CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 23 août 1995, n° ECOC9510218X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ligue nationale de Football, Asics France (SA), Uhlsport France (SA), LJO International (SA), Le Roc Sport (SA), VIP France (SA), Puma France (SA), Mizuno France (SA), ABM Sport France (SARL), W Pabisch (SARL), Lotto France (SARL), Nike France (SA), Noël France (SA), Reebok France (SA), Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, Adidas Sarragan France (Sté), Préfet de Paris
Défendeur :
Ministre de l'Économie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bargue
Avocat général :
M. Alexandre
Conseillers :
Mme Trochain, M. Albertini
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Lagrougue, SCP Valdelièvre, Garnier, SCP Duboscq, Pellerin
Avocats :
Mes Appietto, Monnerville, Petreschi, Thibault, Voillemont, Choffel, Dunaud
LA COUR est saisie sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 du recours formé par la Ligue nationale de football (ci-après LNF) contre la décision n° 95-MC-1O prononcée le 12 juillet 1995 par le Conseil de la concurrence (ci-après, le conseil) qui lui a enjoint :
"Art. 1er - De suspendre l'application de l'article 315 nouveau du règlement des championnats de France de football professionnel de 1er et 2e division et de ne pas s'opposer à l'exécution des contrats en cours signés entre les clubs de 1ère et 2e division de football professionnel et leurs fournisseurs respectifs pour l'équipement de leurs joueurs ;
"Art. 2. - Conjointement avec la société Adidas Sarragan France (ci-après Adidas), de suspendre l'accord collectif relatif à la fourniture d'équipements aux clubs de 1ère et 2e division de football, dans l'attente d'une décision au fond ;
"Art. 3. - De transmettre à tous les clubs de 1ère et 2e division le texte intégral de la décision dans le délai d'un jour franc à compter de la date de sa réception."
Référence étant faite à cette décision pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il suffit de rappeler que les sociétés Asics France, Uhlsport France, LJO, International SA, Roc Sport, VIP France, Puma France, Mizuno France, AB M Sport France, W Pabisch, Lotto France, Nike France, Noël France, ont saisi le Conseil de l'accord signé entre la LNF et la société Adidas prévoyant la fourniture exclusive par celle-ci d'équipements de football aux joueurs professionnels, accord qu'elles estimaient constituer une entente anti-concurrentielle ainsi qu'un abus de position dominante d'Adidas visant à les éliminer du marché.
La société Reebok France, pour sa part, a demandé au conseil de prononcer la suspension de l'application de l'article 315 modifié du règlement intérieur du championnat de France des clubs de première et deuxième divisions prévoyant que les clubs participant aux championnats de France de 1ère et 2e division sont tenus de faire porter à leurs joueurs les équipements fournis par la LNF.
C'est dans ces conditions que le conseil a rendu la décision ci-dessus rappelée. Il a estimé qu'il ne pouvait être exclu que les pratiques dénoncées puissent être qualifiées sur le fondement des dispositions du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans la mesure où elles pourraient constituer, à l'encontre de fabricants d'articles de sport, une entrave à l'accès au marché des équipements sportifs pour le football en imposant, aux clubs de football disputant les championnats de 1ère et 2e division, un fournisseur exclusif pour l'équipement de leurs joueurs.
A l'appui de son recours, la LNF soutient, tout d'abord, que l'article 315 nouveau du règlement des championnats de France de football de 1ère et 2e division est un acte. réglementaire qui exprime le droit, conféré aux fédérations délégataires du ministre chargé des sports par l'article 18-1 de la loi du 16 juillet 1984, d'exploiter les compétitions sportives qu'elles organisent en imposant aux joueurs des équipes professionnelles, dans le cadre des championnats de France, le port des équipements qu'elle fournit.
La requérante en déduit que le conseil et les tribunaux de l'ordre judiciaire sont incompétents au profit des juridictions de l'ordre administratif pour apprécier et interpréter cet acte réglementaire et, a fortiori, pour connaître de son application et pour se prononcer sur la suspension de ses effets.
L'incompétence du conseil s'étend, selon la LNF, à l'appréciation de l'accord litigieux en raison de l'indivisibilité de la demande des sociétés plaignantes et du caractère non détachable de cet accord de l'article 315 nouveau précité.
La requérante sollicite subsidiairement l'annulation de la décision et le rejet des mesures conservatoires en faisant valoir que les sociétés plaignantes, à l'exception de la société Reebok, ne produisent pas les contrats les liant à d'autres fournisseurs et ne rapportent pas la preuve de l'existence des droits qu'elles invoquent au titre des mesures conservatoires.
Elle expose qu'aucun trouble manifestement illicite ne saurait résulter de l'usage par elle : de prérogatives qu'elle tient de la loi ni de l'atteinte à des contrats en cours dont l'existence n'est pas établie.
Soulignant que l'activité de parrainage est une forme de publicité existant à côté d'autres, la requérante fait observer qu'en raison des effets économiques, commerciaux et géographiques de cette activité ainsi qu'en raison des possibilités de publicité disponibles l'accord envisagé entre Adidas et elle ne porte aucune atteinte grave et immédiate aux concurrents de cette société, ni même au marché restrictivement retenu par le conseil.
La société Reebok, d'une part, et les douze autres sociétés plaignantes, d'autre part, concluent au rejet de recours. Elles font observer que la LNF agit en l'espèce comme simple association privée, en dehors de toute référence à la notion de puissance publique ou à l'idée de service public et que l'objet et les effets tant de l'article 315 du règlement des championnats de France de football de 1ère et 2e division que de l'accord d'exclusivité conclu entre la LNF et la société Adidas entrent dans le champ d'application de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Elles relèvent que le conseil, qui a constaté que les pratiques dénoncées, manifestement illicites, portaient des atteintes graves et immédiates au secteur concerné et aux entreprises plaignantes, a suspendu à bon droit l'application de l'article 315 et de l'accord précités.
Assignées par la LNF, la société Adidas, qui conclut à l'incompétence du conseil, soutient l'absence de fondement des mesures conservatoires octroyées, qui suspendent l'exécution d'un accord non encore signé entre elle et la Ligue, au profit de prétendus accords signés entre les clubs et les sociétés demanderesses aux mesures conservatoires mais dont il n'est quasiment pas justifié.
Soulignant les incertitudes de la délimitation du marché pertinent retenu par le conseil, la société Adidas fait valoir que le conseil n'a caractérisé ni une entrave à l'accès à un marché des équipements sportifs de football ni une atteinte grave et immédiate au secteur concerné ou aux entreprises demanderesses.
Le ministre de l'économie souligne que la mise en œuvre d'opérations promotionnelles, qui constitue une activité de distribution et de service au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1ère décembre 1986, ne peut être considérée comme prise dans l'exercice de la mission de service public dévolue à la LNF par la loi du 16 juillet 1984.
Il fait observer que le marché à prendre en considération est celui des équipements pour le football, que le parrainage est un rapport publicitaire spécifique non substituable à d'autres et qu'une atteinte grave et immédiate au secteur, directement liée aux pratiques, est caractérisée en l'espèce.
II conteste enfin que l'accord en cause soit susceptible, au stade de l'examen d'une demande de mesures conservatoires, de faire l'objet d'une exemption au regard de l'ordonnance du 1er décembre 1986 au motif, soutenu par la requérante, que cet accord aurait pour objectif d'améliorer les ressources financières des clubs et de gommer la discrimination existant actuellement entre les dotations financières accordées par les fabricants aux différents clubs.
Aux termes des observations écrites qu'il a déposées par application de l'article 9 du décret du 19 octobre 1987, le conseil conclut à sa compétence et au bien-fondé des mesures conservatoires prononcées.
Au cours de l'instance, le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris a, par un déclinatoire du 1er août 1995, demandé à la cour de se déclarer incompétente pour suspendre l'application de l'article 315 du règlement de la LNF et apprécier la validité de cette disposition et, par voie de conséquence, d'annuler l'article 1er de la décision n° 95-MC-10 du Conseil de la concurrence, en tant qu'elle suspend l'application de cet article.
Selon le mémoire déposé à cet effet, il est soutenu que la LNF bénéficie de la délégation accordée à la Féd6ration française de football par le ministre chargé des sports pour organiser les compétitions sportives et qu'une juridiction judiciaire ne saurait apprécier la validité d'une décision réglementaire organisant le déroulement de ces compétitions ni ordonner à une personne investie de prérogatives de puissance publique de suspendre une telle décision pour faire cesser des pratiques qui porteraient atteinte au principe de la libre concurrence.
Le représentant du ministère public a déposé des conclusions écrites et développé oralement ses observations à l'audience, concluant au rejet du recours et, subsidiairement, à l'annulation de la décision attaquée mais seulement en ce qu'elle a enjoint à la Ligue nationale de football de suspendre l'application de l'article 315 nouveau des championnats de France de football de 1er et 2e division.
Sur quoi, LA COUR :
Sur la procédure :
Considérant que la société Asics France et onze autres sociétés demandent d'écarter des débats, comme tardives, les conclusions déposées le 1er août 1995 par la société Adidas ;
Mais considérant que la société Adidas, qui n'a pas formé de recours contre la décision attaquée et ne forme aucune demande propre, a été mise en cause par l'assignation délivrée par la Ligue nationale de football ; qu'un délai qui expirait le 11 août 1995 lui ayant été donné par ordonnance du magistrat délégué par le Premier président, les conclusions déposées à cette date sont en conséquence recevables ;
Considérant que le conseil de la société Reebok a demandé à l'audience que soient écartées des débats les conclusions déposées par la LNF un peu avant le commencement de cette audience ;
Mais considérant que les écritures contestées, intitulées Donner acte après déclinatoire de compétence, qui ne comportent aucune demande ni moyen nouveaux par rapport à ceux déjà développés par la LNF, reproduisent les observations formées verbalement à l'audience du 18 août 1995 par le conseil de la requérante conformément à la demande de la cour aux parties, de faire toutes observations qu'elles estimeraient utiles sur les moyens développés par le déclinatoire de compétence déposé le 11 août précédent ;
Que la société Reebok ayant été en mesure de faire valoir à l'audience ses propres observations et répondre à celles faites par la LNF, il n'y a pas lieu d'écarter des débats la pièce contestée ;
Sur le déclinatoire de compétence :
Considérant qu'aux termes de l'article 17 de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 modifiée, dans chaque discipline sportive, une seule fédération reçoit délégation du ministre chargé des sports pour organiser les compétitions sportives ;
Que, par application de ce texte, la Fédération française de football (ci-après FFF), agréée par le ministre, participe à l'exécution de la mission de service public concernant l'organisation et la promotion des activités physiques et sportives définie à l'article 16 de la même loi ;
Considérant que la Ligue nationale de football, instituée par la FFF, pour diriger les activités sportives de caractère professionnel, bénéficie de cette délégation ministérielle conformément aux dispositions de l'article l-1 du décret n° 85-238 du 13 février 1985 ; qu'elle tient de l'article 18-1 de la loi du 16 juillet 1984 le droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives et que, par application de l'article 4-2 de la convention passée avec la FFF, elle a compétence pour réglementer la publicité sur les équipements sportifs et dans les stades ;
Considérant qu'eu égard à la mission qui a été ainsi conférée à la LNF par le législateur les dispositions de l'article 315 du règlement des championnats de France professionnels de 1ère et 2e division, telles qu'elles résultent de la modification de ce texte adoptée par le conseil d'administration de cet organisme le 28 avril 1995, constituent l'usage de prérogatives de puissance publique et revêtent le caractère d'acte administratif ;
Que le pouvoir d'imposer aux clubs de faire porter les équipements fournis par la LNF relève du pouvoir général d'organisation des compétitions qui lui est dévolu et n'est pas constitutif d'une activité de production, de distribution et de services au sens de l'article 53 de l'ordonnance du la décembre 1986 ;
Considérant que le Conseil de la concurrence et la cour d'appel n'ont pas, en conséquence, compétence pour connaître de la validité de cet acte qui ressortit aux juridictions de l'ordre administratif ;
Que le conseil et la cour ne sont pas davantage compétents pour suspendre les effets dudit texte, une telle suspension impliquant une appréciation implicite mais nécessaire de sa validité ;
Qu'il y a lieu en conséquence d'annuler l'article la de la décision attaquée et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;
Sur l'accord liant la LNF à la société Adidas :
Considérant que la LNF conteste la compétence du conseil pour prononcer à son encontre, dans l'article 2 de sa décision, une injection de suspendre l'accord, selon elle seulement "envisagé" avec la société Adidas, en soutenant que celui-ci n'est pas détachable de l'article 315 du règlement ;
Mais considérant que la LNF, association régie par la loi du 1er juillet 1901, et la société Adidas sont toutes deux des personnes de droit privé ;
Considérant que l'existence d'un accord d'exclusivité entre la LNF et la société commerciale Adidas est établie, alors même que cet accord ne serait pas formalisé par une convention écrite ;
Qu'en effet la LNF et Adidas indiquent que, sous réserve du résultat de négociations encore en cours, l'objet de leur accord porte sur l'équipement des équipes professionnelles des clubs de première et deuxième divisions participant aux seuls championnats de France, à l'exclusion de l'équipement des gardiens de but;que l'accord prévoit en outre une dotation financière de 60 000 000 F par la société Adidas pour l'année contractuelle (1er juillet/30 juin) ainsi que la représentation par les joueurs de la marque Adidas par le port des équipements fournis ;
Considérant encore que la mise en œuvre effective de cet accord résulte des termes de la lettre adressée le 5 mai 1995 par la LNF aux présidents des 42 clubs de première et deuxième divisions ;
Qu'il est, dans ce courrier, demandé à ceux-ci de fournir toutes les indications nécessaires à la mise en œuvre de la fabrication de leurs équipements et qu'il leur est précisé que " le directeur de la promotion football de la société Adidas prendra contact avec vous dans les meilleurs délais pour arrêter 'les dispositions utiles à la réalisation rapide de notre projet commun " ;
Qu'ainsi cet accord, dénié mais avéré, conclu entre deux personnes privées, dont l'objet est différent de celui de l'article 315 nouveau du règlement qui impose aux clubs une obligation à l'égard de la LNF, est un contrat de droit privé détachable de toute prérogative de puissance publique et, partant, des dispositions de l'article 315 nouveau du règlement de la LNF;
Que,dès lors, le conseil est compétent pour apprécier, sans excéder les limites de la demandé dont il est saisi, la régularité dudit accord au regard des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986;que la compétence du conseil de ce chef n'est pas contestée par le préfet de la région Ile-de-France dans son déclinatoire de compétence ;
Sur les mesures conservatoires en ce qu'elles concernent l'accord conclu entre la LNF et la société Adidas :
Considérant qu'aux termes de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les mesures conservatoires ne peuvent être prises que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ;
Que la mise en œuvre de ce texte suppose la constatation de faits constitutifs d'un trouble manifestement illicite auxquels il conviendrait de mettre fin sans tarder ou de faits susceptibles de causer un préjudice imminent et certain au secteur concerné, aux entreprises victimes des pratiques ou aux consommateurs, préjudice qu'il faudrait prévenir, dans l'attente d'une décision au fond ;
Considérant que la LNF conteste tout d'abord que le marché pertinent concerné soit celui des équipements de football dans la mesure, d'une part, où le parrainage est une méthode publicitaire spécifique qui permet de stimuler la vente de l'ensemble des équipements sportifs d'une marque et pas seulement les équipements de football constituant un segment de ce marché et en raison de ce que, d'autre part, il existe d'autres supports publicitaires pour les concurrents de la société Adidas ;
Mais considérant que le conseil a pertinemment relevé que les équipements de football, qui se composent principalement de chaussures, de vêtements et de ballons adaptés à la pratique de ce sport, étaient non substituables ou faiblement substituables avec les équipements utilisés dans d'autres sports, étant observé que les demandeurs d'articles de football sont les pratiquants de ce sport ;
Qu'il ne saurait en outre être sérieusement contesté que le parrainage des clubs de football produit, tant par le port des équipements sportifs que par les annonces publicitaires faites par haut-parleurs et par l'affichage exclusif de la marque du parrain sur le terrain, un effet d'invitation à l'achat sur les amateurs de matchs de football, eux-mêmes acheteurs potentiels ; que la spécificité et l'impact de la publicité par parrainage est corroboré par le fait que la société Adidas consacre au parrainage en cause, pour chaque saison sportive, une somme de 60 millions de francs représentant le tiers de son chiffre d'affaires annuel dans cette activité, alors que ses dépenses totales de publicité pour le football sont limitées à 85 millions de francs ;
Que le parrainage d'équipes au niveau régional ou d'équipes déclassées en division inférieure ne saurait être considéré comme offrant les mêmes possibilités promotionnelles pour les entreprises concurrentes en raison de l'absence de notoriété de ces clubs par rapport aux clubs, de 1ère et 2ème division et du fait que les matchs auxquels ils participent ne sont qu'exceptionnellement retransmis sur le plan national ;
Qu'ainsile parrainage, qui bénéficie de la publicité indirecte que procurent les diffusions télévisées des matchs de championnats de France de football, constitue un support publicitaire non substituable aux autres formes de publicité ;
Que le conseil a, dès lors, pertinemment retenu comme secteur affecté par les pratiques dénoncées celui des équipements de football et considéré que le parrainage était un procédé spécifique d'action sur les consommateurs concernés par ce marché ;
Considérant que la LNF soutient encore qu'il n'existe pas d'atteinte grave et immédiate au secteur des équipements sportifs, voire des équipements de football, dans la mesure où les fabricants peuvent parrainer d'autres activités sportives ou d'autres compétitions de football, telles que celles organisées par les ligues régionales ou départementales ;
Mais considérant que l'accord conclu entre la LNF et la société Adidas donne à celle-ci, pendant cinq ans, une exclusivité pour l'équipement des clubs de 1ère et de 2ème division disputant les championnats de France, dont l'importance, en terme de parrainage, est très supérieure aux autres manifestations; qu'il leur est consacré des temps de diffusion télévisée représentant deux fois et demie les temps consacrés à la coupe de France et cinq fois ceux consacrés à la coupe de la Ligue; que le quotidien L'Equipe réserve, par saison, 308 pages aux championnats de France, centre 48 à la coupe de France et 8 à la coupe de la Ligue ; qu'il apparaît ainsi que les retombées commerciales des championnats de France sont déterminantes pour le développement des activités des entreprises fournissant les équipements de ces équipes ;
Que la LNF, qui a adressé à l'ensemble des quarante-deux clubs concernés le courrier du 5 mai 1995 précité, manifestant ainsi son intention de les faire équiper en totalité par Adidas, ne démontre pas l'intention, dont elle fait état dans ses conclusions, de laisser en fait certains clubs poursuivre leurs contrats en cours ;
Que l'exclusion des fabricants d'articles de football du marché des équipements professionnels a pour conséquence de les priver, en outre, de la possibilité de poursuivre leur activité de vente au public de répliques des équipements des joueurs professionnels, dont la fabrication et la vente sont conditionnées par la signature d'un contrat de parrainage avec un club ;
Que l'atteinte portée au secteur est d'autant plus caractérisée que certaines des sociétés requérantes, notamment les sociétés ABM Sport France, Uhlsport France et Lotto produisent exclusivement des équipements de football et qu'il n'est, dès lors, pas établi qu'elles seront en mesure de redéployer leurs actions de parrainage vers d'autres sports ;
Considérant que l'atteinte du marché est, de plus, immédiate, dès lors que l'accord litigieux a déjà produit une partie de ses effets ;
Qu'en effet il résulte de pièces versées au dossier que, dès la décision du conseil d'administration de la LNF d'accorder l'exclusivité à la société Adidas pour une durée de cinq ans, plusieurs négociations commerciales en cours entre clubs et fabricants ont été interrompues et que certains clubs ont dénoncé les accords qu'ils avaient avec d'autres fournisseurs ; qu'en tout état de cause, trente-deux clubs sur les quarante-deux inscrits en 1ère et 2ème division ont immédiatement adressé leurs commandes à la société Adidas, qui les a honorées ;
Considérant que la LNF fait valoir en outre que les entreprises plaignantes ne rapportent pas la preuve de l'atteinte grave et immédiate qui leur serait portée du fait que certaines d'entre elles ne produisent pas les contrats passés initialement avec des clubs ;
Mais considérant que, par des motifs que la cour adopte, le Conseil a considéré que la preuve de l'atteinte grave et immédiate à certaines entreprises était rapportée ; que le défaut de production des contrats par la totalité des entreprises plaignantes n'est pas de nature à modifier le fait qu'une atteinte grave et immédiate est établie, au moins à l'égard d'un certain nombre d'entre elles ;
Considérant enfin que la LNF prétend justifier l'accord litigieux en exposant qu'il a pour objet d'améliorer les ressources financières des clubs en supprimant la discrimination qui existe actuellement entre les dotations financières accordées par les fabricants entre les différents clubs concernés ;
Mais considérant que les conditions de l'exemptabilité prévue à l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui relèvent de l'instruction de la saisine au fond prévue à l'article 11 de ladite ordonnance, ne peuvent pas être appréciées dans le cadre d'une demande de mesures conservatoires fondée sur les dispositions de l'article 12 de ce même texte ;
Qu'en toute hypothèse la LNF ne fournit, en l'état, aucun élément permettant d'établir que l'accord litigieux est indispensable pour atteindre l'objectif de progrès économique dont elle se prévaut ;
Considérant, en conséquence, qu'en l'état des pratiques dénoncées qui sont susceptibles d'être qualifiées au regard des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il y a lieu d'approuver la décision attaquée en ce qu'elle a enjoint à la LNF et à la société Adidas, dans l'attente de la décision au fond, de suspendre l'accord relatif à la fourniture d'équipements aux clubs de 1re et 2edivision de football et enjoint à la LNF de transmettre à tous les clubs concernés le texte intégral de la décision ,
Par ces motifs : Dit n'y avoir lieu à écarter des débats les conclusions déposées par la société Adidas Sarragan France le 11 août 1995, ni le mémoire déposé le 18 août par la Ligue nationale de football ; Se déclare incompétente pour suspendre l'application de l'article 315 du règlement de la Ligue nationale de football et apprécier la validité de cette disposition ; Annule en conséquence l'article 1er de la décision déférée ; Renvoie les parties à mieux se pourvoir de ce chef ; Se déclare compétente pour connaître de l'accord relatif à la fourniture d'équipements aux clubs de première et deuxième divisions de football passé entre la Ligue nationale de football et la société Adidas Sarragan France ; Rejette le recours en ce qu'il porte sur les articles 2 et 3 de la décision attaquée ; Laisse les dépens à la charge de la Ligue nationale de football.