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Décisions

Conseil Conc., 15 octobre 1991, n° 91-A-09

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en formation plénière sur le rapport de M. Jean-Pierre Lehman, dans sa séance du 15 octobre 1991 où siégeaient : M. Laurent, président ; MM. Béteille, Pineau, vice-présidents ; MM. Blaise, Bon, Cabut, Cortesse, Fries, Gaillard, Mmes Hagelsteen, Lorenceau, MM. Schmidt, Sloan, membres.

Conseil Conc. n° 91-A-09

15 octobre 1991

Le Conseil de la concurrence,

Vu la lettre enregistrée le 15 octobre 1990 sous le numéro A 81 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, a saisi le Conseil de la concurrence sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 d'une demande d'avis relative à la prise de participation de Gillette Company dans le capital de la société Eemland Management Services, propriétaires des articles de rasage Wilkinson ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu les pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendus ; Adopte l'avis fondé sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

Les opérations dont le Conseil de la concurrence doit apprécier les effets sur le marché national résultent des accords conclus les 20 et 21 décembre 1989 et le 2 janvier 1990 entre les sociétés Gillette Company et Eemland Management Services.

a) Les groupes concernés

1° Gillette est une société créée en 1901 et dont le siège est aux Etats-Unis. Elle s'est rapidement spécialisée dans la production et la commercialisation de produits liés au bien-être personnel. Les lames et les rasoirs, les produits de toilette et les cosmétiques, les articles de papeterie forment les principales lignes de produits de Gillette. Cette firme commercialise également des rasoirs électriques sous la marque Braun.

Gillette est le premier producteur mondial sur le marché des produits de rasage (54,9 p. 100 en volume, 52,8 p. 100 en valeur). A l'intérieur de la Communauté économique européenne, Gillette (avec 59,5 p. 100 en volume et 69,2 p. 100 en valeur) est également en position de leader sur le marché ; il en est de même sur le marché français (61 p. 100 en volume et 68,9 p. 100 en valeur). En 1988 Gillette a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 3 581 millions de dollars. Elle est cotée en bourse aux Etats-Unis et dans trente autres pays. Elle emploie près de 30 000 salariés dont 20 000 à l'extérieur des Etats-Unis. Ses soixante-deux usines sont réparties dans vingt-huit pays et ses produits commercialisés dans plus de deux cents pays. La société Gillette France, dont le siège est à Annecy, est une filiale à 100 p. 100 de la société mère américaine.

2° Eemland Management Services est une société de droit néerlandais créée en février 1988. Cette structure juridique a été utilisée pour acquérir la division produits de consommation de la firme Stora alors propriétaire de la marque de rasage Wilkinson. Wilkinson Sword France SARL est une société de droit français filiale d'Eemland Management Services.

3° Stora Kopparsbergs Bergslags AB est une société suédoise, dont le siège social est à Falun en Suède. Elle fait partie du groupe Wallenberg et est la plus importante en Europe en matière d'exploitation forestière.

4° La société Wilkinson Sword a été créée en 1772. En 1890 elle a commencé la production d'objets coupants et de rasoirs ; elle s'est développée surtout en raison de ses innovations technologiques. A titre d'exemple, dès 1961 Wilkinson Sword a commercialisé des lames de rasoir en acier inoxydable "PTFE", ce qui lui a permis de connaître un développement rapide de ses ventes.

b) Les accords

En 1964, Wilkinson Sword est devenue une société anonyme de droit britannique. En 1973, elle a été acquise pour la British Match Corporation Limited, devenant ainsi une partie importante d'un groupe dont la fonction principale restait la production et la vente d'allumettes.

La société suédoise Swedish Match AB détenait à cette époque 33 p. 100 de la British Match Corporation Limited. Cette dernière, pour des raisons publicitaires et commerciales, changeait de nom pour devenir Wilkinson Match.

Au cours de l'année 1978, Swedish Match AB a cédé la majeure partie de ses actions de Wilkinson Match à une société de droit américain, Allegheny International Income. En 1980, cette dernière, devenue entre-temps Allegheny Wilkinson Sword, a acquis toutes les actions de Wilkinson Match qu'elle n'avait pas achetées en 1978.

En 1987, Swedish Match AB a racheté à Allegheny Wilkinson Sword toutes les activités de sa division consommation ; elle a revendu en mars 1988 les activités jardinage de Wilkinson Sword à la société finlandaise Fiskars OY AB.

En mai 1988, Swedish Match AB était reprise par Stora pour 5,9 milliards de couronnes suédoises. Après avoir étudié et analysé les différentes activités de Swedish Match AB, Stora a décidé durant l'année 1989 de ne conserver que les activités concernant le papier et la sylviculture et de rechercher un acquéreur pour les activités qui composaient alors la division produits de consommation de Swedish Match AB. En d'autres termes, Stora, dès cette période, a souhaité vendre :

- la fabrication et le négoce des allumettes et des briquets jetables ;

- la production et la vente des lames de rasoir, des rasoirs et des autres produits de rasage.

En conséquence Stora a recherché, au cours de l'année 1989, un acquéreur pour la division de produits de consommation incluant les activités de Wilkinson Sword.

Gillette n'était intéressée que par l'acquisition des activités de Wilkinson Sword se rapportant aux produits de rasage et ce, à l'extérieur de la CEE. Dans le même temps, des dirigeants de Swedish Match AB se sont déclarés intéressés par l'acquisition, par voie d'un RES (rachat d'une entreprise par ses salariés) :

- de l'activité mondiale allumettes et briquets jetables ;

- de l'activité produits de rasage dans la CEE.

Gillette et les dirigeants intéressés de Swedish Match AB ont rédigé une proposition permettant à chacune des parties d'acquérir de Stora l'activité qu'elle désirait. Finalement plusieurs entreprises de taille internationale se sont regroupées autour de Gillette pour financer l'opération. Celle-ci a été réalisée selon le système anglo-saxon des enchères privées. Le montage juridique finalement adopté fut le suivant :

- utilisation d'Eemland Management Services comme structure juridique pour acquérir la division produits de consommation de Stora ;

- vente par Eemland à Gillette des activités de Wilkinson Sword se rapportant aux produits de rasage à l'extérieur de la CEE ;

- vente éventuelle par Eemland des activités relatives aux allumettes et aux briquets à des tiers.

Il a été convenu que Eemland Management Services paierait à Stora pour la cession de sa division produits de consommation une somme de 3 929 millions de couronnes suédoises, soit 625 millions de dollars, et que Gillette réglerait à Eemland Management Services la somme de 72,3 millions de dollars pour l'acquisition des activités de Wilkinson Sword se rapportant aux produits de rasage à l'extérieur de la CEE.

Les contrats d'acquisition afférents aux cessions (Stora à Eemland Management Services, puis Eemland Management Services à Gillette) ont été signés le 20 décembre 1989 et ceux relatifs au financement au cours des jours suivants.

Estimant que la vente par Stora des activités nord-américaines de Wilkinson Sword à Gillette constituait une violation du Clayton Act, le département américain de la justice a ouvert une enquête le 10 janvier 1990. Le 21 janvier suivant, les autorités américaines demandaient à Gillette de revendre à Eemland Management Services les activités de rasage de Wilkinson Sword pour les Etats-Unis. L'accord de rachat fut signé en mars 1990. Gillette s'est alors dégagée des activités de rasage de Wilkinson Sword aux Etats-Unis en les revendant à Eemland Management Services pour la somme de 6,4 millions de dollars.

Le 10 avril 1990 Eemland Management Services a pris le nom de Swedish Match NV et le 8 octobre elle a vendu ses activités allumettes et briquets jetables à un consortium d'investisseurs néerlandais dénommé Nederlight BV. A la suite de cette vente elle a changé sa dénomination sociale pour devenir, en avril 1991, Eemland Holdings NV.

c) Le montage financier

La structure financière de Eemland Holdings NV se décompose en quatre groupes de financement distincts :

EMPLACEMENT TABLEAU

1. Les fonds propres de Eemland Holdings NV se subdivisent en deux groupes d'instruments financiers (voir annexe 1).

a) Les actions ordinaires (voir annexe 2) : d'un montant de 12,4 millions de dollars, elles bénéficient d'un droit de vote et d'un droit à dividende.

Les caisses de retraite suédoises Procuritas Mbo Invest Ab, Forsakingsbolaget SPP, Omsesidigt, Livsforsakringsaktiebolaget Skandia et Spira Invest AB et la banque danoise Aktieselskabet Kjobenhavns Handelsbank détiennent 96 p. 100 de ces actions. Morgan Capital Corporation, qui fait partie du groupe bancaire américain J. P. Morgan and Co Incorporated, incluant notamment la Morgan Guaranty Trust of New York, détient 0,4 p. 100 de ces actions et les responsables de Swedish Match AB, qui étaient à l'origine de la procédure de "RES", environ 3,4 p. 100.

b) Les obligations convertibles (voir annexe 3) sont des quasi-fonds propres pour Eemland Holdings NV. Pour cette raison leurs porteurs ne seraient remboursés, en cas de faillite par exemple, qu'après qu'Eemland Holdings NV ait remboursé toutes ses autres dettes. Elles portent intérêt à hauteur des dividendes qui auraient été perçus si ces obligations avaient été converties en actions ordinaires.

Elles se décomposent en quatre groupes :

- type "A" (voir annexe 4) : d'un montant de 29,1 millions de dollars, elles sont convertibles à tout moment en actions ordinaires. La Morgan Capital Corporation en détient la plus grande part (47 p. 100) ;

- type "B" (voir annexe 5) : ces obligations d'un montant d'environ 13,7 millions de dollars sont exclusivement détenues par Gillette qui peut les convertir en cas de cotation de la totalité des actions ordinaires d'Eemland Holdings NV ;

- type "C" (voir annexe 6) : d'un montant de 0,1 million de dollars environ, elles ne sont détenues que par un seul groupe bancaire, l'Intermediate Capital Group Limited, dont le siège est à Londres, et peuvent être converties en cas de vente de la totalité des actions ordinaires d'Eemland Holdings NV ;

- type "D" (voir annexe 7) : leur montant est d'environ 0,2 million de dollars, dont l'Intermediate Capital Group Limited possède 83 p. 100. Les 17 p. 100 restants appartiennent à la banque danoise Aktieselskabet Kjobenhavns Handelsbank, qui détient près de 40 p. 100 des actions ordinaires d'Eemland Holdings NV. Ces obligations ne sont convertibles qu'en cas de liquidation d'Eemland Holdings NV.

2. La dette Mezzanine (voir annexe 8) comporte deux parties. La première résulte d'un prêt d'environ 69 millions de dollars consenti par plusieurs institutions dénommées dans les accords Prêteurs institutionnels. Il porte intérêt à Libor plus 4 p. 100 et ne sera remboursé qu'après la dette Senior. La deuxième partie résulte du prêt consenti par Lutrasilk Limited, filiale de Gillette. Egalement d'un montant de 69 millions de dollars, il porte intérêt à Libor plus 6 p. 100 et ne sera remboursable qu'après que les autres dettes d'Eemland Holdings NV auront été réglées.

3. La dette Senior (voir annexe 9) :

Pour les financiers anglo-saxons, les propriétaires d'une Senior debenture sont assimilables à des créanciers de premier rang sur l'entreprise ayant emprunté. Un syndicat de banques, piloté par la Morgan Guaranty Trust de New York, a prêté environ 409 millions de dollars à Eemland Holdings NV. Ce prêt porte intérêt à Libor plus 2 p. 100 et est remboursable sur cinq ans maximum. La partie la plus importante a déjà été remboursée par la vente des activités allumettes et briquets d'Eemland Holdings NV.

4. Le prêt de Stora :

Lors de la cession de sa division produits de consommation à Eemland, Stora lui a consenti un prêt de 48 millions de dollars sans intérêt, et venant à échéance au plus tôt le 31 décembre 1995, date à laquelle la dette Senior et la dette Mezzanine auront été intégralement remboursées. Gillette a accepté d'indemniser Stora du fait que le prêt ne porte pas intérêt.

d) Les accords commerciaux

Ils figurent dans deux documents signés respectivement le 20 décembre 1989 et le 2 janvier 1990. Ils précisent entre autres dans quelles conditions Gillette a racheté à Eemland Holdings NV l'activité produits de rasage hors CEE et aux Etats-Unis. Après l'intervention des autorités américaines, Gillette ayant dû se séparer de l'activité produits de rasage aux Etats-Unis, un nouvel accord fut conclu entre Gillette et Eemland Holdings NV.

Selon ces différents accords :

- Gillette a acquis l'activité produits de rasage Wilkinson Sword hors CEE et hors Etats-Unis ;

- Gillette n'a pas le droit d'utiliser la marque Wilkinson Sword et de revendre des produits Wilkinson Sword dans la CEE et aux Etats-Unis ;

- Eemland Holdings NV n'est pas autorisée à utiliser les marques Wilkinson Sword ni à vendre des produits Wilkinson Sword à l'extérieur de la Communauté économique européenne.

Plus précisément, Gillette a racheté la marque Wilkinson Sword, le savoir-faire et les autres éléments de la propriété industrielle existant en dehors de la CEE et des Etats-Unis et exclusivement liés aux activités de Wilkinson Sword dans ces zones jusqu'en décembre 1989.

Enfin, en vertu d'un accord de fourniture signé entre Gillette et Eemland Holdings NV le 20 juillet 1990 et dont le terme est fixé au 31 décembre 1991, Eemland Holdings NV accepte de fournir à Gillette des produits de toilette et de rasage. Ces produits permettront à Gillette d'alimenter ses ventes à l'extérieur de la Communauté économique européenne et des Etats-Unis.

e) Les procédures engagées hors de France

Outre la procédure susmentionnée conduite aux Etats-Unis, les autorités nationales de la concurrence ont été saisies dans différents pays.

Au Royaume-Uni Gillette a informé l'Office of fair trading le 20 décembre 1989. Ce dernier a demandé à la commission chargée des monopoles et des fusions, la Merger and monopolies commission, de formuler un avis sur le rapprochement entre Gillette et Eemland Holdings NV. La MMC a estimé que Gillette avait la possibilité matérielle d'influencer la politique commerciale d'Eemland Holdings NV. Gillette a alors décidé de faire appel de cette décision devant la High Court. Parallèlement, Gillette déclare "être en discussion avec l'Office of fair trading en vue de l'abandon de ses intérêts dans le capital de Swedish Match".

En Allemagne, au cours du mois de février 1990, Gillette a notifié au Bundeskartellamt le projet de rapprochement ; ce dossier est actuellement en cours d'examen.

Enfin la Commission des communautés européennes a adressé à Gillette et à Eemland Holdings NV, au titre du règlement communautaire n° 17, une lettre d'ouverture de procédure accompagnée d'une notification de griefs fondée sur les dispositions des articles 85 et 86 du Traité de Rome.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL

Sur la procédure :

En ce qui concerne la demande de sursis à statuer :

Considérant que la Commission des communautés européennes s'est saisie du dossier en se fondant sur les dispositions des articles 85 et 86 du Traité de Rome relatifs aux règles de concurrence et non pas sur les dispositions du règlement n° 4064-89 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, qui n'était d'ailleurs pas applicable à l'opération considérée, antérieure à la date d'entrée en vigueur de ce règlement; que dès lors la demande de sursis présentée par la société Gillette est sans objet;

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

Considérant que la société Gillette n'est pas fondée à prétendre que la procédure d'examen du dossier est entachée d'irrégularité du fait qu'il n'a pas été dressé procès-verbal des informations recueillies par le rapporteur et figurant au dossier ; qu'en effet il n'a pas été fait usage, pour l'instruction de la présente demande d'avis qui relève du titre V de l'ordonnance, des pouvoirs d'enquête définis au titre VI du même texte ;

Au fond :

Considérant qu'aux termes de l'article 39 de l'ordonnance susvisée "la concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante" ;

Considérant que l'opération examinée se décompose en trois volets : une prise de participation de Gillette par le canal de sa filiale Gillette UK dans le capital de Eemland Holdings NV, un prêt d'une autre filiale britannique de Gillette, Lutrasilk Limited, à Eemland Holding NV, enfin la rédaction d'accords commerciaux entre Gillette et Eemland Holdings NV ;

Considérant qu'il ressort des accords financiers ayant régi le rapprochement entre Gillette et Eemland Holdings NV que Gillette en tant qu'actionnaire, par le canal de sa filiale du Royaume-Uni, Gillette UK, ne détient parmi les instruments financiers que des obligations convertibles de type "B", pour un montant de 13,7 millions de dollars, et que ces obligations ne lui donnent ni le droit de vote au conseil d'administration de Eemland Holdings NV, ni le droit d'être représenté audit conseil, ni le droit d'assister à l'assemblée générale des actionnaires, ni le droit à des informations sur cette société;

Mais considérant en premier lieu queGillette, en tant que détenteur d'obligations convertibles, a des droits de préemption sur les actions ordinaires et sur les obligations convertibles d'Eemland Holdings NV; qu'au cas où un groupe d'investisseurs détenant plus de 26 p. 100 des fonds propres ou quasi-fonds propres (Gillette ne faisant pas partie de ce groupe) ferait savoir qu'il désirerait que la totalité des actions ordinaires d'Eemland Holdings NV soient cotées en bourse, Gillette aurait la possibilité d'acquérir ou de trouver un acheteur pour l'ensemble des titres détenus par ce groupe d'investisseurs ; qu'au cas où des investisseurs groupés (Gillette ne faisant pas partie de ce groupe) détenant 75 p. 100 des fonds propres d'Eemland Holdings NV (ou 65 p. 100 si les managers d'Eemland Holdings NV sont parties à l'opération) désireraient vendre leurs actions, Gillette aurait la possibilité d'acheter pour son compte ou de trouver un acheteur pour ces actions ; qu'enfin au cas où Eemland Holdings NV souhaiterait vendre la totalité de son activité ou une partie substantielle de cette dernière, les investisseurs (dont cette fois Gillette) disposeraient d'un droit de préemption qui jouerait comme pour une cession de titres ; qu'ainsi Gillette, qui est le seul opérateur industriel et commercial parmi les investisseurs, dispose de droits de préemption lui permettant, le cas échéant, de prendre en partie ou en totalité le contrôle d'Eemland Holdings NV ;

Considérant en deuxième lieu qu'il résulte également des accords financiers qu'en tant que prêteur, notamment par le canal de sa filiale Lutrasilk, Gillette a, depuis la revente de l'activité allumettes et briquets, le statut de créancier d'Eemland Holdings NV; que dans ces conditions Eemland Holdings NV ne peut pas ignorer sa dépendance financière vis-à-vis d'un créancier dont l'apport en capitaux représente environ 70 p. 100 de son chiffre d'affaires mondial annuel ;

Considérant en troisième lieu qu'à la suite des accords commerciaux conclus entre Eemland Holdings NV et Gillette, celle-ci acquiert une centaine de brevets nouveaux qui s'ajoutent aux quatre cents brevets qu'elle détient, etqu'elle est propriétaire, hors CEE et Etats-Unis, de la marque Wilkinson Sword; que dans ces conditions Gillette dispose à l'extérieur de la CEE et des Etats-Unis de deux lignes de produits, d'une part, des produits commercialisés sous la marque Gillette et ayant auprès du consommateur une image de produits haut de gamme à prix élevé et renfermant les dernières innovations technologiques et, d'autre part, des produits commercialisés sous la marque Wilkinson Sword et ayant une image de produits bon marché ; qu'en conséquenceGillette, ayant à l'extérieur de la CEE et des Etats-Unis la maîtrise de la politique commerciale de la marque Wilkinson Sword, pourra influencer de façon déterminante la politique de marque et de prix de Wilkinson Sword en France; qu'en effet, à supposer que Gillette veuille, dans les pays où elle commercialise les deux marques, éviter que les produits Gillette soient concurrencés par les produits Wilkinson Sword, elle pourra vendre ceux-ci comme produits de bas de gamme à des prix faibles ; que dans ces conditions Eemland Holdings NV n'aura que des possibilités limitées de concurrencer Gillette sur le segment des produits haut de gamme ; qu'en France, Eemland Holdings NV ne pourra pas donner une image de ses produits différente de celle que la marque Wilkinson Sword aura dans les pays situés à l'extérieur de la Communauté économique européenne ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments quel'opération examinée a pour effet de permettre à Gillette d'exercer une influence déterminante sur la gestion courante et sur la politique commerciale présente et future d'Eemland Holdings NV; qu'en conséquence elle constitue une concentration au sens de l'article 39 précité;

Considérant que les parts en valeur du marché français détenues par les marques Gillette et Wilkinson Sword étaient respectivement en 1990 de 68,9 p. 100 et de 5,5 p. 100 ; que le marché à prendre en considération est celui des produits de rasage, sur les différents segments duquel d'ailleurs la part de Gillette dépasse 25 p. 100, à la seule exception du cas du rasoir jetable une lame ; que dès lors les conditions d'application de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sont réunies ;

Considérant que cette concentration qui a son origine à l'extérieur du territoire national a, sur le marché national des produits de rasage, des effets qu'il convient d'apprécier conformément à l'article 41 de l'ordonnance; qu'en effet l'analyse de la structure des ventes en France par type de circuit de distribution montre que les produits de rasage sont essentiellement commercialisés par les hypermarchés et par les grandes surfaces (85,9 p. 100 en volume et 85,5 p. 100 en valeur) ; qu'il ressort de l'instruction qu'à l'intérieur des hypermarchés ou des grandes surfaces il n'y a place le plus souvent que pour deux marques de produits et, le cas échéant, pour une marque de distributeur; que Gillette étant leader sur les marchés mondiaux, européens et français, les distributeurs ne peuvent que très difficilement se dispenser de présenter ses produits ;

Considérant en outre que Gillette, en raison de l'influence déterminante qu'elle a sur la politique commerciale d'Eemland Holdings NV, par la maîtrise de deux marques, est en mesure de faire obstacle à la vente des marques concurrentes en vue de s'assurer à terme la maîtrise des différents segments du marché ;

Considérant enfin que le marché des produits de rasage comporte de nombreuses barrières à l'entrée : coût élevé des sites de production, nécessité de recourir à la publicité pour assurer la promotion des produits, dépenses élevées en matière de recherche et de développement ; qu'aucun nouvel intervenant n'est apparu en France sur ce marché depuis quinze ans ; que l'influence déterminante de Gillette sur Eemland Holdings NV risque par ses effets de renforcer ces barrières ;

Considérant dès lors que, compte tenu de la position de Gillette sur les produits haut de gamme, de sa maîtrise de l'image et du prix des produits Wilkinson Sword à l'extérieur de la CEE et des Etats-Unis, ainsi que de l'influence qu'elle peut exercer sur la politique d'Eemland Holdings NV en France, la société Gillette est en mesure de restreindre la concurrence sur le marché des produits de rasage de bas de gamme ; que la concentration présente ainsi pour la concurrence un risque qui, loin d'être hypothétique comme le prétend la société Gillette, revêt un caractère sérieux ; qu'il y a donc lieu de considérer que cette concentration est de nature à porter atteinte à la concurrence, au sens du titre V de l'ordonnance ;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'opération examinée apporte une contribution au progrès économique, notamment par un accroissement de la productivité ou une amélioration de la compétitivité des entreprises,

Est d'avis :

Qu'il y a lieu d'exiger le maintien de l'indépendance des réseaux de distribution en France des produits de rasage des marques Gillette et Wilkinson Sword, notamment en interdisant à Gillette de s'intéresser directement ou indirectement à la distribution des produits de rasage Wilkinson ainsi qu'en enjoignant à Wilkinson France SARL de renoncer à la commercialisation directe de ces produits en France et de confier celle-ci à un ou plusieurs distributeurs indépendants de Gillette et d'Eemland Holdings NV.

ANNEXES

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