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Décisions

Conseil Conc., 13 septembre 2002, n° 02-D-55

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre dans le secteur des transports routiers de voyageurs dans le département de l'Isère

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de Mme Nguyen-Nied, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mmes Mader-Saussaye, Perrot, MM. Charrière Bournazel, Piot, membres.

Conseil Conc. n° 02-D-55

13 septembre 2002

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 20 avril 1999, sous le numéro F 1136-3, par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a saisi le Conseil de la concurrence de la situation de la concurrence dans le secteur du transport routier de voyageurs dans les départements de l'Ain, du Rhône et de l'Isère ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour l'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et par la société Jean Perraud et fils ; Vu les pièces relatives aux pratiques mises en œuvre dans le département de l'Isère, du dossier référencé, après disjonction, sous le numéro F 1136-3 ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, le représentant de la société Jean Perraud et fils entendus au cours de la séance du 21 mai 2002 ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) suivants :

I. - CONSTATATIONS

Les règles régissant le secteur du transport routier de voyageurs ont été considérablement modifiées par la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs dite LOTI, et par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 modifiée, relative à la prévention et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques dite loi Sapin.

La loi du 30 décembre 1982 a, notamment, mis fin au caractère "patrimonial" des lignes régulières de transport de voyageurs lesquelles, lorsqu'elles ne sont pas gérées en régie par les collectivités publiques, doivent faire l'objet de conventions à durée déterminée signées avec l'autorité compétente.

L'entrée en vigueur de la loi du 29 janvier 1993 dite "loi Sapin" a modifié les règles d'attribution des lignes de transport routier, en précisant les conditions de mise en concurrence des candidats pour l'attribution de délégations de service public.

Les contrats de délégation de service public de transport en cause dans la présente affaire s'inscrivent dans ce nouveau contexte réglementaire.

Le Conseil général de l'Isère a décidé, en 1994, de mettre en application les dispositions de la loi Sapin, pour attribuer l'exploitation des lots constitués par les lignes de transport scolaire et des lignes régulières interurbaines de voyageurs, qui était alors assurée par 424 contrats.

La collectivité locale a organisé entre 1994 et 1998 huit procédures d'appel à candidatures pour l'attribution de délégations de services public de transport, tout en réorganisant les transports de voyageurs du département par la suppression, le regroupement ou la création de circuits.

C'est dans ce cadre que le Conseil général de l'Isère a organisé, en 1996, une mise en concurrence en vue d'attribuer des lots de transport scolaire dans le secteur Basse Isère-Saint Marcellin.

1.- Les sociétés concernées

1.1. La SA Jean Perraud et fils

La société Jean Perraud et fils est une société anonyme présidée par M. Serge Perraud. Elle est implantée à Roybon dans l'Isère.

Cette société a pour activité le transport public de voyageurs et dispose de deux établissements situés à Roybon et à Beaurepaire ; elle exploite une vingtaine de lignes régulières et de transports scolaires.

1.2. La Société Voironnaise de Transport et d'Entreprise, dite SVTE

La SARL Voironnaise de Transport et d'Entreprise dite SVTE, qui exploitait son activité sous le nom commercial de "Radicini Tourisme", était, au moment des faits, implantée à Renage et son gérant était M. Serge Perraud ; cette entreprise a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 31 décembre 1998 ; son activité est poursuivie par la société Jean Perraud et fils.

2.- Le marché concerné

Le marché concerné est celui des transports scolaires organisés par le Conseil général de l'Isère pour desservir les secteurs de Saint-Marcellin, La Tour du Pin, Pont de Chéruy, Villard de Lans. La procédure d'appel à candidatures et d'attribution des lots a été organisée par le Conseil général de l'Isère au cours de l'année scolaire 1995-1996 ; les prestations de transport scolaire étaient réparties en 72 lots, représentant un chiffre d'affaires annuel de 16,8 MFF soit 2 561 143,49 ?.

3.- Les pratiques relevées

Le rapport de la commission chargée des délégations de services publics de transport, en date du 27 juin 1996, constate que, pour les lots n° 96401, 96404, 96407 et 96408, les sociétés Perraud et Radicini, ont formulé des offres strictement identiques :

Ainsi qu'il a été précisé ci-dessus "Radicini Tourisme" correspond à l'enseigne commerciale de la Société Voironnaise de Transport et d'Entreprise -SVTE.

M. Serge Perraud, président de la société Jean Perraud et fils, et gérant de la SVTE au moment des faits, a reconnu être l'auteur des offres des deux sociétés, présentées lors de la procédure d'appel à la concurrence : "s'agissant des propositions de prix identiques sur certains circuits avec Radicini, c'est bien l'entreprise Perraud qui les a formulées pour le compte de Radicini, cette dernière ayant été rachetée en mars 1996".

4.- Les griefs notifiés

Sur la base des constatations rapportées ci-dessus et en application des dispositions de l'article L. 463-2 du Code de commerce, il a été fait grief à la société Jean Perraud et fils et à la Société Voironnaise de Transport et d'Entreprise d'avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles d'entente prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce, au motif que les sociétés s'étaient entendues pour fixer le prix de leurs offres respectives empêchant ainsi l'exercice normal de la concurrence, et l'indépendance de la fixation des prix.

Compte tenu de la disparition de la SVTE, la notification de griefs à été transmise à la seule société Jean Perraud et fils, la rapporteure ayant considéré que celle-ci assurait la continuité juridique et fonctionnelle de la SVTE.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Considérant qu'aux termes de l'article L. 464-6 du Code de commerce : "Lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure".

Considérant qu'en matière de marchés publics ou privés sur appels d'offres, l'entente anticoncurrentielle entre entreprises est établie dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles ont convenu de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations portant, notamment, sur les prix qu'elles envisageaient de proposer, antérieurement à la date limite de dépôt des offres ; que, toutefois, ainsi que la Cour d'appel de Paris l'a précisé dans un arrêt du 9 janvier 2001, SA d'Etudes et d'Entreprises électriques (SEEE) "(.) il importe cependant, pour que la pratique puisse être sanctionnée sur le fondement des articles L. 420- 1, L. 462-6 et L. 464-2 du Code de commerce, que les entreprises aient librement et volontairement participé à une action concertée, en sachant qu'elle avait pour objet ou pouvait avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché" ;

Considérant que les offres présentées au Conseil général de l'Isère par les sociétés Jean Perraud et fils et SVTE qui étaient deux entités distinctes, ont été élaborées par une seule et même personne, M. Serge Perraud qui était, respectivement, président de la première et gérant de la seconde ; qu'il résulte de ce procédé que ces deux entreprises qui n'étaient pas indépendantes entre elles ont déposé des offres concertées, présentées au Conseil général de l'Isère comme émanant d'entreprises concurrentes ;

Considérant que M. Serge Perraud, qui n'a jamais contesté ni cherché à dissimuler qu'il était l'auteur des offres émanant des deux sociétés, a expliqué que, le 19 janvier 1996, il avait, d'une part, signé un compromis de vente, sous conditions suspensives, afin d'acquérir le fonds appartenant à la société Radicini Tourisme et, d'autre part, déposé une offre de reprise des actifs appartenant à M. Maurice Radicini, commerçant en nom personnel mis en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Grenoble en date du 19 janvier 1996 ; que, par un jugement du 31 mai 1996, le Tribunal de commerce de Grenoble a écarté l'offre de reprise de la société Perraud et fils et arrêté le plan de cession de l'entreprise de M. Maurice Radicini au profit de la SA Cars Philibert ; que M. Perraud a encore exposé qu'au moment du dépôt des offres, il espérait que le plan de cession des actifs de M. Maurice Radicini serait adopté en sa faveur, mais qu'il ignorait comment serait répartie cette acquisition entre la société Jean Perraud et fils et sa filiale la SVTE, créée pour la reprise de la société Radicini Tourisme ; que c'est dans ces conditions que, dans le cadre de la procédure d'appel d'offres concernant les transports scolaires dans le secteur Basse Isère-Saint Marcellin, il a déposé des offres identiques pour les sociétés Jean Perraud et fils et SVTE, faute de savoir alors avec quels moyens les prestations seraient assurées et, notamment, si le personnel et les véhicules employés seraient issus de la société Jean Perraud et fils ou de l'entreprise en cours d'acquisition ;

Considérant qu'il ressort de ces explications qu'en agissant ainsi qu'elles l'ont fait, les entreprises Jean Perraud et Fils et SVTE n'ont pas volontairement mis en œuvre une action concertée en sachant qu'elle avait un objet ou pouvait avoir un effet anticoncurrentiel ;

Considérant que les offres déposées par ces deux sociétés, d'une part, indiquent chacune clairement que le responsable de la société est M. Serge Perraud, d'autre part, sont strictement identiques en ce qui concerne les tarifs proposés pour exécuter les prestations de transport des quatre lots concernés et, enfin, ont été concurrencées par les offres d'au moins deux autres entreprises ;

Considérant ainsi, que, nonobstant le caractère concerté de ces deux offres, il résulte des circonstances particulières de l'espèce qu'elles n'ont eu ni pour objet ni pour effet de tromper le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence ou de fausser le jeu de la concurrence ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure introduite à l'encontre des sociétés Jean Perraud et Fils et SVTE ;

DECIDE

Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.