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Décisions

Conseil Conc., 5 mars 1991, n° 91-MC-01

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Demande de mesures conservatoires déposée conjointement par l'entreprise Audace et Stratégies Genard Jacky et la Confédération Défense des commerçants et artisans à l'encontre de l'Office d'annonces

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en section sur le rapport oral de M. Jean-René Bourhis dans la séance du 5 mars 1991, où siégeaient : M. Pineau, vice-président, présidant ; MM. Blaise, Cabut, Cortesse, Gaillard, Sargos, Urbain, membres.

Conseil Conc. n° 91-MC-01

5 mars 1991

Le Conseil de la concurrence,

Vu la demande enregistrée le 31 janvier 1991 sous le numéro M 79 par laquelle M. Dominique André, agissant en tant que responsable de l'agence de publicité Audace et stratégies Genard Jacky, et M. Serge Buvat, agissant en tant que vice-président national de la Confédération de défense des commerçants et artisans (CDCA), ont saisi le Conseil de la concurrence d'une demande de mesures conservatoires à l'encontre de l'Office d'annonces (ODA), ensemble les observations, complémentaires de l'entreprise Audace et stratégies Genard Jacky enregistrées le 18 février 1991 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu les observations présentées par l'ODA ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des entreprises Audace et stratégies Genard Jacky et ODA entendus ;

Considérant que le responsable de l'entreprise Audace et stratégies Genard Jacky (ci-après Audace) à laquelle s'est joint la CDCA sollicite du Conseil de la concurrence :

"I. - Exploitation abusive d'une position dominante

"De déclarer la présente saisine recevable, en application de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

"II. - Mesures conservatoires

"De prendre très rapidement les mesures conservatoires qui s'imposent, en raison de l'arrêt de mon activité et en application de l'article 12 de la même ordonnance.

"III. - Publicité de l'ODA

"A. - De prendre les mesures en application de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 et de l'article 40 de la loi du 10 janvier 1978;

"B. - D'enjoindre l'ODA de supprimer son texte affirmant sa fausse exclusivité commerciale dans tous les annuaires des pages jaunes, à compter de mai 1991;

"C. - D'enjoindre l'ODA, à ses frais, par l'indication nominative de mon agence Audace et stratégies Genard Jacky, en raison du préjudice subi par mon agence désignée :

- d'informer ou de faire informer toutes les agences commerciales de France Télécom du droit des agences de publicité de recueillir les inscriptions publicitaires dans les annuaires (désignation nominative de mon agence dans les départements 06, 13, 83 et 84);

- de faire paraître un article rectificatif dans les journaux Var Matin, Nice Matin, Le Provençal, et deux publications désignées par le Conseil;

- de faire passer une annonce rectificative sur l'antenne radio Europe 2 Var ;

- d'envoyer un texte rectificatif à tous les destinataires clients et prospects du mailing ODA, édition 1991.

"D. - D'enjoindre l'ODA, de me faire parvenir les justificatifs de toutes les actions rectificatives.

"IV. - Commissionnement

"D'enjoindre l'ODA de rétrocéder à mon agence une commission calculée au taux de 23 p. 100, dès la première année, sur toutes les affaires confondues, sans distinction d'affaires nouvelles ou "en portefeuille".

"V. - Conditions de collaboration

"A. - De prendre les mesures en application de l'article 36 de l'ordonnance précitée;

"B. - D'enjoindre l'ODA de me rédiger un contrat de collaboration comportant :

- la possibilité de régler ma facture deux mois après la sortie du dernier annuaire du département souscrit de l'édition et ce, quel que soit le chiffre d'affaires réalisé dans ce département;

- le bénéfice de la promotion - 25 p. 100, calculée sur le chiffre d'affaires global;

- la même date de forclusion que celle de la force de vente ODA ;

- la possibilité d'accorder un rabais de 5 p. 100 pour les contrats au-dessus d'un CA déterminé par l'ODA, sans répercussion sur la rétrocession accordée à mon agence ;

- la liste des départements bénéficiant de la promotion de - 25 p. 100, dès la première annonce;

- ne comportant aucune garantie bancaire imposée ;

- l'obligation de la fourniture de toutes les documentations nécessaires à la commercialisation sous huitaine, au fur et à mesure de leurs sorties, ainsi que des bons de commande (ordres d'insertion ODA) ;

- ne comportant aucune obligation de visite par un représentant de l'ODA;

"C. - D'enjoindre à l'ODA d'annuler les conditions de collaboration, signées le 21 décembre 1990 en application de l'article 9 de l'ordonnance précitée;

"D. - D'enjoindre l'ODA de supprimer ses dispositions, relatives à la non-parution de la publicité.

"VI. - Clause limitative de responsabilité

" De prendre les mesures en application de l'article 14 en raison des mesures précédemment enjointes non respectées et en raison des pratiques récidivistes.

"VII. - Pratiques déloyales de concurrence

" De prendre les mesures en application des articles 36, 60-VI, et exceptionnellement de l'article 17 auprès de MM. (...), (...) et Mme (...) ;

"De prendre les mesures en application de l'article 1382 du code civil, auprès des représentants de l'ODA, dont les pratiques déloyales ont été exercées et relevées auprès des annonceurs dont la liste est jointe en annexe, page 72 de la présente;

"D'enjoindre l'ODA d'envoyer une lettre d'excuses, auprès de tous les annonceurs cités dans l'annexe, page 72;

"D'enjoindre l'ODA de me donner la possibilité de faire les compensations justifiées;

" D'enjoindre l'ODA de me faire parvenir tous les justificatifs des mesures exécutées.

"VIII. - Préjudice

"D'enjoindre l'ODA :

- de m'établir une facture de 290 377,86 F payable au 31 janvier 1992;

- de me rembourser la somme payée d'un montant de 170 065,97 F et de me retourner la garantie bancaire fournie de 281 364,93 F, sous astreinte de 1 397 F par jour de retard à compter du 21 décembre 1990;

- de me verser la rétrocession restant à devoir sur quatre mois de 950 168 F sous astreinte de 2 941 F par jour de retard à compter du 21 janvier 1991;

- de me verser des dommages et intérêts d'un montant de 950 168 F, sous astreinte de 2 941 F par jour de retard à compter du 21 janvier 1991."

Sur la recevabilité de la saisine :

Considérant que la saisine présentée conjointement par l'agence Audace et la CDCA vise des pratiques commerciales de l'ODA qui est le régisseur exclusif de la publicité dans les annuaires officiels de France Télécom et qui commercialise des espaces publicitaires dans ses annuaires auprès des entreprises soit directement par ses représentants, soit indirectement par l'intermédiaire des agences de publicité;

Considérant que l'ODA conteste la recevabilité de la saisine de la CDCA au motif que cet organisme qui se qualifie de "confédération" ne produit pas ses statuts, n'indique pas où et quand les formalités prévues aux articles L. 411-3 et R. 411-1 du code du travail ont été effectuées ; qu'enfin le vice-président national, cosignataire de la saisine, ne justifie pas d'un mandat de cette organisation pour saisir le Conseil de la concurrence;

Considérant que les pratiques commerciales dénoncées dans la saisine se rapportent aux comportements de l'ODA vis-à-vis de l'agence Audace et que les mesures conservatoires sollicitées ne concernent, en l'occurrence, que l'agence Audace ; que, dans ces conditions, l'éventuelle irrecevabilité de la saisine en tant qu'elle émane de la CDCA serait sans influence sur la demande de mesures conservatoires présentée par l'agence Audace ;

Sur la demande de mesures conservatoires :

Considérant quel'application des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est subordonnée à la constatation de comportements manifestement illicites se rattachant aux pratiques visées par les articles 7 et 8 et auxquels il faudrait mettre fin sans délai pour prévenir ou faire cesser un trouble grave et immédiat;

Considérant que le Conseil ne peut faire application des dispositions des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973 et 40 de la loi du 10 janvier 1978, prononcer la nullité de stipulations contractuelles prévue à l'article 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 précitée, prendre des mesures "en application des articles 36, 60-VI, et exceptionnellement de l'article 17 ", ou encore " prendre des mesures en application de l'article 1382 du code civil "; qu'enfin il n'appartient pas au Conseil de faire application des dispositions de l'article 31 de l'ordonnance n° 86-1243 relatif aux opérations de facturation;

Considérant par ailleurs que, dans sa décision n° 90-D-31 susvisée, le Conseil de la concurrence avait enjoint à l'ODA de "supprimer dans la clause limitative de responsabilité les dispositions relatives à la non-parution de la publicité" ; qu'il n'est pas établi, en l'état du dossier, que la décision précitée n'ait pas été suivie d'effet, l'ODA ayant déclaré dans ses observations avoir respecté l'injonction en " modifiant la clause litigieuse de ses conditions dès l'édition suivant la décision (édition "92")" ;

Considérant que l'agence Audace a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Toulon le 31 août 1990 ; qu'il ressort des extraits du registre du commerce versés au dossier que cette entreprise a débuté son exploitation le 19 septembre 1990, et non le 1er octobre comme initialement prévu, le chef du personnel de l'ODA ayant accusé réception de la démission de M. André le 18 septembre 1990 ; que, par lettre du 25 septembre 1990, le directeur des ventes de l'ODA a indiqué à son ancien employé, qui n'était pas lié par une clause de non-concurrence à l'issue de son contrat de travail, qu'il était disposé à lui appliquer "les conditions de collaboration que nous (le régisseur) appliquons à toutes les agences de publicité avec lesquelles nous commençons à travailler, sans aucune discrimination, à condition que vous-même vous comportiez correctement" ;

Considérant que M. André dénonce les "conditions de collaboration" de l'ODA avec les agences de publicité, les modalités de commissionnement et de paiement ainsi que la fixation et l'application des tarifs ; que M. André, ancien salarié de l'ODA, en avait parfaite connaissance ; qu'il a signé le contrat de collaboration le 20 décembre 1990 ; qu'il n'est pas allégué que l'agence Audace ait fait l'objet d'un traitement discriminatoire ; qu'au surplus, l'examen de ces conditions, modalités et mesures tarifaires relève de l'instruction du fond ; que, dès lors, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant que selon les témoignages versés au dossier (pièces 21, 24, 26 à 30) l'agence Audace a fait, dès le commencement de son activité, l'objet d'une campagne de "dénigrement" de la part de représentants de l'ODA ; qu'elle présente, à la page 72 de sa saisine, une " liste des annonceurs auprès desquels les représentants de l'ODA ont pratiqué une concurrence déloyale contre l'agence Audace par des procédés de dénigrement et de diffamation" ; qu'elle aurait, de ce fait, perdu certains clients ; que ces pratiques auraient, aux dires du régisseur exclusif, concerné une "période courte" et pourraient s'expliquer par une certaine "confusion sur le terrain" ;

Considérant que, selon M. André, l'ODA a opposé des refus de vente assimilables à un abus de position dominante sur le marché de la publicité dans les annuaires officiels de France Télécom en tardant à communiquer à l'agence Audace ses conditions de vente et en refusant de lui délivrer des ordres d'insertion ; que, pour le demandeur, le refus de délivrer ces ordres, alors même que selon l'ODA "seules les commandes prises sur les ordres d'insertion ODA dûment signés et revêtus du cachet commercial de l'agence de publicité pourront être enregistrées ", serait une manœuvre du régisseur exclusif destinée notamment à imposer l'intervention d'un représentant de l'ODA ;

Considérant qu'il n'est pas établi, au vu des observations écrites de l'ODA et des explications fournies en séance par ses représentants, que le régisseur exclusif ait donné à l'agence Audace la possibilité de disposer, en temps utile, de la totalité des documents techniques et commerciaux prévus dans le "contrat de collaboration avec les agences de publicité" ; que l'ODA considère que ces documents sont indispensables aux prises de commande par les agences ;

Considérant que les pratiques ci-dessus sont susceptibles d'être visées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'elles exposent l'entreprise demanderesse récemment créée à un danger grave et immédiat; qu'il y a lieu, dès lors, en application de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de prendre les mesures nécessaires pour faire face à l'urgence,

Décide :

Art. 1er. - Il est enjoint à l'ODA, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente décision, d'adresser une lettre recommandée avec avis de réception indiquant aux annonceurs figurant sur la liste fournie par M. André à l'appui de sa saisine (page 72 de la saisine) que l'agence Audace et stratégies Genard Jacky a la faculté, comme toute autre agence de publicité, de commercialiser les espaces publicitaires dans les annuaires de France Télécom.

Art. 2. - Jusqu'à l'intervention de la décision au fond, il est enjoint à l'ODA de fournir à l'agence Audace, dans les conditions identiques à celles des autres agences de publicité et conformément au contrat intitulé "Conditions de collaboration avec les agences de publicité ", tous les documents techniques et commerciaux nécessaires à la vente des espaces publicitaires dans les annuaires de France Télécom, cela en temps utile.