Conseil Conc., 26 septembre 1995, n° 95-D-61
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine de la société Mignard frères
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de M. Thierry Bruand, par M. Jenny, vice-président, présidant, MM. Blaise, Gicquel, Robin, Sargos, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence (section II),
Vu la lettre enregistrée le 3 décembre 1993 sous le numéro F 641, par laquelle M. Claude Mignard, président de la société Mignard frères, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le groupe de distribution Schiever; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application; Vu les autres pièces du dossier; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et M. Mignard entendus;
Considérant que M. Claude Mignard, président de la société Mignard frères, se plaint de pratiques qu'il estime anticoncurrentielles émanant du groupe de distribution Schiever, prenant la forme d'une entente sur les prix et d'un abus de position dominante de la part des sociétés Colombe Distribution, Société bourguignonne de supermarché (SBSM) et Bopa, exploitant des supermarchés à Sainte-Colombe et Châtillon-sur-Seine (Côte-d'Or), ainsi que d'une exploitation abusive d'un état de dépendance économique de la part du groupe Schiever;
Considérant que le groupe familial Mignard, propriétaire d'un commerce de gros et de détail de boissons, vins et spiritueux à Sainte-Colombe-sur-Seine et de plusieurs centres commerciaux, a exploité directement jusqu'en 1988 ses magasins à grande surface comprenant une supérette et un supermarché Champion à Sainte-Colombe-sur-Seine, un hypermarché Le Marmont à Châtillon-sur-Seine et un supermarché à Vendeuvre-sur-Barse (Aube); que M. Mignard a signé le 25 avril 1987 un protocole d'accord avec la société Schiever pour une durée de dix ans au terme duquel, en échange d'une garantie d'approvisionnement de ses magasins et d'un droit de préférence en cas de cession d'actions, les sociétés du groupe Schiever s'engageaient, à la demande de M. Mignard ou de ses héritiers, à prendre en location-gérance ou à acheter ses fonds de commerce; qu'à compter du 1er octobre 1988 la SBSM, société appartenant au groupe Schiever, a pris en location-gérance les rayons d'alimentation, parfumerie, hygiène, droguerie de l'hypermarché Le Marmont; que cette opération avait été précédée d'une prise de contrôle par le groupe Schiever de la SARL Bopa, qui exploitait deux supermarchés à Châtillon-sur-Seine, dont un seul sera à terme maintenu en exploitation avec une enseigne Rapidmarché; que M. Mignard a cédé en mai 1991 au groupe Schiever la société Colombe Distribution, propriétaire du fonds de commerce du supermarché Champion, devenu Maximarché, de Sainte-Colombe-sur-Seine; qu'enfin la SBSM a acquis en mars 1992 le fonds de commerce du supermarché précité de Vendeuvre-sur-Barse;
Considérant que M. Mignard s'estime victime de pratiques déloyales de la part du groupe Schiever qui aurait pris le contrôle de ses magasins après les avoir " déstabilisés" et aurait ensuite exercé des pressions financières pour obtenir la cession de l'hypermarché Le Marmont et la propriété des murs du centre commercial de Sainte-Colombe-sur-Seine; qu'ainsi le groupe Schiever aurait mis en location-gérance l'hypermarché Le Marmont sans informer M. Mignard de la prise de contrôle simultanée des magasins concurrents de la SARL Bopa; que ceux-ci auraient mené une politique promotionnelle plus active que celle du Marmont, contrairement aux stipulations du règlement intérieur du GIE Le Marmont chargé de la gestion du centre commercial, qui engageaient le locataire-gérant de la surface alimentaire à effectuer une démarque de 1 p. 100 par rapport aux prix publicitaires pratiqués dans les magasins de sa chaîne; qu'en outre le manque d'attractivité commerciale de la surface alimentaire du Marmont aurait pénalisé les magasins de la galerie marchande du centre commercial exploités par la famille Mignard; que, pour faire face au manque de rentabilité du centre commercial Le Marmont, M. Mignard aurait été contraint de céder la société Colombe Distribution; qu'en outre le groupe Schiever aurait profité de cette transaction pour imposer dans l'acte de vente des clauses relatives à l'hypermarché Le Marmont prévoyant une diminution du loyer dû par la SBSM et le versement par M. Mignard d'une indemnité pour des malfaçons affectant le sol de ce magasin; que, de même, le groupe Schiever aurait acquis en 1992 le supermarché de Vendeuvre-sur-Barse, dont il était le fournisseur, à la suite de pressions financières prenant la forme de retards de règlement de remises de fin d'année et de manipulations des prix de cession des marchandises conduisant l'exploitant à vendre à perte à son insu; qu'en outre, après la cession de ce magasin, la société Schiever aurait créé des difficultés bancaires à M. Mignard; que par la suite les sociétés SBSM et Colombe Distribution, propriétaires des fonds de commerce des supermarchés Maximarché de Vendeuvre-sur-Barse et Sainte-Colombe-sur-Seine, se seraient acquittées irrégulièrement des loyers dus à M. Mignard au titre de l'occupation des murs des centres commerciaux; que, selon le plaignant, le groupe Schiever chercherait ainsi à acquérir la propriété des murs du centre commercial de Sainte-Colombe-sur-Seine en l'empêchant d'honorer les redevances du crédit-bail contracté pour sa construction; qu'enfin durant le préavis faisant suite à la résiliation par M. Mignard du contrat de location-gérance de la SBSM au Marmont, cette dernière société aurait entrepris en août et septembre 1994 de détourner la clientèle vers les autres supermarchés de l'agglomération appartenant au groupe Schiever en ne réapprovisionnant pas les rayons, en augmentant les prix de vente, puis en fermant le magasin avant terme sans rendre les locaux afin d'empêcher M. Mignard de poursuivre l'exploitation;
Considérant qu'aux termes de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986: " Le Conseil de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ";
Considérant que si les pratiques dénoncées de concurrence déloyale et de pressions financières sont éventuellement susceptibles d'engager la responsabilité de leur auteur devant la juridiction compétente, de tels comportements ne relèvent de la compétence du Conseil de la concurrence que s'ils se rattachent à une action concertée de caractère anticoncurrentiel ou à l'exploitation abusive d'une position dominante ou encore d'un état de dépendance économique;
Considérant que si M. Mignard fait état de pratiques des sociétés du groupe Schiever tendant, d'une part, à favoriser les magasins Rapidmarché et Maximarché dans l'agglomération de Châtillon et Sainte-Colombe-sur-Seine au détriment de l'hypermarché Le Marmont, d'autre part, à exercer diverses pressions financières sur les entreprises qu'il dirige, il se borne à en décrire les répercussions défavorables sur ses propres affaires sans démontrer en quoi de telles pratiques auraient pour effet de restreindre la concurrence sur le ou les marchés en cause, au demeurant non définis; qu'en invoquant les moyens selon lesquels le locataire-gérant du Marmont n'aurait pas exploité le magasin au mieux des intérêts de celui-ci et n'aurait pas respecté ses engagements prévus par le contrat de location-gérance et par le règlement intérieur du GIE Le Marmont, la partie saisissante se réfère à un litige purement contractuel et n'apporte pas d'éléments de nature à établir l'existence d'une pratique anticoncurrentielle au sens des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que les litiges en matière de loyers, de versement d'indemnité pour malfaçon et d'encaissement de traites sans contreparties ou que l'acquisition par les sociétés Schiever et SBSM des fonds de commerce des supermarchés de Sainte-Colombe-sur-Seine et Vendeuvre-sur-Barse, changements d'exploitants qui ne modifient pas l'offre commerciale, ont pu affecter le fonctionnement des marchés;
Considérant que le Conseil de la concurrence n'est, dès lors, pas compétent pour statuer sur des litiges ne portant que sur les relations contractuelles entre un bailleur et son locataire ou entre un distributeur et son fournisseur, litiges soumis par ailleurs aux juridictions compétentes; qu'il y a lieu, par suite, de faire application des dispositions de l'article 19 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,
Décide :
Article unique - La saisine enregistrée sous le numéro F 641 est déclarée irrecevable.