Cass. com., 26 novembre 1996, n° 94-20.055
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Syndicat des distributeurs indépendants
Défendeur :
Association française des producteurs de films et de programmes audiovisuels
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M Léonnet
Avocat général :
Mme Piniot
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan, M Choucroy, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, Me Ricard.
LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 1994) que, par actes en date du 22 janvier 1992, les sociétés Gaumont et Pathé-Cinéma ainsi que leurs filiales, se sont réciproquement cédé la propriété de fonds de commerce d'exploitation de salles de cinéma et des murs de certains de ces fonds à Paris et en province ; qu'à la suite de ces accords le parc parisien des salles appartenant à la société Gaumont représentait au début de l'année 1993, 31,5 % des recettes alors que celui appartenant à la société Pathé-Cinéma représentait moins de 8 % ; que la société Gaumont et le GIE UGC Diffusion, totalisant 36 % des recettes des salles parisiennes, étaient les deux plus importants opérateurs sur le marché de l'exploitation des films en salles à Paris ; qu'en province la société Pathé- Cinéma disposait, à la même date, de 58,37 % des recettes à Nice, 27,26 % à Toulon, 58,4 % à Grenoble, 70,17 % à Aix-en-Provence et 79,14 % à Caen et à Toulouse, 48,76 % des recettes étaient encaissées par la société Gaumont ; que le Groupement national des salles de recherches (GNSR), l'Association française des producteurs de films et de programmes audiovisuels (AFPF), le syndicat des cinémas d'art, de répertoire et d'essai (SCARE) et le syndicat des distributeurs Indépendants (SDI), estimant que les accords du 22 janvier 1992 constituaient des pratiques anticoncurrentielles sur le marché de l'exploitation des salles de cinéma au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ont saisi le 12 mai 1992, le 29 juin 1992, le 10 novembre 1992 et le 16 novembre 1992, le Conseil de la concurrence afin de faire déclarer illicites ces accords ; que, le 17 juin 1992, le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence sur le fondement des articles 38 et 39 de l'ordonnance précitée, relatifs au contrôle des concentrations, d'une demande d'avis sur les accords conclus le 22 janvier 1992 entre les sociétés Gaumont et Pathé-Cinéma ; que, par arrêté du 18 mars 1993, pris après avis du Conseil de la concurrence, le ministre de l'Economie et des Finances et les ministres de l'Education nationale et de la Culture ont approuvé les opérations de concentration projetées sous certaines réserves afin de rétablir les conditions d'une concurrence suffisante sur le marché de l'exploitation des salles de cinéma et pour éviter des effets potentiellement restrictifs de concurrence sur les autres marchés considérés ; que par décision du 6 juillet 1993 le Conseil de la concurrence ayant rejeté les requêtes de divers syndicats et associations, ceux-ci ont formé un recours devant la cour d'appel de Paris ;
Sur la demande de mise hors de cause présentée par la société UGC et le GIE-UGC Diffusion : - Attendu que l'AFPF et le syndicat SDI font grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevables leurs recours concernant les pratiques "d'obstructions systématiques" dont le syndicat aurait été victime de la part des groupements de programmation Gaumont associés et compagnie Pathé-Edeline et Indépendants et UGC Diffusion ;
Mais attendu que le pourvoi ne formulant aucune critique contre ce chef de l'arrêt, il y a lieu d'accueillir la demande de la société UGC et du GIE-UGC Diffusion tendant à être mis hors de cause ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal et du pourvoi incident pris en ses trois branches ; - Attendu que le Syndicat SDI et l'Association AFPF font grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevables leurs recours, alors, selon le pourvoi, d'une part, que lorsqu'intervient une opération de concentration au sens des articles 38 et suivants de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les entreprises intéressées au sens de l'article 11 de la même ordonnance sont recevables, en l'absence de tout texte exprès contraire et nonobstant les dispositions de l'article 43 de l'ordonnance, à agir sur le fondement de l'article 11 précité devant le Conseil de la concurrence statuant au contentieux pour faire valoir que cette concentration peut également constituer aussi bien une action concertée pouvant avoir pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence, au sens de l'article 7 de l'ordonnance, qu'une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 8 de l'ordonnance, et solliciter le prononcé de sanctions adéquates pour qu'il soit mis fin à ces pratiques anticoncurrentielles, sur le fondement de l'un ou l'autre de ces textes ; que la cour d'appel a ainsi violé les articles 7, 8, 11, 19, 38, 39 et 43 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, que les requêtes initiales ne dénonçaient l'accord de concentration Gaumont-Pathé-Cinéma du 22 janvier 1992 que dans la mesure où cet accord constituait précisément, d'une part, une action concertée pour agir sur le marché, d'autre part, le fruit de l'exploitation abusive de leur position dominante par un groupe d'entreprises ; qu'en affirmant que les requêtes initiales se seraient bornées à dénoncer la structure de l'accord, et au regard du seul article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la cour d'appel a dénaturé le cadre du litige et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; alors, enfin, que le Conseil de la concurrence est saisi in rem, et n'est pas lié par des qualifications que les parties n'ont, au demeurant, aucune obligation d'invoquer ; que dans leurs mémoires additionnels devant le Conseil, le SDI comme l'AFPF dénonçaient l'accord litigieux comme étant susceptible de tomber sous le coup de l'article 8 de l'ordonnance, et étaient recevables à invoquer cette qualification, fût-elle nouvelle, des faits dénoncés dans la saisine initiale ; que la cour d'appel, en limitant à l'acte de saisine initial la possibilité de qualifier les faits dénoncés et en interdisant tant au Conseil qu'aux parties de préciser ces qualifications initiales, a ainsi méconnu les pouvoirs du Conseil de la concurrence, imposés aux entreprises saisissantes des obligations contraires à la loi et violé les articles 11 et 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté que dans leurs actes de saisine du Conseil de la concurrence, l'AFPF, le GNSR, le SCARE et le SDI dénonçaient les pratiques anticoncurrentielles dont se seraient rendues coupables les entreprises Gaumont et Pathé-Cinéma en concluant, au début de l'année 1992, des accords de cession réciproque de salles de cinéma situées tant à Paris que dans certaines villes de province et a relevé que ces accords avaient été qualifiés d'opérations de concentration économique par un arrêté ministériel du 18 mars 1993 intervenu après avis du Conseil de la concurrence en application des dispositions des articles 38 et suivants de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que les parties litigieuses n'ayant pas fait état de pratiques illicites issues de ces accords pouvant faire l'objet, le cas échéant, d'une saisine distincte du Conseil de la concurrence sur le fondement des articles 7 et 8 de l'ordonnance, c'est à bon droit que la cour d'appel, sans encourir les griefs du moyen, a déclaré irrecevables devant le Conseil de la concurrence les saisines visant ces opérations de concentration économique; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : Met hors de cause la société UGC et le GIE UGC Diffusion ; Rejette les pourvois tant principal qu'incident.