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Décisions

Conseil Conc., 6 décembre 1994, n° 94-A-30

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Véglis, par M. Jenny, vice-président, président, MM. Blaise, Gicquel, Robin, Sargos, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 94-A-30

6 décembre 1994

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 29 juillet 1994 sous le numéro A 150, par laquelle le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, d'une demande d'avis relative à l'acquisition de la société Picard Surgelés par la société Carrefour SA ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1306 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la société Carrefour SA et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la société Carrefour SA entendus, la société Picard Surgelés ayant été régulièrement convoquée ; Adopte l'avis fondé sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. - CONSTATATIONS

A. - L'opération intervenue

Par lettre du 1er juillet 1994, la société Carrefour SA a notifié au ministre de l'Economie une opération intervenue le 15 mars 1994 au terme de laquelle elle a acquis, d'une part, 153 000 des 1 093 323 actions qui constituent le capital de la société Picard Surgelés (soit près de 14 p. 100) et d'autre part, la totalité des actions constituant le capital de la société Decelle Participations qui détient 592 270 actions de la société Picard Surgelés (soit 54,2 p. 100). Au total, la société Carrefour SA, dont une des filiales détenait avant l'opération notifiée 10 p. 100 du capital de la société Picard Surgelés, est donc devenue propriétaire directement ou indirectement de plus de 78 p. 100 des actions de cette dernière société.

B. - Les entreprises parties à l'opération

1. Carrefour

La société Carrefour SA, dont le capital est détenu à raison de 18,56 p. 100 par la société de Noyange, de 10 p. 104 par le groupe familial Badin Defforey - détenteur de la totalité du capital de la Société de Noyange -, de 4,7 p. 100 par la banque March, ainsi que par le public, est la société-mère d'un grand nombre de filiales qui sont implantées tant en France qu'à l'étranger. Elles constituent le groupe Carrefour, dont l'activité principale est la distribution de biens de consommation sous deux formes : des hypermarchés à l'enseigne Carrefour, dont 114 étaient implantés en France, en 1993, sur l'ensemble du territoire, et 90 hors de France, et des magasins de maxidiscompte implantés en France et exploités par la société Erteco, filiale à 100 p. 100 de la société Carrefour, et par ses filiales, sous l'enseigne ED (140 points de vente), ED Le Maraîcher (149) et Europa Discount (143). La société Erteco détient également quelques points de vente en Italie et en Grande-Bretagne.

En 1993, le groupe Carrefour détenait 23 p. 100 du capital de la société Comptoirs modernes Badin Defforey (qui exploite notamment 342 supermarchés Stoc et 495 supérettes et supermarchés Comod), 10 p. 100 de la société Picard Surgelés, 18 p. 100 de la société Metro (qui exploite des magasins-entrepôts en France) et 29 p. 100 de la société Carpetland, implantée en France, en Suisse et au Benelux. Il détient également des participations de 16 p. 100 et de 10 p. 100 dans deux sociétés américaines : Office Depot, spécialisée dans la vente de fournitures et de matériels de bureau, et Price Costco, qui exploite aux Etats-Unis des magasins-entrepôts. Pour ce qui la concerne directement, la société Carrefour SA, d'une part, avait acquis, en juin 1991, la société Euromarché dont elle n'a conservé qu'un certain nombre de points de vente qu'elle exploite sous l'enseigne Carrefour, et, d'autre part, après avoir détenu 29 p. 100 du capital de la société Castorama (spécialisée dans le matériel de bricolage) et 30 p. 100 de la société But (spécialisée dans l'ameublement et l'électroménager), elle a cédé ces participations en mars et en décembre 1993.

Le chiffre d'affaires du groupe, qui l'avait placé, en 1991, au douzième rang des groupes de distribution dans le monde, s'élevait en 1993 à plus de 123 milliards de francs hors taxes. En France, son chiffre d'affaires hors taxes, qui représente 66,55 p. 100 du chiffre d'affaires total, s'est élevé, en 1993, à près de 82 milliards de francs. Les magasins Carrefour réalisent un chiffre d'affaires de 76,9 milliards de francs et les points de vente de la société Erteco, 5,1 milliards de francs. De source Secodip, Carrefour est en France la troisième enseigne pour la vente des produits alimentaires, derrière Leclerc et Intermarché.

Les magasins Carrefour consacrent une partie de leur activité à la vente de produits surgelés, congelés et de glaces à consommer à domicile. Cette activité a représenté, en 1993, un chiffre d'affaires total de 2,100 millions TTC, soit environ 2,6 p. 100 du chiffre d'affaires réalisé en France par le groupe, pour un volume global qui avoisinait 80 000 tonnes.

Les 350 références de produits surgelés, congelés et de glace proposées (en moyenne) à la vente par Carrefour peuvent être classées en trois catégories de produits

- les produits vendus sous marques de fabricants à forte notoriété qui permettent de réaliser l'essentiel du chiffre d'affaires (Carrefour entretient des relations commerciales avec 70 fournisseurs, 18 d'entre eux représentent 34 p. 100 des ventes) ;

- les produits à la marque Carrefour qui tendent à se développer et qui représentent 20 à 25 p. 100 des ventes de ces produits ;

- les produits "premiers prix".

Les points de vente exploités par la société Erteco sous les enseignes ED et Europa Discount commercialisent des assortiments limités de produits alimentaires et de produits d'entretien "premiers prix" sans marque. La surface moyenne d'un magasin à l'enseigne ED est de 150 mètres carrés. Beaucoup de ces points de vente sont présentés comme des commerces de proximité. Parmi les produits commercialisés par ces magasins se trouve une trentaine de références de produits surgelés et de glaces de provenances diverses - notamment d'importation. En 1992, la société Erteco a réalisé, grâce à la vente de ces produits, un chiffre d'affaires de 163 700 000 F TTC pour un volume de 11 052 tonnes. Ce chiffre d'affaires est passé, en 1993, à 243 800 000 F pour 16 914 tonnes, soit une augmentation de l'ordre de 50 p. 100. Près de 40 p. 100 de ce chiffre d'affaires est réalisé avec six fournisseurs.

Le groupe Carrefour est membre d'une centrale d'achats, le GIE Cometca, créée en 1978, qui regroupe également les sociétés Comptoirs modernes, Erteco et Metro. Son objet est de négocier en commun les produits premiers prix et "auprès des marques nationales des conditions liées à [son] positionnement : détention, volume, chiffres d'affaires, évolution, promotion... ". Les produits sont référencés par le GIE, mais ses membres ne sont pas tenus par les accords intervenus qui, s'ils constituent un préalable, nécessaire et rémunéré, ne contraignent pas les négociations que peut mener chacune des entreprises et notamment, au sein du groupe Carrefour, la direction "exécutive" nationale (qui gère, par ailleurs, directement les autres achats), les directions régionales et éventuellement, les hypermarchés eux-mêmes.

Suivant les déclarations faites lors de l'instruction, le GIE Cometca avait référencé des produits de quatorze fabricants de surgelés et de glaces, dont onze filiales de sociétés multinationales.

2. Picard Surgelés

La société Picard Surgelés faisait partie du groupe familial Decelle, qui l'avait acquise en 1973 et dont elle constituait le noyau. Son capital de 10 933 230 F était détenu pour 35,1 p. 100 par les membres de la famille Decelle, pour 54,2 p. 100 par la société Decelle Participations - société holding dont la famille Decelle possédait 100 p. 100 du capital - et, depuis août 1991, pour 10 p. 100 par la société Carrefour Nederland BV.

La société Picard détient notamment la marque "Picard" ainsi que 38,9 p. 100 du capital de la société Primex International dont l'activité est l'importation et l'exportation de produits alimentaires. Par ailleurs, la société Decelle Participations détient 95 p. 100 des parts constituant le capital de la SARL Papille Concepts, société d'ingénierie dont l'activité principale est la recherche et la mise au point de nouveaux produits alimentaires.

La société Picard Surgelés connaît depuis 1989 une croissance annuelle de son chiffre d'affaires de l'ordre de 8 p. 100, ce qui traduit, selon ses dirigeants, une "politique de développement active et contrôlée en terme d'ouverture de magasins". Elle a réalisé, en 1993, un chiffre d'affaires hors taxes de 1,623 milliard de francs.

Son activité principale est l'exploitation de magasins dont elle possède les fonds de commerce, spécialisés dans la distribution au détail de produits alimentaires surgelés et congelés et de glaces à consommer à domicile, à l'enseigne Picard Surgelés. Son premier point de vente a été ouvert à Paris en 1974, et son activité s'est étendue à la province à partir de 1987, mais ne s'exerce actuellement pas à l'étranger. En septembre 1993, 223 magasins, d'une superficie moyenne de 200 mètres carrés, étaient exploités, dont 48 à Paris et 100 dans les départements de la région parisienne, les 75 autres étant répartis dans 27 départements (dont plus du tiers dans les départements du Sud et du Sud-Est, et aucun dans les régions de l'Ouest et du Centre de la France). Quatorze nouveaux magasins devaient être créés en 1994.

Ces magasins, dont l'assortiment est porté à la connaissance des consommateurs par un catalogue mensuel, proposent à la vente un nombre important de familles de produits dans des gammes qui peuvent être larges, privilégient le haut de gamme et pratiquent des prix qui sont, en moyenne, les plus élevés du secteur. La Société Picard Surgelés, qui ne possède pas de moyens de production propres, fait fabriquer des produits spécifiques qu'elle vend sous sa marque. Ces produits, qui jouissent d'une très bonne notoriété dans les régions où l'enseigne est implantée, représentent 60 p. 100 des 900 à 1 000 références commercialisées.

Parmi les différents services qu'elle met à la disposition de sa clientèle, la société Picard Surgelés pratique la livraison des achats à domicile, gratuite au-delà d'une certaine somme. Cette activité, qui concerne un peu plus de 8 p. 100 de son chiffre d'affaires est présentée comme une alternative proposée à sa clientèle, qui dispose ainsi, en fonction de son choix, de deux canaux d'approvisionnement. Les commandes sont passées par téléphone, par minitel ou par courrier, auprès de services de livraisons distincts des magasins qui n'assurent pas cette fonction et elles sont satisfaites dans un délai de quarante-huit heures à partir de plates-formes régionales ou départementales. La livraison à domicile étend ainsi l'activité de la société Picard Surgelés au-delà de la zone de chalandise de ses points de vente.

C. - Le secteur des produits du grand froid

1. La production

La congélation et la surgélation sont des techniques qui permettent de conserver longuement les produits alimentaires qui y sont soumis en garantissant leurs qualités d'origine (saveur et valeur nutritive) et les rendent disponibles à tout moment, les affranchissant éventuellement des rythmes saisonniers.

Des conditions rigoureuses de température négative doivent être respectées dans la succession des étapes qui vont du traitement industriel des produits d'origine à leur stockage par les consommateurs et qui constituent la chaîne du froid : une réglementation, tant communautaire que nationale, précise les conditions d'hygiène et de contrôle des températures dans lesquelles s'effectuent différentes opérations (fabrication, transport, stockage, manutention et aménagement des meubles de vente).

Les techniques mises en œuvre, qui ressortissent de l'industrie du grand froid, concernent, outre les glaces et les crèmes glacées, une gamme de produits alimentaires bruts ou élaborés très étendue, très diversifiée et souvent renouvelée : légumes et pommes de terre, viandes, poissons et produits de la mer, fruits et jus de fruits, pâtes et pâtisseries... Ce secteur présente des caractéristiques spécifiques par rapport aux autres secteurs de l'industrie agro-alimentaire, même si une certaine substituabilité peut exister entre certains produits frais et certains produits congelés et surgelés.

S'il existe environ 25 fabricants de glaces, le secteur de la production de produits congelés et surgelés est assez atomisé puisqu'on dénombre environ 1 000 entreprises qui exercent cette activité. Ces entreprises sont soit généralistes, soit spécialisées dans une famille de produits, ce qui est le cas de nombreuses entreprises artisanales. Le secteur est cependant, dans son ensemble, dominé par un petit nombre de sociétés qui disposent de marques de forte notoriété telles Miko, Motta ou Gervais pour les glaces et Iglo, Findus, Vivagel ou Gorcy pour les surgelés. Des sociétés de moindre importance sont parvenues à s'implanter sur le marché dans des créneaux très spécialisés. Ce secteur a été récemment marqué par certaines restructurations qui ont affecté aussi bien des groupes multinationaux (acquisition d'Ortiz-Miko par Unilever, de Vivagel par Danone, ou création d'une filiale commune entre Danone et Saint- Louis) que des entreprises de plus petite dimension qui cherchent à assurer leur pérennité et à renforcer leur position.

La production de produits congelés et de surgelés peut être estimée, pour 1992, à un volume de 1,6 à 1,7 million de tonnes, celle des glaces à 315 millions de litres, pour un chiffre d'affaires global de l'ordre de 40 milliards de francs.

Hormis les cas dans lesquels ils sont cédés à d'autres industriels en vue de leur transformation, ces produits sont destinés à deux marchés qu'il y a lieu de distinguer : celui de la restauration hors foyer et celui de la distribution au détail. L'opération de concentration notifiée concerne uniquement la distribution au détail, par laquelle sont commercialisés 50 à 55 p. 100 de la production de surgelés et de congelés et 75 à 80 p. 100 de la production de glaces (plus de 800 000 tonnes de surgelés et 240 000 à 250 000 litres de glaces), pour un chiffre d'affaires estimé à 24 milliards de francs TTC pour les surgelés et à 5 milliards pour les glaces.

Le développement de ce secteur est soutenu par une consommation qui a été multipliée entre 1982 et 1993, par 2,4 pour les surgelés et les congelés (passant de 13,3 kg par ménage à 31,9 kg), et par 1,8 pour les glaces (la consommation annuelle atteignant 5,6 litres par personne). Le rythme de croissance prévu est de 5 p. 100 par an pour la décennie en cours.

2. La distribution au détail

La distribution est assurée à la fois par des entreprises généralistes (hypermarchés, supermarchés, supérettes et libres-services) et par des entreprises spécialisées, dont certaines ne pratiquent que la vente à domicile et d'autres exercent également leur activité dans des points de vente fixes, appelés "freezer centers ". La distribution des glaces s'effectue en outre, et pour une part minime, par le truchement des boulangeries et des pâtisseries.

EMPLACEMENT TABLEAU

Le secteur de la grande distribution est composé d'un grand nombre d'enseignes concurrentes qui regroupent des hypermarchés et des supermarchés. On dénombrait, en 1992, 914 hypermarchés et 7 043 supermarchés. Ces magasins, qui sont essentiellement implantés en périphérie des villes, sur des zones qui présentent de grandes facilités d'accès et de stationnement, interviennent sur la plupart des secteurs des biens de consommation.

Les linéaires des hypermarchés accueillent une moyenne de 300 à 400 références de produits du grand froid, ce nombre étant de 200 à 300 dans les supermarchés. Les structures d'assortiment en produits du grand froid sont moyennement diversifiées et sont composées des produits les plus demandés. La vente de ces produits représenterait de 2 à 3 p. 100 du chiffre d'affaires des grandes et moyennes surfaces.

Les grandes et moyennes surfaces s'approvisionnent auprès des fabricants après que les conditions d'achat ont été négociées par des centrales intégrées ou extérieures qui traitent pour l'ensemble des enseignes qu'elles représentent.

En 1993, il existait en France environ 1 000 points de vente spécialisés dans la vente de produits congelés ou surgelés appelés " freezer centers ", dont la surface varie entre 100 et 400 mètres carrés. 90 p. 100 sont détenus par les sociétés Gel 2000 (345 points de vente) et sa filiale Vik (112 points de vente), Picard Surgelés (223 magasins), Meijak (160 magasins à l'enseigne "Frio") et Thiriet (environ 95 magasins).

Certains de ces magasins sont implantés en centre-ville et d'autres en périphérie, mais dans tous les cas, ils ne disposent que d'une zone de chalandise de relativement faible importance à l'instar des commerces de proximité. En outre, plusieurs sociétés offrent à leur clientèle un service de livraison à domicile assuré à partir de plates-formes spécifiques et non depuis les points de vente.

D'une façon générale, les "freezer centers" sont à même d'offrir régulièrement à la vente un large assortiment de produits du grand froid - entre 500 et 1 000 références selon l'établissement et l'enseigne - dans des gammes de différentes qualités.

Par ailleurs, la plupart des spécialistes en "freezer centers" proposent à leur clientèle des publications et des catalogues réguliers qui l'informent sur les innovations, sur les promotions et sur la qualité des produits.

En contrepartie de ces services, les " freezer centers" pratiquent des prix moyens plus élevés que ceux pratiqués par les grandes et moyennes surfaces.

La vente à domicile est pratiquée par moins de 200 entreprises qui disposent globalement d'environ 3 500 véhicules spécialement équipés. Trois d'entre elles, implantées sur une large partie du territoire, réaliseraient plus de la moitié du chiffre d'affaires de l'ensemble : Agrigel (filiale d'Unilever), La Moderne (sous l'enseigne Maximo) et Thiriet (également présent dans le secteur des "freezer centers"). Cette activité est exercée également par une société allemande, Eismann, par un certain nombre de sociétés d'importance régionale ou multirégionale : Argel, Toupargel, Clairgel ou Geladour, et par de nombreuses petites entreprises locales qui s'unissent pour disposer d'une enseigne commune (le GIE Provisions, par exemple).

La vente à domicile s'exerce sous deux formes :

- celle avec pré-commande, dans laquelle une équipe de représentants intervient préalablement auprès de clients réguliers, les produits commandés étant livrés à ces derniers à partir de bases régionales que détient l'entreprise ;

- celle en "laisser sur place", dans laquelle la clientèle est visitée en tournée par un vendeur qui dispose, dans un camion-magasin, d'un stock de produits plus réduit.

La zone de chalandise des distributeurs à domicile a évolué. A l'origine, plutôt axée sur les zones rurales, l'activité de ces entreprises s'est développée dans des villes telles Clermont-Ferrand ou Orléans, ainsi que dans la périphérie des grandes villes, notamment Paris. Les prix moyens qu'elles pratiquent sont voisins de ceux de "freezer centers".

Les entreprises de distribution spécialisée - "freezer centers" et vente à domicile - s'approvisionnent d'une façon générale auprès des fabricants, soit qu'elles disposent d'un service d'achats, soit qu'elles se regroupent en centrales d'achats, soit, encore, qu'elles intègrent une centrale existante. Seules les petites entreprises isolées s'adressent à des grossistes qui sont orientés vers le marché de la restauration hors foyers.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL

Sur la nature de l'opération soumise à l'examen :

Considérant qu'aux termes de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : "La concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises, une influence déterminante" ;

Considérant que la société Carrefour SA a acquis, d'une part, près de 14 p. 100 des actions constituant le capital de la société Picard Surgelés, et d'autre part, la totalité du capital de la société Decelle Participations, qui détient 54,2 p. 100 du capital de la société Picard Surgelés; que l'opération intervenue permet à la société Carrefour SA d'exercer sur la société Picard Surgelés une influence d'autant plus déterminante que l'une de ses filiales, la société Carrefour Nederland BV détenait déjà 10 p. 100 du capital de la société Picard Surgelés ; qu'ainsi, cette opération constitue une concentration au sens des dispositions précitées ;

Sur les seuils de référence:

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que les dispositions du titre V de cette ordonnance ne sont applicables que "lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de 7 milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins 2 milliards de francs" ; que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en 1993 par la société Carrefour SA et ses filiales s'est élevé, en France, à 81,991 milliards de francs ; que celui de la société Picard Surgelés a atteint cette même année 1,635 milliard de francs ; que par conséquent, la condition fixée au deuxième alinéa de l'article 38 de l'ordonnance susvisée relative au montant des chiffres d'affaires des entreprises concernées n'est pas remplie ; qu'il importe dès lors de rechercher si le seuil en valeur relative fixé par ce même texte est atteint ;

Sur les marchés de référence :

Considérant que les parties à l'opération n'interviennent pas sur le marché de la restauration hors foyer et quel'opération soumise à l'avis du Conseil de la concurrence concerne exclusivement l'approvisionnement des distributeurs et la distribution au détail des produits du grand froid, c'est-à-dire les produits congelés, surgelés et les glaces à consommer à domicile, qui doivent être distingués des autres produits alimentaires en raison notamment de la spécificité des techniques utilisées lors de leur fabrication, de leur conservation et de leur distribution ;

En ce qui concerne la vente au détail :

Considérant que la vente au détail de ces produits est assurée essentiellement par les hypermarchés et les supermarchés d'une part (pour plus de 60 p. 100) et par les distributeurs spécialisés d'autre part (pour plus de 30 p. 100) ; que la distribution des produits du grand froid par les grandes et moyennes surfaces et celle assurée par les entreprises spécialisées se différencient sur de nombreux points, qu'il s'agisse des prix pratiqués, des produits vendus ou des services proposés ; qu'ainsi les grandes et moyennes surfaces généralistes offrent à la vente un assortiment de produits du grand froid limité aux produits les plus courants, situés dans une gamme de prix modérés et utilisent des techniques de vente comportant peu de services aux consommateurs ; qu'à l'inverse, les distributeurs spécialisés vendant leurs produits dans des "freezer centers" proposent à la vente une large gamme de produits du grand froid et un assortiment important ; que les prix qu'ils pratiquent sont plus élevés que ceux de la grande distribution et qu'ils offrent différents types de services d'accueil, de conseil et d'information des consommateurs ; que la différenciation entre ces deux réseaux commerciaux est en outre soulignée par le fait que certains industriels commercialisent leurs produits sous deux marques réservées l'une à la distribution spécialisée et l'autre aux grandes et moyennes surfaces ; que dès lors les grandes et moyennes surfaces généralistes ne se trouvent pas sur le même marché que les entreprises spécialisées dans la vente de produits du grand froid ;

Considérant par ailleurs que si les "freezer centers" se sont à l'origine développés dans les zones urbaines cependant que les distributeurs spécialisés qui pratiquent la vente à domicile étaient implantés dans les zones rurales, les zones d'intervention de ces deux types de distributeurs spécialisés ont tendance à se recouvrir, en particulier dans la banlieue parisienne dans laquelle sont présentes les sociétés Picard Surgelés avec 100 magasins, ainsi qu'Agrigel et Maximo qui sont des entreprises de vente à domicile ; que cette interpénétration des zones d'intervention de ces deux types de distributeurs est également notable dans certaines agglomérations de province ; que ces deux formes de distribution jouissent de la même image de spécialistes en produits surgelés et congelés ; qu'elles offrent toutes les deux des services d'information aux consommateurs ; que les prix pratiqués par ces deux formes de distribution sont voisins et nettement différents de ceux pratiqués par les autres distributeurs ; que les entreprises disposant de magasins "freezer centers" offrent de plus en plus largement des services de livraison à domicile leur permettant d'atteindre des consommateurs situés en des lieux éloignés des magasins ; que pour cette activité de livraison à domicile, les "freezer centers" pratiquent les mêmes prix que ceux qu'ils pratiquent dans les magasins ; qu'il résulte de ces considérations qu'en raison de l'interpénétration croissante de leurs zones respectives d'activité, de la similarité de leur image et de celle des services qu'elles offrent aux consommateurs, de l'homogénéité de leurs prix de vente, les entreprises spécialisées vendant en "freezer centers" ou à domicile doivent, dans l'état actuel du développement de la vente des produits surgelés et congelés, être considérés comme agissant sur un même marché ;

Considérant quesur le marché des ventes de produits du grand froid assurées par la grande distribution le groupe Carrefour détient une part de marché qui peut être évaluée à 11 ou 12 p. 100 en valeur et à 12,5 p. 100 en volume; que,sur le marché de la distribution spécialisée de ces produits, celle de la société Picard Surgelés est inférieure à 18 p. 100 en valeur et s'élève à 14,6 p. 100 en volume; que par suite, le seuil exprimé en parts de marché fixé par l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas atteint sur ces marchés;

En ce qui concerne le marché de l'approvisionnement:

Considérant que les fabricants de produits du grand froid approvisionnent indifféremment tous les circuits de distribution ; que la part du marché de l'approvisionnement en produits du grand froid détenue par l'ensemble issu de la concentration s'est élevée, en 1992, à un niveau qui peut être estimé à 12,8 p. 100 en valeur, celle réalisée en volume étant légèrement inférieure; que par suite, le seuil en valeur relative fixé par l'article 38 de l'ordonnance précité n'est pas atteint sur ce marché,

Emet l'avis :

Que l'opération de concentration soumise à l'avis du Conseil de la concurrence ne remplit pas les conditions fixées par l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.