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Décisions

Conseil Conc., 11 septembre 1990, n° 90-D-28

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine de M. Jean Chapelle à l'encontre des sociétés FNAC et Minolta

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en section, sur le rapport de Mme Martine Betch, dans sa séance du 11 septembre 1990, où siégeaient M. Béteille, vice-président, présidant Mme Hagelsteen, Mme Lorenceau, M. Schmidt, membres.

Conseil Conc. n° 90-D-28

11 septembre 1990

Le Conseil de la concurrence,

Vu la lettre enregistrée le 3 mars 1989 sous le numéro F 230 par laquelle la SA Jean Chapelle a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Minolta France et FNAC ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris pour son application; Vu les observations présentées par la SA Jean Chapelle et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus, la SA Jean Chapelle ayant été régulièrement convoquée à la présente séance ; Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées ;

I. - CONSTATATIONS

Les caractéristiques du marché

Le marché français des appareils photographiques, appareils reflex et appareils compact, est principalement approvisionné par quatre entreprises ; globalement, en valeur, les sociétés Minolta, Nikon, Olympus et Pentax assurent 62,40 p. 100 de l'offre. Sur le seul marché des appareils compact leur part globale s'établit à 53,80 p. 100 et elle s'élève à 88,30 p. 100 s'agissant du marché des appareils reflex. La société Minolta France contrôle 19,50 p. 100 de l'offre globale ; elle est suivie par les sociétés Nikon (17,60 p. 100), Olympus (14,20 p. 100) et Pentax (11,10 p. 100). La part lui revenant sur le marché des appareils compact s'élève à 13,80 p. 100 (contre 19,80 p. 100 pour Olympus, 10,20 p. 100 pour Konica et 10 p. 100 pour Nikon). La société Minolta France détient enfin 28,80 p. 100 du marché des appareils reflex (contre 29,90 p. 100 pour Nikon, 15,20 p. 100 pour Canon et 14,40 p. 100 pour Pentax).

Pour une part importante, de l'ordre de 60 p. 100 (année 1988), les produits en cause sont vendus par le canal d'établissements spécialisés (FNAC, groupements nationaux tels Camara et Phox et groupements régionaux). Pour le solde, les produits transitent par des commerces de grande surface (tels Carrefour et Auchan), des grands magasins (comme le BHV et les Galeries Lafayette), des établissements de vente par correspondance et diverses entreprises indépendantes. Le rôle joué par les grossistes demeure résiduel.

En octobre 1989, la FNAC est le premier client de la société Minolta France ; elle représente 20,25 p 100 du montant total des ventes de ce fournisseur. D'une manière générale, la société Minolta France propose aux distributeurs des conditions générales de vente qui contiennent des remises quantitatives (remise de base, remises quantitatives sur facture, remises d'objectifs différées) et des remises qualitatives (spécialisation 4 p. 100, mise en avant 3 p. 100 et service 2 p. 100). L'importance jouée par la FNAC dans la distribution des produits Minolta est de nature à expliquer les avantages particuliers que ce fournisseur lui octroie. Ainsi résulte-t-il de l'enquête que le service commercial de la société Minolta informe les magasins FNAC de la mise sur le marché des nouveaux produits et que ces magasins en sont immédiatement approvisionnés en raison du rôle de " locomotive " joué par eux.

Les pratiques dénoncées

En 1988, la SA Jean Chapelle, spécialisée dans la distribution de matériels électroacoustiques, a envisagé d'étendre son activité à la distribution d'appareils photographiques. Son dirigeant a alors passé commande auprès des sociétés Konica et Minolta. Tandis que la première a livré le matériel commandé, la seconde a à plusieurs reprises refusé d'honorer les commandes. Par la suite des relations commerciales se sont nouées entre les deux partenaires mais à des conditions discriminatoires aux dires de la société Jean Chapelle.

Ultérieurement, le 22 février 1989, M. Jean Chapelle, représentant la SA Jean Chapelle, a saisi le tribunal de commerce de Nanterre d'un refus de vente opposé par la société Minolta et a obtenu par ordonnance de référé du 8 mars 1989 livraison du matériel commandé.

Dans le même temps, le 3 mars 1989, la SA Jean Chapelle a saisi le Conseil de la concurrence pour infraction à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Aux termes de sa saisine, elle a exposé que "la société Minolta qui est le premier fournisseur de la FNAC en photos, refuse d'honorer (ses) commandes et (la) prive d'informations commerciales au seul motif qu'(elle) exploite un magasin auprès de la FNAC, (que) la société FNAC se serait plainte de cet état de fait et (que) cette position résulte sans équivoque des deux jeux de conclusions déposées par la société Minolta dans l'instance en référé qu'(elle avait) dû introduire devant le tribunal de Nanterre ". Ainsi la SA Jean Chapelle suggère l'idée que le refus de vente qui lui est opposé est la traduction d'une entente de prix entre les sociétés Minolta et la FNAC. La requérante soutient d'ailleurs que le marché des appareils photographiques est soumis "à des ententes généralisées à des niveaux de fortes marges, et qui peuvent être facilement constatées par l'examen des catalogues diffusés par les hypers tels Auchan, Carrefour, Camif, Phox et les prix pratiqués par la FNAC ".

Conformément aux dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, une enquête administrative portant sur les comportements des sociétés FNAC et Minolta France, sur la distribution des appareils photographiques et sur le point de savoir si les refus de vente allégués étaient ou non la conséquence d'une entente entre diverses sociétés tendant à exclure certains revendeurs du marché en cause, a été demandée par le président du Conseil de la concurrence à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

II. - A LA LUMIÈRE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Sur la procédure:

Considérant que pour faire suite à la saisine du Conseil de la concurrence par la SA Jean Chapelle dénonçant le refus de vente opposé par la société Minolta qui serait le produit d'une entente anticoncurrentielle entre cette dernière et la société FNAC, M. Jean Chapelle a été informé le 6 juin 1989 par le rapporteur qu'une enquête administrative serait confiée au service d'enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ; que, dans les observations qu'il a formulées à la suite de la proposition de non-lieu, le représentant de la SA Jean Chapelle dénonce le fait que son "audition" par le rapporteur ne figure pas au dossier et qu'aucun procès-verbal n'a été dressé, et soutient qu'entendu par le rapporteur il aurait été en mesure de démontrer l'étendue des ententes anticoncurrentielles prévalant dans le secteur de la distribution des produits photographiques,

Considérant qu'en se bornant à recevoir M. Chapelle pour l'informer de l'ouverture d'une enquête par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le rapporteur n'a pas entendu procéder à une audition de l'intéressé au sens de l'article 20 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 ; qu'il n'y avait donc pas matière à l'établissement d'un procès-verbal ; que, par ailleurs, M. Jean Chapelle avait la faculté, dans ses observations écrites, d'apporter aux enquêteurs et au conseil tous les indices d'ententes qu'il prétend détenir,

Considérant que M. Jean Chapelle s'oppose encore à la proposition de non-lieu qui lui a été notifiée, au motif que "les enquêtes nécessaires n'ont pas été menées ", que, "quand on ne cherche pas on ne trouve pas ", et que d'ailleurs sa saisine " ne se limitait pas à la FNAC " mais concernait "l'ensemble de la profession",

Mais considérant qu'une enquête administrative a été diligentée ; que les résultats en ont été communiqués à M. Chapelle; qu'elle a porté à la fois sur les comportements des sociétés Minolta France et FNAC et sur les relations commerciales entre ce fournisseur et d'autres distributeurs ; que, dans ces conditions, les prétentions de la SA Jean Chapelle doivent être rejetées,

Considérant, d'une part, que l'instruction n'a pas établi que le refus de vente opposé par la société Minolta était le résultat d'une entente expresse entre cette dernière et un distributeur des produits Minolta, en l'espèce la société FNAC;

Considérant, d'autre part, que la simple existence d'une " convergence d'intérêts " entre la société Minolta France et la FNAC ne constitue pas un élément de preuve suffisant pour établir une entente tacite entre ces deux entreprises qui aurait eu pour but d'exclure, à l'époque des faits, la SA Jean Chapelle de la distribution des produits Minolta en lui refusant la livraison du matériel commandé,

Considérant enfin que la politique commerciale de la société Minolta, le rôle prééminent joué par la FNAC dans la distribution des produits en cause ainsi que l'influence alléguée de ce distributeur sur les prix de vente de ces produits font l'objet d'une saisine distincte,

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'en l'absence, dans le présent dossier, d'éléments tendant à établir que le refus de vente invoqué résulte d'une entente au sens de l'article 7 de l'ordonnance susvisée, il y a lieu de faire application de l'article 20 du même texte,

Décide

Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.