Conseil Conc., 21 octobre 1997, n° 97-D-75
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à une saisine du Syndicat national des discothèques et divers exploitants de discothèques et syndicat
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport de M. Loïc Guérin, par M. Cortesse, vice-président, présidant la séance, MM. Bon, Callu, Mme Hagelsteen, MM. Marleix, Thiolon, membres.
Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre enregistrée le 12 octobre 1990 sous le numéro F 354, par laquelle le Syndicat national des discothèques (Syndis), les sociétés Solonoc, Deschamps, Société Générale de la Ferme, Loisirs en Armagnac, Djinn Club, ainsi que MM. Gérard Basset et Jean Nouguès, exploitants de discothèques, ont saisi le Conseil de la concurrence des pratiques de la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), de la Société pour l'exploitation du droit de représentation mécanique (SDRM), de l'Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (AGESSA), de la Société civile pour l'exploitation des droits des producteurs phonographiques, de la Société civile des producteurs de phonogrammes en France, de la Société civile des producteurs associés, de la Société pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes, de la Société de perception et de répartition des droits des artistes musiciens interprètes et exécutants, de la Société pour la rémunération équitable de la communication au public des phonogrammes du commerce (SPRE), des sociétés Colombia Broadcasting Society (CBS), Bertelsmann Music Group (BMG), Ariola France, EmiPathé Marconi, Polygram, Virgin France, Warner Electra Atlantic Music (W E A), du Syndicat national des éditions phonographiques, de la Chambre syndicale des cabarets artistiques, salles et lieux de spectacles vivants et discothèques de France, de la Confédération française des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et discothèques, de la Fédération autonome de l'industrie hôtelière touristique, de la Fédération nationale de l'industrie hôtelière et du Syndicat national des discothèques et des lieux de loisirs ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement, par le Syndicat national des discothèques (Syndis), les sociétés Solonoc, Deschamps, Société Générale de la Ferme, Loisirs en Armagnac, Djinn Club, ainsi que La Playa et Roll's Club venant aux droits de MM. Gérard Basset et Jean Nouguès ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés La Playa et Société Générale de la Ferme entendus, les autres parties ayant été régulièrement convoquées ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :
I. CONSTATATIONS
Par courrier en date du 12 octobre 1990, Me Jourdren a saisi le Conseil de la concurrence au nom des sociétés Solonoc, Deschamps, Société Générale de la Ferme, Loisirs en Armagnac, Djinn Club, du Syndicat national des discothèques (Syndis), ainsi que de MM. Gérard Basset et Jean Nouguès, exploitants de discothèques, contre la SACEM et autres.
Les parties saisissantes font valoir que la SACEM a refusé de concéder l'usage du répertoire en justifiant du barème de droits qu'elle applique pour l'exécution publique des phonogrammes, ce qui constituerait un abus de dépendance économique au sens du paragraphe 2 de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Elles allèguent, en outre, que certains producteurs d'œuvres musicales se seraient entendus " en refusant de donner au marché la transparence indispensable pour maintenir artificiellement un écart de tarif inexplicablement élevé " par rapport à ceux pratiqués dans les pays voisins. Enfin, les accords tarifaires intervenus entre les syndicats de discothèques et la SACEM d'une part et la SPRE d'autre part, constitueraient une entente prohibée par les dispositions du paragraphe 2 de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
II. SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,
Sur la prescription :
Considérant, en premier lieu, que les parties saisissantes font valoir que " l'abus de dépendance comme les ententes dont se plaignent les discothèques ne sont pas des infractions instantanées mais des infractions continues successives provoquées par des actes de volonté réitérés " et qu'elles " se poursuivent aussi longtemps que dure l'exploitation de tarifs illicites " ; qu'elles en déduisent que, dans la mesure où " le point de départ de la prescription se situe au jour où l'activité délictueuse a cessé ", la prescription ne saurait être acquise dès lors que " ces sociétés maintiennent ces tarifs par actes de volonté successifs " ;
Mais considérant, qu'aux termes de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : " Le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction " ; que la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 1er décembre 1995 (société l'Entreprise Industrielle, 1re chambre, section concurrence, arrêt n° 95-3245), confirmé par la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique, arrêt n°1848 P du 8 juillet 1997) a décidé que : " Ce texte établit un délai de prescription et définit la nature des actes ayant pour effet de l'interrompre ; (...) que toute prescription dont l'acquisition a pour conséquence de rendre irrecevable une action ou d'interdire la sanction d'un fait, commence à courir après qu'elle ait été interrompue, sous réserve d'une éventuelle cause (...) de suspension de son cours " ; que les parties saisissantes font valoir, d'une part, que la SACEM a refusé de justifier les barèmes de droits de reproduction qu'elle propose, d'autre part, que les " producteurs " de phonogrammes se seraient entendus pour " maintenir artificiellement un écart de tarif inexplicablement élevé " et, enfin, que les accords tarifaires passés entre la SACEM et certains syndicats professionnels constitueraient des ententes prohibées ; que la saisine vise les barèmes et accords en vigueur au moment où elle a été déposée, alors qu'il est constant que ces barèmes ont été modifiés en janvier 1992 ; qu'il ne peut dès lors être utilement soutenu que ces pratiques sont continues ;
Considérant, en second lieu, que les parties saisissantes font valoir que " la saisine du Conseil a, à leur égard, un effet suspensif de la prescription " ; qu'elles tirent cette conséquence de la transposition au droit processuel de la concurrence d'un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation selon laquelle la prescription est suspendue au profit " de la partie civile " lorsque celle-ci " ne dispose d'aucun moyen de droit pour obliger le juge d'instruction à accomplir un acte interruptif de la prescription de l'action publique " (Cass. crim. 27 janvier 1986, B C n° 33) ;
Mais considérant que, d'une part, l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne prévoit aucun cas de suspension du cours de la prescription devant le Conseil ; que, d'autre part, la référence à la jurisprudence de la Cour de cassation est inopérante dans la mesure où ne peut être assimilée à une partie civile la personne qui saisit le Conseil, autorité administrative indépendante chargée de la protection de l'ordre public économique et qui n'est pas compétente pour réparer le préjudice subi par les parties saisissantes; qu'enfin, les parties saisissantes pouvaient obtenir réparation du dommage subi du fait de la pratique dénoncée devant les juridictions civiles ou commerciales;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en l'absence d'acte interruptif, la prescription était acquise à l'égard des faits dénoncés dans la saisine à la date du 1er janvier 1995 ; qu'il y a lieu, par suite, de faire application des dispositions de l'article 20 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,
Décide :
Article unique.
Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.