CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 4 octobre 1994, n° ECOC9410208X
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Entreprise générale de chauffage et plomberie (SARL)
Défendeur :
SOGIM Languedoc Roussillon (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aubert
Conseillers :
M. Bargue, Mme Penichon
Avoué :
Me Huyghe
Avocats :
Mes Merlin, Melmoux.
La Cour est saisie des recours formés par les sociétés Entreprise Générale de Chauffage et de Plomberie (EGCP) et SOGIM Languedoc Roussillon (SOGIM), anciennement SG2P, contre la décision n° 94-D-02 du 5 janvier 1994 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques relevées dans le secteur des travaux de réfection des bâtiments, dans le département de l'Hérault.
Il est fait référence pour l'exposé des éléments de la cause à cette décision, et rappelé seulement que :
Le Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget, à la suite d'une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, a, le 25 mars 1991, saisi le Conseil de la concurrence de faits pouvant être qualifiés de concertation entre entreprises à l'occasion de la passation d'un marché privé de travaux de réfection des toitures de la Cité des Pins à Montpellier.
Le Conseil de la concurrence a retenu que les pratiques mises en œuvre avaient eu pour objet et pour effet de favoriser un simulacre de concurrence dont la société EGCP avait bénéficié, par l'intermédiaire du GIE Structure dont elle était membre, et ce, avec le concours actif de la société SOGIM, syndic de copropriété de la Cité des Pins.
Estimant que les pratiques constatées tombaient sous le coup des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il a infligé des sanctions pécuniaires de 90.000 F à la société EGCP et de 140.000 F à la société SOGIM.
Les demanderesses au recours concluent à la réformation et à l'annulation de cette décision, contestant la réalité des pratiques d'entente dénoncées et arguant qu'une véritable mise en concurrence a existé entre les entreprises membres du GIE, au terme de laquelle la société EGCP a été déclarée la moins-disante.
La société EGCP fait valoir, pour sa part, qu'elle n'a jamais été en contact avec aucun décideur, qu'elle n'a pas encaissé de dividende sur ce marché et que la sanction est en conséquence injustifiée. Subsidiairement, elle estime que cette dernière n'est proportionnée ni à la gravité des faits, ni à l'importance du dommage causé à l'économie, les pratiques dont s'agit n'ayant eu aucune incidence sur la concurrence.
La société SOGIM invoque la nullité de la notification de la décision du Conseil de la concurrence, au motif que la copie du décret du 19 octobre 1987 n'a pas été jointe à la lettre et que, de ce fait, les modalités d'exercice du recours n'ont pas été précisées.
Au fond, elle soutient qu'aucun élément ne permet de démontrer sa participation active à une éventuelle action concertée qui s'analyse davantage " comme une manœuvre à caractère individuel du dirigeant d'EGCP ". Elle affirme également que l'accès au marché et la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence n'ont pas été entravés, la société EGCP ayant exécuté, en liaison avec le sous-traitant Arnal, les travaux demandés par la copropriété pour le prix figurant sur leurs devis.
Le Ministre de l'Économie considère, dans ses observations, que la notification de la décision du Conseil de la concurrence adressée à la société SOGIM est régulière et que le recours interjeté par cette entreprise n'est pas recevable en application de l'article 4 du décret du 19 octobre 1987. Il constate que les pratiques d'entente sont caractérisées à l'encontre des sociétés EGCP et SOGIM et conclut au rejet de leurs recours.
Le Conseil de la concurrence a fait connaître qu'il n'entendait pas user de la faculté de présenter des observations écrites.
Dans leurs mémoires en réplique, les Sociétés EGCP et SOGIM reprennent leurs précédentes explications.
Le ministère public conclut oralement à la nullité de la notification de la décision du Conseil adressée à la société SOGIM, à la recevabilité du recours de cette entreprise ainsi qu'à la confirmation de la décision attaquée.
Sur quoi, LA COUR,
I- Sur la procédure :
En ce qui concerne la nullité de la notification de la décision du Conseil :
Considérant qu'aux termes de l'article 20 du décret du 19 octobre 1987 " A peine de nullité, la lettre de notification doit indiquer le délai de recours ainsi que les modalités selon lesquelles celui-ci peut être exercé " ;
Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure que la lettre de notification du Conseil adressée à la Société SOGIM le 18 janvier 1994 se bornait à viser le décret précité sans mentionner les modalités d'exercice du recours ; que cette omission était de nature à faire grief au demandeur, celui-ci n'ayant ni déposé son mémoire en temps utile, ni dénoncé, dans le délai de cinq jours prévu par l'article 4 du décret du 19 octobre 1987, son recours dont l'irrecevabilité a été soulevée par le Ministre de l'Économie ;
Considérant que la notification est nulle :
En ce qui concerne la recevabilité du recours de la société SOGIM :
Considérant que, par suite de la nullité de la notification de la décision du Conseil, les dispositions de l'article 4 du décret du 19 octobre 1987, prévues à peine d'irrecevabilité, ne peuvent être opposées par le Ministre de l'Economie à la société SOGIM qui n'a pas été régulièrement avisée des modalités d'exercice du recours ; qu'il y a lieu, en conséquence, de recevoir la société SOGIM en son recours ;
II- Au fond :
Sur la réalité de la mise en concurrence :
Considérant que les entreprises EGCP et SOGIM soutiennent que les sociétés membres du GIE Structure ont été mises en concurrence arguant, d'une part, que la présentation des offres établies par GMRH et ECB, lors de la consultation de février 1988, s'explique par le fait que le syndic a demandé aux entreprises un forfait par poste de manière à éviter toute surfacturation au cours du chantier et, d'autre part, que les devis versés au dossier, dont chaque page porte le cachet et la signature du dirigeant concerné, émanent de ces entreprises ;
Considérant cependant que les explications recueillies sur le contenu de ces documents qui comportent, de même que ceux de la seconde consultation, des surcharges dactylographiques, des erreurs grossières de calcul et des anomalies précisément relevées par le Conseil, ne sont étayées par aucun élément de preuve et sont contredites par les déclarations des dirigeants des entreprises concernées qui ont indiqué n'avoir jamais eu de relations avec le syndic et n'avoir pas établi eux-mêmes ces offres ; que pour sa part, le gérant de la société Arnal a précisé qu'il s'était borné à chiffrer les prestations de maçonnerie relevant de sa compétence et à transmettre ces données au GIE qui a, sur la base des prix annoncés, établi un devis global " tous corps d'État confondus " ;
Considérant que les affirmations des représentants des entreprises sont, en outre, corroborées par les constatations des enquêteurs selon lesquelles les offres sont différentes, par leur présentation et leur typographie, de celles habituellement rédigées par ces entreprises et ne figurent pas, dans certains cas, sur le registre des devis de ces sociétés (ECB consultation de février 1988) ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les entreprises concernées, dont les offres sont supérieures à celle d'EGCP de 23 % pour la première phase et de 8 à 12 % pour la seconde, n'ont pas été réellement mises en compétition ; qu'il apparaît clairement que les devis ont été rédigés par le GIE Structure - dont le président était également administrateur d'EGCP, avec 499 parts sociales sur 500 - afin de faire apparaître cette dernière entreprise comme la moins-disante et de lui permettre d'emporter le marché ; que ces manœuvres ont également permis à EGCP d'encaisser une somme de 53.424 F - sur laquelle aucune explication cohérente n'a été fournie - et dont l'enquête a établi qu'elle représentait une partie de la plus-value réalisée sur les travaux effectués par Arnal, pour un montant de 105.884 F environ, et facturés 212.697 F à la copropriété par le GIE.
Considérant que c'est donc à juste titre et par une exacte analyse des faits et circonstances de la cause que le Conseil a énoncé qu'un simulacre de concurrence avait été organisé par ces entreprises, étant observé que la société SOGIM ne saurait arguer que la première consultation, faute d'avoir abouti, échappait à la compétence du Conseil, dès lors que cette autorité avait été saisie par le Ministre de l'Économie de l'ensemble des conditions de passation du marché et que les indices recueillis lors de l'examen de la première phase étaient susceptibles d'éclairer ceux relevés à l'occasion de la seconde ;
Sur les pratiques d'entente :
Considérant en premier lieu que vainement les sociétés demanderesses, pour faire échec au grief d'entente qui leur est reproché, contestent les relations qui les unissaient ;
Que, d'une part, il ressort du dossier qu'EGCP était le partenaire attitré de la copropriété de la Cité des Pins - le syndic indiquant, dans son mémoire en défense, qu'elle aurait été retenue même si elle avait été la plus-disante - et qu'à ce titre, elle a été consultée, en février 1988, sur l'état des toitures des bâtiments et a rédigé le rapport technique ayant servi de base à la première consultation ; qu'en outre, ainsi que cela a déjà été évoqué, elle entretenait avec le GIE Structure, dont elle abritait également le siège social, des liens privilégiés ;
Que, d'autre part, la société EGCP et le GIE ont été, tout au long de l'opération, les interlocuteurs principaux de la société SOGIM ; que celle-ci a accepté de signer le marché avec le groupement, de lui en payer le prix, alors qu'EGCP était l'adjudicataire ; qu'il est ainsi établi que la société SOGIM connaissait le mécanisme de fonctionnement du GIE Structure et, par conséquent, les relations étroites unissant ce dernier à EGCP ;
Considérant, en second lieu, que le simulacre de concurrence résulte, contrairement à ce que prétend la société SOGIM, d'une connivence étroite entre les deux entreprises, agissant par l'intermédiaire du GIE Structure ;
Que l'enquête a révélé tout d'abord, ainsi qu'il a été exposé plus haut, que la société SOGIM n'était pas en relation avec les entreprises soumissionnaires alors qu'elle avait pris l'initiative de préparer la consultation et reçu la mission de l'exécuter ; qu'elle a donc tacitement accepté que la mise en concurrence soit organisée par le groupement rassemblant ces entreprises, alors qu'elle savait, ainsi qu'il ressort de la lettre du 30 septembre 1991 adressée au rapporteur du Conseil, qu'une libre compétition ne pouvait s'exercer qu'en dehors du GIE.
Qu'il a été ensuite établi que la société ECB, démissionnaire du GIE, par suite du conflit l'opposant à ce dernier, n'avait pas soumissionné lors de la seconde consultation, ayant été remplacée par la société Arnal, nouveau membre du groupement ; qu'à cet égard, et en dépit des termes du procès-verbal du 6 juin 1988, signé du seul syndic, les dénégations de ce dernier sont contredites, ainsi que l'a justement relevé le Conseil, par le fait que le devis d'ECB n'a jamais été retrouvé et par les déclarations de deux membres du conseil syndical d'après lesquelles l'assemblée générale des copropriétaires s'est prononcée sur les devis d'Arnal, GMRH et Structure ; que leur version des faits est, en outre, confortée par le mémoire en défense d'EGCP, qui indique : " l'entreprise ECB ayant démissionné du groupement, c'est la société Arnal, nouveau participant, qui, naturellement, devait être consultée " ;
Considérant que l'ensemble de ces indices révèle la volonté des deux entreprises de circonscrire la concurrence aux membres du GIE, pour assurer le contrôle des offres, et démontre l'inanité des assertions du syndic, selon lesquelles le choix des entreprises aurait été dicté par les vives tensions régnant entre elles ;
Considérant, dès lors, que le Conseil de la concurrence a parfaitement caractérisé les pratiques d'entente mises en œuvre par EGCP et SOGIM, à travers le GIE Structure, utilisé à des fins anticoncurrentielles ;
Sur l'atteinte à la concurrence :
Considérant que vainement les sociétés demanderesses soutiennent que le jeu de la concurrence n'a pas été faussé ;
Considérant que l'objet anticoncurrentiel des pratiques est suffisamment établi par le fait que les offres des entreprises consultées ont été, à deux reprises, manipulées afin de rendre EGCP la moins-disante et de lui permettre d'être attributaire du marché ;
Que l'effet anticoncurrentiel de ces manœuvres est également manifeste en ce qu'elles ont abouti à l'éliminer de la concurrence par les prix au profit de l'entreprise EGCP ;
Considérant enfin que la circonstance invoquée par la société SOGIM, d'après laquelle le syndic aurait eu le libre choix de son cocontractant, par suite de l'urgence des travaux et du caractère privé du marché, non assujetti aux règles du droit public, ne pouvait dispenser ce dernier de procéder à une mise en compétition sérieuse des entreprises, dès lors que celle-ci avait été décidée par la copropriété ; que pas davantage ne saurait prospérer l'argumentation selon laquelle l'action du Conseil serait infondée en raison de l'approbation unanime par l'assemblée générale des copropriétaires du déroulement du marché, cet accord ne pouvant en aucun cas constituer une cause de justification sérieuse des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre ;
Sur les sanctions :
Considérant que c'est par des motifs pertinents que la Cour fait siens que le Conseil de la concurrence a justifié les condamnations mises à la charge des sociétés EGCP et SOGIM et leur proportionnalité à la gravité des faits, au dommage causé à l'économie et à la situation des sociétés concernées ;
Considérant que la Cour observe, en outre, que, contrairement à ce qui est soutenu, les pratiques d'entente ont eu une réelle incidence sur le secteur des travaux de réfection de bâtiments dans le département de l'Hérault ; qu'en raison du nombre et de la position géographique des entreprises concernées au regard de la dimension locale du marché de référence, les comportements décrits ont eu pour résultat d'en fermer l'accès, alors que la demande portait sur des travaux urgents et indispensables, concernant les toitures de toute une cité ; qu'ainsi les différents acteurs économiques en présence ont été non seulement trompés sur l'étendue de la concurrence par ceux-là même qui avaient reçu mission de l'organiser, mais également privés des avantages résultant d'une saine compétition entre les entreprises ;
Considérant que le principe de proportionnalité posé par l'article 53 de l'ordonnance n° 86- 1243 du 1er décembre 1986 étant respecté, la Cour ne trouve pas motif à modifier les sanctions prononcées par le Conseil de la concurrence ;
Par ces motifs, LA COUR, Constate la nullité de la notification de la décision du Conseil de la concurrence adressée le 18 janvier 1994 à la société SOGIM ; Reçoit la société SOGIM en son recours ; Rejetant les demandes d'annulation et de réformation, Confirme la décision du Conseil de la concurrence n° 94-D-02 du 5 janvier 1994 ; Met les dépens à la charge des requérantes.