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Décisions

Conseil Conc., 10 juillet 1990, n° 90-A-10

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en formation plénière sur le rapport de M. Jean-Pierre Lehman, dans sa séance du 10 juillet 1990 où siégeaient : M. Laurent, président ; MM. Béteille, Pineau, vice-présidents ; MM. Blaise, Bon, Cabut, Cerruti, Cortesse, Fries, Gaillard, Mme Hagelsteen, MM. Sargos, Schmidt, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 90-A-10

10 juillet 1990

Le Conseil de la concurrence,

Vu la lettre enregistrée le 6 mars 1990 sous le numéro A 67 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 d'une demande d'avis relative au projet de rapprochement entre les sociétés Eurocom, WCRS et Carat dans le secteur de la communication publicitaire ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu les pièces du dossier ; Vu l'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du gouvernement et les parties entendus ; Retient les constatations (I) et adopte l'avis (II) ci-après exposés,

I. - Constatations

Le Conseil de la concurrence doit apprécier le projet de rapprochement entre les sociétés Eurocom, WCRS et Carat Espace appartenant au secteur de la communication publicitaire. Ce projet résulte de l'accord de principe conclu le 15 décembre 1989 entre ces trois sociétés.

a) Les groupes concernés.

1° Eurocom est une société de droit français cotée à la bourse de Paris depuis 1982 au capital de 160 846 200 F. C'est en 1975 qu'Eurocom SA fut créée avec quatre filiales principales, toutes spécialisées dans la communication publicitaire Havas Conseil, Ecom, partenaire du réseau Univas, Futurs et Bélier, dans laquelle Eurocom ne détenait alors qu'une participation minoritaire. A la même date est lancé un réseau régional de communication Polaris.

La construction d'une stratégie internationale de développement, envisagée dès la création du groupe en 1975, s'affirme après 1985 :

Havas Conseil et Marsteller (société américaine de publicité filiale de Young et Rubicam) créent le réseau international HCM, qui deviendra HDM en juillet 1987.

Eurocom organise son développement autour de quatre groupes de communication spécialisés dans la conception publicitaire HCM, Univas, Polaris et Bélier, dont Eurocom prend 100 p. 100 du capital en 1986.

En outre, le groupe renforce ses moyens d'études et de recherche. Il s'appuie notamment sur deux centres de recherche, le CCA (Centre de communication avancée) et Euromedia. Le CCA est un centre de recherche en marketing, alors que Euromedia, spécialisé dans la recherche sur les médias au niveau international, alimente quatre centrales d'achat d'espace Mediapol et TV Pol pour Polaris, O'Space et O'TV pour HCM, Concerto Media et Empir Media pour Bélier, Médactif pour Univas.

Depuis 1987 Eurocom accélère son développement international accord Alice/CDP, création de HDM, filiale commune d'Eurocom, Dentsu et Young et Rubicam, alliance Bélier/WCRS Advertising. Eurocom est dès lors le premier groupe français d'entreprise de communication et est devenu le numéro 2 européen en même temps que l'un des dix premiers groupes publicitaires mondiaux.

2° La société WCRS Group Plc, du nom de ses fondateurs Wight, Collins, Rutferford, Scott, est la société mère d'un groupe de communication créé en Angleterre en 1979. C'est un groupe jeune qui dès sa création a voulu diversifier ses activités publicitaires. Ce groupe est coté à la bourse de Londres depuis 1984 ; aujourd'hui dénommé AEGIS, il se compose de trois sociétés principales ;

Creamer Dickson International (CDI) créée en mars 1989 est le réseau du groupe WCRS s'occupant des relations publiques ; ce réseau intervient dans tous les domaines des relations publiques et du design pour les entreprises son chiffre d'affaires pour 1989 a été de 34 millions de dollars.

APA/PNI a été fondée en 1971 et est entrée dans le groupe WCRS en 1986 ; ses filiales travaillent au service d'une large clientèle détenant des titres de premier ordre dans le domaine du financement de productions pour la télévision, du lancement de personnalités et de la production de panneaux publicitaires.

WCRS Advertising est un réseau d'agences de publicité implantées au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Australie et en Asie. Il opère sous l'enseigne WCRS MM (Mathews Marcantonio), au Royaume-Uni et occupe le dixième rang sur le marché britannique. Aux Etats-Unis, il opère sous l'enseigne Della Femina MC NAMEE WCRS et se situe parmi les vingt premières agences du marché. Le réseau, sous l'enseigne Ball Partnership, est présent en Australie ainsi qu'en Asie, à Hong-kong, en Thaïlande, à Singapour, à Taïwan et dans d'autres pays à travers des accords de coopération avec des agences locales.

3° L'achat d'espace publicitaire centralisé en France est né en 1969 de l'idée de G. Gross qu'en faisant auprès de certains médias des achats groupés supérieurs à ceux réalisés par chacune des agences de publicité à service complet, on pouvait obtenir des fournisseurs des ristournes quantitatives importantes. C'est ainsi qu'est apparue en France à la fin des années 1970 la société SGGMD, du nom de ses fondateurs Gilbert Gross et Michel Doliner. En 1987, à la suite d'une restructuration interne, la société SGGMD est devenue Carat Espace et a continué sa progression. Contrairement aux autres sociétés faisant l'objet de la concentration soumise à l'examen du Conseil, le groupe Carat Espace n'est pas coté en bourse. Le capital de Carat Espace est détenu, au début de l'année 1988, pour plus de 90 p. 100 par des membres de la famille Gross.

Jusqu'en 1986, le système d'achat d'espace fonctionnait de manière purement quantitative. Il s'agissait d'obtenir de l'espace publicitaire au coût le plus bas possible. Ce système a tellement démontré son efficacité que quelques grandes agences ont décidé, seules ou en se regroupant, de créer leur propre centrale d'achat. Quelques gros annonceurs se sont unis pour créer aussi des organismes d'achat centralisés de telle sorte qu'environ 40 p. 100 de l'achat d'espace en France était alors traité par des centrales d'achat.

Depuis 1986, trois grands médias, presse, radio, télévision, ont subi des mutations profondes. La presse par l'apparition d'un grand nombre de nouvelles publications plus ciblées, la radio par le rapide développement des radios libres (apparues dès 1981), la télévision dont le total des espaces publicitaires s'est trouvé sensiblement accru. Ces mutations ont conduit à une fragmentation plus fine des audiences et ont amené les annonceurs à demander plus de rigueur dans la sélection et l'achat des espaces publicitaires. Carat a été l'un des initiateurs, par sa filiale Carat TV, d'un système d'optimisation du plan média qui permet à ce dernier d'être adaptable aux réalités du marché, jour après jour entre sa conception et la réalisation. Ce travail qualitatif est aujourd'hui accompli pour tous les médias par des filiales spécialisées, Carat Radio, Carat Cinéma, Carat Magazines, Carat Affichage et Carat TV qui réalise annuellement pour plus de 3 milliards de francs d'achat d'espace.

b) Les accords de rapprochement.

Au début de l'année 1975, la société Havas Conseil éclate en quatre sociétés au capital détenu majoritairement par Eurocom (Ecom, Havas Conseil, Faits et Communication, Performance) et un groupe, Bélier, dans lequel la participation d'Eurocom est minoritaire.

Jusqu'en 1986, Eurocom va fonctionner en conservant cette structure. Au sein du directoire la volonté de développer un grand groupe international prend corps. La première phase de cet élan international passe par une restructuration du groupe. C'est alors qu'Eurocom acquiert 100 p. 100 du groupe Bélier.

Les dirigeants d'Eurocom cherchent un partenaire étranger en vue de développer un réseau mondial d'agences de publicité. Finalement un accord est conclu avec le groupe anglais WCRS Advertising filiale de WCRS Group Plc.

Aux termes de cet accord, signé en décembre 1987 et mis en application au tout début de l'année 1988 Eurocom prend une participation de 20 p. 100 dans le capital de WCRS Advertising et celle-ci prend une participation de 49 p. 100 dans le groupe Bélier, qui devient Bélier/WCRS.

Il est à noter que le rapprochement Eurocom-WCRS s'appuie sur le concept de la fédération d'agences : la concentration est concrétisée juridiquement par la création de deux holdings, l'un pour l'Europe continentale, dont Eurocom à travers Bélier détient 51 p. 100, l'autre pour le reste du monde, dont le groupe français ne détient que 20 p. 100.

Le 19 mai 1988, WCRS Group Plc a pris une participation de 50 p. 100 au capital de la société Carat SA au travers de Carat Holding SA, l'autre moitié étant répartie à raison de 49 p. 100 pour la Société financière européenne de communication SA (SFEC) et de 1 p. 100 pour les cadres du groupe. A cette date, la société SFEC est toujours contrôlée par MM. Francis et Gilbert Gross et les cadres du groupe Carat.

Le 15 décembre 1989 trois accords concomitants ont été signés :

Phase I : Eurocom et WCRS Advertising

Eurocom porte de 20 à 60 p. 100 la participation dans le réseau d'agences de publicité WCRS Advertising, filiale de WCRS Group Plc. Toutes les agences d'Eurocom, hors le réseau HDM, sont intégrées dans le nouveau réseau qui sera exploité sous le nom commercial Eurocom WCRS Della Femina Bail soit le nouveau sigle EWDB. Cela permet à Eurocom de posséder majoritairement un nouveau réseau d'agences implanté aux Etats-Unis, en Australie, en Asie et en Europe.

Phase II : SFEC, Carat Holding SA, WCRS Group Plc, WCRS France

WCRS Group Plc qui détient déjà 50 p. 100 de la société Carat Holding SA porte à 100 p. 100 sa participation dans Carat.

Environ 60 p. 100 des titres de SFEC ont été achetés par une filiale française de WCRS Group Plc, WCRS France, les 40 p. 100 restants étant directement achetés par WCRS Group Plc.

La partie du prix d'achat due par WCRS Group Plc, 833 000 000 F, sera payée par une remise d'actions de WCRS Group Plc d'une valeur de 333 000 000 F et d'obligations de WCRS Group Plc d'un montant de 500 000 000 F à différentes dates de maturité entre 1990 et 1993. Une partie de ces obligations est convertible en action WCRS aux conditions fixées par WCRS Group Plc.

Phase III : SFEC, Eurocom SFEC 2

Les actionnaires de SFEC, qui ont été rémunérés de leur cession sous forme d'actions de WCRS Group Plc, cèdent à Eurocom 10 p. 100 du capital de ce groupe. Le solde des actions WCRS détenues par SFEC est regroupé dans une société de portefeuille SFEC 2.

Durant l'année 1990, Eurocom, ainsi que l'y autorisent les accords, rachètera aux actionnaires de SFEC 2 une part de capital telle que la prise de participation d'Eurocom dans le capital de WCRS Group Plc soit de 14,9 p. 100.

Pour simplifier la structure juridique du groupe Carat, Carat Holding SA et SFEC 2 seront rapidement fusionnées en une nouvelle société, Carat Holding.

A la suite de cette opération, la situation de la société WCRS Plc en ce qui concerne son capital et son conseil d'administration sera la suivante :

EMPLACEMENT TABLEAU

Eurocom et SFEC 2, qui ont acquis 29,8 p. 100 du capital de WCRS Group Plc, sont les deux plus gros actionnaires.

Aux termes des accords conclus entre les trois parties, Eurocom et Carat disposent chacune d'un représentant au conseil d'administration de WCRS Group Plc et ces représentants sont tenus de voter, en tant qu'actionnaires, dans le sens des propositions formulées par le conseil d'administration, sauf dans le cas où une décision de l'assemblée porterait directement atteinte aux droits patrimoniaux des sociétés qu'ils représentent.

Durant les cinq années à venir WCRS Group Plc veut se dégager par degrés (sur une durée de six ans) de son activité de conseil en publicité, en permettant au groupe Eurocom de racheter progressivement le capital de EWDB.

c) Le projet intéressant entre autres secteurs du marché de l'achat d'espace, celui de la communication audiovisuelle, le Conseil de la concurrence a consulté le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Celui-ci a fait connaître le 6 juillet 1990 qu'il émettait un avis défavorable à la concentration projetée.

II. - A la lumière des constatations qui précèdent, le Conseil de la concurrence :

Considérant que les opérations en cause comportent trois volets : une prise de participation d'Eurocom et de SFEC 2 dans la société WCRS Plc laquelle détiendra elle-même 100 p. 100 de Carat, une prise de participation, à hauteur de 60 p. 100, d'Eurocom dans le réseau d'agences de conseil en publicité WCRS Advertising, filiale de WCRS Plc, enfin, la réalisation d'une stratégie de rapprochement entre Eurocom et Carat visant à faire traiter par le réseau Carat l'achat d'espace du groupe Eurocom ;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 39 de l'ordonnance susvisée une "concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante" ;

Considérant que l'opération soumise à l'examen du Conseil comporte, d'une part un transfert du contrôle de WCRS Advertising de WCRS Plc à Eurocom, d'autre part un transfert de la moitié du capital de Carat de SFEC 2 à WCRS Plc, laquelle détiendra alors la totalité de Carat, enfin, une prise de participation de SFEC 2 et d'Eurocom, à hauteur de 14,9 p. 100 chacune dans WCRS Plc, étant entendu, en outre, que la participation de SFEC 2 pourra atteindre ultérieurement 29,9 p. 100 ; que cette opération, à l'issue de laquelle toutes les agences de publicité du groupe Eurocom, hors HDM, seront intégrées dans le réseau de WCRS Advertising et l'activité d'achat d'espace du groupe Eurocom sera concentrée dans le réseau Carat, constitue une concentration au sens de l'article 39 précité ;

Considérant que les dispositions de l'article 38 de l'ordonnance permettant au ministre chargé de l'économie de soumettre à l'avis du Conseil de la concurrence tout projet de concentration ou toute concentration de nature à porter atteinte à la concurrence "ne s'appliquent que lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs " ;

Considérant, en premier lieu, que les chiffres d'affaires hors taxes réalisés en France en 1989 par Eurocom et Carat ont été respectivement de 6,8 milliards et de 8,9 milliards de francs ; qu'ainsi les seuils en valeur absolue fixés à l'article 38 sont dépassés et que la concentration en cause peut être soumise à l'avis du Conseil ;

Considérant, en deuxième lieu, que l'opération envisagée concerne, d'une part le marché de la publicité à l'étranger en tant qu'elle implique un regroupement des agences d'Eurocom et de WCRS Advertising, d'autre part le marché de l'achat d'espace publicitaire en France et à l'étranger, en raison de la concentration des achats d'espace d'Eurocom dans le réseau Carat ;

Considérant qu'en ce qui concerne le marché de la publicité l'opération considérée n'est pas de nature, compte tenu de son objet et de la structure de ce marché, à porter atteinte à la concurrence sur le marché national; qu'il y a lieu au contraire, en ce qui concerne l'achat d'espace, d'apprécier les incidences concurrentielles sur le marché national du transfert à Carat des activités correspondantes d'Eurocom;

Considérant que la demande d'espace publicitaire en France est caractérisée par l'importance du rôle des centrales d'achat d'espace et par une forte concentration de la demande émanant de ces centrales ; qu'en 1989, les centrales achetaient environ 80 p. 100 des espaces, le surplus des achats étant le fait des annonceurs et des agences de publicité pour le compte de leurs clients ; que les trois principales centrales, Carat, Publi Média Service et Eurocom, représentaient respectivement 17,2 p. 100, 16,8 p. 100 et 14,7 p. 100 du volume de l'achat d'espace, soit au total 48,7 p. 100 de l'achat d'espace publicitaire ; que si les parties à l'opération soutiennent, en se fondant non sur le volume de leurs achats mais sur la facturation de ces volumes, que leur part en valeur du marché n'était que de 13,1 p. 100 pour Carat et 8,7 p. 100 pour Eurocom, cette évaluation sous-estime leur poids réel sur le marché et rend simplement compte du fait qu'en raison du volume très important de leurs achats d'espace, elles étaient à même d'obtenir des ristournes plus élevées de la part des supports que nombre d'autres acheteurs d'espace ;

Considérant que l'offre d'espace publicitaire est nettement moins concentrée que la demande ; que la régie la plus importante, TF1 Publicité, offrait en 1989 un volume d'espace égal à 12,5 p. 100 de l'ensemble de l'offre ; qu'une seule autre régie, I.P. Radio qui assure la vente de l'espace publicitaire de RTL, offrait un volume supérieur à 5 p. 100 de cet ensemble ; qu'Havas Régie, troisième régie publicitaire, détenait une part égale à 4,6 p. 100 du marché ; qu'au total les trois régies les plus importantes représentaient environ 23 p. 100 de l'offre, cependant que 800 régies extérieures aux supports n'occupaient ensemble que 20 p. 100 du marché ;

Considérant que la concentration de l'activité d'achat d'espace de Carat et d'Eurocom sur le marché français se traduirait par l'émergence d'une centrale dont la puissance serait, en volume, de l'ordre du double de celle de la plus grande concurrente ; que la part représentée par les achats de Carat en France tous médias confondus passerait à 32 p. 100 alors que la part détenue par les plus gros acheteurs d'espace en République fédérale d'Allemagne et au Royaume-Uni. les deux plus importants marchés européens, ne sont, respectivement, que de 7,4 p. 100 et 13,5 p. 100 qu'en outre la part des achats d'espace de Carat en France serait, pour certains médias, largement supérieure à la proportion de 32 p. 100 susmentionnée ; qu'ainsi, la somme des parts des achats d'espace publicitaire d'Eurocom et de Carat serait comprise entre 33,6 et 46,5 p. 100 pour la radio, entre 35,9 et 54,2 p. 100 pour le cinéma, entre 35,7 et 43 p. 100 pour la télévision, entre 22,9 et 27,4 p. 100 pour l'affichage, entre 22 et 32,7 p. 100 pour la presse ; qu'enfin la part des trois principales centrales qui seraient alors par ordre de tailles décroissantes Carat, Publi Media Service et The Media Partnership, s'établirait à près de 64 p. 100 du volume total d'espace ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces facteurs que la concentration envisagée serait de nature à provoquer un grave déséquilibre du marché national de l'achat d'espace, à tout le moins dans d'importants segments de ce marché ; qu'en particulier, la puissance nouvelle qu'elle conférerait à Carat lui permettrait de peser, plus fortement qu'à l'heure actuelle, sur la liberté des choix économiques des supports et des annonceurs, et d'accroître, comme l'a relevé dans son avis le Conseil supérieur de l'audiovisuel, la dépendance des chaînes de diffusion en matière financière, voire de programmation ;

Considérant que Carat et Eurocom émettent des doutes sur le lien qui existerait entre l'augmentation de la puissance des centrales d'achat et le risque d'accroissement artificiel des tarifs des supports sur le marché français de l'espace publicitaire en faisant valoir qu'à supposer qu'un tel lien existe "ce phénomène d'inflation tarifaire se serait déjà produit dans le passé notamment du fait de l'action de Carat"

Mais considérant qu'il ressort des éléments chiffrés fournis par Carat qu'en valeur constante les tarifs des principaux supports, notamment la presse écrite et la télévision, ont augmenté plus rapidement en France que dans les pays, tels que la République fédérale d'Allemagne et le Royaume-Uni, dans lesquels le rôle des centrales d'achat d'espace est moins développé qu'en France ; que ces mêmes données révèlent qu'en Italie, où les centrales ont une position comparable à celle qu'elles occupent en France, les augmentations de tarifs ont été du même ordre de grandeur ; qu'à tout le moins ces constatations n'infirment pas l'éventualité d'une limitation de la concurrence par les prix du fait de la concentration projetée ;

Considérant que s'il apparaît que la société Carat a, dans les années récentes, développé des outils méthodologiques lui permettant d'offrir à ses clients, annonceurs ou agences de publicité, des services d'optimisation du choix des supports, cette circonstance n'est pas de nature à éliminer les effets anticoncurrentiels de la concentration envisagée qu'en effet si, grâce à ces outils, les annonceurs ou les agences qu'ils ont choisis peuvent connaître avec précision l'efficacité relative des différents supports dans lesquels ils envisagent de faire de la publicité, il n'en reste pas moins que les annonceurs doivent également tenir compte du coût des espaces, lequel dépend des conditions négociées par la centrale d'achat d'espace et de la mesure dans laquelle celle-ci répercute ou non aux annonceurs les ristournes qu'elle a obtenues des supports ; qu'ainsi compte tenu du fait que la centrale contrôle, sans que les annonceurs puissent en juger, l'un des éléments fondamentaux de la décision de ces derniers, elle conserve la possibilité d'orienter leurs choix, puissance que la concentration projetée risque d'accroître ;

Considérant que l'article 41 de l'ordonnance susvisée dispose : "Le Conseil de la concurrence apprécie si le projet de concentration ou la concentration apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Le Conseil tient compte de la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale" ;

Considérant que l'acquisition par Eurocom de la majorité du capital de WCRS Advertising est de nature à lui permettre de posséder un nouveau réseau d'agences de publicité implanté aux Etats-Unis, en Australie, en Asie et en Europe ; que la possession d'un tel réseau est de nature à améliorer la compétitivité de ce groupe en face de ses principaux concurrents ;

Considérant que l'effet de la concentration des réseaux d'achat d'espace d'Eurocom et de Carat à l'étranger pourra apporter une contribution à la compétitivité du groupe ainsi constitué dans ceux des pays dans lesquels la tarification des supports est susceptible d'être modulée en fonction du volume des achats d'espace ; qu'en effet compte tenu de la part relativement modeste du marché de la publicité que détient Eurocom dans certains pays étrangers, il n'est pas exclu que la possibilité d'obtenir des conditions plus favorables pour l'achat d'espace soit de nature à lui permettre de développer sa part de marché du conseil en communication ;

Mais considérant qu'il n'est nullement établi qu'Eurocom, qui occupe le premier rang sur le marché français de la publicité et le troisième rang sur celui de l'achat d'espace, ne puisse assurer son développement sur le marché national et international de la publicité en dehors du recours à la fusion, en France, de son réseau d'achat d'espace avec celui de Carat ; qu'Eurocom reconnaît d'ailleurs que son groupe pourrait réaliser lui-même, sans cette fusion, des modèles de " media-planning " aussi efficaces que ceux de Carat ; que, dès lors, la fusion en France des réseaux d'achat d'espace d'Eurocom et de Carat, qui ne constitue pas une condition nécessaire du développement des entreprises intéressées, ne peut être regardée comme apportant au progrès économique une compensation suffisante aux atteintes à la concurrence qu'elle implique sur le marché national de l'achat d'espace;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les accords qui ont fait l'objet des notifications du 5 mars 1990 et du 6 mars 1990 ne peuvent être approuvés, dans la situation actuelle des rapports entre les intervenants sur le marché de la publicité, qu'à la condition d'en distraire les effets sur le marché national de l'achat d'espace ;

Est d'avis : Qu'il y a lieu de subordonner l'approbation de l'opération notifiée à la condition qu'Eurocom et Carat ne fusionnent pas leurs réseaux d'achat d'espace en France, cette condition pouvant faire l'objet à l'avenir d'un nouvel examen en cas de modification substantielle des conditions d'exercice des activités d'achat d'espace sur le marché national.