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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 14 mars 2000, n° ECOC0100088X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Aéroports de Paris, Compagnie nationale Air France (SA)

Défendeur :

TAT European Airlines (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thin

Conseillers :

Mme Bregeon, M. le Dauphin

Avoués :

Me Olivier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Valdelievre-Garnier

Avocats :

Mes Lehman, Lazarus, d'Ormesson.

CA Paris n° ECOC0100088X

14 mars 2000

Saisi par la société TAT European Airlines (ci-après TAT) de pratiques mises en œuvre par l'établissement public Aéroports de Paris (ADP) et les sociétés du groupe de la Compagnie nationale Air France (Air France), en ce qui concerne l'affectation des aérogares de l'aéroport d'Orly, et s'étant saisi d'office de la situation de la concurrence sur le marché des locaux et espaces nécessaires aux activités des compagnies aériennes mis à leur disposition par ADP sur cet aéroport, le Conseil de la concurrence (le conseil) a, par décision n° 98-D-34 du 2 juin 1998, estimé, d'une part, qu'ADP et Air France ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et, d'autre part, qu'ADP a enfreint celles de l'article 8 de ladite ordonnance, aux motifs essentiels que :

- de novembre 1992 à juillet 1994, ADP et Air France ont mis en œuvre une entente tendant au regroupement des activités du groupe Air France à Orly-Ouest et au transfert des autres compagnies à Orly-Sud, créant ainsi, eu égard aux capacités respectives et à la qualité des équipements des deux aérogares d'Orly, un avantage concurrentiel en faveur d'Air France et un inconvénient majeur pour la clientèle des concurrents, le principe de ce regroupement et de ces transferts ayant été accepté le 4 mai 1994 par le directeur général de l'aviation civile ;

- en refusant à TAT, le 17 juin 1994, l'ouverture de nouvelles liaisons à partir d'Orly-Ouest puis en contraignant cette compagnie aérienne, après son transfert à Orly-Sud, à utiliser des services d'assistance en escale d'ADP pour assurer la conduite des passerelles alors que cette obligation n'était pas imposée à Air France, ADP l'a traitée de façon discriminatoire et a abusé de sa position dominante.

Le conseil a en conséquence infligé les sanctions pécuniaires suivantes :

- 10 millions de francs à ADP ;

- 10 millions de francs à Air France.

LA COUR :

Vu les recours formés par ADP et Air France en annulation et, subsidiairement, en réformation à l'encontre de cette décision ;

Vu le mémoire déposé le 1er octobre 1998 par lequel ADP demande à la cour de :

- annuler la décision déférée en ce qu'elle a retenu la compétence du conseil ;

- subsidiairement, l'annuler en raison des irrégularités de procédure qui l'affectent ;

- à titre très subsidiaire, l'annuler en constatant qu'ADP n'a enfreint ni les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ni celles de son article 8 ;

- à titre infiniment subsidiaire, la réformer et supprimer ou, à tout le moins, réduire le montant de l'amende infligée ;

- dans tous les cas, dire que les dépens seront à la charge du Trésor ;

Vu le mémoire déposé le 2 octobre 1998 par lequel Air France soutient que :

- le conseil était incompétent pour se prononcer sur des actes relevant des seules juridictions administratives ;

- subsidiairement, la décision entreprise a méconnu les dispositions de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et a fait, sur le fond, une application inexacte des dispositions de l'article 7 de cette ordonnance ;

- très subsidiairement, cette décision lui a infligé une sanction pécuniaire sans respecter le principe du contradictoire et celui de proportionnalité ;

Vu les observations déposées les 2 et 29 octobre 1998 par TAT, mise en cause d'office et intervenante volontaire, tendant à la " confirmation " de la décision critiquée et à la condamnation des requérants à lui verser la somme de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les observations respectivement déposées le 3 décembre 1998 par le conseil ainsi que par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

Vu le déclinatoire de compétence déposé le 31 décembre 1998 par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris ;

Vu l'arrêt du 23 février 1999 par lequel la cour a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par les deux requérants ainsi que le déclinatoire déposé par le préfet ;

Vu l'arrêt du 6 mai 1999 par lequel, à la suite de l'arrêté de conflit pris par le préfet, la cour a sursis à statuer jusqu'à la décision du Tribunal des conflits ;

Vu la décision en date du 18 octobre 1999 par laquelle le Tribunal des conflits :

- a confirmé l'arrêté de conflit pris le 12 mars 1999 par le préfet en ce qu'il concerne les effets attachés à la décision ministérielle du 4 mai 1994 et à la décision d'ADP du 17 juin 1994, l'a annulé pour le surplus ;

- a déclaré nuls et non avenus la procédure relative aux effets attachés aux deux actes administratifs susmentionnés et l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 23 février 1999 en ce qu'il déclare la juridiction judiciaire compétente pour en connaître ;

Vu les écritures déposées par les parties, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ainsi que le conseil sur les conséquences à tirer de la décision du Tribunal des conflits et par lesquelles :

ADP soutient que :

- son recours est devenu sans objet, la décision du conseil ayant été annulée par le Tribunal des conflits ;

- subsidiairement, en raison de l'indivisibilité de la procédure suivie, la totalité de celle-ci a été annulée par le Tribunal des conflits ;

- à titre très subsidiaire, les droits de sa défense sont affectés puisqu'il n'est pas en mesure de connaître quels actes valables lui sont opposés et que, par ailleurs, le rapporteur et le rapporteur général étaient présents au délibéré du conseil ;

- le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été imposée doit lui être remboursé, augmenté des intérêts au taux légal depuis son paiement ;

Air France demande à la cour de :

- constater, en application de la décision rendue par le Tribunal des conflits le 18 octobre 1999, l'incompétence du conseil ;

- en conséquence, constater la nullité de la décision du conseil en ce qu'elle la concerne et de l'arrêt de la cour en ce qu'il a déclaré compétentes les juridictions judiciaires ;

- ordonner le remboursement sans délai par le trésorier payeur général de l'amende qui lui a été imposée (soit 10 millions de francs), augmentée des intérêts au taux légal depuis son paiement le 10 décembre 1998 ;

TAT sollicite :

- le rejet du recours formé par ADP en ce que la décision entreprise l'a condamné pour abus de position dominante en matière de gestion des passerelles ;

- la condamnation d'ADP à lui payer la somme de 100 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Le ministre prie la cour de :

- examiner si le grief d'abus de position dominante retenu à l'égard d'ADP pour les pratiques discriminatoires relevées dans les services d'assistance en escale est fondé sur des éléments probants contenus dans le rapport présenté au conseil ;

- subsidiairement, annuler la décision déférée, dans la mesure où le rapporteur et le rapporteur général ont assisté au délibéré, et statuer à nouveau sur les pratiques relevées dans les services en escale dont le conseil était saisi ;

- annuler la sanction prononcée à l'encontre d'Air France ;

Le conseil estime que :

- l'affirmation de l'incompétence de la cour pour connaître de certains faits n'affecte pas la régularité des pièces du dossier ;

- les pratiques liées aux services d'assistance en escale ont été précisément qualifiées dans la notification des griefs, dans le rapport ainsi que dans la décision entreprise et ADP a été en mesure de s'expliquer contradictoirement à ce sujet tout au long de la procédure ;

Vu les observations écrites déposées avant l'audience par le ministère public et remises par lui aux avocats des parties, tendant à :

- l'irrecevabilité du recours d'Air France ;

- l'annulation de la décision du conseil en raison de la présence du rapporteur et du rapporteur général au délibéré ;

- la condamnation d'ADP pour infraction aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Les requérants ayant été mis en mesure de prendre la parole en dernier pour répondre à l'ensemble des observations écrites et orales.

Sur ce :

I. - En ce qui concerne Air France :

Considérant qu'aux termes mêmes de la décision rendue par le Tribunal des conflits le 18 octobre 1999 ont été déclarés nuls et non avenus la procédure relative aux effets attachés à la décision ministérielle du 4 mai 1994 et l'arrêt de cette cour en date du 23 février 1999 en ce qu'il déclare la juridiction judiciaire compétente pour en connaître ;

Que la décision du conseil se trouve ainsi annulée du chef des pratiques d'entente, au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, seules retenues à l'encontre d'Air France, de sorte que la cour n'a pas à examiner les demandes d'annulation présentées par cette dernière ;

Qu'en outre il n'appartient pas à la cour de tirer les conséquences de cette annulation au regard de la restitution des fonds versés en exécution de la décision annulée ;

II. - En ce qui concerne l'abus de position dominante reproché à ADP pour les services d'assistance en escale :

Considérant que le dispositif de la décision du conseil est ainsi rédigé :

" Art. 1er. - Il est établi que la société Compagnie nationale Air France, la société Air Inter, devenue Air France Europe, et Aéroports de Paris ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

" Art. 2. - Il est établi qu'Aéroports de Paris a enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

" Art. 3. - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

" 10 millions de francs à l'encontre d'Aéroports de Paris ;

" 10 millions de francs à l'encontre de la société Compagnie Nationale Air France " ;

Considérant qu'il en résulte que ces trois articles ont un caractère indivisible puisque le conseil n'a pas opéré de distinction entre les pratiques d'abus de position dominante retenues à l'encontre l'ADP et n'a pas davantage distingué la sanction se rapportant à chacune d'elles ainsi qu'aux pratiques qualifiées d'entente également retenues à son égard ;

Qu'il s'ensuit que l'annulation de l'article premier (relatif aux effets attachés à la décision ministérielle du 4 mai 1994 sur la réorganisation des aérogares d'Orly) et l'annulation de l'article deuxième (en sa partie relative au refus d'ADP, du 17 juin 1994, d'autoriser TAT à ouvrir de nouvelles liaisons à partir d'Orly Ouest), prononcées par le Tribunal des conflits, emportent annulation de la totalité de la décision du conseil ;

Considérant qu'en annulant la procédure relative aux effets attachés aux actes administratifs des 4 mai et 17 juin 1997, le Tribunal des conflits a annulé la procédure d'enquête du conseil ; qu'en effet, en dépit des mentions de la notification des griefs, détaillant ceux-ci, et du rapport analysant les faits susceptibles de se rattacher à chacun des griefs, il n'en demeure pas moins que, d'une part, cette procédure forme un tout indissociable en l'absence de précision sur les pièces annulées et que, d'autre part, le rapport s'est appuyé sur des éléments échappant à la compétence du conseil ; que, dès lors, la décision du Tribunal des conflits fait obstacle à ce que la cour se substitue au conseil pour rechercher si l'obligation faite à TAT d'utiliser les services d'ADP pour la conduite des passerelles en escale est constitutive ou non d'un abus de position dominante ;

Considérant, en définitive, que la cour ne peut que constater qu'il ne reste plus rien des dispositions de la décision du conseil et de la procédure diligentée par lui; qu'elle doit, en conséquence, constater l'annulation de la sanction pécuniaire à ADP ; qu'il ne lui appartient pas de tirer les conséquences de cette annulation au regard de la restitution des fonds versés en exécution de la décision annulée ;

Considérant que la solution donnée au recours formé par ADP commande de débouter TAT de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Constate que la décision du Conseil de la concurrence a été annulée en toutes ses dispositions par la décision rendue par le Tribunal des conflits le 18 octobre 1999, tant à l'égard de la Compagnie nationale Air France que de l'établissement public Aéroports de Paris ; Renvoie la Compagnie nationale Air France et l'établissement public Aéroports de Paris à mieux se pourvoir sur leurs demandes de restitution du montant des sanctions ; Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires ; Laisse les dépens à la charge du Trésor public.