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Décisions

Conseil Conc., 21 décembre 2001, n° 01-MC-07

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires présentées par la société Kosmos

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Soriano, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mmes Mader-Saussaye, Perrot, M. Bidaud, membres.

Conseil Conc. n° 01-MC-07

21 décembre 2001

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 28 mars 2001 sous le numéro F 1298, par laquelle la société Kosmos a saisi le Conseil de la concurrence de certaines pratiques mises en œuvre par la société France Télécom qu'elle estime anticoncurrentielles ; Vu la lettre enregistrée le 21 août 2001 sous le numéro M 286, par laquelle la société Kosmos a assorti cette saisine d'une demande de mesures conservatoires ; Vu le livre IV du code de commerce et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par la société Kosmos, la société France Télécom et le commissaire du Gouvernement ; Vu l'avis n° 2001-950 adopté par l'Autorité de régulation des télécommunications le 5 octobre 2001, à la demande du Conseil de la concurrence, sur le fondement des dispositions de l'article L. 36-10 du code des postes et télécommunications ; Vu la décision n° 2001-DSA-15 du 6 novembre 2001 ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Kosmos et France Télécom entendus lors de la séance du 20 novembre 2001,

I. - Sur la saisine au fond

Considérant que la société Kosmos a pour activité principale, depuis 1997, la fourniture au public d'un service de cartes téléphoniques prépayées non techniques (ci-après cartes à code), au titre de l'article L. 34-2 du code des postes et télécommunications (ci-après article L. 34-2) ; que France Télécom commercialise également ce type de services depuis 1998, avec la gamme " du Ticket de téléphone ", soit " le Ticket Universel ", utilisable depuis un publiphone ou un poste fixe en France ou à l'étranger, le " Ticket France Easy " et le " Ticket International ", utilisables en France seulement ; qu'il assure, par ailleurs, la collecte des appels provenant des postes téléphoniques fixes et des publiphones à destination des numéros d'accueil de la société Kosmos ;

Considérant que la société Kosmos soutient que des pratiques de prédation ont été mises en œuvre par France Télécom, sur le " marché français de la téléphonie fixe prépayée ", sur lequel l'opérateur historique serait en position dominante avec une part de marché de plus de 90 % ; qu'elle prétend que les prix de détail du " Ticket de téléphone " sont inférieurs aux coûts variables de l'opérateur historique, qui comblerait les pertes réalisées sur cette activité grâce aux ressources dégagées sur ses autres activités de téléphonie fixe ; que Kosmos expose également que les autres opérateurs peuvent d'autant moins s'aligner sur les prix de détail du Ticket de téléphone que le niveau des tarifs de collecte pratiqués par France Télécom est abusif ; qu'en particulier Kosmos dénonce les conditions dans lesquelles lui sont facturés, par France Télécom, les appels à destination de son numéro d'accueil payant pour l'appelant, le 3232 ; qu'elle fait enfin valoir que le caractère abusif des propositions commerciales qui lui ont été faites par France Télécom en 2000, justifie seul son refus d'honorer les factures qui lui ont depuis lors été transmises et que, dans ces conditions, la rupture de la fourniture du trafic à destination de ses numéros d'accueil dont la menace France Télécom, constitue une pratique anticoncurrentielle destinée à l'évincer du marché des cartes à code ;

Sur la procédure :

Considérant que, dans ses observations en date du 31 octobre 2001, la société France Télécom fait valoir que l'annexe n° 10 des observations complémentaires de Kosmos, en date du 15 octobre 2001, a été transmise hors délais le 18 octobre 2001 et demande son exclusion de la procédure ;

Mais considérant qu'aucune disposition du code de commerce et du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 n'impose de délais pour la mise en état de procédures de mesures conservatoires, qui se caractérisent par l'urgence mais dont l'instruction doit permettre, dans un temps nécessairement restreint, de réunir le plus d'éléments possibles sur le bien-fondé de la demande ; que lorsque le président du Conseil, usant de la faculté qu'il tient de l'article 15 du décret précité, décide, pour une meilleure organisation du débat, de fixer des délais aux parties, le dépôt de pièces après l'expiration du temps imparti ne saurait justifier, sur ce seul fondement, leur rejet de la procédure dès lors que la partie adverse a bénéficié d'un temps suffisant pour assurer sa défense au regard des pièces ainsi produites ; qu'en l'espèce, ce retard résulte manifestement d'un oubli matériel, les résultats du test tarifaire contenu dans l'annexe en cause étant repris dans les observations complémentaires produites le 15 octobre 2001, et que la société France Télécom a disposé d'un délai raisonnable pour en prendre connaissance ; que le moyen doit donc être rejeté ;

Sur les marchés concernés et la situation de France Télécom sur ces marchés :

Considérant qu'une carte à code est généralement matérialisée sous la forme d'une carte personnelle de format standard ISO/CEI 7810 : 1995 ; que ces cartes sont principalement diffusées auprès de réseaux de proximité, de détaillants ou d'enseignes de la grande distribution ; qu'elles offrent, pour la plupart, un crédit prépayé de communications d'une valeur de 50 ou 100 F TTC ; qu'elles permettent d'accéder à un service de téléphonie vocale à partir de différents terminaux à touches : les postes fixes résidentiels, les publiphones et parfois les téléphones mobiles ; que l'usager doit composer un numéro d'accueil à 4 ou 10 chiffres ainsi qu'un code confidentiel préalablement au numéro de son destinataire ; qu'il existe des cartes à code dites " ethniques " spécialisées dans des destinations internationales géographiquement ciblées, par opposition à des cartes dites " généralistes " ;

Considérant que l'offre de cartes à code provient de trois types d'acteurs : tout d'abord, les exploitants de réseaux ouverts au public au titre de l'article L. 33-1 du code des postes et télécommunications, qui disposent d'un réseau téléphonique longue distance détenu en propre, ensuite, les fournisseurs de service téléphonique au public au titre de l'article L. 34-1, disposant uniquement d'infrastructures de commutation, enfin, les fournisseurs de services de télécommunications au titre de l'article L. 34-2, qui n'utilisent qu'une plate-forme (ou centre serveur) et achètent du trafic en gros auprès d'opérateurs tiers ; que seuls les opérateurs autorisés, c'est-à-dire agissant au titre des articles L. 33-1 et L. 34-1, bénéficient des tarifs publiés au catalogue d'interconnexion de France Télécom, notamment pour la collecte et la terminaison des appels transitant sur son réseau public commuté de téléphonie fixe ;

Considérant que les cartes à code se sont développées à l'origine pour satisfaire trois catégories de clients : les communautés d'origine étrangère, résidant en France, à la recherche de tarifs préférentiels, les touristes nationaux ou étrangers pour lesquels ces cartes ont l'avantage de la simplicité d'utilisation et les foyers à revenus moyens et modestes, ainsi que les jeunes, désireux de maîtriser leur consommation ; qu'elles doivent être distinguées, d'une part, de la téléphonie mobile par l'absence de toute charge fixe d'accès à la prestation et, d'autre part, de la téléphonie fixe résidentielle par la mobilité qu'elles offrent ; qu'elles se différencient également des offres de communications postpayées par l'absence d'engagement contractuel et par le mode de distribution mis en œuvre ; qu'enfin, par rapport à la télécarte (carte à puce technique de France Télécom utilisable depuis un publiphone), il est impossible de suivre le crédit de communications en temps réel, le prix des communications offertes est plus faible, et elles sont utilisables, non seulement dans les publiphones, mais également depuis les postes fixes résidentiels ;

Considérant que France Télécom est le seul opérateur à offrir un service de cartes techniques ; que la mise en place d'un tel service suppose le déploiement de cabines téléphoniques équipées de lecteurs de cartes à puce et leur raccordement à un réseau de téléphonie fixe ; que le fait, pour un fournisseur de cartes à code, de détenir ou non des infrastructures de commutation et/ou de transmission en propre peut constituer un facteur de différenciation, principalement pour l'ensemble des offres de communications régionales ; que si l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) estime, dans son avis n° 2001-950 du 25 octobre 2001, que le trafic entrant d'un offreur moyen de cartes à code est composé à 9,5 % de trafic local, France Télécom prétend dans ses observations que le trafic entrant de son " Ticket Universel " se composerait en 2001 de 64,3 % de trafic régional ; qu'ainsi les différents services de téléphonie fixe prépayés, cartes à code et cartes techniques confondues, ne paraissent pas manifestement substituables du point de vue de l'offre ;

Mais considérant que les données issues des observatoires trimestriels et annuels des marchés dont les résultats ont été publiées par l'ART et de l'observatoire Ténor/Cesmo des cartes téléphoniques prépayées, pour le mois de mai 2000, montrent, d'une part, une forte croissance du marché des cartes à code entre 1997 et 2000 (de moins de 100 à plus de 1 500 millions de francs de chiffre d'affaires) et, d'autre part, une chute importante des ventes de télécartes sur la même période (de 108,5 à 57,2 millions de cartes vendues par an) ; que, si cette baisse résulte probablement en tout ou partie du développement de l'utilisation du téléphone portable, elle pourrait aussi s'expliquer par une certaine substituabilité des cartes à code et de la télécarte; qu'il en résulte qu'il ne peut être exclu, à ce stade de l'instruction, que ces produits appartiennent à un même marché des services de téléphonie fixe prépayés sur lequel France Télécom pourrait détenir une position dominante;

Considérant que la saisine concerne également les prestations relatives à l'acheminement des appels provenant des terminaux fixes à destination des numéros d'accueil des fournisseurs de services de cartes à code ; que même si des offres de collecte pour compte de tiers, et depuis peu, de facturation pour compte de tiers pour les services payants pour l'appelant, publiées au catalogue d'interconnexion de France Télécom, permettent à des opérateurs concurrents d'assurer le transport de ces appels du commutateur d'abonné jusqu'à la plate-forme du fournisseur de service, cette possibilité n'est pas encore prévue pour tous les types de numéros d'accueil; que le quasi-monopole de France Télécom sur la boucle locale ainsi que son monopole sur la publiphonie lui assurent donc une position largement dominante sur ce marché;

Sur la situation de dépendance économique de la société Kosmos à l'égard de la société France Télécom :

Considérant que la société Kosmos a souhaité, en 1999, mettre en place pour son service de cartes à code, d'une part, un numéro d'accueil spécial long gratuit pour l'appelant (08-09-32-32-32), d'autre part, un numéro d'accueil spécial court payant pour l'appelant (32-32) ; que seule France Télécom pouvait alors offrir une prestation de collecte pour ce second numéro ; que pour bénéficier pleinement de réductions tarifaires de volume, Kosmos se devait de faire appel à un même opérateur pour la collecte de ses deux numéros ;

Considérant qu'en changeant de prestataire de collecte, un fournisseur de services de cartes à code doit supporter une période de migration de plusieurs semaines pendant lesquelles il doit changer de numéro(s) d'accueil tout en assurant sa prestation auprès des porteurs de cartes en circulation; qu'en outre, il n'est pas manifeste qu'un opérateur tiers puisse être, à l'heure actuelle, en mesure de collecter les appels à destination d'un numéro tel que le 32-32; qu'ainsi, il n'est pas non plus exclu que la société Kosmos se trouve dans une situation de dépendance économique à l'égard de la société France Télécom;

Sur les pratiques dénoncées :

Considérant que le test de prédation relatif au " Ticket Universel " communiqué par l'ART dans son avis montre que les tarifs des communications locales facturés aux clients sont légèrement inférieurs aux coûts qui seraient supportés par France Télécom pour la fourniture de ce service ;

Considérant que France Télécom fournit dans ses observations des données alternatives relatives à la répartition du trafic en fonction des destinations, aux durées moyennes totales et efficaces des communications ainsi qu'à la proportion des appels émis depuis les publiphones, supposées correspondre au trafic réellement observé sur ce produit pour l'année 2001 qui remettent en cause les résultats obtenus par l'ART ;

Considérant que la société Kosmos soutient, de son côté, que les coûts commerciaux totaux de France Télécom pour ce produit ne seraient pas de 20 % du revenu HT comme le retient l'ART mais de l'ordre de 60 % ;

Considérant que les données rassemblées à ce stade de l'instruction montrent, en effet, que la rémunération des buralistes du réseau Seita a atteint 15,5 % des recettes de vente HT du " Ticket Universel " ce qui, ajouté à des coûts de force de vente et de rémunération du réseau de distribution, s'élevant respectivement à 5,5 % et 6,5 % du revenu HT, donne des coûts commerciaux de 27,5 % du revenu HT ; qu'il n'est donc pas exclu, à ce stade de l'instruction, que les tarifs de détail pratiqués par France Télécom pour certaines destinations soient inférieurs aux coûts effectivement supportés par cette société pour la fourniture de ce service ;

Considérant que, depuis août 1999, la société Kosmos dispose, pour son service de cartes à code, de deux numéros d'accueil, d'une part, le 08-09-32-32-32, gratuit pour l'usager, d'autre part, le 32-32, pour lequel l'appelant paye à son opérateur de boucle locale le prix d'une communication locale d'une durée correspondant au temps de connexion total entre son terminal et la plate-forme de Kosmos, située en région parisienne ; qu'elle a souscrit auprès de France Télécom, le 13 août 1999, une " offre d'accès aux fournisseurs au public de services de télécommunications " pour ces deux numéros ; que ce contrat, d'une durée d'un an, devait être tacitement reconduit dès lors que Kosmos remplirait un engagement de consommation annuelle de 50 millions de minutes ; que, toutefois, " en cas d'atteinte d'un montant de trente (30) millions de minutes, les parties [pourraient] réexaminer les conditions du (...) contrat et les adapter en conséquence, pour les minutes au-delà des trente millions de minutes " ; que la société Kosmos, ayant atteint ce seuil dès le mois de janvier 2000, s'est vu proposer par France Télécom entre les mois d'avril et de juillet 2000 un contrat-cadre couvrant les prestations tant de collecte que de terminaison ;

Considérant qu'en ce qui concerne le tarif de collecte sur le numéro court payant pour l'appelant, le 32-32, cette proposition comportait la suppression des charges de collecte versées par Kosmos à France Télécom, mais ne prévoyait aucun reversement au titre du prix de la communication locale perçue par France Télécom auprès des usagers, alors que Kosmos soutient qu'un tel reversement lui aurait été promis dès 1999 ; que cette offre de contrat comprenait, par ailleurs, une nouvelle clause relative à l'instauration d'une garantie bancaire d'un montant équivalent à la facture moyenne bimensuelle de Kosmos sur l'ensemble des prestations couvertes par le contrat-cadre, alors qu'aucune forme de cautionnement n'était prévue dans le contrat de collecte de 1999 ; qu'en outre, pour les appels émis depuis les publiphones, Kosmos se voyait appliquer " un surcoût publiphonie " de 30 centimes HT par minute de communication à destination des deux numéros par suite d'une modification unilatérale du contrat de collecte de 1999, qui prévoyait simplement un surcoût de 25 centimes pour le numéro long ; que la société Kosmos estime, de ce fait, ne jamais avoir été en mesure de signer ce nouveau contrat ; qu'elle indique que les sommes qui lui sont facturées correspondent, pour la collecte de son numéro long gratuit, aux tarifs proposés par France Télécom en 2000 dans le contrat non signé, et ce, depuis le mois de juin 2000 et pour son numéro court payant pour l'appelant, aux tarifs du contrat signé en 1999, majorés du surcoût publiphonie ;

Considérant que les tests d'effet de ciseau tarifaire présentés par l'ART dans son avis n° 2001-950 du 5 octobre 2001 montrent qu'un fournisseur de services de cartes à code au titre de l'article L. 34-2, comme Kosmos, ne peut aligner ses tarifs sur ceux de France Télécom sans subir des pertes, estimées à - 0,23 % du revenu hors taxe pour les appels à destination d'un numéro de type 3232 et à - 3,4 % du revenu hors taxes pour les appels à destination d'un numéro long gratuit, compte tenu des tarifs de collecte pratiqués par l'opérateur historique pour les appels à destination de ces numéros d'accueil ; que, néanmoins, selon France Télécom, l'ART aurait beaucoup surévalué le pourcentage d'appels, à destination du 32-32, passés depuis des publiphones, puisque, alors que l'ART retenait un pourcentage de 30 % pour ce type d'appel, France Télécom soutient qu'ils ne dépassent pas 0,3 % du total des appels à destination du 32-32, donnée qui n'a pas été démentie par Kosmos ; que, de plus, il ressort des débats en séance que la surtaxe publiphonie imposée par France Télécom pour ce type d'appels ne serait pas de 58 centimes, ainsi que Kosmos le soutenait dans sa saisine et que l'ART le retenait dans ses estimations, mais de 30 centimes ; que les corrections ainsi apportées au test de l'ART atténuent l'effet de ciseau tarifaire dont seraient victimes les fournisseurs au titre de l'article L. 34-2 ; qu'en revanche, l'ART semble, dans son test, avoir omis que, si le coût de la communication locale facturé par France Télécom à l'appelant pour un appel vers le 32-32 n'était certes pas une ressource pour un fournisseur de services de cartes prépayées comme Kosmos, en l'absence de reversement, il représentait, néanmoins, une contrainte pour le prix qu'un tel fournisseur était en mesure de fixer pour les communications passant par ce numéro d'accueil ; qu'au total, ce dernier élément accentuant de façon significative l'effet de ciseau tarifaire sur le 32-32, le Conseil considère qu'il n'est pas exclu qu'un fournisseur de services de cartes à code au titre de l'article L. 34-2, comme Kosmos, ne puisse aligner ses tarifs sur ceux de France Télécom sans subir des pertes, estimées, à ce stade de l'instruction, à - 5,3 % du revenu hors taxe pour les appels à destination d'un numéro de type 32-32 et à - 3,4 % du revenu hors taxes pour les appels à destination d'un numéro long gratuit, compte tenu des tarifs de collecte pratiqués par l'opérateur historique pour les appels à destination de ces numéros d'accueil, soit en moyenne - 4,4 % pour un total des appels se répartissant entre 58 % d'appels à destination du 32-32 et 42 % vers le 08- 09 ;

Considérant que ces résultats, qui ne pourraient s'expliquer seulement par l'éventuel caractère prédateur de certains tarifs de France Télécom, semblent indiquer que ces tarifs de collecte sont plus élevés que les coûts réellement supportés par France Télécom pour la fourniture de ce service ; que l'accès des fournisseurs de services téléphonique au titre de l'article L. 34-2 ne constitue pas une prestation d'interconnexion et qu'ils n'ont donc pas droit aux tarifs du catalogue d'interconnexion de France Télécom, tarifs dont l'article L. 34-8-II du code des postes et télécommunications prévoit depuis 1996 qu'ils doivent être orientés vers les coûts ; qu'en revanche, l'article 36-8-IV du code des postes et télécommunications, modifié par l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001, prévoit que la fourniture des accès à ces fournisseurs donne lieu à une rémunération reflétant les coûts du service rendu ; que, dans son offre de contrat faite en 2000, France Télécom proposait à Kosmos une prestation de collecte des appels, à destination de son numéro long, à des tarifs compris entre 110 % et 150 %, suivant la provenance de l'appel, de ceux publiés au catalogue d'interconnexion 2000 ; qu'en l'absence de reversement, l'offre de collecte des appels à destination de son numéro court payant était, de fait, équivalente au prix d'une communication locale, soit supérieur aux tarifs du catalogue d'interconnexion ; que, de plus, en ce qui concerne le " surcoût publiphonie " imposé sur le 32-32, l'ART est d'avis que " lorsqu'un utilisateur d'une carte Kosmos appelle le numéro 32-32 depuis une cabine publique, il paie une communication au prix des télécartes de France Télécom, tarif intégrant la contribution de l'utilisateur à la majoration publiphonie à laquelle France Télécom est assujettie au même titre que tout opérateur utilisateur de cabines publiques ; par ailleurs Kosmos paie, pour ce même appel, un surcoût publiphonie de [30] centimes hors taxe par minute. La majoration publiphonie serait donc payée deux fois à France Télécom pour un même appel " ; qu'il n'est donc pas exclu, à ce stade de l'instruction, que la fourniture de l'accès par France Télécom aux fournisseurs de services de téléphonie au titre de l'article L. 34-2, à des tarifs dépassant largement les coûts qu'il supporte lui-même pour la fourniture de ce service, constitue une pratique ayant pour objet et pour effet de limiter la concurrence de ce type de fournisseurs ;

Considérant, enfin, que le contrat de terminaison conclu entre les parties en 1998 prévoyait une garantie bancaire d'un montant équivalent à celui d'une facture moyenne ainsi qu'un prélèvement automatique ; que l'extension d'une telle clause à un contrat-cadre ne paraît pas manifestement abusive ; qu'enfin, la mise en place d'une telle garantie, dont le montant pourrait représenter environ 5 % des dettes figurant au bilan 2000 de la société Kosmos, ne paraît pas manifestement susceptible de mettre en péril son équilibre financier ; qu'ainsi la clause proposée par France Télécom ne constitue pas manifestement, ni par son objet ni par ses effets, une condition commerciale injustifiée.

II. - Sur les mesures conservatoires

Considérant que la société Kosmos demande au Conseil, " à titre conservatoire, vu l'urgence, la mise en péril de la survie de la société Kosmos par les pratiques de France Télécom, et l'atteinte grave au marché des communications fixes prépayées, de donner injonction à France Télécom de " :

1. Mettre en place la filialisation de son activité de fournitures de communications prépayées (...) ;

2. Cesser la vente du Ticket de téléphone à des prix et à des marges de distribution ayant pour objectif ou pour effet d'interdire le maintien de toute concurrence sur le marché de la carte prépayée (...) [ainsi que] toute campagne de publicité et promotion [concernant ce produit] tant que cette filialisation n'est pas effective ;

3. Offrir des conditions tarifaires pour la collecte de trafic et la terminaison du trafic à la société Kosmos (...) lui permettant d'offrir à ses clients les mêmes tarifs et conditions de vente [que le Ticket de téléphone] ;

4. Ne pas couper sa fourniture de service sur les numéros d'accueil de la société Kosmos 08-09 et 32-32 sur la base de factures antérieures à l'exécution de l'injonction à venir, et ce, jusqu'à ce que le Conseil de la concurrence ait statué sur la demande de la société Kosmos au fond ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 464-1 du code de commerce, les mesures conservatoires " ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante "; que les mesures susceptibles d'être prises à ce titre " doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence " ; que la mise en œuvre de ce texte suppose la constatation de faits constitutifs de troubles illicites auxquels il conviendrait de mettre fin sans tarder, ou que les faits dénoncés et visés par l'instruction dans la saisine au fond, soient suffisamment caractérisés pour être tenus comme la cause directe et certaine de l'atteinte relevée;

Sur l'atteinte grave et immédiate :

Considérant qu'en ce qui concerne les opérateurs détenteurs d'autorisation L. 33-1/L. 34-1, Intercall, leader historique des activités de cartes à code avec une part de plus de 25 % jusqu'en 2000 (incluant les cartes promotionnelles), a décidé en 2001 de retirer ses produits des principaux réseaux qui en assurent la distribution ; que GTS-Omnicom a mis fin, en mai 2001, à ses activités prépayées ; que la société France Télécom avance, dans ses observations, des parts de marché respectives pour 2001 de 18 % pour Kertel, de 5 % pour Télé2 et de 30 à 35 % pour elle-même, présente sur ce marché depuis 1998 seulement ; qu'ainsi, l'année 2001 paraît se distinguer de l'année 2000 par le retrait au moins partiel des grands acteurs généralistes, la stagnation probable du marché et la percée du " Ticket de téléphone " ;

Considérant, de plus, que le secteur des cartes à code se caractérise par la présence de fournisseurs de services agissant au titre de l'article L. 34-2 (principalement Central Télécom, Delta Multimedia, Kosmos et Vectone), à l'attention desquels France Télécom n'est pas tenue de publier, pour ses prestations d'interconnexion et d'accès, d'offre technique et tarifaire de référence ; que ces fournisseurs se doivent ainsi de négocier des prestations de collecte dans des conditions de marché, lesquelles sont, en outre, caractérisées par une position de domination probable de France Télécom, alors même que leur dimension, notamment financière, ne leur permet pas de s'inscrire dans le cadre d'une relation commerciale équilibrée ; quel'obligation faite à France Télécom, en tant qu'" opérateur exerçant une influence significative sur le marché de détail de la téléphonie fixe ", de faire droit aux demandes d'accès et d'accès spécial justifiées des fournisseurs de services de télécommunications dans des conditions objectives, non discriminatoires, transparentes et à des tarifs reflétant les coûts du service rendu, introduite par l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001, n'est, pour l'heure, manifestement pas respectée, ce qui présente un risque d'exclusion de ce type de concurrents et, en conséquence, risque de faciliter la conquête ou le maintien, par France Télécom, d'une position dominante sur le marché pertinent, par des pratiques ne relevant pas d'une concurrence par les mérites; que de telles pratiques, et leurs conséquences, constituent, pour des investisseurs potentiels, des signaux susceptibles de décourager, pour plusieurs années, un investissement dans ce secteur ; qu'en conséquence, elles portent, au processus d'ouverture à la concurrence des marchés des télécommunications, une atteinte grave qu'il convient de faire cesser ;

Sur les mesures demandées :

Considérant, en premier lieu, que la société Kosmos refuse de signer le contrat qui lui a été proposé en 2000 par France Télécom et conteste les sommes qui lui sont facturées par France Télécom depuis février 2000 ; que, par lettre en date du 13 février 2001, France Télécom a menacé de couper le trafic de la société Kosmos si celle-ci ne réglait pas les arriérés de paiement estimés, à cette date, à 26 millions de francs ; que, par ordonnance de référé, en date du 5 avril 2001, le président du Tribunal de Grande Instance de Paris a confirmé l'injonction faite à France Télécom, par l'ordonnance sur requête du 15 mars 2001, de maintenir la fourniture de son service de collecte à Kosmos dans l'attente d'une décision au fond ; que, par un arrêt en date du 26 septembre 2001, la Cour d'Appel de Paris a infirmé l'ordonnance du 5 avril 2001 et rétracte l'ordonnance sur requête du 15 mars 2001, en considérant, notamment, que les menaces de coupures dont " la société Kosmos a demandé au juge des requêtes de paralyser l'exécution (...) s'analysent en une application pure et simple par la société France Télécom de la clause de résiliation prévue au contrat encore en cours, pour non-paiement d'une créance qui paraît établie " ;

Considérant que la coupure de son trafic entrant, pour non-paiement de sa dette d'environ 26 MF au 13 février 2001 contractée à l'égard de France Télécom, conduirait à la cessation immédiate de ses activités sur ses numéros d'accueil 08-09-32-32-32 et 32-32, ce qui serait de nature à mettre en péril la survie de l'entreprise ;

Mais considérant que, ni la non-orientation vers les coûts des tarifs de collecte facturés à France Télécom, ni la surtaxe téléphonie mobile imposée sur les appels à destination du 32-32, ne semblent justifier l'importance des impayés de Kosmos dus à France Télécom ; qu'en effet, sur les 26 millions de francs dus au 13 février 2001, seul 14,03 millions étaient dus au titre des prestations de collecte fournies par France Télécom ; qu'au surplus, l'effet de ciseau tarifaire dont serait victime un fournisseur de services de cartes prépayées, comme Kosmos, serait, selon les estimations retenues par le Conseil à ce stade de l'instruction, de l'ordre de 4,4 % du revenu hors taxes d'un tel opérateur, soit, en ce qui concerne Kosmos, de l'ordre de 5,3 MF de février 2000 août 2001, pour un chiffre d'affaires évalué à 121 MF sur cette période ; qu'en ce qui concerne l'effet de la surtaxe publiphonie qui pourrait être abusivement imposée par France Télécom pour les appels à destination du 32-32, il ressort des éléments apportés dans ses observations par France Télécom, et non démentis par Kosmos, que les appels à destination du 32-32, au départ des publiphones, ne dépasseraient pas 0,3 % de l'ensemble de ces appels, soit, au total, pour une surtaxe de 30 centimes par appel, un préjudice qui peut être évalué à environ 5 000 F HT par mois ;

Considérant qu'il ressort de ce qui précède qu'une mesure consistant à enjoindre à France Télécom de " ne pas couper sa fourniture de service sur les numéros d'accueil de la société Kosmos 08-09 et 32-32 sur la base de factures antérieures à l'exécution de l'injonction à venir, et ce, jusqu'à ce que le Conseil de la concurrence ait statué sur la demande de la société Kosmos au fond ", ne paraît pas être justifiée par une atteinte grave et immédiate qui aurait pu être portée aux intérêts de la société Kosmos par les éventuelles pratiques anticoncurrentielles visées par l'instruction dans la saisine au fond ;

Considérant, en deuxième lieu, que l'existence de prix de détail du " Ticket de téléphone " inférieurs à leurs coûts variables, d'une part, ne ressort pas manifestement des données avancées par l'ART et les parties, d'autre part, pourrait résulter, comme le suggère la société France Télécom dans ses observations, d'une surestimation de ses coûts de réseau ; qu'il n'est également pas manifeste, à ce stade de l'instruction, que les prix de détail pratiqués par France Télécom sur le Ticket de téléphone dont Kosmos soutient qu'ils sont abusivement bas, soient subventionnés par des ressources tirées d'autres prestations offertes en monopole par France Télécom ; qu'au surplus, la filialisation des activités cartes prépayées à code France Télécom paraît difficilement pouvoir relever d'une mesure d'urgence ; qu'en conséquence, les mesures énumérées aux points 1 et 2 ci-dessus, ne répondent pas aux conditions posées par l'article L. 464-1 du code de commerce ;

Considérant, en troisième lieu, que, si la société Kosmos demande au point 3 qu'il soit enjoint à France Télécom d'" offrir des conditions tarifaires pour la collecte de trafic et la terminaison du trafic à la société Kosmos lui permettant d'offrir à ses clients les mêmes tarifs et conditions de vente [que le Ticket de téléphone] ", elle ne démontre cependant pas dans sa saisine que les tarifs de terminaison pratiqués par France Télécom seraient abusifs ;

Considérant, en revanche, quel'offre, aux fournisseurs de service au titre de l'article L. 34-2 du code des postes et télécommunications, tels Kosmos, de conditions tarifaires pour la collecte de trafic qui soient orientées vers les coûts réellement supportés par France Télécom pour la fourniture de ce service, constitue une condition indispensable pour qu'une concurrence réelle joue sur le marché concerné et est nécessaire pour faire face à l'urgence de la situation, compte tenu du risque de captation de ce marché par France Télécom, par des moyens ne relevant pas d'une concurrence par les mérites,

Décide :

Article unique. - Il est enjoint à la société France Télécom d'orienter vers les coûts qu'elle supporte pour la fourniture de ce service les tarifs qu'elle pratique sur ses prestations de collecte de trafic téléphonique émanant de son réseau téléphonique commuté public fixe en France métropolitaine et à destination des numéros spéciaux de ses clients fournisseurs de services de télécommunications au titre de l'article L. 34-2 du code des postes et télécommunications, tels Kosmos, pour leurs services de cartes à code au public.