CA Rennes, 2e ch., 23 février 2000, n° 99-03112
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Intercaves (SARL)
Défendeur :
Le Hen, Loquais (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bothorel
Conseillers :
MM. Van Ruymbeke, Poumarède
Avoués :
SCP Leroyer B Gauvain & Demidoff, SCP D'Aboville, De Moncuit & Le Callonnec
Avocats :
Mes Clément, Schambourg.
EXPOSE DES FAITS, PROCEDURE, OBJET DU RECOURS
La société Intercaves (franchiseur) qui a pour objet la vente et la distribution de vins et spiritueux, a signé avec Mlle Le Hen (franchisé) quatre contrats successifs.
En premier lieu, le 30 avril 1988, un contrat de distribution et de franchise, d'une durée de 3 ans, lui a accordé une exclusivité de vente sur la moitié de la ville de Lorient côté Lanester, a prévu le versement d'une redevance de 3% sur le chiffre d'affaires, l'obligation de constituer un stock, celle d'effectuer des achats pour un montant minimum auprès du franchiseur, celle d'appliquer à la clientèle un tarif conforme à celui fixé par le franchiseur et une obligation d'achat exclusif auprès du franchiseur.
Un second contrat de distribution et de franchise, analogue, lui a accordé, le 1er décembre 1988, l'exclusivité sur Languidic Hennebont. Le même jour, Mlle Le Hen signait avec la société Intercaves un contrat de location de cuves, destinées à la vente de vins en vrac.
Un troisième contrat, signé le 26 novembre 1989 lui accordait, pour une durée de 5 ans, l'exclusivité sur le secteur de Lorient Ouest et Lanester.
Par courrier du 21 mai 1993, la société Intercaves proposait à Mlle Le Hen un nouveau contrat de partenariat. Elle réitérait sa proposition par courrier du 28 janvier 1994, afin de permettre une plus grande cohérence du réseau.
Le 26 mai 1994, le contrat de partenariat était signé. Il était expressément spécifié sur le contrat : le présent contrat remplace et annule toute convention antérieure ayant pu intervenir entre les parties. Ce contrat reprenait la clause d'exclusivité, l'obligation d'achat minimum et de constitution du stock initial.
Le 31 mai 1995, la société Intercaves notifiait à Mlle Le Hen qu'elle suspendait ses livraisons en raison de l'existence d'une dette s'élevant à 524.501,18 F.
Par jugement rendu le 23 mars 1999, le tribunal de commerce de Rennes a prononcé la nullité des quatre contrats de franchise et, avant dire droit, ordonné une expertise afin d'apurer les comptes entre les parties et d'assurer la restitution réciproque, à savoir la restitution par équivalent par le franchisé des marchandises à lui livrées au prix de revient pour le franchiseur à l'exclusion de sa marge, et la restitution des sommes perçues du franchisé au titre du contrat.
Par acte du 23 avril 1999, la société Intercaves a formé appel de ce jugement.
MOYENS PROPOSES PAR LES PARTIES
A l'appui de son appel, la société Intercaves fait valoir que :
- le consentement de Mlle Le Hen n'a pas été vicié et elle a bénéficié des informations précontractuelles appropriées,
- le dernier contrat a annulé et remplacé les précédents,
- Mlle Le Hen reste lui devoir des factures impayées,
- subsidiairement, l'action en nullité relative, exercée par Mlle Le Hen, se prescrit par 5 ans,
- subsidiairement, en cas de novation, le dernier contrat est autonome.
En conséquence, la société Intercaves demande à la Cour de condamner Mlle Le Hen à lui payer 522.326,26 F et de rejeter ses demandes. Enfin elle réclame 200.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice et 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Mlle Le Hen et Maître Loquais, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan font valoir que :
- les 4 contrats sont nuls pour violation des articles 7-1° et 7-2° de l'ordonnance du 1er décembre 1986,
- le dernier contrat est également nul pour dol et pour le non respect de l'obligation d'information pré-contractuelle,
- la nullité est absolue et l'action n'est pas prescrite.
- Ils concluent à la confirmation de la décision déférée (l'annulation devant, subsidiairement, porter sur les trois premiers contrats) et sollicitent 20.000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
MOTIFS DE L'ARRET
La loi du 31 décembre 1989
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité pour l'exercice de son activité est tenue, préalablement à la signature de tout contrat signé dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre un document donnant des informations sincères qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ;
Considérant que le même article prévoit que le document ainsi que le projet de contrat doivent être communiqués 20 jours au minimum avant la signature du contrat ou, le cas échéant, avant le versement de la somme prévue ;
Considérant cependant que le seul prévisionnel versé aux débats n'est guère probant ; qu'il n'est ni daté, ni signé et ne comporte aucune mention de nature à en attribuer la paternité au franchiseur (qui n'apparaît pas sur le document) ; que le franchisé ne verse aucun document de nature à démontrer qu'il a été victime d'un dol ou d'une erreur ;
L'ordonnance du 1er décembre 1986
Considérant que sont incompatibles avec les dispositions des articles 7-1° et 7-2° de l'ordonnance du 1er décembre 1986, d'une part les pratiques tendant à restreindre la liberté de fixation des prix par les franchisés en transformant les prix conseillés [en] prix imposés, d'autre part l'interdiction imposée par le franchiseur au franchisé de se fournir auprès de concurrents, lorsque les produits sont substituables ;
Considérant qu'en premier lieu, la société Intercaves fournissait à Mlle Le Hen des produits banalisés, commercialisés par les producteurs auprès de nombreux négociants et commerçants en vue de leur revente, que les franchisés pouvaient trouver à des prix inférieurs en s'adressant directement aux producteurs ou à d'autres fournisseurs ; qu'elle lui vendait ainsi des vins sous des appellations banales et larges, telles que Corbières AOC, Côtes du Ventoux rouge ou rosé, côtes du Rhône, Bordeaux AOC, côtes de bourg AOC, Graves rouge AOC, Bergerac blanc ou rouge AOC en cubitainers de 10 litres ;
Considérant que la clause d'approvisionnement exclusif, insérée dans les quatre contrats, qualifiés de distribution et de franchise ainsi que de partenariat, interdisait au franchisé de se procurer des produits équivalents, qui pourtant existaient, auprès de fournisseurs de leur choix, concurrents du franchiseur ;
Considérant qu'une telle clause n'était nullement nécessaire pour maintenir l'identité commune ou la réputation du réseau franchisé, qu'il était possible, au vu de la nature des produits vendus, d'appliquer des spécifications objectives de qualité ;
Considérant que l'obligation de constitution d'un stock minimum important et l'obligation d'achat annuel minimum elle aussi conséquente, en ce qu'elles visent des produits visés par la clause d'approvisionnement exclusif insérée dans les quatre contrats, justifient également le prononcé de la nullité des contrats ;
Considérant en second lieu que dans les trois contrats signés les 30 avril 1988, 1er décembre 1988 et 26 novembre 1989, le franchisé s'engageait à appliquer à la clientèle un tarif uniforme conforme à celui communiqué par la société Intercaves et à ne pas consentir de remises injustifiées ni des prix abusifs ;
Considérant que, dans le contrat dit de partenariat signé le 26 mai 1994, le franchisé s'engageait à appliquer scrupuleusement la politique commerciale et les méthodes de vente définies et testées par la société Intercaves;qu'il s'engageait à participer et à réaliser des actions promotionnelles fixées par la société Intercaves telles que remises spéciales... ;
Considérant que, dans ce dernier contrat, le franchiseur, poursuivant les pratiques antérieures (certes plus contraignantes, puisque les prix de revente étaient imposés par les trois premiers contrats), incitait fortement le franchisé à appliquer les taux de marge communiqués par lui ;
Considérant ainsi que, par courrier adressé le 10 octobre 1994, le franchiseur conseillait vivement au franchisé de réajuster les tarifs relatifs au prix de vente des produits d'appel, ces produits et tarifs n'ayant d'autre but que la fidélisation de la clientèle et l'augmentation du trafic magasin ; que le prix devait ainsi être ramené de 75,50 F (prix pratiqué par le franchisé) à 72 F pour le champagne De Saval, et de 6,50 F à 4,95 F pour le vin de table français ;
Considérant que, dans le même courrier, le franchiseur précisait, après avoir relevé la baisse de la vente de vin en vrac : il faut donc réajuster vos prix de vente en fonction de ceux conseillés par la société Intercaves ;
Considérant que, le prix d'achat de ces mêmes marchandises achetées par le franchisé auprès du franchiseur étant déterminé par le franchiseur, le franchisé, qui se trouvait dans l'obligation d'appliquer à la clientèle le tarif déterminé et transmis par le franchiseur dans le cadre des trois premiers contrats (puis soumis à une forte incitation à le faire), était ainsi lié par la politique des prix établie par le franchiseur ;qu'est donc justifiée l'annulation du contrat, puisque par l'effet de la clause d'approvisionnement exclusif, les prix étaient déterminés dans des conditions contraires aux dispositions l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
La prescription
Considérant que les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sont édictées dans l'intérêt général car elles ont pour finalité une organisation, un équilibre économique et, en définitive, la protection de l'ordre public économique et de l'intérêt général ; qu'elles visent à éviter que des abus ne soient commis au détriment du principe fondamental de la libre concurrence et que des privilèges ne se constituent au détriment de l'intérêt des consommateurs ; que ces dispositions n'ont ainsi pas seulement pour finalité de protéger l'intérêt du franchisé ; que leur violation est sanctionnée par une nullité absolue et non une nullité relative ;
Considérant ainsi que l'action n'est prescrite pour aucun des quatre contrats litigieux, puisque les actions en nullité absolue se prescrivent par trente ans ;
Les contrats successifs
Considérant que le contrat du 26 mai 1994, distinct, au plan purement formel, des trois précédents contrats, n'en constituait en réalité que le prolongement, puisqu'ils visent tous au même objet, à savoir l'écoulement par Mlle Le Hen des marchandises fournies par la société Intercaves ; qu'il changeait d'intitulé, sans que les principales dispositions des précédents contrats de franchise ne soient modifiées en leurs dispositions principales ;
Considérant ainsi qu'étaient prorogées la clause d'exclusivité, l'obligation d'achat minimum et de constitution du stock initial ; que le dernier contrat n'avait aucune autonomie par rapport aux précédents contrats ;
Considérant que la novation n'a pu avoir lieu du fait que les anciennes obligations, auxquelles se sont substituées les nouvelles, étaient nulles ; que les premières obligations étant nulles, les nouvelles, également nulles intrinsèquement puisque les causes de nullité n'ont pas cessé, étaient dépourvues de cause et ne pouvaient produire aucun effet ;
Considérant que les parties, qui se croyaient à tort liées par l'accord initial, n'ont fait, à l'initiative du franchiseur, que modifier, et ce de façon non substantielle, leurs relations contractuelles qui se sont poursuivies dans le cadre de l'accord initial dont les modalités d'exécution ont été définies et amendées par les différents contrats successifs ;
Considérant ainsi que, les trois premières conventions, qualifiées de contrat de distribution et de franchise, étant nulles, la quatrième, datée du 26 mai 1994 et qualifiée de contrat de partenariat, n'a pu couvrir les nullités les affectant dès lors que celle-ci n'a pas mis fin aux causes de nullité tenant à l'existence non justifiée de la clause d'approvisionnement exclusif, de l'obligation de constitution d'un stock minimum important et de l'obligation d'achat annuel minimum elle aussi conséquente ; que ce contrat n'a pu, contrairement à ce qui y est stipulé, annuler et remplacer les contrats antérieurs ;
Considérant par ailleurs que le fait que le premier contrat ait pris fin, en ses modalités d'application, en octobre 1990, suite à la reprise de la cave concernée par un autre exploitant, n'empêche pas Mlle Le Hen d'en demander la nullité ;
Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer la décision déférée, qui a prononcé la nullité des quatre contrats et, avant dire droit, ordonné une expertise afin d'apurer les comptes entre les parties et d'assurer la restitution réciproque ; que la société Intercaves, qui échoue en son recours et qui ne peut se prévaloir d'un quelconque préjudice lié à la rupture anticipée de contrats nuls, n'est fondée à réclamer ni des dommages intérêts, ni le remboursement de ses frais irrépétibles et supportera les dépens d'appel ;
Considérant qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de Mlle Le Hen les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 20.000 F ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Confirme le jugement déféré ; Condamne en outre la société Intercaves à verser à Mlle Le Hen 20.000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Intercaves aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.