CA Aix-en-Provence, 1re ch. civ. A, 29 juin 1992, n° 90-13780
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Association d'Aide aux Infirmes La Farigoule, Association des Femmes Responsables Familiales La Chaumière
Défendeur :
Rollot-Schneider
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hugues
Conseillers :
MM. Roman, Veyre
Avoués :
SCP Cohen, SCP Blanc
Avocats :
Mes Karouby, Attias, Robert.
FAITS ET PROCÉDURE :
Par déclaration du 17 juillet 1990, l'Association des Femmes Responsables Familiales "La Chaumière" (l'AFRF) et l'Association d'Aide aux Infirmes "La Farigoule (l'AAI) ont relevé appel d'un jugement, rendu le 14 juin 1990 par le Tribunal de Grande Instance d'Aix-en-Provence, dans un procès qui, aux côtés de l'Institut Médico-Educatif "Le Colombier", les opposait à Madame Christine Rollot-Schneider.
La décision entreprise fait l'exposé des faits de la cause, des demandes originaires des parties, et des moyens proposés à leur soutien.
Son texte est le suivant :
VOIR ANNEXE
La décision d'incompétence du Tribunal pour connaître de l'action dirigée contre l'IME "Le Colombier" n'a pas été contestée par les autres parties.
Sur leur appel l'AFRF et l'AAI demandent à la Cour de réformer, pour le surplus, le jugement entrepris ; au principal, de débouter Madame Rollot-Schneider de ses demandes dirigées contre elles; de la condamner à leur payer à chacune 100.000 F de dommages-intérêts et 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ; subsidiairement, au cas où leur responsabilité serait confirmée, de dire qu'il n'y a pas lieu d'évoquer sur la fixation du préjudice ; très subsidiairement, en cas d'évocation, de déclarer nulle l'expertise judiciaire et de procéder à une contre-expertise;
Au soutien de leur recours, les appelantes font valoir :
- au principal, que l'action adverse est irrecevable ou, en tout cas, mal fondée ; que l'abus de droit n'est pas un moyen qu'on peut leur opposer, l'exercice du libre choix d'un pharmacien étant une liberté du malade, non l'exercice d'un simple droit, et que chaque association peut s'en prévaloir, agissant pour le compte de ses malades ; que même s'il s'agissait de l'exercice d'un droit réglementé, il n'est pas prouvé qu'elles en aient abusé alors qu'aucun engagement ne les liait à la pharmacie que tient Madame Rollot-Schneider et que cette dernière les a, de plus, critiquées, ce qui est un juste motif pour retirer leur clientèle ; qu'elles n'ont pas manqué, non plus, aux règles qui assurent le respect de la concurrence;
- subsidiairement, au cas où leur responsabilité serait néanmoins confirmée, que l'évocation sur le préjudice n'est ni souhaitable pour le respect du double degré de juridiction, ni même autorisée en l'espèce;
- très subsidiairement, que l'expertise judiciaire est entachée de nullité pour violation par l'expert du principe de la contradiction.
Dans ses conclusions en réponse, Madame Rollot-Schneider demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il retient la responsabilité des deux associations adverses ; d'y ajouter en évoquant sur la fixation de son préjudice ; et, dans ce cas, d'homologuer le rapport de l'expert judiciaire, de condamner les associations à lui payer 858.000 F de dommages, avec intérêts de droit courant de la demande en justice, sous déduction de la provision déjà perçue ; subsidiairement, si l'évocation était écartée, d'augmenter cette provision par supplément de 500.000 F ; dans tous les cas, de condamner ses adversaires à lui payer 20.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Au soutien de sa thèse et de sa demande incidente, l'intimée fait, à son tour valoir :
- Sur la responsabilité adverse : que les Associations qui regroupent les commandes pharmaceutiques de leurs malades ont commis un abus de leur droit de choisir leurs fournisseurs en violant l'usage de répartir également ces commandes entre les deux pharmacies locales, en créant une entente ou coalition pour fausser, compte tenu des conditions économiques spéciales du marché, le libre jeu de la concurrence, en violation des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et en procédant de la sorte dans l'intention de lui nuire à l'occasion d'élections municipales auxquelles son mari était candidat contre les dirigeants desdites associations, alors qu'aucune faute ne peut lui être en outre, personnellement reprochée;
- Sur l'évocation : qu'elle s'impose, pour ne pas retarder la solution du litige;
- Sur l'expertise : qu'elle n'est pas atteinte de nullité et qu'elle chiffre exactement son préjudice;
- Sur la provision : qu'elle devrait être majorée si l'évocation n'était pas prononcée, compte tenu de la durée de la procédure et des graves conséquences de l'abus de droit de ses adversaires.
MOTIFS DE LA DÉCISION DE LA COUR
Sur la procédure :
1 - Attendu que les parties ne discutent pas la régularité formelle de l'appel ; que rien au dossier ne conduit la Cour à le faire d'office, et qu'il y a lieu de le recevoir ;
2 - Attendu que cet appel ne vise pas la disposition du jugement par laquelle le Tribunal s'est déclaré incompétent pou connaître de l'action dirigée contre l'IME "Le Colombier" par Madame Rollot-Schneider, et que celle-ci est devenue définitive.
Sur le fond :
Attendu que l'appel est mal fondé et qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris, pour les diverses raisons suivantes :
1 - Attendu que Madame Rollot-Schneider recherche la responsabilité des deux associations restant en cause pour une faute d'abus de droit;
Attendu que pour s'opposer à cette action les deux associations font, tout d'abord, valoir, vainement que le choix par le malade de son pharmacien ne serait pas l'exercice d'un droit mais celui d'une liberté fondamentale dont on ne saurait rechercher l'abus;
Attendu qu'en effet lorsqu'elles choisissent un fournisseur de produits pharmaceutiques pour satisfaire des besoins qui ne sont pas les leurs mais simplement ceux, personnels des malades qui fréquentent leurs établissements, les deux associations ne font qu'exercer le droit que leur laissent ces malades dans le cadre des mandats qu'ils leur donnent, de choisir le pharmacien qui délivrera leurs médicaments;
Que le problème posé est de savoir si ces associations abusent alors ou non de ce droit, et non de discuter de la nature juridique du choix des malades qui, en l'espèce, ne l'exercent pas; en sorte que ce premier moyen apparaît inadéquat et doit être écarté;
2 - Attendu que pour s'opposer encore à l'exercice de l'action adverse, fondée sur un abus de droit, les deux associations font, tout aussi vainement, valoir qu'aucune convention ne les lie à Madame Rollot-Schneider;
Qu'en effet, si l'abus de droit peut exister dans le cadre d'une convention liant celui qui abuse à la victime de l'abus lorsque le contrat n'est pas exécuté de bonne foi, tel n'est pas le cas puisque l'usage invoqué par la pharmacienne sur la répartition antérieure des commandes entre les deux pharmacies ne constitute pas un lien constitutionnel distinct des ventes passées lors de chacune de ces commandes, et obligeant à les renouveler;
Que Madame Rollot-Schneider ne soutient d'ailleurs rien de tel, plaçant au contraire sa recherche de responsabilité sur le plan délictuel, en reprochant aux deux associations d'abuser de la puissance économique que leur procure, dans le cadre des mandats regroupés donnés par les malades, le droit que ceux-ci leur laissent du choix de la pharmacie, comme il vient d'être dit plus haut;
Que l'abus de droit ainsi recherché par la demanderesse au procès se fonde sur l'article 1382 du Code Civil, en sorte que les moyens tendant à contester l'existence de toute convention entre elle et les deux associations ou encore a discuter du droit de ces dernières à dénoncer une convention à durée indéterminée sont également inadéquats et doivent être, à leur tour, écartés;
3 - Attendu que, pour réussir en son action ainsi définie, et prouver alors la faute d'abus de droit qu'elle reproche à ses adversaires sur le plan délictuel, la pharmacienne doit établir, d'une part, les faits matériels qui sont à l'origine de son préjudice et, d'autre part puisqu'ils constituent d'ordinaire l'exercice d'un droit, leur caractère abusif en démontrant qu'ils ont été, en l'espèce, accomplis de mauvaise foi ou dans l'intention de lui nuire, par une attitude équipollente au dol;
Que, plus spécialement, ayant choisi de caractériser un tel abus dans le cadre des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, Madame Rollot-Schneider doit prouver que dans l'exercice des pouvoirs économiques que leur donnent le regroupement des achats de médicaments importants de leurs malades, les deux associations ont formé une coalition tendant à limiter les débouchés de son officine et à l'exclure de la répartition des sources de leur approvisionnement avec l'intention malveillante de fausser ou de restreindre ainsi le jeu de la concurrence sur le marché local de la Roque d'Anthéron ; ou encore que les deux associations ont formé un groupe d'entreprises, toujours dans l'intention malveillante d'exploiter, ainsi, abusivement, l'état de dépendance économique dans lequel se trouve sa pharmacie, entreprise fournisseur, qui ne dispose pas de solution équivalente si elles lui imposent la rupture de relations commerciales établies, pour faire ainsi pression économique sur son officine;
4 - Attendu qu'en l'espèce Madame Rollot-Schneider rapporte alors parfaitement, par les pièces produites, les éléments de preuve ainsi mis à sa charge dans l'action en responsabilité qu'elle a choisi d'introduire;
Attendu que, d'une part, elle démontre les faits matériels abusifs qui lui ont porté préjudice :
Qu'il est établi, et d'ailleurs indiscuté, que la Roque d'Anthéron est une ville dont la population normale ne dépasse pas 4.000 habitants, mais que la présence des établissements paramédicaux tenus notamment par les deux associations adverses qui regroupent des personnes malades et âgées, y crée des besoins en produits pharmaceutiques plus importants que ceux d'habitants ordinaires en sorte que deux pharmacies sont autorisées à se partager ce marché local particulier, mais que la réglementation qui fixe le nombre de ces officines, et le prix des produits qu'elles vendent, leur interdit, en limitant leurs possibilités concurrentielles, de trouver une solution de remplacement au cas où les associations, qui regroupent les achats importants de leurs malades, voudraient leur imposer la rupture des relations commerciales auparavant établies avec elles dans le cadre d'un usage, également indiscuté, et consistant à partager, également, entre elles les achats de médicaments;
Qu'il est également établi qu'en janvier 1989 les deux associations AFRF "La Chaumière" et AAI "La Farigoule", ainsi d'ailleurs que l'IME "Le Colombier" ont, presque simultanément, mis fin à cet usage alors qu'ils regroupaient la totalité des achats des malades hébergés dans les établissements paramédicaux de la ville, et se sont depuis lors uniquement adressés à la pharmacie concurrente de celle que tient Madame Rollot-Schneider;
Qu'enfin, et sans même aborder encore l'étude du montant du préjudice dont cette pharmacienne réclame l'indemnisation, il est également démontré par les pièces versées aux débats avant l'expertise judiciaire contestée, que la coalition ainsi formée par les entreprises paramédicales qui regroupent les achats de leurs malades et la décision de supprimer de leur source d'approvisionnement l'une des deux pharmacies locales, a causé à Madame Rollot-Schneider une baisse considérable de son chiffre d'affaires et, par voie de conséquence, une baisse de la valeur de son fonds de commerce qui dépend de ce chiffre;
Attendu qu'ainsi, au regard des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la preuve des faits matériels d'abus de position commerciale, qui incombe à la demanderesse, se trouve rapportée;
Attendu que, pour établir l'abus de droit qu'elle invoque, celle-ci démontre encore, comme elle en a la charge, d'une façon générale l'intention de lui nuire, en agissant ainsi qui animait les deux associations qui demeurent en cause ; et, dans le cadre particulier de l'ordonnance susvisée, leur intention malveillante de réduire par ce moyen le jeu de la concurrence et de faire sur son officine une pression économique intolérable, pour l'obliger à une conduite qui n'aurait pas été, sans cela la sienne ; l'intention de nuire restant, lorsqu'elle est caractérisée, distincte du mobile qu'elle sert et du but recherché par la pression économique que prohibe la loi;
Attendu qu'il est, en effet, amplement démontré par les pièces du dossier que l'origine du retrait de clientèle incriminé ne réside nullement dans une attitude fautive qui pourrait être reprochée sur le plan professionnel à Madame Rollot-Schneider ; ses adversaires ne prouvant, ni même n'osant alléguer, qu'elle aurait commis des erreurs ou des retards dans la délivrance des médicaments ou pratiqué à propos de la vente de ces derniers des prix ou des conditions illicites ou même excessifs par rapport à l'officine concurrente;
Qu'en réalité, cette coalition, et la décision qu'elle a prise, pour ruiner Madame Rollot-Schneider ou pour la forcer à vendre son fonds de commerce dans les pires conditions en quittant la ville, ce qui caractérise l'intention avérée de lui nuire, a pour mobile une rivalité qui est personnellement étrangère à la victime ; et qui a existé à propos d'élections locales entre le mari de la pharmacienne et les dirigeants des associations qui ont décidé de faire presssion sur cette dernière, sans qu'il soit besoin d'insister davantage sur les détails de cette rivalité;
Qu'il suffit d'observer à son propos que les associations en cause ne peuvent se décharger de la lourde responsabilité financière que leur ont fait endosser l'abus de droit caractérisé auquel les ont conduit leurs dirigeants, ni justifier leur décision, par une faute prétendue que la victime aurait commise non plus sur le plan professionnel où elle a été déjà écartée, mais dans sa conduite personnelle envers ses clientes ; car elles ne prouvent nullement leurs affirmations suivant lesquelles Madame Rollot-Schneider aurait été candidate aux côtés de son mari, contre la liste menée par leurs dirigeants (ce qui de plus aurait été son droit en démocratie), ni qu'elle aurait critiqué ou diffamé l'une des associations, dans un écrit dont il n'est pas démontré qu'il soit son œuvre;
Attendu qu'ainsi la faute délictuelle d'abus de droit reprochée par Madame Rollot-Schneider aux deux associations adverses restées en cause se trouve démontrée;
Que la responsabilité de celles-ci est entière sans qu'une faute de la victime puisse venir l'excuser, ni même en limiter la portée;
Que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu à bon droit, quoique par des motifs plus succincts, cette responsabilité;
5 - Attendu que ce jugement doit être également confirmé en ce qu'il a organisé une expertise judiciaire pour fixer l'étendue du préjudice de la victime; mais que, pour respecter le droit des appelantes au bénéfice du double degré de juridiction, et compte tenu des critiques adressées à cette expertise déposée au Greffe du Tribunal en vertu de l'exécution provisoire, et non pas au dossier de la Cour, il n'apparaît pas opportun d'évoquer le problème de l'indemnisation définitive, mais de renvoyer les parties de ce chef devant le Tribunal de Grande Instance d'Aix-en-Provence;
6 - Attendu qu'il y a lieu, par contre, dans ces conditions, compte tenu de l'importance du préjudice dont justifie déjà Madame Rollot-Schneider par les pièces versées aux débats, avant même l'examen de l'expertise judiciaire critiquée, dont l'appréciation est laissée au Tribunal, de maintenir la provision qu'il avait déjà allouée, et d'y ajouter un complément de 350.000 F;
7 - Attendu que la procédure intentée contre les deux associations n'apparaît nullement abusive, mais au contraire fondée sur la recherche de responsabilité que tranche le présent arrêt ; qu'il y a donc lieu de les débouter, aussi, de la demande en payement de 100.000 F de dommages-intérêts qu'elles avaient présentée de ce chef;
Sur les dépens et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Attendu que les Associations "AFRF" et "AAI" qui succombent doivent supporter les dépens d'instance déjà exposés à l'exception des frais d'expertise judiciaire qui restent réservés et les dépens d'appel;
Attendu qu'il est équitable de les condamner en outre, dans ces conditions, à payer 20.000 F à Madame Rollot-Schneider au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en les déboutant de la demande qu'elles avaient, elles-mêmes présentées sur ce texte.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile, Reçoit l'appel, et constate qu'il ne concerne pas la décision d'incompétence visant l'action exercée contre l'Institut Médico Éducatif "Le Colombier", devient définitive; Confirme en toutes ses dispositions attaquées le jugement entrepris et y ajoutant : Dit n'y avoir lieu d'évoquer sur la fixation du préjudice en renvoyant les parties de ce chef devant le Tribunal de Grande Instance d'Aix-en-Provence; Condamne l'AFRF "La Chaumière" et l'AAI "La Farigoule", in solidum à payer à Madame Rollot-Schneider : une provision complémentaire de 350.000 F (trois cent cinquante mille francs), la somme de 20.000 F (vingt mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Les déboute de leurs propres demandes pour abus de droit et frais irrépétibles; Les condamne in solidum aux dépens d'instance, déjà exposés à l'exception des frais d'expertise qui restent réservés; Les condamne in solidum aux dépens d'appel; Dit que la SCP d'avoués Blanc peut recouvrer directement contre elles la part de ces dépens avancée sans provision.
VOIR ANNEXE
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES :
Madame Rollot-Schneider exploite à la Roque d'Antheron une officine de pharmacie qu'elle a acquise le 5 janvier 1988;
Elle a bénéficié jusqu'au début du mois de janvier 1989 de la clientèle de trois organismes paramédicaux situés sur le territoire de la Commune.
A cette époque, ces trois organismes paramédicaux lui ont retiré simultanément leur clientèle.
Par acte du 2 mai 1989, Madame Rollot-Schneider a assigné l'Association Femmes Responsables Familiales " La Chaumière ", l'Association d'Aide aux Infirmes La Farigoule et l'Institut Médico Éducatif "Le Colombier" afin d'entendre :
- dire et juger que les agissements ayant consisté pour les trois associations requises à cesser d'acheter dans la pharmacie de la requérante la moitié des médicaments nécessaires à leurs pensionnaires, comme l'usage s'en était instauré depuis 1981 d'une façon continue, est constitutive d'un abus de droit,
- condamner solidairement les trois associations requises à payer à la requérante la somme principale de 2.120.000 F représentant le préjudice subi, avec intérêts de droit à compter de l'assignation ainsi que la somme de 30.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
Au soutien de sa demande, Madame Rollot-Schneider expose :
- qu'elle a acquis le 5 janvier 1988 moyennant le prix de 3.600.000 F une officine de pharmacie située à la Roque d'Anthéron qui a été créé en 1981, en raison de la présence sur la Commune de trois organismes para-médicaux,
- que dès 1981, ces trois organismes paramédicaux ont partagé de manière égale entre les deux officines, les achats de produits pharmaceutiques effectués pour le compte de leurs pensionnaires, ce jusqu'au 4 janvier 1989,
- que ces achats ont cessé dès l'annonce par Monsieur Michel Schneider époux de la requérante, de sa candidature aux élections municipales des 12 et 19 mars 1989 contre Monsieur Onoratini, Maire sortant et Président des trois associations concernées,
- que Monsieur Onoratini, n'a pas maintenu sa candidature et qu'en définitive c'est Monsieur Serre qui a été élu Maire de la Roque d'Anthéron, lui même directeur de l'une des associations et responsable à un titre ou l'autre des deux autres,
- que la concomitance des faits démontre clairement que la cessation des achats de produits pharmaceutiques par les trois associations dans l'officine de la requérante a eu pour but de nuire à Monsieur Schneider ou à son épouse, ou de contraindre Monsieur Schneider à retirer sa candidature,
- que cette intention de nuire ressort également d'une conversation enregistrée entre Monsieur Serre et la requérante,
- que ces agissements sont constitutifs d'un abus de droits présentant un caractère délictuel et ouvrant droit à réparation,
- que le préjudice présente un double aspect
* le premier tenant à la perte en capital subi par la requérante du fait de la diminution incontestable de la valeur de la pharmacie,
* le second résultant de l'impossibilité temporaire dans laquelle va se trouver la requérante de gagner normalement sa vie et de disposer de ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins.
L'Institut Médico-Éducatif "Le Colombier", l'Association des Femmes Responsables Familiales " La Chaumière " et l'Association d'Aide aux Infirmes "La Farigoule" demandent au Tribunal de :
- déclarer irrecevable l'action de Madame Rollot-Schneider à l'encontre de l'IME Le Colombier au motif que s'agissant d'un établissement public communal, le litige relève du Tribunal Administratif de Marseille,
- déclarer irrecevable et mal fondée l'action contre les deux autres Associations comme se fondant sur un prétendu abus de droit alors qu'aucun contrat, concession ou engagement ne les contraignait à s'adresser à l'officine de Madame Rollot-Schneider,
- prononcer la condamnation de Madame Rollot-Schneider à payer à chacune d'entre elles la somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts et aux trois Associations la somme de 50.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- à titre infiniment subsidiaire, désigner trois experts dont un expert national avec mission de relever la compatibilité de Madame Rollot-Schneider à partir des chiffres qu'elle avance elle-même.
L'IME Le Colombier, l'Association La Chaumière et l'Association La Farigoule formulent les observations suivantes:
- Madame Rollot-Schneider est l'épouse de Monsieur Schneider candidat aux élections municipales de 1989 qui au cours de la campagne électorale s'est présenté comme l'époux de la pharmacienne de la Roque d'Anthéron,
- Madame Rollot-Schneider est elle-même trésorière de quatre associations de soutien à Monsieur Le Pen créées en janvier 1988 dont le siège est 25, Cours Foch à la Roque d'Anthéron qui est l'adresse de la pharmacie,
- la présente procédure fait suite à une procédure devant le Tribunal Administratif visant à l'annulation des élections municipales dont les époux Schneider ont été déboutés,
- Madame Rollot-Schneider n'est pas propriétaire de la clientèle, et la pharmacie qu'elle a acquise en 1988, a été créée non en considération de l'existence d'Associations para-médicales mais en considération du nombre d'habitants,
- l'abus de droit n'est pas juridiquement constitué,
- subsidiairement, le préjudice allégué est contestable.
Madame Rollot-Schneider réitérant ses précédentes écritures et y ajoutant conclut au rejet de la demande d'expertise formée par les Associations défenderesses et subsidiairement demande que l'expertise soit effectuée à leurs frais avancés et qu'une provision de 300.000 F lui soit d'ores et déjà allouée.
L'instruction de l'affaire a été close par une ordonnance du 30 Mars 1990.
MOTIFS :
Sur la demande de Madame Rollot-Schneider à l'encontre de l'institut Medico Educatif Le Colombier
S'agissant d'un établissement public communal, non doté de la personnalité morale, le Tribunal de Grande Instance doit se déclarer incompétent au profit du Tribunal Administratif de Marseille.
Sur la demande de Madame Rollot-Schneider à l'encontre de l'Association des Femmes Responsables Familiales "La Chaumière" et l'Association d'Aide aux Infirmes "La Farigoule"
L'examen des dossiers des parties permet d'établir la réalité des faits suivants:
- Madame Rollot-Schneider achète une officine de pharmacie située à la Roque d'Anthéron par acte notarié du 5 janvier 1988 moyennant le prix de 3.600.000 F dont elle règle la plus grande partie au moyen d'un emprunt contracté auprès du Crédit Lyonnais. La valeur de la pharmacie lors de cette transaction a été établie en fonction notamment de son chiffre d'affaires et il n'est pas contesté qu'elle bénéficie à parts égales avec l'autre pharmacie, de la clientèle des organismes paramédicaux de la Commune depuis sa création en 1981.
- Monsieur Schneider annonce sa candidature aux élections municipales de mars 1989 et présente une liste "d'Union pour le Renouveau de la Roque d'Anthéron et d'Entente Communale" début janvier 1989.
- concomitamment, les deux organismes para-médicaux concernés par la présente procédure, dont le président est le Maire sortant Monsieur Onoratini, cessent simultanément d'effectuer des achats de produits pharmaceutiques à l'officine de Madame Rollot.
Les éléments de fait du dossier démontrent à l'évidence l'intention de nuire à Madame Rollot-Schneider et à Monsieur Schneider, ce pour des raisons politiques ainsi qu'en témoignent les relations très conflictuelles entre les deux candidats et la virulence de la campagne électorale menée par Monsieur Schneider, sans qu'il soit nécessaire de se référer à l'enregistrement obtenu par surprise de Monsieur Serre qu'il y a lieu d'écarter du débat.
La rupture brutale des relations commerciales suivies existant depuis de nombreuses années, avec une intention de nuire non dissimulée alors que Madame Rollot-Schneider n'a commis aucune faute professionnelle, constitue un abus du droit de contracter librement qui ouvre droit à réparation.
Il convient de recourir à une mesure d'instruction pour déterminer le montant du préjudice subi, ce aux frais avancés de Madame Rollot-Schneider et de condamner les deux organismes défendeurs à lui payer une provision de 150.000 F en raison du caractère non contestable de leur obligation.
Les organismes défendeurs doivent être déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts.
Il sera statué ultérieurement sur les demandes formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'exécution provisoire est nécessaire et compatible avec l'affaire.
Par ces motifs : LE TRIBUNAL, Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort, après en avoir délibéré, se déclare incompétent pour statuer sur la demande formée à l'encontre de l'Institut Médico-Educatif "Le Colombier" au profit du Tribunal Administratif de Marseille; Dit que l'Association Femmes Responsables Familiales "La Chaumière" et l'Association d'Aide aux Infirmes "La Farigoule" ont commis un abus de droit en retirant leur clientèle à Madame Rollot-Schneider avec intention de nuire ouvrant droit à réparation; Déboute les défendeurs de leurs demandes de dommages et intérêts; Avant dire droit au fond, ordonne une mesure d'instruction aux frais avancés de Madame Rollot-Schneider. Désigne pour y procéder Monsieur Jacques Liagre, demeurant 64 Cours Pierre Puget à 13006 Marseille, avec mission, parties présentes de : - recueillir les dires et prétentions des parties, y répondre, - fournir au Tribunal tous éléments comptables lui permettant de déterminer le préjudice subi, sous son double aspect : * perte en capital subi par Madame Rollot-Schneider du fait de la diminution de la valeur de la pharmacie, * perte de revenus et ses conséquences sur le règlement mensuel du crédit contracté pour acquérir la pharmacie, le profit subsistant, la création éventuelle d'un déficit ; Faire toutes investigations et constatations utiles en rapport avec le litige ; Dit que sous le contrôle de Madame Lonne laquelle pourra en cas d'empêchement, être remplacée par simple ordonnance, l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 155 à 174, 232 à 248, 256 à 262 du nouveau Code de procédure civile, prendra en considération les observations ou réclamations des parties ou de leurs conseils, les joindra à ses avis et fera mention de la suite qu'il leur aura donnée, demandera communication aux parties et aux tiers de tous documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission, pourra recueillir l'avis de tous techniciens dans une spécialité distincte de la sienne, que des informations orales ou écrites de toutes personnes, sauf à ce que soient précisés leurs nom, prénom, demeure et profession, ainsi que, s'il y a lieu, leur lien de parenté ou d'alliance avec les parties de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles, fera connaître dans sa consultation, toutes les informations qui apportent un éclaircissement sur les questions à examiner à condition de ne faire état que d'informations légitimement recueillies et d'indiquer leur origine et source; Dit que si les parties viennent à se concilier, elles pourront demander au Juge chargé du contrôle de donner force exécutoire à l'acte exprimant leur accord; Réserve les dépens; Dit que si les parties ne se concilient pas, l'expert dressera rapport écrit de ses opérations qu'il déposera au Greffe du Tribunal de céans dans le délai de six mois, terme de rigueur, à compter du jour où le Greffier lui aura notifié copie de la décision le nommant, sauf prorogation du délai par le Juge chargé du contrôle dans les conditions prévues par l'article 279 du nouveau Code de procédure civile; Dit que l'expert en même temps qu'il déposera son rapport au Greffe, en fera tenir une copie à chacune des parties; Dit que Madame Rollot-Schneider devra avoir consigné au Greffe de céans dans le délai de deux mois à compter du présent jugement la somme de 10.000 F à titre de provision; Dit qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit la poursuite de l'instance pourra être ordonnée dans les conditions prévues par l'article 271 du nouveau Code de procédure civile; Dit que lors de la première ou au plus tard de la deuxième réunion des parties, l'expert dressera un programme de ses investigations, et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours; Dit qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître la somme globale qui lui parait nécessaire pour garantir en totalité le recouvrement de ses honoraires et de ses débours et sollicitera, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire; Dit qu'il sera pourvu au remplacement de l'expert dans les cas, conditions et formes des articles 234 et 235 du nouveau Code de procédure civile; Dit qu'après le dépôt du rapport de l'expert, l'instance sera poursuivie dans le Juge de la Mise en État; Condamne in solidum l'Association Femmes Responsables Familiales "La Chaumière" et l'Association d'Aide aux Infirmes " La Farigoule " à payer à Madame Rollot-Schneider une somme provisionnelle de 150 000 F (cent cinquante mille francs); Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement; Réserve les dépens.