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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 21 septembre 1998, n° 1997-25862

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Intermarbres (Sté)

Défendeur :

Groupement d'Entreprises de Services (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Conseillers :

MM. Mc Kee, Le Dauphin

Avoués :

SCP Narrat-Peytavi, SCP Valdelièvre-Garnier

Avocats :

Mes Brunois, Duminy.

T. com. Bobigny, du 10 oct. 1991

10 octobre 1991

Concessionnaire du service extérieur des pompes funèbres dans des communes de la région parisienne aux termes d'un contrat conclu le 29 janvier 1962, en application de l'article L. 362-1 du Code des communes, avec le syndicat des communes de la banlieue de Paris pour les pompes funèbres, et renouvelé pour la dernière fois le 26 novembre 1986, la société Pompes Funèbres Générales (société PFG), aux droits de laquelle sont venues la société Pompes Funèbres Générales Ile-De-France puis la société Groupement d'Entreprises de Services, ci-après la société GES, soutenant que la société Intermarbres, exploitant une entreprise de pompes funèbres sous l'enseigne Inter Service Funéraire, avait, entre le 11 juillet 1988 et le 31 mai 1990, organisé à 222 reprises des funérailles en violation de l'exclusivité dont elle était titulaire, a introduit, le 10 septembre 1990, devant le tribunal de commerce de Bobigny, une action tendant, d'une part, à la condamnation de cette société au paiement de dommages-intérêts et, d'autre part, à lui faire interdire sous astreinte de violer le contrat de concession du service extérieur des pompes funèbres dont elle est titulaire.

Par jugement du 10 octobre 1991, après s'être déclaré incompétent pour connaître "d'abus de position dominante résultant des procédures utilisées par le syndicat des communes de la banlieue de Paris pour les pompes funèbres afin de conclure avec PFG des contrats de concession exclusive du service extérieur des pompes funèbres ou résultant des clauses desdits contrats", le tribunal a :

- dit que la société PFG a établi qu'elle exerce son monopole conformément au droit communautaire et, en conséquence, déclaré recevable la demande principale de celle- ci;

- condamné la société Intermarbres à lui payer la somme de 400 000 francs en réparation du préjudice résultant des prestations relevant du service extérieur des pompes funèbres fournies par cette société entre le 11 juillet 1988 et le 31 mai 1990 à Noisy-le-Sec, au Kremlin-Bicêtre, à Montreuil, Bondy, Asniêres, Aubervilliers, Bobigny, Fontenay-sous-Bois, Villetaneuse et Créteil;

- ordonné la publication du jugement dans cinq journaux, aux frais de la société Intermarbres;

- débouté cette société de sa demande reconventionnelle;

- ordonné l'exécution provisoire.

La société Intermarbres a relevé appel de cette décision.

Par arrêt du 1er mars 1993, cette cour a sursis à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur les exceptions d'illégalité du traité de concession du service extérieur des pompes funèbres du 29 janvier 1962 et de ses avenants postérieurs.

Par jugement du 4 juillet 1994, le tribunal administratif de Paris, saisi par la société Intermarbres en exécution de la décision précitée, a rejeté sa demande tendant à ce que soit déclaré illégal ledit contrat de concession.

La société Intermarbres ayant saisi le Conseil d'Etat d'une requête tendant à l'annulation de ce jugement et à ce que le contrat de concession soit déclaré entaché d'illégalité, le Conseil d' Etat a rejeté cette requête par arrêt du 3 novembre 1997.

Dans le dernier état de ses écritures, la société Intermarbres demande à la cour :

- de déclarer irrecevable la demande principale de la société GES,

- subsidiairement de rejeter cette demande faute de preuve du préjudice invoqué,

- d'ordonner, en conséquence, la restitution de la somme de 400 000 francs montant de la condamnation prononcée, avec exécution provisoire, par le tribunal de commerce de Bobigny, avec intérêts au taux légal à compter de son versement,

- sur sa demande reconventionnelle, de constater que la société GES a abusé, à son égard, de sa position dominante et de la condamner à lui payer la somme de 2 000 000 de francs à titre de dommages-intérêts.

Au soutien de ces prétentions, l'appelante fait valoir :

- que le statut de concessionnaire exclusif du service extérieur des pompes funèbres dans toutes les communes de la région parisienne, dont se prévaut la société GES, implique, par essence, une position dominante,

- qu'il a été maintes fois prouvé que cette société a commis de nombreux actes anticoncurrentiels ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, aussi bien sur le plan national et local qu'à l'égard de la société Intermarbres en particulier, ainsi que cela a été reconnu par un arrêt de cette cour en date du 12 mai 1998,

- qu'il s'ensuit que la demande de la société GES, qui ne peut se prévaloir de sa propre faute, doit être déclarée irrecevable.

La société Intermarbres ajoute, à titre subsidiaire, sur les demandes principales de la société GES, que les 222 violations de son monopole invoquées par celle-ci ont déjà donné lieu à des décisions pénales relaxant M. Creusot, dirigeant de la société Intermarbres, du chef de contravention aux dispositions "de l'article L. 362-4-1 du Code des communes" en raison de l'impossibilité d'identifier les personnes inhumées, de sorte que lesdites demandes se heurtent à l'autorité de la chose jugée.

L'appelante fait encore observer, d'une part, que la société GES procède par affirmations sans démontrer la réalité des manquements allégués ni celle du préjudice prétendument subi et, d'autre part, qu'en application de l'article L. 362-4-1 du Code des communes, issu de la loi du 9 janvier 1986, s'il n'y a pas coïncidence dans une seule et même commune de la mise en bière, de l'inhumation ou de la crémation et du domicile du défunt, il peut être légalement dérogé au monopole et que dans un grand nombre de cas, la dérogation résulte des propres pièces de l'intimée.

A l'appui de sa demande reconventionnelle, Intermarbres expose que la preuve de la faute de la société GES résulte de l'arrêt de cette cour du 12 mai 1998 lequel, rejetant le recours formé par l'intimée contre la décision 97-D-27 du Conseil de la concurrence en date du 29 avril 1997, a sanctionné une pratique constitutive d'abus de position dominante la visant personnellement.

Elle relève que son préjudice, matériel et moral, "concerne tout particulièrement" le détournement de clientèle systématique "opéré à tous les niveaux", l'attitude "hégémonique et coercitive" de la société PFG tant à son égard qu'à celui de ses clients, la perte d'une chance de conquérir une nouvelle clientèle, l'impossibilité d'exécuter les opérations funéraires "de par les prix pratiqués dans le cadre du monopole du funérarium" et "les multiples procédures qu'elle a été amenée à subir depuis près de 10 ans".

La société GES, intimée, conclut de son côté à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré recevable et bien fondée dans son principe sa demande indemnitaire.

Formant appel incident quant au montant de la réparation allouée, elle demande à la cour de condamner la société Intermarbres à lui payer la somme de 900 000 francs au titre des violations du contrat de concession commises par cette dernière jusqu'au 8 janvier 1996, date à laquelle ont pris fin les effets dudit contrat et, subsidiairement, d'ordonner une mesure d'instruction à l'effet d'évaluer le préjudice par elle subi au titre de la période comprise entre le 31 mai 1990 et le 8 janvier 1996.

Après avoir souligné que l'unique grief retenu à l'encontre de la société PFG Ile-de-France par l'arrêt précité de la cour d'appel de Paris du 12 mai 1998, à savoir la pose d'une affichette intitulée "stop aux mensonges" dans la vitrine d'un magasin de pompes funèbres de Bondy, est sans incidence sur la validité, affirmée par le Conseil d'Etat, du contrat de concession conclu avec le syndicat des communes de la banlieue de Paris pour les pompes funèbres, de sorte que l'exception d' irrecevabilité soulevée par Intermarbres est sans fondement, et relevé que l'invocation par cette dernière de la règle "non bis in idem" est inopérante, en l'absence de décision pénale prononçant la relaxe du dirigeant de la société Intermarbres au motif qu'il aurait été impossible d'identifier les personnes inhumées, la société GES expose que la preuve de la violation par l'appelante des droits qui lui ont été concédés, par la fourniture directe aux familles des prestations monopolisées, résulte des pièces versées aux débats, et notamment des attestations établies par les maires des communes concernées, étant observé que l'appelante ne peut se prévaloir de la dérogation aux règles du monopole instituée par l'article L. 362-4-1 du Code des communes dès lors qu'elle est implantée dans des communes (Bondy, Montreuil et Montfermeil) lui ayant toutes délégué le service extérieur des pompes funèbres.

La société GES conclut, par ailleurs, à l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle de la société Intermarbres, s'agissant d'une prétention nouvelle soumise à la cour en méconnaissance des dispositions de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile.

Elle ajoute que l'appelante n'apporte aucun élément établissant que l'affichette "stop aux mensonges" mise en place pendant quelques semaines par le responsable du magasin de Bondy à la suite de la diffusion d'un prospectus publicitaire par Intermarbres lui causait véritablement un préjudice.

La société Intermarbres réplique, s'agissant de la recevabilité de sa demande reconventionnelle, qu'elle a, dès le début de la procédure, soutenu que la société GES avait engagé sa responsabilité à son égard du fait de pratiques de position dominante illicites et que c'est au vu de l'arrêt du 12 mai 1998 qu'elle a été en mesure de chiffrer la demande formée de ce chef, laquelle n'est que la conséquence de l'argumentation précédemment développée.

Par application de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le directeur régional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes d'Ile-de-France, représentant le ministre chargé de l'économie, a déposé et développé à l'audience des conclusions tendant à démontrer :

- qu'il incombe à la société GES de rapporter la preuve d'un exercice conforme de sa position dominante au regard des règles internes de concurrence;

- qu'une telle preuve n'est pas rapportée; qu'il est au contraire établi que cette société a, sur le marché local concerné, exploité de façon abusive le contrat de concession dont la validité intrinsèque a pu, sans contradiction, être reconnue par le Conseil d'Etat;

- que le caractère abusif de l'exploitation de son monopole par ladite société est encore attesté par les condamnations prononcées pour des faits d'abus de position dominante sur d'autres marchés locaux.

Le ministre en déduit que les demandes de la société GES ne peuvent prospérer.

Les sociétés Intermarbres et GES demandent l'une et l'autre qu'il soit fait application à leur profit des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi, LA COUR:

Sur la recevabilité des conclusions déposées par le ministre chargé de l'économie

Considérant que la société GES soutient qu'en ce qu'elles tendent à voir constater, sur le fondement de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'existence de pratiques abusives qui lui sont imputables, les conclusions déposées le 18 mars 1998 par le ministre chargé de l'économie sont irrecevables car contraires à l'autorité de la chose jugée par les arrêts rendus par cette cour, dans la présente instance, les 1er mars 1993 et 1l septembre 1995;

Mais considérant que les arrêts précités se sont bornés, le premier, à surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur les exceptions d'illégalité du contrat de concession du 29 janvier 1962 et, le second, à dire qu'il n'y avait pas lieu à reprise d'instance, en l'absence, à cette date, de décision définitive de la juridiction administrative ; que ces décisions sont, en conséquence, dépourvues de toute autorité sur la question soulevée par les conclusions du ministre, lesquelles sont recevables;

Sur les demandes de la société GES

Considérant que par son arrêt du 3 novembre 1997, le Conseil d'Etat a jugé qu'aucune des exceptions d'illégalité visant le contrat de concession du 29 janvier 1962 et faisant l'objet de la question préjudicielle qui lui était soumise, n'était fondée;

Considérant que s'il est ainsi acquis que les stipulations dudit contrat n'étaient pas, par elles-mêmes, contraires aux règles du droit de la concurrence tant internes que communautaires, l'arrêt précité ne fait pas obstacle, ainsi que le relève le ministre, à ce qu'il soit recherché si la société GES s'est livrée, lors de son exécution, à des pratiques anticoncurrentielles;

Considérant, s'agissant des dispositions de l'article 86 du traité instituant la Communauté économique européenne, que les premiers juges ont, par une motivation pertinente, que la cour adopte, constaté, par une appréciation concrète des éléments de fait mis aux débats, qui ne sont pas modifiés en cause d'appel, que les deux premières des conditions - cumulativement exigées - par la Cour de justice des communautés européennes aux termes de son arrêt du 4 mai 1988 pour l'application en la matière du texte susvisé ne se trouvaient pas réunies;

Considérant, sur l'existence d'abus de position dominante au regard des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, que la délimitation du marché pertinent est nécessaire pour apprécier l'atteinte à la concurrence causée par les pratiques imputées à la société GES ; que le marché de référence est le lieu où se confrontent l'offre et la demande de produits regardés par les acheteurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens offerts;

Considérant que jusqu'en 1992, l'ensemble des communes du département de la Seine-Saint-Denis avaient concédé le service extérieur des pompes funèbres soit à la société PFG, soit à la société Dumond Frères, filiale de la première et absorbée par celle-ci en 1991 ; qu'eu égard aux contraintes juridiques résultant de cette situation comme au comportement habituel des familles en matière d'organisation d'obsèques, l'offre de produits et de services funéraires émanant d'entreprises extérieures à la zone de chalandise en cause n'est pas substituable, en droit ou en fait, à celle existant localement;

Considérant, dès lors, que les pratiques anticoncurrentielles qui ont pu être relevées à la charge du groupe d'entreprises auquel appartient l'intimée sur des marchés extérieurs à celui des communes de la Seine-Saint-Denis, et dont font état les conclusions du ministre, si elles constituent un indice de la position dominante occupée sur ce dernier marché par la société GES, laquelle n'est pas, au demeurant sérieusement contestable, ni d'ailleurs contestée, ne peuvent être prises en considération pour apprécier si ladite société a exploité abusivement sa position dominante sur le marché local des pompes funèbres;

Considérant, à cet égard, qu'au vu d'un rapport d'enquête administrative, le ministre chargé de l'économie a, par lettre du 6 novembre 1991, saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées dans le secteur des pompes funèbres dans le département de la Seine-Saint-Denis ; que, de son côté, la société Intermarbres, a, par lettre du 2 novembre 1992, saisi le Conseil de pratiques relevées sur le même marché et mises en œuvre par les sociétés PFG et Dumond Frères ; que le Conseil a statué sur la première saisine par une décision 97-D-28 et sur la seconde par une décision 97-D-27, du 29 avril 1997;

Considérant que la première décision, après avoir écarté, comme non établis, les griefs relatifs à l'attribution à une seule entreprise des soins de conservation des corps, à la confusion entre les activités relevant du service extérieur et celles soumises à la concurrence au sein des funérariums de Villepinte et de Montfermeil, et au fait d'inciter les familles, par une information insuffisante dans le funérarium de Villepinte, à choisir des prestations plus onéreuses pour les cercueils et accessoires et les produits d'hygiène, a retenu deux pratiques d'une part, le fait d'avoir apposé sur la vitrine de l'agence de Bondy de la société PFG une affiche intitulée "Stop aux mensonges", d'autre part, le fait d'avoir incité les familles, au funérarium de Montfermeil, par une information insuffisante, à choisir des prestations plus onéreuses ; que cette décision a été annulée par un arrêt de cette cour en date du 12 mai 1998 au motif que les procès- verbaux sur lesquels elle était fondée avaient été établis en violation des dispositions de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986;

Considérant que la seconde décision du Conseil de la concurrence, après avoir écarté comme non fondé le grief relatif à la facturation aux familles de frais de transport et de séjour des corps en chambre funéraire, a sanctionné, comme contraire aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le fait, ci-dessus mentionné, d'avoir apposé, dans la vitrine de l'agence de Bondy, une affiche dont le texte était le suivant : "Dans le respect du droit français, pour assurer la meilleure protection des usagers, le concessionnaire du service public des pompes funèbres offre toujours les meilleures conditions de prix et de qualité renseignez-vous, vous en serez convaincus, numéro vert 05-11-10-10, appel gratuit 24 heures sur 24" ; que le recours contre cette décision a été rejeté par un autre arrêt de cette cour en date du 12 mai 1988;

Considérant qu'en l'état des données qui viennent d'être rappelés, et en l'absence de tout autre élément de preuve, la seule pratique constitutive d'abus de position dominante établie à l'encontre de la société GES, sur le marché de référence, consiste dans l'apposition, en 1991, dans la vitrine de l'une de ses agences de Seine-Saint- Denis, de l'affichette ci-dessus décrite;

Considérant que cette pratique anticoncurrentielle, si elle a été sanctionnée en application des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et si elle est susceptible d'ouvrir droit à réparation, sur le terrain de la responsabilité civile, aux concurrents de la société GES qui en auraient été victimes, est, contrairement à ce que soutient l'appelante, sans incidence sur la recevabilité de l'action de la société GES tendant à l'indemnisation du préjudice qu'elle prétend avoir subi, à compter de juillet 1988, du fait des violations réitérées du contrat de concession du service extérieur des pompes funèbres dont la validité ne peut plus être discutée;

Qu'il y a lieu, en conséquence, de rechercher si la demande de la société GES est fondée;

Considérant qu'il incombe à cette société, qui soutient que l'appelante a fourni des prestations en violation des droits d'exclusivité qu'elle tenait du contrat de concession conclu avec le syndicat des communes de la banlieue de Paris pour les pompes funèbres, d'en rapporter la preuve ; qu'elle doit, en conséquence, établir que l'organisation des convois funéraires litigieux entrait dans le champ de l'exclusivité ainsi concédée;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 362-4-1 § I du Code des communes, inséré audit Code par la loi n° 86-29 du 9 janvier 1986, applicable en la cause, "Par dérogation aux régies du service extérieur des pompes funèbres, lorsque la commune de mise en bière n 'est pas celle du domicile du défunt ou du lieu d'inhumation ou de crémation, la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles ou son mandataire, si elle ne fait pas appel à la régie ou au concessionnaire de la commune du lieu de mise en bière, dans les conditions fixées à l'article L. 362-1, peut s'adresser à la régie, au concessionnaire ou, en l'absence d'organisation du service, à toute entreprise de pompes funèbres soit de la commune du lieu d'inhumation ou de crémation, soit de la commune du domicile du défunt, pour assurer les fournitures de matériel prévues à l'article L. 362-1, le transport des corps après mise en bière et l'ensemble des services liés à ces prestations";

Considérant que la société Intermarbres soutient à tort que le seul constat du défaut de coïncidence, dans une même commune, du lieu de la mise en bière, de l'inhumation ou de la crémation et du domicile du défunt lui permettait de tenir en échec le monopole concédé à la société GES;

Considérant, en effet, que selon le texte précité, dans le cas où la commune de mise en bière n'est pas celle du domicile du défunt ou du lieu d'inhumation (ou de crémation), les familles ne peuvent recourir à toute entreprise de pompes funèbres implantée dans la commune du lieu d'inhumation ou de crémation ou dans celle du domicile du défunt qu'en l'absence d'organisation, dans ladite commune, du service des pompes funèbres; que la société Intermarbres étant implantée dans des communes du département de la Seine-Saint-Denis ayant toutes délégué a l'intimée l'organisation du service extérieur des pompes funèbres, cette entreprise ne pouvait, dans l'hypothèse considérée, méconnaître le monopole de la société GES en ce qui concerne les prestations relevant de ce monopole;

Considérant cependant que la société GES ne peut utilement soutenir qu'il a été porté atteinte à l'exclusivité résultant à son profit du traité de concession du 29 janvier 1962 qu'à la condition de démontrer soit qu'il y avait coïncidence, dans une commune adhérente au syndicat intercommunal signataire de ce traité, des lieux de mise en bière, d'inhumation et de domicile du défunt, soit, dans le cas contraire, que les lieux de mise en bière, d'inhumation et de domicile du défunt étaient tous situés dans des communes syndiquées;

Considérant que l'affirmation de l'intimée selon laquelle l'appelante a persisté à violer le contrat de concession entre le 31 mai 1990 et le 8 janvier 1996 n'est étayée par aucun élément de preuve ; qu'en raison de cette carence dans l'administration de la preuve, elle ne peut prétendre à aucune indemnisation de ce chef;

Considérant, s'agissant de la période allant du 11 juillet 1988 au 31 mai 1990, que l'intimée verse aux débats, sans les assortir d'aucune justification utile, une série de pièces intitulées "usage abusif des dérogations prévues par la loi du 9.1.1986" ou "compte rendu d'infraction", soit non signées, soit revêtues de la signature illisible d'une personne non identifiée que ces pièces, dépourvues de toute force probante, sont impuissantes à établir le caractère illicite des prestations fournies par la société Intermarbres;

Considérant, toutefois, que dans un certain nombre de cas, la société GES produit, outre les pièces susvisées, des attestations ou lettres circonstanciées de maires ou de maires-adjoints de communes adhérentes au syndicat partie au contrat de concession ; qu'il résulte de ces documents que la société Intermarbres a fourni des prestations entrant dans le champ du monopole concédé à la société GES lors des obsèques de MM. Girard, Pratesti, Caletka, Barateau, Grenier, Wacogne, Deton, Douard et de MMes Houel, Fleury, Vincens, Lecourt, Conti, Baillon, Ledu, Bienville, Lanabère, Etienne et Legendre; que l'illicéité de ces prestations est également établie dans le cas de M. Detemmerman;

Considérant que la société Intermarbres n'établit nullement que les convois précités ont donné lieu à des décisions de juridictions répressives ayant prononcé la relaxe de son dirigeant en raison de l'impossibilité de vérifier l'identité des personnes inhumées ; que la demande formée de ces chefs par la société GES ne se heurte donc pas à l'autorité de la chose jugée au pénal;

Considérant qu'au vu de l'ensemble des éléments mis aux débats, dont les tarifs pratiqués à l'époque des faits par la société PFG pour le service extérieur, et sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'instruction, il y a lieu de fixer à la somme de 100 000 francs l'indemnité allouée au titre du gain manqué par l'intimée du fait de la concurrence interdite pratiquée par la société Intermarbres;

Sur la demande reconventionnelle de la société Intermarbres

Considérant que la société GES a conclu à l'irrecevabilité de cette demande au motif qu'elle est formée pour la première fois en cause d'appel que l'appelante a répondu à ces conclusions ; qu'il s'ensuit qu'en concluant oralement à la recevabilité de ladite demande, le ministère public s'est borné à développer une argumentation qui se trouvait déjà dans le débat et que la note déposée pendant le cours du délibéré à l'initiative de la société GES "afin de répondre à l'argument du ministère public relatif à la recevabilité de la demande reconventionnelle de la société Intermarbres" est irrecevable;

Considérant que la demande reconventionnelle, dans la mesure où elle se fonde sur l'exploitation prétendument abusive de la position dominante découlant, pour la société GES, de la concession du service extérieur des pompes funèbres, procède de la même situation juridique que la demande initiale laquelle vise à en faire sanctionner la méconnaissance par l'appelante qu'elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant et est, en conséquence, recevable, sauf en ce qu'elle tend à l'indemnisation du dommage qu'aurait causé à l'appelante les diverses procédures qui l'ont opposées à la société GES, cette prétention étant, au demeurant, dépourvue de toute justification;

Considérant, sur le fond, qu'il résulte des éléments versés aux débats, notamment de la décision du Conseil de la concurrence 97-D-27 du 29 avril 1997 et des arrêts rendus par cette cour le 12 mai 1998 sur les recours formés contre les décisions du Conseil 97-D-27 et 97-D-28, que la seule pratique constitutive d'abus de domination dont la preuve est légalement rapportée à l'encontre de la société GES sur le marché où opère la société Intermarbres réside dans l'apposition de l'affiche "stop aux mensonges", courant 1991, dans la vitrine de son agence de Bondy ; que c'est donc vainement que la société Intermarbres invoque, à l'appui de son action en responsabilité fondée sur les abus de position dominante imputés à la société GES, l'attitude hégémonique de celle-ci, le détournement de sa clientèle et la perte d'une chance d'en conquérir une ou encore "l'impossibilité d'exécuter des opérations funéraires de par les prix pratiqués dans le cadre du funérarium";

Considérant, comme cela a été relevé par le Conseil de la concurrence, qu'en apposant l'affiche "stop aux mensonges", le concessionnaire du service public tirait argument de cette qualité, d'une part, pour affirmer qu'il pratiquait, pour toutes les prestations, y compris celles soumises à la concurrence, les prix les plus compétitifs et les prestations les meilleures, d'autre part, pour laisser penser que ce qui était présenté comme avantageux par ses concurrents, et de fait par la société Intermarbres, son concurrent le plus direct et unique entreprise de pompes funèbres située à proximité de l'agence de Bondy, n'était pas exact, la société GES pouvant seule offrir un service de qualité et de coût modéré à la clientèle;

Que l'appelante est dès lors fondée à soutenir que le dénigrement ci-dessus caractérisé, dont elle a été l'objet, lui a causé un préjudice; que la réparation de ce dommage appelle, eu égard au contexte dans lequel le dénigrement de la société Intermarbres a eu lieu, mais aussi à la circonstance qu'il s'est agi d'un fait unique et limité dans le temps, l'allocation d'une indemnité de 50 000 francs;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande de ne pas faire application, en l'espèce, des dispositions du texte susvisé;

Par ces motifs : Réforme le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit que la société Pompes Funèbres Générales, aux droits de laquelle se trouve la société Groupement d'Entreprises de Services (GES), a établi qu'elle exerce son monopole conformément au droit communautaire; Et statuant à nouveau, Déclare irrecevable la note déposée par la société GES après la clôture des débats; Déclare recevables les conclusions déposées par le ministre chargé de l'économie; Déclare recevable la demande de la société GES; Déclare recevable la demande reconventionnelle de la société Intermarbres; Fixe à la somme de 100 000 francs le montant de l'indemnité mise à la charge de la société Intermarbres au titre de la fourniture de prestations de service extérieur des pompes funèbres en violation de la concession dont était titulaire la société GES; Ordonne le remboursement par cette dernière, sous déduction de ladite indemnité, de la somme de 400 000 francs versée par la société Intermarbres au titre de l'exécution provisoire du jugement du 10 octobre 1991, et ce, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la notification du présent arrêt; Condamne la société GES à payer à la société Intermarbres la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts; Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toutes autres demandes, plus amples ou contraires, des parties; Dit que chacune des parties supportera la charge des dépens qu'elle a exposés, tant en première instance qu'en appel.