Conseil Conc., 19 février 1991, n° 91-A-03
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Avis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré en section, sur le rapport de M. B. Thouvenot, dans sa séance du 19 février 1991, où siégeaient : M. Béteille, vice-président, présidant ; MM. Bon, Fries, Schmidt, membres.
Le Conseil de la concurrence,
Vu la lettre enregistrée le 18 décembre 1987 sous le numéro A 27, par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et de la Privatisation, a, sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, demandé au Conseil de la concurrence d'émettre un avis relatif à l'acquisition de la SA Téri par la SARL Wavin-France ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application ; Vu les décisions n° 88-DSA-08 et n° 88-DSA-10 du 9 août 1988 ; Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 1989, cassant et annulant les ordonnances du 27 mars 1987 et du 9 avril 1987 du président du tribunal de grande instance de Versailles ; Vu la décision n° 90-D-44 du 20 novembre 1990 ; Vu la lettre en date du 20 novembre 1990 notifiant le rapport au ministre de l'industrie et de l'aménagement du territoire ; Vu les observations présentées par Wavin SA et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de Wavin SA entendus ; Retient les constatations (I) et adopte l'avis (II) ci-après exposés.
I.
La SARL Wavin-France, filiale à 99,93 p. 100 de la société néerlandaise Wavin BV, premier producteur européen de tubes en polychlorure de vinyle (PVC) et elle-même filiale à parts égales de la société Royal Dutch Shell et de la société de distribution d'eau Water Maatschapij Overijssel, a acquis les titres de la SA Téri en avril 1987 ; elle en a aussitôt remplacé les principaux dirigeants par des responsables de Wavin BV.
La SARL Wavin-France, devenue Wavin SA, produit des drains dans l'usine de Pressigny-les-Pins (Loiret), pour une quantité évaluée à 12 210 tonnes en 1986 et un chiffre d'affaires hors taxes de 84,5 millions de francs, des raccords et des tubes en PVC dans l'usine de Varennes-sur-Allier (Allier), pour des quantités qui s'établissent la même année respectivement à 1 410 tonnes et 12 252 tonnes et des chiffres d'affaires hors taxes de 42,7 et 112,4 millions de francs. A l'époque, cette entreprise disposait d'une capacité de production de tubes de 17 000 tonnes et s'approvisionnait en PVC pour une large part auprès de la société Shell.
La SA Téri est spécialisée dans la fabrication de tubes en PVC. Cette entreprise, qui n'était liée à aucun fournisseur de PVC, dispose de trois usines situées à Beaumontel (Eure), Knutange (Moselle) et Sorgues (Vaucluse). En 1986, les quantités qu'elle a vendues se sont élevées à 32 066 tonnes (pour un chiffre d'affaires de 253,7 millions de francs hors taxes), mais ses capacités de production sont nettement supérieures.
L'opération de concentration concerne ainsi deux entreprises engagées dans la production de tubes en PVC.
Ces produits sont principalement employés pour les branchements et l'évacuation dans le bâtiment, l'assainissement, l'adduction d'eau potable et la protection des câbles téléphoniques.
Pour l'ensemble de ces canalisations, le PVC est désormais le matériau le plus utilisé même si, dans certains cas, il peut être remplacé par le cuivre ou l'acier (tubes de petit diamètre pour le bâtiment), la fonte (tubes de grand diamètre pour le bâtiment et pour l'adduction d'eau), le béton ou l'amiante-ciment (tubes de moyen et grand diamètre dans l'assainissement).
La matière première nécessaire à la production de ces tubes est la résine de PVC vendue sous forme de poudre dont le nombre de fournisseurs est limité ; sa valeur représente plus de 60 p. 100 du prix de revient total des tubes. Le procédé de fabrication consiste en une opération d'extrusion en continu sur une ligne composée d'une trémie d'alimentation où est versé le PVC en poudre complété d'additifs, d'une machine qui amène le mélange à l'état pâteux, d'une filière à travers laquelle il est forcé en fonction du diamètre et de l'épaisseur souhaités, d'un bac de refroissement et d'une coupeuse.
En prix fabricant hors taxes, l'offre globale sur le marché français était évaluée à 1 274 millions de francs pour l'année 1986, dont 116,5 millions de francs (soit 14 p. 100) au titre des importations pour la même période, les exportations s'élevaient environ à 70 millions de francs. Les sociétés Wavin et Teri assuraient respectivement 8,8 p. 100 et 19,8 p. 100 de la consommation intérieure, soit ensemble, au moment de la fusion, 28,6 p. 100.
Pour le solde, les parts de marché les plus importantes étaient détenues par les sociétés Alphacan (36,9 p. 100), Sotra (9,6 p. 100) et Seperef (6,3 p. 100). Comme la société Wavin, ces entreprises sont filiales de producteurs de PVC (Atochem pour Alphacan et Limbourg Vinyl Maatschapij pour Sotra) ou de sociétés de distribution d'eau (Compagnie générale des eaux pour Seperef). Comme la société Wavin, ces trois sociétés adhèrent au Syndicat national des fabricants de tubes et raccords en PVC.
La société Téri, ainsi que quelques autres fabricants indépendants et un petit nombre d'importateurs qui fournissaient également ces produits, spécialisaient leurs ventes dans des tubes de qualité courante et dans les diamètres les plus demandés et possédaient un nombre restreint de clients.
Dans la période précédant l'opération, les sociétés Florida et Rehau, respectivement spécialisées dans la production de meubles de jardin et de drains agricoles, ont pénétré sur le marché des tubes en PVC.
On a pu relever que l'arrivée de nouveaux producteurs et le développement des importations étaient liés à l'évolution des prix de vente sur le marché intérieur : en effet, lorsque les diminutions de cours du pétrole entraînent des baisses de prix du PVC et que celles-ci ne sont pas répercutées dans les prix des tubes, le coût du transport ne constitue plus un handicap pour les importations.
II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur la composition du dossier,
Considérant qu'ont été régulièrement maintenues au dossier de la présente demande d'avis les seules énonciations du procès-verbal établi par le rapporteur le 25 mars 1988, à la suite de l'audition des représentants de la société Alphacan, qui concernent l'opération de concentration et qui ne font pas référence aux documents dont la Cour de cassation a constaté, par son arrêt du 19 décembre 1989 susvisé, qu'ils avaient été illégalement saisis dans les locaux de la société précitée, de la société Wavin et du Syndicat national des fabricants de tubes et raccords en PVC rigide ;
Sur le fond,
Considérant que, si les emplois des tubes en PVC sont variés et si, dans certaines utilisations, ils peuvent être remplacés par des canalisations en cuivre, en acier, en fonte, en béton ou en amiante-ciment, les possibilités de substitution entre les tubes en PVC et ces autres produits ne sont que partielles et imparfaites ; qu'en outre, si les raccords en PVC constituent des accessoires indispensables aux tubes, ils sont fabriqués selon une technique d'injection-moulage et non d'extrusion et ils ne peuvent être substitués aux tubes ; que, comme le Syndicat national des fabricants de tubes et raccords en PVC et les principales entreprises du secteur l'ont admis,il est possible de séparer le marché des tubes en PVC des marchés des autres produits ;
Considérant en premier lieu que l'acquisition de la SA Teri par la SARL Wavin-France a emporté transfert de propriété de la totalité des biens de cette entreprise ; qu'ainsi, cette opération constitue une concentration au sens des dispositions de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée ;
Considérant en second lieu qu'il résulte des constatations opérées au I ci-dessus que les sociétés Wavin et Téri détenaient ensemble en 1986 sur le marché des tubes en PVC une part en valeur relative supérieure au seuil fixé au deuxième alinéa de l'article 38 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée ; qu'ainsi l'opération de concentration soumise à l'avis du Conseil par le ministre entre dans le champ d'application du titre V de l'ordonnance précitée ;
Considérant que la mission du Conseil de la concurrence, telle qu'elle est définie en la matière par l'article 41 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, consiste à apprécier si des atteintes à la concurrence peuvent résulter de la concentration ; que si tel est le cas, il revient au Conseil d'apprécier la contribution que la concentration peut apporter au progrès économique, en tenant compte de la compétitivité des entreprises au regard de la concurrence internationale ;
Considérant que,si l'opération de concentration limite le nombre des opérateurs sur le marché des tubes en PVC, elle est cependant de nature à favoriser l'exercice de la concurrence entre notamment la société Wavin et le principal fournisseur, la société Alphacan;
Considérant, par ailleurs, quel'entrée sur le marché des tubes en PVC ne se heurte à aucune difficulté particulière; que l'affiliation de différents producteurs à des entreprises fabricant de la résine de PVC n'a pas fait obstacle à l'entrée de nouveaux concurrents sur le marché ; que les coûts absolus d'entrée dans l'activité des tubes sont modestes ; que, par le jeu de la spécialisation, des entreprises de dimensions relativement faibles peuvent accéder à des niveaux d'économie d'échelle comparables à ceux enregistrés par des entreprises de plus grande dimension; que ni les questions de marque ni les conditions de distribution des produits ne constituent davantage des obstacles à l'entrée de nouveaux compétiteurs ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la concentration des sociétés Wavin et Téri n'est pas de nature à porter atteinte à l'exercice de la concurrence; qu'ainsi, le Conseil n'a pas lieu de se prononcer sur la question de la contribution au progrès économique que l'opération peut entraîner ;
Est d'avis ;
Qu'il n'y a pas matière, pour le Conseil de la concurrence, à faire application de l'article 41 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée.