contrôle les sociétés Sensormatic France SA, Sensormatic France Services SARL et Sensormatic Camera SARL.

Le chiffre d'affaires de la société Sensormatic France SA s'est, en 1994, élevé à 392,65 millions de francs. A la même date, cette société employait 120 personnes. Elle vend et loue des matériels électroniques de protection article par article et des systèmes de vidéosurveillance.

Au cours de la même année, le chiffre d'affaires de la société Sensormatic France Services s'est élevé à 44,44 millions de francs. Les 88 personnes employées dans cette entreprise réalisent des opérations de maintenance et d'assistance technique.

La société Sensormatic Camera SARL est pour sa part spécialisée dans la location et la maintenance de circuits de télévision en circuit fermé. Employant 56 personnes, son chiffre d'affaires s'est élevé, en 1994, à 5,32 millions de francs.

Antérieurement à l'opération de concentration examinée, la société Knogo Corporation avait également pour activité principale la fabrication, la vente, l'installation et l'entretien de systèmes de sécurité pour le commerce. Son chiffre d'affaires mondial s'élevait, en 1994, à 89,30 millions de dollars. Son activité de production était localisée aux Etats-Unis, à Porto Rico et en Belgique. Par l'intermédiaire de différentes filiales, la société Knogo Corporation effectuait des opérations de vente, de location et de maintenance de systèmes de sécurité tant en Amérique du Nord que dans les principaux pays européens.

La société Knogo Corporation contrôlait en France la société Knogo France SA. Lors de l'exercice clos en février 1994, le chiffre d'affaires de cette société s'est élevé à 49,88 millions de francs. La société Knogo France SA agissait alors en tant que commissionnaire de Knogo SA Belgique, filiale de Knogo Corporation. Ainsi, Knogo France SA vendait, louait, installait et procédait à la maintenance des produits Knogo pour le compte de Knogo SA Belgique. En rémunération de ces opérations, la société Knogo France SA percevait une commission de 35 p. 100 sur le montant HT des encaissements reçus, correspondant à un volume d'affaires de 142,5 millions de francs. A hauteur de 93 p. 100, ce volume d'affaires portait sur des matériels électroniques de protection article par article ; pour le solde, il correspondait à des équipements de vidéosurveillance. En 1994, la société Knogo France SA employait 92 personnes.

B. - L'opération conclue

Au cours de l'année 1993, la société Knogo Corporation a éprouvé des difficultés financières. Pour remédier à cette situation, différents fournisseurs de matériels de sécurité auraient été contactés afin d'envisager une opération de reprise des actifs. Seule la société Sensormatic Electronics Corporation aurait formulé une offre.

En application de l'accord conclu, la société nouvellement constituée Knogo North America Inc a repris les activités de Knogo Corporation aux Etats-Unis, au Canada et à Porto Rico tandis que la société Sensormatic Electronics Corporation a repris les filiales de Knogo Corporation localisées en France, en Belgique, au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, au Portugal, aux Pays-Bas, au Danemark, en Autriche, en Russie, en Suède et en Australie. La société Sensormatic Electronics Corporation a également repris la suite de Knogo Corporation en ce qui concerne les contrats de distribution conclus par cette dernière. Pour l'exercice clos le 31 mai 1994, le montant du chiffre d'affaires des activités ainsi acquises par Sensormatic Electronics Corporation s'est élevé à 70,1 millions de dollars.

L'opération conclue entre les sociétés Sensormatic Electronics Corporation et Knogo Corporation comporte trois clauses particulières : un engagement de Knogo North America de ne pas concurrencer Sensormatic Electronics Corporation en dehors des Etats-Unis, du Canada et de Porto Rico sur une période de cinq ans ; un droit exclusif pour Sensormatic Electronics Corporation d'utiliser la marque Knogo en dehors des Etats-Unis, du Canada et de Porto Rico ; l'acquisition par Sensormatic Electronics Corporation de marchandises Knogo d'un montant de 24 millions de dollars durant la période de trente mois suivant la fusion.

Enfin, en ce qui concerne le marché français, la société Knogo France SA est devenue filiale de la société Sensormatic SA, puis a été absorbée par cette dernière.

C. - Le secteur des moyens de protection contre le vol en magasin

Les modes de protection contre le vol en magasin

Lors des inventaires de fin d'exercice, les distributeurs constatent fréquemment de sensibles différences entre le volume de leurs stocks tels qu'enregistrés en comptabilité et le volume de leurs stocks physiques en magasin. Cet écart, dénommé "démarque inconnue", est en France globalement évalué à 2 p. 100 du chiffre d'affaires de la distribution, soit quelque 20 milliards de francs par an. En moyenne, cette "démarque inconnue" est attribuée à des erreurs de marquage et de comptabilité pour 15 p. 100, aux vols commis par la clientèle pour 35 p. 100 et pour le solde, au comportement des différentes catégories de personnes intervenant dans les magasins (livreurs, magasiniers, personnels de nettoyage, caissières). La démarque inconnue attribuée aux seuls personnels de caisse est évaluée à 0,4 p. 100 du chiffre d'affaires annuel global de la distribution.

Pour limiter la démarque inconnue, les distributeurs recourent à des degrés divers à de multiples moyens : dispositifs électroniques de protection article par article, systèmes de vidéosurveillance, personnels spécialisés, programmes de motivation des personnels, enceintes verrouillées, câbles, miroirs et fils "alarme".

Les dispositifs électroniques de protection article par article se composent d'étiquettes magnétiques apposées sur les produits mis en vente dans les magasins et d'équipements fixes de détection de ces étiquettes (portiques, antennes ou équipements similaires installés après les caisses ou à la sortie du magasin). Lorsque l'étiquette, lors de la présentation de l'article à la caisse, n'a pas été neutralisée - cas des étiquettes adhésives - ou ôtée - cas des étiquettes dures -, une alarme se déclenche et permet de détecter le voleur. D'une manière générale, les étiquettes "dures" en matière plastique, qui sont réutilisables, sont agrafées aux produits textiles, tandis que les étiquettes "adhésives", non réutilisables, marquent notamment les disques, les cassettes, les jeux électroniques, les produits cosmétiques et de parfumerie et bon nombre de produits alimentaires.

Selon la technique de protection utilisée, on distingue quatre types de dispositifs. Les systèmes de détection électromagnétique et par radiofréquence, remontant à une trentaine d'années, sont les plus largement utilisés ; ils correspondent en France à plus de 90 p. 100 du parc. Plus récents, les systèmes magnéto-acoustique et par ultra-haute fréquence satisfont la demande à hauteur d'environ 10 p. 100.

Ces différents dispositifs étant entre eux incompatibles, chaque distributeur est tenu d'opter pour un système déterminé et parce que ces techniques évoluent rapidement, les utilisateurs louent plutôt qu'ils n'achètent ces équipements. Pour l'année 1994, le montant des dépenses réalisées en la matière par les commerces de grande surface est évalué à 800 millions de francs et à 150 millions de francs pour les autres formes de commerce.

Les systèmes de vidéosurveillance représentent un deuxième moyen de protection. Ces systèmes sont constitués essentiellement par des caméras vidéo et des écrans de contrôle. Les caméras vidéo placées sur les aires de parking, aux issues et à l'intérieur des magasins et entrepôts autorisent la surveillance de toute la chaîne de distribution, de l'aire de stockage à la sortie du magasin. Elles permettent également le contrôle des opérations d'encaissement. Il est par ailleurs d'usage d'utiliser ces équipements comme moyen de surveillance lorsque les entrepôts et magasins sont fermés.

Pour l'année 1994, le montant des dépenses réalisées en la matière par les commerces de grande surface est évalué aux alentours du milliard de francs.

Le recours à des personnels spécialisés constitue un troisième moyen de protection qui est particulièrement utilisé dans les commerces de grande surface. Placés aux issues des magasins ou à l'intérieur des surfaces de vente, ils assurent à la fois des missions de surveillance et d'information de la clientèle et, éventuellement, des actions de répression. Ces personnels sont le plus souvent les employés de sociétés de gardiennage ou sont les salariés des distributeurs. Pour l'année 1994, le montant des dépenses réalisées par la grande distribution en matière de gardiennage a été évalué entre 1.8 et 2 milliards de francs.

Les programmes de motivation des personnels et l'usage d'enceintes verrouillées, de câbles, de miroirs, de fils "alarme" font également partie des moyens de lutte contre la démarque inconnue.

Les caractéristiques de l'offre

Lorsque est intervenue l'opération de concentration examinée, les sociétés filiales de Sensormatic SA et les sociétés Knogo France SA et Knogo Belgique SA offraient des matériels électroniques de protection article par article (étiquettes, antennes, etc.) et des équipements de vidéosurveillance.

En ce qui concerne les matériels de protection article par article, le chiffre d'affaires des filiales de Sensormatic SA était évalué à 340 millions de francs ; celui des filiales de Knogo Corporation opérant en France (Knogo France SA et Knogo Belgique SA) se montait, en la matière, aux alentours de 130 millions de francs. Ces sociétés proposaient chacune des dispositifs reposant sur la détection électromagnétique, la détection par radiofréquence et par ultra-haute fréquence. En outre, la société Sensormatic SA offrait des dispositifs s'appuyant sur la technologie magnéto-acoustique.

L'offre de matériels de protection article par article était également assurée par trois autres entreprises, filiales de sociétés étrangères, proposant à la clientèle toute la panoplie des équipements requis (étiquettes, antennes, alarmes, etc.) et qui en assuraient la pose et l'entretien. En 1994, le chiffre d'affaires en France de la filiale française de la société suédoise Esselte Meto était, pour les matériels en cause, évalué à 60 millions de francs ; les produits proposés reposaient sur les technologies électromagnétique et de la radiofréquence. Pour la même année, le chiffre d'affaires de la société Actron, filiale de la société américaine Adt, se montait à 78 millions de francs. Cette société recourait également aux technologies électromagnétique et de la radiofréquence. Toujours en 1994, le chiffre d'affaires de la filiale française de la société américaine Checkpoint a été de l'ordre de 20 millions de francs dans le domaine des technologies électromagnétique, radiofréquence et ultra-haute fréquence.

D'autres entreprises, de dimension plus modeste, limitaient de leur côté leurs interventions soit à la pose d'antennes, soit à l'offre d'étiquettes. D'une manière générale, ces entreprises recouraient à la technologie électromagnétique ou à celle de la radiofréquence. Une dizaine d'entreprises, telles les sociétés françaises d'équipement pour boutiques, Sidep, Fors France, France Sécurité, Cipe, Delta Protection, s'approvisionnant auprès de fournisseurs étrangers d'antennes (All Tag, Antonson, Scanmatic), ont alors un rôle d'installateur. Elles ont satisfait pour l'essentiel les besoins du commerce traditionnel. Pour l'année 1994, leur chiffre d'affaires global a été évalué à 150 millions de francs. Les sociétés 2 M, Antonson, Scanmatic, Nedap, All Tag offraient enfin, par le biais de sociétés de commercialisation, les modèles d'étiquettes nécessaires à ces différentes méthodes de protection article par article. La clientèle est essentiellement constituée par le commerce traditionnel. En 1994, l'offre de ces entreprises était évaluée à 100 millions de francs.

En ce qui concerne les équipements de vidéosurveillance, en 1994, le chiffre d'affaires en France des filiales de Sensormatic Electronics Corporation était évalué à 80 millions de francs et celui des filiales de Knogo Corporation à 10 millions de francs. L'offre sur le marché français était également assurée par les sociétés Esselte Meto et Actron, qui réalisaient chacune un chiffre d'affaires de 10 millions de francs, par des fournisseurs de caméras et de systèmes d'enregistrement (Philips, Panasonic et Thomson) dont le chiffre d'affaires global se montait en la matière à 355 millions de francs et enfin par de nombreux installateurs spécialisés dont le chiffre d'affaires global était évalué aux alentours de 500 millions de francs. A l'exception des sociétés International Telecom, Parinor et Fichet Bauche dont les chiffres d'affaires en ce domaine se situaient entre 40 et 51 millions de francs, ces installateurs étaient de dimension modeste ; soixante-dix opérateurs réalisaient, selon les pièces versées au dossier, un chiffre d'affaires global évalué à environ 400 millions de francs.

Les caractéristiques de la demande

Les moyens de protection contre le vol sont utilisés à des degrés divers par les différentes formes de commerce. Le choix des moyens employés dépend du mode de distribution, des conditions d'accès des consommateurs aux marchandises, de la nature et de la valeur des biens vendus.

Eu égard à la méthode de vente retenue, au nombre des personnels employés rapporté à la surface de vente, le commerce traditionnel privilégie volontiers la surveillance ; elle est assurée par les vendeurs et est éventuellement appuyée par l'usage de systèmes de vidéosurveillance. Mais dès que de tels commerces ouvrent à la clientèle la possibilité de choisir elle-même les articles exposés, des systèmes de protection article par article sont susceptibles d'être introduits.

Dans la grande distribution tous les moyens de protection sont utilisés : matériels électroniques de protection article par article, systèmes de vidéosurveillance, miroirs, cabines d'observation, chaînes, moyens de verrouillage, fils alarme, vigiles ; des programmes de motivation des personnels sont également mis en œuvre.

Dans le commerce de détail traditionnel, les entreprises s'adressent à des entreprises d'installation et sociétés de distribution procurant jeux d'antennes, étiquettes et systèmes d'alarme, alors que dans la grande distribution, dont chaque magasin requiert des équipements importants et complexes, les responsables s'adressent pour l'essentiel à des fournisseurs qui ont une dimension suffisante, leur permettant en particulier de procéder rapidement aux installations nécessaires, et aptes à en assurer la maintenance.

Les éléments recueillis au cours de l'instruction font ainsi apparaître que la demande adressée aux filiales de Sensormatic SA et de Knogo Corporation est concentrée. En 1994, les vingt principaux groupes de distributeurs clients de Sensormatic SA ont représenté 64 p. 100 de son chiffre d'affaires. S'agissant des filiales de Knogo Corporation, le ratio s'établit à 78 p. 100.

Certains clients peuvent contribuer à 5 p. 100 et plus du chiffre d'affaires des entreprises concernées par l'opération de concentration examinée. Jusqu'à présent, les contrats ont fréquemment été conclus, sur la base de conditions de référencement négociées au terme de procédures centralisées, par chacun des responsables des magasins car les besoins en matière de moyens de sécurité contre le vol varient selon la localisation des lieux de vente.

II. - Sur la base des constatations qui précédent, le Conseil

Sur la nature de l'opération :

Considérant qu'aux termes de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, "La concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante" ;

Considérant qu'à la suite de l'acquisition par Sensormatic Electronics Corporation de l'ensemble des actifs de la société Knogo Corporation, à l'exception des activités localisées aux Etats-Unis, au Canada et à Porto Rico, la société française Sensormatic SA a acquis la totalité des actions de la société Knogo France SA ; qu'en prenant le contrôle de la société Knogo France SA, la société Sensormatic SA a réalisé une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance précitée ;

Sur les seuils et les marchés de référence :

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, une opération de concentration ne peut être soumise à l'avis du Conseil que "lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de 7 milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins 2 milliards de francs" ;

Considérant que le chiffre d'affaires cumulé réalisé en France par les entreprises filiales de Sensormatic SA s'est élevé au cours de l'exercice clos en 1994 à 442,41 millions de francs ; que le chiffre d'affaires de la société Knogo France SA, constitué par le montant des commissions perçues, s'est élevé pour l'exercice 1994 à 49,88 millions de francs ; que le chiffre d'affaires total des entreprises parties à l'acte est inférieur à 7 milliards de francs ; qu'ainsi la condition fixée à l'article 38 de l'ordonnance susvisée relative au montant du chiffre d'affaires des entreprises n'est pas remplie ; qu'il importe donc de rechercher si le seuil en valeur relative fixé par ce même texte est atteint ;

Considérant que les matériels de protection article par article, les systèmes de vidéosurveillance, les vigiles, le recours à un personnel commercial supplémentaire, les miroirs, chaînes, câbles, enceintes verrouillées ainsi que les mesures d'information et de sensibilisation du personnel constituent autant de moyens destinés chacun à faire échec à la démarque inconnue ;

Considérant que la société Sensormatic Electronics Corporation soutient que ces différents moyens sont les uns par rapport aux autres substituables ; qu'à l'appui de sa thèse elle relève que des distributeurs localisés en France, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne auraient abandonné l'usage de matériels de protection article par article au bénéfice de systèmes de vidéosurveillance ; qu'aux Etats-Unis cette évolution serait expliquée par l'évolution des prix relatifs de ces deux moyens de protection ; que la société Sensormatic Electronics Corporation s'appuie encore sur des attestations de responsables "sécurité" de chaînes de grande surface qu'elle a sollicités qui considèrent que les systèmes de vidéosurveillance, les vigiles et gardiens, les chaînes, les câbles, les enceintes verrouillées, les programmes de sensibilisation des personnels constituent des "alternatives" aux matériels de protection article par article ; que la société Sensormatic Electronics Corporation évalue la dimension globale de ce marché à 6,8 milliards de francs ;

Mais considérant que les commerces de grande surface, qui, comme il a été exposé au I ci-dessus, constituent plus de 60 p. 100 de la demande adressée aux sociétés en cause, utilisent tous les moyens de lutte contre la démarque inconnue : matériels de protection article par article, systèmes de vidéosurveillance, vigiles, miroirs, etc ; que les matériels de protection article par article visent à prévenir mais surtout à déceler les vols; que bon nombre des produits proposés en grande surface sont ainsi marqués par des étiquettes demeurant invisibles aux yeux du consommateur; que parce que les étiquettes de protection peuvent néanmoins être arrachées ou parce qu'elles peuvent être désactivées sans qu'il ait été procédé aux opérations d'encaissement, il est nécessaire de compléter ce dispositif de protection par le moyen notamment de systèmes de vidéosurveillance et par le recours à des équipes de gardiennage; que ces équipes interviennent chaque fois que des tentatives de vol sont constatées ; qu'en raison de la variété des biens vendus et du mode de distribution adopté par les commerces de grande surface, ces différents moyens ont chacun une vocation propre; que d'ailleurs, lors des débats oraux, les représentants de la société Sensormatic Electronics Corporation ont précisé la façon dont, à l'avenir, des étiquettes de protection pourraient avoir un rôle polyvalent autorisant à la fois la lutte contre la démarque inconnue et le suivi des marchandises tout au long de la chaîne production-distribution ; qu'en outre, l'autonomie du marché des équipements de vidéosurveillance par rapport à celui des matériels de protection article par article est attestée par le fait que les principaux fournisseurs d'équipements de vidéosurveillance ne sont pas engagés sur le marché des équipements de protection article par article;

Considérant que si en France certains distributeurs ont abandonné les techniques de protection article par article au bénéfice de systèmes de vidéosurveillance, aucun commerce de grande surface spécialisé dans la vente de produits de biens de grande consommation ne s'est engagé dans cette voie ; que, s'agissant des commerces de grande surface, l'avènement récent des techniques de vidéosurveillance ne s'est nullement traduit par un déclin de la demande de matériels de protection article par article ; qu'en développant une action commerciale tendant à ce que simultanément les fournisseurs de biens de grande consommation vendus en grande surface "marquent" les produits à la source par le biais d'étiquettes invisibles et que les distributeurs s'équipent de moyens de vidéosurveillance, la société Sensormatic Electronics Corporation démontre, pour les commerces en cause, le caractère complémentaire et non substituable des moyens de protection considérés;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de conclure à l'existence, en particulier, d'un marché des matériels de protection article par article et d'un marché des équipements de vidéosurveillance;

Considérant que sur le marché des équipements de vidéosurveillance, dont la dimension est évaluée aux alentours du milliard de francs, le chiffre d'affaires de l'ensemble issu de l'opération s'établit à 90 millions de francs ; qu'ainsila part de marché détenue désormais par les sociétés dépendant de Sensormatic SA est de 9 p. 100;

Considérant que sur le marché des matériels de protection article par article, dont la dimension est évaluée aux alentours de 800 millions de francs, le chiffre d'affaires de l'ensemble issu de l'opération se monte à 460 millions de francs ; qu'ainsi la part de marché détenue désormais par les sociétés dépendant de Sensormatic SA est supérieure à 50 p. 100 ;

Considérant que le seuil en valeur relative fixé à l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est atteint s'agissant du marché de matériels de protection article par article ; que, par suite, le Conseil de la concurrence peut examiner, sur le fondement des dispositions précitées de cet article, l'opération dont il est saisi ;

Sur les conséquences de l'opération en matière de concurrence :

Considérant que, désormais, les filiales de Sensormatic SA satisfont le marché français des matériels de protection article par article à hauteur d'environ 52 p. 100 ; qu'antérieurement à l'opération, les filiales de Sensormatic SA en assuraient 37 p. 100 ; que l'opération s'est traduite par la disparition sur le marché français d'un opérateur indépendant, qui, antérieurement à la concentration, était le principal concurrent de la société Sensormatic SA ; que la concentration permet à la société Sensormatic SA d'accéder à une nouvelle clientèle correspondant à environ 15 p. 100 de la demande ; que les principaux concurrents de Sensormatic SA sur le marché français, les sociétés Actron, Esselte Meto et Checkpoint, détiennent chacun une part de marché inférieure à 10 p. 100 ; que la capacité des nombreux installateurs et des fournisseurs de produits consommables de répondre à la demande émanant de la grande distribution est, en raison des caractéristiques de cette demande, limitée ;

Considérant que,par l'acquisition des filiales de Knogo Corporation opérant sur le marché français, Sensormatic SA occupe désormais une position dominante sur le marché des matériels de protection article par article;

Considérant que la société Sensormatic SA appartient à un groupe international puissant; que,sur le marché français, seule la société Sensormatic SA maîtrise les différentes techniques de production des matériels de protection article par article; qu'en particulier elle est seule à détenir la technique de la protection par ultra-haute fréquence ; que les conditions de référencement des matériels de protection article par article dans les commerces de grande surface, les contraintes techniques d'installation de ces matériels et les exigences de maintenance rendent l'accès au marché difficile; que d'ailleurs aucun nouvel opérateur n'a pénétré sur le marché français au cours de ces dernières années ;

Considérant en outre, que les conditions générales de vente, de maintenance et de location de Sensormatic SA comportent des dispositions qui en raison de leur caractère très général ou de leurs stipulations particulières, sont de nature à cloisonner verticalement le marché des matériels de protection article par article et d'affecter en conséquence l'exercice de la concurrence; qu'ainsi le distributeur qui acquiert des équipements Sensormatic ne bénéficie de la garantie que pour autant qu'il s'approvisionne exclusivement en matériels de la marque ; que, selon l'article 1.3.2 des conditions générales de vente et de maintenance technique, sont en effet "exclus de la garantie et du contrat de maintenance technique, outre les frais de déplacement de matériels - les frais d'entretien et de réparation résultant du fait de l'acheteur et en particulier d'une utilisation non conforme aux instructions et spécifications concernant les conditions d'exploitation, d'installation et d'environnement prescrites par Sensormatic SA ; - les réparations rendues nécessaires par le mauvais fonctionnement de pièces, adjonctions, dispositifs, fournitures ou étiquettes qui ne sont pas d'origine" ; que les conditions particulières aux conditions générales de vente prévoient à l'article 2.7.3 que "Sensormatic ne saurait en aucun cas garantir le matériel qu'il vend ou le maintenir en bon état de fonctionnement si l'acheteur utilise des fournitures ainsi que des étiquettes provenant de sources autres que celles de Sensormatic SA" ; que, selon l'article 9.2 des conditions générales de location sont exclues de la garantie "les réparations rendues nécessaires par le mauvais fonctionnement de pièces, adjonctions, dispositifs, fournitures ou étiquettes qui ne sont pas d'origine" ;

Considérant que l'éventuelle extension des dispositions contractuelles ci-dessus décrites aux anciens clients de Knogo France SA, ne souhaitant pas à l'avenir recourir à des matériels Knogo ou aux matériels proposés par les autres fournisseurs est de nature à accroître le cloisonnement vertical du marché ;

Considérant qu'ainsi l'opération de concentration considérée comporte des risques d'atteinte à la concurrence;

Sur la contribution au progrès économique :

Considérant que l'article 41 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dispose :

"Le Conseil de la concurrence apprécie si le projet de concentration ou la concentration apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Le Conseil tient compte de la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale" ;

Considérant qu'il est soutenu par la société Sensormatic Electronics Corporation que l'opération de concentration aura des "effets positifs significatifs dont bénéficieront tant les entreprises que les consommateurs" ; que la société Sensormatic Electronics Corporation soutient avoir d'ores et déjà, pour un montant de dix millions de francs mais sans coût additionnel pour la clientèle, procédé à l'amélioration de plus de trois cents systèmes de protection Knogo et remédié aux "déficiences (de ces) systèmes" ; que la fusion des équipes Sensormatic et Knogo a permis de mettre en place un système après-vente plus spécialisé et plus efficace par le biais notamment d'un nouvel équipement informatique de gestion ; que la fusion devrait permettre l'élaboration de normes autorisant l'étiquetage à la source ; qu'enfin la fusion a eu pour conséquence une politique de recrutement accrue ;

Mais considérant qu'aucun élément n'est apporté pour étayer ces allégations ; qu'il n'est nullement démontré que les progrès allégués ne pouvaient être atteints que par la voie de l'opération de concentration soumise au Conseil ; que s'il est avancé que l'opération en cause a permis de créer des emplois, il n'est en particulier démontré ni que cette évolution ne s'est pas faite au détriment de l'emploi chez des fournisseurs concurrents, ni qu'elle n'aurait pu être obtenue sans cette opération,

Est d'avis: Que la concentration soumise à l'examen du Conseil n'apporte pas au progrès économique une contribution de nature à compenser les atteintes à la concurrence et qu'il y a lieu, en conséquence, de rétablir la situation de droit antérieure.