Conseil Conc., 1 mars 1994, n° 94-A-11
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Avis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport de M. Guy Charrier; par M. Jenny, vice-président, présidant la séance; MM. Blaise, Gicquel, Pichon, Robin, Sargos, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence (section II),
Vu la lettre enregistrée le 26 août 1993 sous le numéro A 120 par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre, d'une demande d'avis relative à l'acquisition, par offre publique d'achat, de la société Sucrerie-Raffinerie de Chalon-sur-Saône par la société Union financière sucrière du Sud-Est ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu le règlement (CEE) n° 1785-81 du conseil du 30 juin 1981 modifié portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre ; Vu le règlement (CEE) n° 193-82 du conseil du 26 janvier 1982 arrêtant les règles générales relatives aux transferts de quotas dans le secteur du sucre ; Vu l'avis n° 90-A-09 du 12 juin 1990 du Conseil de la concurrence relatif au rapprochement des activités commerciales des sociétés Générale sucrière, Commerciale Sucre Union et Sucre Union Distribution et à la prise de participation de la Compagnie française de sucrerie dans le capital de Sucre Union Holding ; Vu les observations présentées par la société Union financière sucrière du Sud-Est et par le commissaire du Gouvernement ; Vu la lettre du ministre de l'agriculture et de la pêche en date du 17 février 1994 ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Union financière sucrière du Sud-Est entendus ; Adopte l'avis fondé sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :
I. - CONSTATATIONS
Le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de l'acquisition, par offre publique d'achat, de la société Sucrerie-Raffinerie de Chalon-sur-Saône par la société Union financière sucrière du Sud-Est.
A. - Le secteur concerné
1. Le régime réglementaire
Le secteur du sucre est soumis à une organisation commune de marché qui a pour objet de protéger les producteurs de sucre de l'Union européenne contre les incertitudes et les fluctuations des cours mondiaux, de garantir aux agriculteurs et aux entreprises sucrières un revenu équitable et d'assurer un juste équilibre des droits et des devoirs entre fabricants et producteurs agricoles. Elle a également pour ambition de favoriser l'essor des pays en voie de développement engagés dans la production de sucre de canne.
Il est régi par un ensemble de textes pris sur la base du règlement (CEE) n° 1785-81 du Conseil du 30 juin 1981 modifié pour chaque campagne annuelle, qui fixe un prix d'intervention du sucre blanc et des contingents de production ainsi que les modalités de leur fixation.
Le prix d'intervention du sucre blanc est égal au prix de base de la betterave augmenté des frais de transport des betteraves, de la marge de fabrication, du "montant de régionalisation" et diminué des recettes provenant de la mélasse. Le prix d'intervention est le prix minimum garanti auquel les organismes nationaux d'intervention (en France, le Fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre) sont tenus d'acheter au producteur qui ne parviendrait pas à vendre sa production.
La garantie de prix s'applique à des quantités limitées de production fixées pour chaque Etat membre. Deux quotas sont attribués : un quota "A" qui représente la consommation annuelle dans l'Union européenne et un quota "B" qui représente les stocks de sucre nécessaires pour faire face à une mauvaise récolte.
Les Etats membres répartissent les quotas, ainsi attribués, entre les différentes entreprises sucrières se situant sur leur territoire, en prenant en considération, selon les prescriptions du règlement précité "l'intérêt de chacune des parties concernées et notamment celui des producteurs de betteraves ou de cannes à sucre ".
Par ailleurs, le règlement (CEE) n° 193-82 du Conseil susvisé arrête des règles relatives aux transferts de quotas, notamment en cas de fusion ou d'aliénation d'entreprises et en cas d'aliénation d'usines ; en cas de fusion, l'Etat membre attribue à l'entreprise résultant de la fusion des quotas égaux à la somme des quotas attribués, avant la fusion, aux entreprises productrices de sucre fusionnées ; en cas d'aliénation, l'Etat membre attribue à l'entreprise aliénataire les quotas de l'entreprise aliénée et s'il y a plusieurs entreprises aliénataires, l'attribution de quotas est faite au prorata des quantités de production de sucre absorbées par chacune d'elles.
Toutefois, pour tenir compte, dans ces situations de transfert, de l'intérêt des planteurs, le 2 de l'article 2 de ce même règlement précise que: "lorsqu'une partie des producteurs de betteraves manifestent expressément leur volonté de livrer leurs betteraves ou leurs cannes à une entreprise productrice de sucre qui n'est pas partie prenante à ces opérations, l'Etat membre peut effectuer l'attribution en fonction des quantités de production absorbées par l'entreprise à laquelle ils entendent livrer leurs betteraves ou leurs cannes".
En cas de transfert de propriété ou de fermeture d'une sucrerie, des accords interprofessionnels entre planteurs et sucreries sont négociés paritairement, un "protocole de mouvance" est établi et un arrêté est pris par le ministre chargé de l'agriculture pour entériner les propositions de transfert, si celles-ci sont reconnues préserver les intérêts des planteurs.
Seuls les sucres produits au titre des quotas A et B peuvent être commercialisés dans l'Union européenne. Le prix mondial étant inférieur au prix d'intervention, une aide au financement des exportations vers les pays tiers est attribuée aux producteurs qui sont assurés ainsi de bénéficier des prix garantis lorsqu'ils vendent à l'extérieur de l'union ; cette aide est financée par une cotisation à la production fixée pour les trois dernières campagnes à 2 p. 100 du prix d'intervention pour les ventes de sucre produit au titre du quota A et à 39,5 p. 100 pour celles entrant dans le quota B, la charge étant partagée entre les planteurs et les sucreries.
Le surplus de production, hors quotas A et B, désigné "quota C", ne peut qu'être exporté vers les pays tiers, sans pouvoir bénéficier des aides communautaires.
En vertu de la convention de Lomé signée en 1975 avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), l'Union européenne s'est engagée à acheter auprès de ces pays des quantités de sucre s'élevant à 1 275 millions de tonnes (soit près de 10 p. 100 de la consommation de l'union), cela sans prélèvement à l'exportation, à prix garantis.
La France est attributaire des quotas les plus élevés de l'union : 2 560 000 tonnes au titre du quota A et 759 232 tonnes au titre du quota B (en métropole).
2. Les structures de l'industrie sucrière
La surface cultivée de betteraves a peu évolué sur une longue période ; en France, après une forte diminution en 1985 par rapport aux années précédentes, l'emblavement est resté stable, mais le rendement à l'hectare tend à s'accroître; il atteint en 1992-1993 7,88 tonnes à l'hectare en moyenne en Europe et 9,9 tonnes en France ; pour la dernière campagne, ce rendement serait de 10 tonnes à l'hectare pour la seule région de Bourgogne selon la Sucrerie de Chalon. Quarante-deux mille planteurs cultivent la betterave en France dont sept cent quarante-six livrent aux deux sucreries de Bourgogne.
Dans l'ensemble de l'Union européenne, le nombre de sociétés sucrières a diminué entre la campagne 1981-1982 (115 sociétés et 238 usines) et la campagne 1990-1991 (84 sociétés et 183 usines) ; les fermetures ont affecté essentiellement les unités de production dont les capacités de traitement de betteraves étaient inférieures à 8 000 tonnes par jour.
L'industrie sucrière française est parmi les moins concentrées en Europe, comprenant 30 sociétés et 48 usines avec un taux de capacité moyen actuel de 8 400 tonnes, les usines des Pays-Bas détenant la plus forte capacité avec 12 500 tonnes. Dix années auparavant, l'industrie française sucrière était représentée par 57 usines dont le taux moyen était de 6 500 tonnes. Cette industrie se caractérise par une diversité dans les tailles des usines, celles qui ont de faibles capacités tendant à disparaître comme le montre le tableau ci-après.
EMPLACEMENT TABLEAU
Pour la dernière campagne, en 1992-1993, s'agissant des entreprises principales concernées par l'offre publique d'achat, le traitement journalier de betterave était, pour les sucreries de la société Sucrerie de Chalon, inférieur à la moyenne nationale (3 124 tonnes pour l'usine de Briénon et 5 119 tonnes pour celle d'Aiserey), pour la Sucrerie de Corbeilles-en-Gâtinais, légèrement supérieur (8 559 tonnes) et pour les usines de la société Générale sucrière, supérieur (ses différentes unités de production traitant de 7 300 à 13 400 tonnes).
L'industrie sucrière exige des investissements lourds ; selon la société Générale sucrière, à l'investissement initial (une sucrerie neuve de taille compétitive coûterait entre 1,5 et 1,8 milliard de francs), s'ajoutent des frais de structures et des frais récurrents incompressibles, comme les travaux d'entretien ; la rentabilité d'une sucrerie, se caractérise, suivant les propos de cette même entreprise, "par l'importance des charges fixes rapportées à un temps d'exploitation limité par la saisonnabilité de l'activité".
Premier producteur communautaire de sucre de betterave, la France a une production excédentaire ; en 1991-1992, la consommation nationale était évaluée à 2 080 000 tonnes, tandis que la production s'était élevée à 4 312 000 tonnes.
Les importations représentent, pour la campagne 1992, 2,52 p. 100 de l'ensemble de ce qui apparaît sous la rubrique "Ressources" dans le bilan de campagne pour la métropole, en totalisant les importations de sucre ("en l'état") en provenance de pays tiers et de pays de l'Union européenne. En ajoutant les importations de sucre incorporé dans les produits transformés, les importations totales par rapport aux mêmes chiffres de référence sont égales à 7,80 p. 100.
Pour la même période, les exportations représentent 55 p. 100 de l'ensemble de ce qui apparaît sous la rubrique "Utilisation" en totalisant les exportations vers les pays de l'Union européenne et vers les pays tiers. En ajoutant les exportations de sucre incorporé dans les produits transformés, la part des exportations totales est égale à 59,9 p. 100.
3. Les autres produits édulcorants
Dans le total de la production nationale de sucre blanc évaluée à 4 646 000 tonnes pendant la campagne 1992-1993, les parts respectives du sucre de betterave et du sucre de canne étaient de 94 p. 100 et de 6 p. 100.
Par ailleurs, comme le Conseil de la concurrence l'avait précédemment constaté, dans son avis susvisé du 12 juin 1990, les productions sucrières traditionnelles sont concurrencées par d'autres produits édulcorants, issus de l'amidon ou de produits de synthèse. La technologie de production est toutefois différente et les utilisations sont essentiellement destinées à l'industrie.
En ce qui concerne l'utilisation à des fins industrielles, plusieurs catégories de produits peuvent partiellement remplacer le sucre.
Il en est ainsi de produits issus de l'amidon, l'isoglucose et le glucose. L'isoglucose est également soumis à un contingentement communautaire, des quotas étant fixés pour la campagne 1992-1993 pour la France suivant des quantités représentant 0,6 p. 100 des quotas affectés au sucre de betterave. A l'échelon mondial, après une forte progression, la production de ces édulcorants tend à se stabiliser en raison de la faiblesse du cours du sucre, de la concurrence des édulcorants de synthèse et des évolutions dans les modes de consommation. Les édulcorants de synthèse, dont la saccharine et l'aspartame, sont en hausse au plan mondial, principalement en Asie, mais aussi, selon la société Générale sucrière, en France, notamment pour la fabrication de produits frais laitiers.
En outre, l'évolution technologique et le développement industriel récent de la production d'édulcorants naturels issus de produits agricoles a fait apparaître une nouvelle génération de produits dénommés sirop d'inuline dont les caractéristiques sont comparables à l'isoglucose et au sucre liquide. Pour éviter une perturbation du marché, la Commission européenne a indiqué dans les considérants du règlement n° 1548-93 du 14 juin 1993, modifiant pour la campagne 1993-1994 le règlement n° 1785-81 susvisé, qu'il était envisagé d'incorporer la production de cet édulcorant dans l'organisation commune des marchés dès la campagne 1994-1995.
En ce qui concerne la consommation de "bouche", selon les représentants de la société acquéreur, l'utilisation des autres édulcorants que le sucre, qui est évaluée à 35 000 tonnes "équivalent sucre", a progressé alors que la consommation de sucre a légèrement baissé dans le même temps. La substituabilité entre ces produits et les sucres est cependant atténuée, en raison de l'image de produit "naturel" du sucre et "médicale" des produits de synthèse et en raison du coût de ces derniers.
B. - Les entreprises parties à l'opération
1. La société Sucrerie-Raffinerie de Chalon-sur-Saône (ci-après "Sucrerie de Chalon") est une entreprise familiale qui possède deux filiales de production sucrière dont elle détient respectivement 99,96 et 95,54 p. 100 du capital : la société Sucrerie de Bourgogne dont l'usine est située à Aiserey (Côte-d'Or) et la société Sucrerie-Raffinerie de Brienon-sur-Armençon, dont l'usine est située à Brienon (Yonne). Les comptes consolidées de la Sucrerie de Chalon font apparaître pour l'année 1992 un chiffre d'affaires de 341,75 millions de francs et un bénéfice net de 34,44 millions de francs ; pour les seules filiales précitées, le bénéfice net s'élève à 14 millions de francs.
Pendant la campagne 1992-1993, la Sucrerie de Chalon a produit 72 077 tonnes de sucre de betterave dont les trois quart au titre des quotas A et B et un quart, hors quotas, voué par conséquent à l'exportation vers les pays tiers.
Elle commercialise 18,23 p. 100 de sa production contingentée en tant que sucre de "consommation directe", c'est-à-dire de sucre de "bouche", sous la marque Sucrerie-Raffinerie de Chalon-sur-Saône. La quasi-totalité de ces ventes sont effectuées auprès de neuf clients situés principalement dans la région de Bourgogne ou dans les départements voisins.
Elle commercialise aussi les sucres de "consommation indirecte" (sucres destinés à l'industrie ou vendus sous contrats à des négociants) produits par le groupe, qui constituent 77,16 p. 100 de la production contingentée ; ils sont vendus à quarante-cinq clients dont les principaux sont également situés en région Bourgogne ou zone limitrophe. Le restant de sa production sous quotas A et B (4,6 p. 100) est vendu à l'exportation soit vers les pays de l'Union européenne soit vers les pays tiers. Enfin, la Sucrerie de Chalon commercialise, à titre de complément de gamme, du sucre de canne pour des quantités représentant pour la campagne 1992-1993 1,17 p. 100 de ses ventes de sucre de betterave.
2. La société Union financière sucrière du Sud-Est (ci-après "Ufisuse") est une société spécialement constituée pour l'acquisition de la société Sucrerie-Raffinerie de Chalon-sur-Saône ; elle est une filiale, d'une part, à 50 p. 100 de la société Générale sucrière agissant pour son compte et pour celui des sociétés de son groupe, notamment de la société Ouvré fils SA société Sucrerie et distillerie de Souppes, et, d'autre part, à 50 p. 100 de la société Sucrerie-Distillerie coopérative agricole de Corbeilles-en-Gâtinais ; la note de présentation de l'offre publique d'achat précise que la sucrerie de Corbeilles peut "totalement ou partiellement se substituer,... notamment la société Cristal-Participations" dont elle détient 41,96 p. 100 des parts du capital auquel participent également les entreprises suivantes : Sucrerie coopérative de Lillers (Pas-de-Calais) avec 7,16 p. 100 des parts, Coopérative agricole de sucrerie d'Artenay (Loiret) avec 9,84 p. 100, Coopérative agricole d'Arcis-sur-Aube (Aube) avec 14,28 p. 100, Sucrerie coopérative agricole de Bazancourt (Marne) avec 12,52 p. 100, et la société de commercialisation Sucre-Union Holding avec 8,92 p. 100.
a) La société Générale sucrière est une filiale du groupe Saint-Louis ; son chiffre d'affaires consolidé pour l'année 1992 est évalué à 6 301 millions de francs. Elle procède essentiellement à la production de sucre et d'alcool de betterave dans cinq usines situées dans les départements de l'Aisne, du Calvados, de l'Eure et de la Somme : elle raffine également du sucre de canne dans une usine à Marseille.
Elle possède par ailleurs 99,99 et 99,85 p. 100 du capital de deux sociétés productrices de sucre de betterave, la société Sucrerie de Saint-Germainmont (Ardennes) et la société Sucrière de Guignicourt (Aisne) ; ces deux sociétés sont elles-mêmes détentrices respectivement de 47 et 53 p. 100 du capital de la société Sucrière du Nord-Est.
Enfin la société Générale sucrière détient 47 p. 100 du capital de la société Raffinerie de Bresles (Oise) dont l'entreprise a indiqué lors de l'instruction qu'elle avait l'intention de se porter acquéreur du restant et 44,5 p. 100 du capital et des droits de vote de la société Ouvré et fils SA société Sucrerie et Distillerie de Souppes (Seine-et-Marne).
b) La société Sucrerie-Distillerie coopérative agricole de Corbeilles-en-Gâtinais (ci-après "Sucrerie de Corbeilles"), située dans le Loiret, dont le chiffre d'affaires pour l'exercice 1992-1993 s'élève à 320,6 millions de francs, produit essentiellement du sucre de betterave mais aussi des produits dérivés de la mélasse. Elle ne procède pas à la raffinerie ou à la commercialisation du sucre de canne. Elle produit du sucre exclusivement destiné à l'industrie.
Les sucres produits par les sucreries et raffineries des entreprises dépendant de la société Générale sucrière comme ceux produits par Sucrerie de Corbeilles et les autres sociétés actionnaires de Cristal-Participations sont commercialisés par la société Eurosucre.
c) La société Eurosucre a été constituée le 17 octobre 1989 par un accord conclu entre la société Générale sucrière et le groupement Sucre Union qui détiennent respectivement 65 p. 100 et 35 p. 100 de son capital aux termes des statuts mis à jour en 1993.
Les fonctions d'Eurosucre recouvrent les activités de distribution mais aussi celles relatives au conditionnement ce qui implique, selon les dirigeants de Générale sucrière, une intégration progressive au stade de la production. Des mesures ont été mises en vigueur pour harmoniser les gammes, les marques des associés, le conditionnement et l'emballage des produits.
Par son avis du 12 juin 1990 susvisé, le Conseil de la concurrence, saisi par le ministre chargé de l'économie, a considéré en ce qui concerne la constitution de la société Eurosucre que l'opération examinée était susceptible d'affecter l'exercice de la concurrence sur le marché national, mais que cette atteinte potentielle à la concurrence pouvait être compensée par une contribution suffisante au progrès économique ; le ministre a décidé, par une lettre du 13 juillet 1990, de ne pas s'y opposer. De son côté, la Commission européenne, saisie des mêmes accords sur le fondement des articles 85 et 86 du Traité de Rome, a clôturé la procédure par une lettre du 22 décembre 1992, en émettant des réserves sur l'existence d'éléments suffisants pour considérer que les accords ne tombent pas dans le domaine d'application de l'article 85 et qu'ils peuvent bénéficier d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3.
Les ventes d'Eurosucre représentent 48 p. 100 de la consommation nationale de sucre de bouche et 52 p. 100 des sucres industriels. Pour ce qui concerne le sucre de bouche, 85 p. 100 de ses ventes à la distribution ont été effectuées auprès des grandes enseignes ; dans la région de Bourgogne, Eurosucre a notamment dans sa clientèle deux enseignes, Casino et Carrefour, qui s'approvisionnaient également auprès de la Sucrerie de Chalon.
Eurosucre commercialise aussi sa production auprès de très nombreux clients industriels, mais 20 p. 100 de ses ventes concernent cinq clients ; sur les dix principaux clients dans la région de Bourgogne, sept sont aussi clients de la Sucrerie de Chalon (Lanvin, Soboca, Excella, Yoplait, L'Héritier Guyot, Nigay, Pampryl) ; un huitième client important commun ne se situe pas en Bourgogne (Giraudon, à Marseille). Au total, pour les sucres industriels, les ventes auprès de l'ensemble de ces principaux clients communs constituent 6,44 p. 100 du chiffre d'affaires d'Eurosucre et 48 p. 100 de celui de la Sucrerie de Chalon. Il résulte de l'instruction que les prix pratiqués par Eurosucre et la Sucrerie de Chalon auprès de ces clients fournis concurremment sont voisins.
Le tableau ci-après récapitule les parts de marché des entreprises directement concernées par l'opération soumise au Conseil de la concurrence, leur production, les quotas qui leur sont attribués et leurs parts en valeur relative par rapport à la production nationale et aux quotas.
EMPLACEMENT TABLEAU
Pour la campagne 1992-1993, les parts dans la production nationale des différentes entreprises productrices de sucre de betterave, regroupées ou indépendantes, sont récapitulées dans le tableau ci-après :
EMPLACEMENT TABLEAU
II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur la nature de l'opération :
Considérant qu'aux termes de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "La concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante" ;
Considérant que l'opération analysée consiste en l'acquisition par voie d'offre publique d'achat, du capital de la société Sucrerie-Raffinerie de Chalon-sur-Saône par la société Union financière sucrière du Sud-Est (Ufisuse) ; qu'aux termes de l'offre, dont l'avis de résultat a été rendu par la Commission des opérations de bourse le 3 janvier 1994, la société Ufisuse a effectivement acquis 171 780 actions du capital social de la société concernée, constitué de 180 000 actions ; que cette acquisition constitue une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance précitée ;
Sur le marché et les seuils de référence :
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "Ces dispositions ne s'appliquent que lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs" ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que le marché à prendre en considération pour l'application de ces dispositions est le marché national du sucre de betterave qui est soumis à une réglementation particulière; que si les demandeurs sur le marché peuvent s'approvisionner, pour certaines utilisations, en édulcorants issus de l'amidon ou de produits de synthèse ainsi qu'en nouveaux produits tel que le sirop d'inuline, il n'est établi ni que la substituabilité de ces produits au sucre est, à l'heure actuelle, suffisante pour considérer qu'ils appartiennent au même marché, ni que cette situation est susceptible d'évoluer à brève échéance ;
Considérant qu'au stade de la production, la société Générale sucrière et ses filiales productrices de sucre (Sucrerie de Saint-Germainmont, Sucrière de Guignicourt, Sucrerie du Nord-Est, Sucrerie-Raffinerie de Bresles ainsi que la société Ouvré Fils SA-Sucrerie Distillerie de Souppes dont elle possède 44,45 p. 100 du capital), la société Sucrerie-Distillerie coopérative agricole de Corbeilles-en-Gâtinais et la société Sucrerie-Raffinerie de Chalon-sur-Saône ainsi que ses filiales (Sucrerie de Bourgogne et Sucrerie-Raffinerie de Brienon-sur-Armançon), détiennent ensemble 25,88 p. 100 du marché national de sucre de betterave et 25,94 p. 100 des quotas "A" et "B" prévus par le règlement (CEE) n° 1785-81, susvisé, et les règlements qui l'ont modifié ; que par ailleurs, la société Eurosucre, qui est économiquement liée aux entreprises qui ont initié l'offre publique d'achat dont elle commercialise la production ainsi que celle des sociétés actionnaires de la société Cristal Participations, assure la distribution de 48 p. 100 du sucre de bouche et 52 p. 100 du sucre industriel sur le marché national ; que dans ces conditions, le seuil de part de marché prévu à l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est atteint ;
Sur les effets de l'opération sur la concurrence :
Considérant, en premier lieu, que la réglementation européenne limite l'intensité de la concurrence sur le marché national du sucre de betterave tant par le système des quotas de production qui restreint les possibilités d'expansion de chacun des offreurs que par le mécanisme du prix d'intervention, lequel constitue un prix plancher auquel ces offreurs sont certains de pouvoir écouler la partie de leur production relevant des quotas A et B ;
Considérant, en deuxième lieu, que les actionnaires de la société Ufisuse appartiennent au groupement Eurosucre qui a, pendant la campagne 1992-1993, commercialisé la production relevant des quotas A et B de sociétés assurant au total 49,47 p. 100 de la production nationale de sucre de betteraves ; que, par l'opération de concentration examinée, la société Ufisuse acquiert la Sucrerie de Chalon dont la production ne représentait, pour cette même campagne, que 1,65 p. 100 de l'offre, dont l'activité commerciale était, pour l'essentiel, limitée à la Bourgogne et aux zones limitrophes et dont les perspectives de développement étaient pratiquement inexistantes; que les sociétés Eridania-Beghin-Say, Vermandoise-Industries, et Sucreries et distilleries de l'Aisne (Origny), qui sont les trois entreprises les plus importantes ne participant pas au groupement Eurosucre, réalisaient, avec les sociétés qui leur sont liées, respectivement 28,05 p. 100, 7,95 p. 100 et 6,77 p. 100 de la production nationale; que,dans ces conditions, la concentration examinée n'affectera que marginalement la structure de l'offre;
Considérant, en troisième lieu, que pour ce qui est du sucre de bouche, la Sucrerie de Chalon réalisait 98 p. 100 de ses ventes avec neuf clients ; que plusieurs de ces clients étaient affiliés à des chaînes de distribution nationales ; que, pour ce qui concerne les sucres industriels, la Sucrerie de Chalon réalisait plus de 48 p. 100 de ses ventes avec huit clients qui se fournissaient d'ailleurs pour partie auprès d'autres sucreries ; que la taille des clients de la Sucrerie de Chalon leur permet de s'adresser tant à divers autres producteurs nationaux qu'à des importateurs; que,dès lors, la concentration examinée n'est pas de nature à les priver de sources d'approvisionnement alternatives ou à restreindre leur capacité de négociation;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les effets de l'opération soumise au Conseil ne sont pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché national du sucre de betterave; qu'en conséquence, il n'y a pas lieu pour le Conseil de se prononcer sur la question de la contribution au progrès économique que l'opération de concentration examinée peut apporter,
Est d'avis :
Qu'il n'a lieu, au regard des critères fixés à l'article 41 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ni de faire opposition à l'acquisition de la société Sucrerie-Raffinerie de Chalon-sur-Saône par la société Union financière du Sud-Est, ni de subordonner cette opération à des conditions particulières.