Ministre de l’Économie, 2 octobre 2000, n° ECOC0000427Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ÉCONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société Casino
MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 2 août 2000, le groupe Casino a notifié le projet d'acquisition de 27,94 % du capital de Monoprix portant ainsi sa participation à 49,35 %, à parité avec celle du groupe Galeries Lafayette qui détenait antérieurement à l'opération 71,99 % de ce groupe.
Aux termes de l'accord signé le 2 mai 2000, les groupes Galeries Lafayette et Casino détiennent ainsi conjointement, par l'intermédiaire d'une société en participation, 98,7 % du capital de Monoprix, chacun à hauteur de 49,35 %. Pendant une période de trois ans, les deux partenaires agiront de concert et fonctionneront de manière paritaire ; Casino pourra exercer une option d'achat de la participation des Galeries Lafayette et devenir ainsi l'unique actionnaire de Monoprix. Au-delà du 7 juillet 2003, si la promesse d'achat n'est pas exercée, le contrôle conjoint de Monoprix par Casino et Galeries Lafayette sera pérennisé.
Cette opération emporte transfert de 27,94 % du capital de Monoprix au groupe Casino et porte la participation de celui-ci à 49,35 % du capital de Monoprix. Elle permet donc au groupe Casino d'exercer directement ou conjointement avec le groupe Galeries Lafayette une influence déterminante sur le groupe Monoprix. La présente opération constitue donc une concentration au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce.
Le groupe Casino exerce son activité dans le secteur de la distribution de biens de consommation courante et exploite directement ou indirectement 5 325 magasins intégrés, franchisés et affiliés de différents formats sous les enseignes Géant, Casino, Petit Casino, Vival, Spar, Franprix et Leader Price. En 1999, son chiffre d'affaires HT est de 102,6 Mds F, dont 83,3 Mds F en France.
Le groupe Monoprix exerce son activité dans le secteur de la distribution courante et exploite directement ou indirectement 297 magasins sous les enseignes Monoprix, Supermonoprix, Prisunic, Inno, Nouvelles Galeries, Galeries Lafayette, Baze et Lafayette Gourmet. En 1999, son chiffre d'affaires total réalisé en France est de 21,1 Mds F.
Les sociétés concernées totalisant un chiffre d'affaires supérieur à 7 Mds F et chacune, un chiffre d'affaires supérieur à 2 Mds F, l'opération est contrôlable aux termes de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
Dans le secteur de la distribution deux catégories de marché peuvent être délimitées : un marché aval, qui met en présence les entreprises de commerce de détail et les consommateurs et un marché amont de l'approvisionnement des biens de consommation courante.
Sur le marché amont, l'opération ne modifie pas la structure de la concurrence, le groupe Monoprix étant, antérieurement à l'opération, affilié à la centrale "Opéra" (Casino/Cora). En effet, un contrat de partenariat, conclu en décembre 1996, permet au groupe Monoprix de s'approvisionner auprès de la centrale du groupe Casino à hauteur de 85 % de ses achats. "Opéra" se situe au troisième rang des centrales d'achat (16,9 %) derrière Carrefour (28 %), Lucie (Leclerc-Système U) (21,1 %) et devant Intermarché (15 %) et Auchan (12,9 %).
Sur le marché aval, l'opération affecte le marché de la distribution de produits alimentaires, pour l'essentiel en supermarchés.
Sur le plan national, il est possible d'estimer les parts de marché des différents intervenants sur le fondement des études réalisées par Secodip, qui prennent en compte les chiffres d'affaires réalisés par les différentes enseignes présentes sur les segments des hypermarchés, des supermarchés, des " maxi-discomptes " et des magasins populaires.
Sur cette base, les parts de marché détenues par les deux groupes sont modestes puisqu'elles ne dépassent pas 11 % (8,7 % pour Casino et 1,9 % pour Monoprix). Il convient cependant d'examiner si l'opération est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante, sur les différents marchés locaux affectés par l'opération.
Sur les différents marchés locaux affectés par l'opération, les parts de marché de la nouvelle entité peuvent être évaluées, en première approche, en calculant les parts des surfaces de vente de produits alimentaires, sur le segment des supermarchés. Ces positions doivent cependant être relativisées notamment par les surfaces des hypermarchés situés à la périphérie immédiate des différentes communes étudiées, les zones de chalandise des hypermarchés étant plus vastes que celles des supermarchés, du fait notamment de la gamme très large de leur assortiment et de leurs prix compétitifs.
En province, sur un total de cinquante-cinq communes concernées, le futur groupe détiendra plus de 50 % des surfaces "alimentaires" des supermarchés à Moulins (57 %), Cannes (54 %), Marseille (8e) (65 %), Aubagne (59 %), Quimper (55 %), Le Bouscat (80 %), Issoire (51 %), Villeurbanne (62 %), Saint-Raphaël (70 %). Ces positions peuvent cependant être très fortement relativisées du fait de la pression concurrentielle exercée par des hypermarchés situés à la périphérie immédiate de ces villes appartenant à des groupes concurrents.
En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence en province, non plus que dans la région Ile-de-France, en dehors du cas particulier de Paris.
En ce qui concerne Paris, sur seize arrondissements concernés, l'opération conduit à des additions significatives dans cinq arrondissements : le 1er arrondissement, dans laquelle la nouvelle entité possède quatre magasins et 65,5 % des surfaces, le 3e arrondissement, dans lequel elle possède six magasins et 86,1 % des surfaces, le 8e arrondissement, dans lequel elle possède sept magasins et 81,3 % des surfaces, le 16e, dans lequel elle possède 19 magasins et 69,4 % des surfaces, et le 19e arrondissement, dans lequel la future entité possède 24 magasins et 72 % des surfaces.
Ces positions, qui prennent en compte, conformément à une jurisprudence constante, les surfaces alimentaires des supermarchés, magasins populaires, grands magasins et "maxi-discomptes" implantés dans l'arrondissement, peuvent toutefois être nuancées par un certain nombre de facteurs :
Bien que n'appartenant pas au même marché, les commerces de détail, particulièrement nombreux à Paris, et les marchés sur la voie publique (75 à Paris) constituent dans une certaine mesure une alternative aux supermarchés. Toutefois, les petits commerces de détail, compte tenu de leur niveau de prix, ne sont pas, à eux seuls, en mesure de limiter une éventuelle hausse de prix des magasins du nouveau groupe, et les marchés n'offrent qu'une partie des produits alimentaire, à certaines heures seulement ;
Les hypermarchés implantés à la périphérie immédiate de la capitale exercent également une pression concurrentielle sur les supermarchés implantés intra muros. Cette concurrence se vérifie très notablement dans les arrondissements périphériques (notamment les 16e et 19e). Si, à l'issue de l'opération, les prix devaient augmenter dans les supermarchés intra muros, une partie significative de la clientèle pourrait ainsi se détourner vers les hypermarchés périphériques, ce qui pourrait annuler le profit escompté d'une hausse des prix. Cette pression doit cependant être relativisée s'agissant des arrondissements centraux ;
Par ailleurs, la population parisienne est mobile et est susceptible d'effectuer ses courses tant à proximité de son domicile que de son lieu de travail. Une très faible proportion de la population est de ce fait captive d'une seule zone de chalandise ;
Enfin, à titre subsidiaire, on peut relever que le commerce en ligne, en croissance rapide, et particulièrement adapté au mode de vie et de consommation des Parisiens, représentera une part croissante des achats des ménages sur Paris, pour atteindre 60 milliards de francs en 2008 (2) .
La pression concurrentielle exercée par cette forme de commerce, aujourd'hui très marginale, est appelée à devenir de plus en plus significative.
Ces différents facteurs sont de nature à relativiser la position de la nouvelle entité sur Paris. En outre, les concurrents de la nouvelle entité sur Paris sont adossés à des groupes puissants et notamment au groupe Carrefour (Shopi, Champion, Ed...). Même si les différentes enseignes concurrentes sur Paris peuvent se positionner sur des segments différents, et peuvent notamment se différencier par les tarifs pratiqués et les assortiments proposés, elles ont la faculté de modifier leur positionnement commercial, en tant que de besoin, pour l'adapter le plus justement possible à l'offre concurrente de la nouvelle entité.
Il apparaît cependant que dans les 3e et 8e arrondissements la nouvelle entité disposera d'une position très forte, qui sera difficilement contestable.
Les parties se sont cependant engagées, par lettre en date du 2 octobre 2000, à céder un magasin dans le 8e arrondissement et un dans le 3e arrondissement à un tiers indépendant agréé par le ministre.
Cet engagement, conjugué aux différents facteurs évoqués ci-dessus, est de nature à rééquilibrer la concurrence dans ces deux arrondissements.
On peut par ailleurs relever que Francap, centrale d'achat à laquelle est notamment affilié G 20, l'un des principaux concurrents des parties sur Paris, est affilié pour ses approvisionnements à la centrale "Opéra", le contrat d'approvisionnement lui imposant également certaines sujétions à l'aval.
Ces liens peuvent faire naître un risque de coordination des parties, ce qui pourrait entraîner la constitution d'une position dominante collective au profit de Casino et de G 20 sur Paris.
Les parties se sont cependant engagées, par lettre du 2 octobre 2000, à ne pas opposer à la société Francap certaines des clauses du contrat liant Casino et Francap, et notamment les clauses restreignant la liberté de choix de ses fournisseurs et des assortiments de Francap.
Cet engagement, qui permet à la société Francap de recouvrer sa totale liberté commerciale tout en continuant à bénéficier d'un adossement à une centrale d'achat puissante, est de nature à éviter la constitution d'une position dominante collective sur Paris en permettant aux affiliés de la centrale Francap, et notamment à G 20, de continuer à concurrencer de manière active la nouvelle entité sur Paris.
En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur Paris.
Il ressort de ces éléments que l'opération de concentration entre les groupes Casino et Monoprix n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés identifiés. Je vous informe donc qu'il n'est pas dans mon intention d'en saisir le Conseil de la concurrence.
NOTE (S) :
(1) Les enseignes concurrentes appartiennent aux groupes Carrefour-Promodès (8 à huit, Champion, Provencia, Shopi, Codec, Corsaire, Stoc, Comod, Marché Plus, Ed- Le-Marché Discount et Ed-l'Epicier), Auchan (Atac notamment), Intermarché (Intermarché, Ecomarché, Le Relais des Mousquetaires) et Leclerc.
(2) A la même date, le commerce électronique des biens de consommation courante à dominante alimentaire représentera 80 milliards de francs en France, soit 7,5 % des dépenses alimentaires des ménages. (Source : Forrester Estimations - Bain.)