CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 23 mai 1995, n° ECOC9510124S
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Robert Bosch France (SA), Black & Decker France (SARL), Castorama (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Beauquis
Avocat général :
M. Jobard
Conseillers :
M. Albertini, Mme Penichon
Avoués :
SCP Varin-Petit, SCP Valdelièvre & Garnier
Avocats :
SELAFA Le Pen-Navarre-Stebel, Mes Brizard-Dulac, Colombier, Salzmann.
LA COUR est saisie des recours formés par les sociétés Robert Bosch France SA, Black & Decker France SARL et Castorama SA contre la décision n° 94-D-55 du 18 octobre 1994 du Conseil de la concurrence, relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'outillage électroportatif.
Il est fait référence pour l'exposé des éléments de la cause à cette décision, et rappelé seulement que :
Le 9 septembre 1988, à la suite d'une enquête de la direction nationale des enquêtes de concurrence, menée sur plainte de la société de distribution Bricomarché, le ministre de l'Économie, des Finances et du Budget a saisi le Conseil de la concurrence de faits susceptibles de limiter le libre jeu de la concurrence dans le secteur susdit.
Cette saisine, dirigée contre les fabricants de matériel électroportatif Black & Decker France, Robert Bosch France SA, Peugeot Outillage Electrique, Fravillex-Metabo, ainsi que la centrale de commercialisation Castorama, dénonçait d'une part, l'existence de conventions conclues entre fabricants et revendeurs, pouvant avoir pour effet d'organiser une véritable police des prix, d'autre part des interventions a posteriori entre ces mêmes partenaires visant à une "remise à niveau" des prix, et enfin plusieurs cas de refus de vente.
Le Conseil de la concurrence, retenant que les pratiques mises en œuvre avaient eu pour objet et pour effet d'entraver la détermination des prix de revente au public par le libre jeu de la concurrence, a infligé les sanctions pécuniaires suivantes
- 6 000 000 francs à FBC Bosch
- 200 000 francs à Peugeot Outillage Electrique
- 3 000 000 francs à Black & Decker
- 1 300 000 francs à Metabo
- 2 000 000 francs à Castorama
- 500 000 francs à Leroy-Merlin
- 50 000 francs à OBI.
Au soutien de son recours en réformation, la société Robert Bosch France SA, qui vient aux droits de la société Robert Bosch FBC, conteste toute immixtion dans la politique des prix de ses distributeurs.
Elle fait grief au conseil d'avoir trouvé, dans deux cas ponctuels, la preuve de l'existence de pratiques illicites généralisées ; elle souligne en effet que l'intervention effectuée auprès d'une centrale d'achat était motivée par des difficultés d'approvisionnement liées à la campagne promotionnelle de fin d'année 1986 et par un litige de recouvrement, tandis que celle relevée auprès de la société Soldecor n'aurait eu d'autre but que de répondre à une demande d'explication de la société Castorama qui s'était plainte auprès d'elle, de ce que sa concurrente susnommée pratiquait des prix inférieurs.
Elle prie en conséquence la cour de la dispenser de toute sanction ou, en tout état de cause, de réduire à un montant de principe celle qui lui a été infligée.
Ayant déclaré former recours en annulation et en réformation, la société Black & Decker France conclut à la réformation dans le dernier état de ses écritures.
Se fondant sur les énonciations du jugement de relaxe, rendu le 16 juin 1989 par le Tribunal correctionnel de Lyon, elle affirme que la rémunération consentie sous forme de rabais et ristournes aux distributeurs était la contrepartie des services spécifiques, et que ses contrats ne contenaient aucune clause prohibée au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Elle fait grief au conseil d'avoir admis, sans les caractériser, l'atteinte portée à la concurrence et le dommage causé à l'économie; tout au contraire, elle considère que les mentions relatives au respect de la législation sur les prix ou à l'interdiction des ventes à perte, selon elle ajoutées par les distributeurs, ont été sans incidence sur la concurrence et l'économie.
Elle relève en outre que visant à enrayer la perte de parts de marché grâce aux prestations particulières mises à la charge de ses distributeurs, ses conditions de tarification n'ont jamais eu pour objet de protéger les remises arrières de ces derniers.
A titre subsidiaire, elle fait valoir que doit seul être pris en compte pour la détermination d'une éventuelle sanction, le chiffre d'affaires de la branche outillage électroportatif.
Elle prie en conséquence la cour de la décharger de toute sanction ou à tout le moins de ne lui infliger qu'une amende de principe.
Concluant principalement à l'annulation de la décision, la société Castorama soutient tout d'abord qu'en retenant des faits survenus en 1987, alors qu'aucun acte tendant à leur constatation n'était intervenu durant une période supérieure à trois ans, le Conseil de la concurrence s'est fondé sur des faits prescrits, au mépris des dispositions de l'article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; tirant ensuite argument de la durée anormalement longue de la procédure, elle estime que le principe du contradictoire consacré par l'article 18 de cette ordonnance et par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme a été privé de toute substance ; elle relève enfin que l'usage du procédé des griefs et rapports complémentaires, abusif selon elle car destiné à combler les lacunes de l'instruction, a tenu en échec les droits de la défense.
Poursuivant, à titre subsidiaire, l'infirmation de la décision, elle fait valoir que loin de révéler l'existence d'une concertation frauduleuse la clause de taux de marge inscrite dans la "charte" de partenariat, conclue en 1987 avec la société Metabo, avait tout au contraire pour effet d'assurer un progrès économique, de nature à justifier l'application des dispositions de l'article 10.2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que n'excédant pas les limites de la simple demande de renseignements ses interventions auprès de Metabo et de Robert Bosch France SA ne constituaient pas une immixtion dans la politique de prix de son concurrent.
A titre tout à fait subsidiaire, elle relève enfin qu'en lui infligeant une sanction de 2 000 000 francs, alors que la gravité des faits et le dommage à l'économie n'étaient pas caractérisés, le Conseil de la concurrence a méconnu les dispositions de l'article 13 de l'ordonnance.
Le ministre de l'Économie considère, dans ses observations, que les pratiques objet de la saisine ne sont pas prescrites, que les droits de la défense ont été respectés, que les pratiques relevées sont prohibées par l'article 7 de l'ordonnance ; il conclut en conséquence au rejet des recours. Aux termes des observations écrites qu'il a déposées par application de l'article 9 du décret du 19 octobre 1987, le Conseil de la concurrence fait remarquer que, rendue au regard de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la décision de relaxe dont a bénéficié la société Black & Decker ne fait pas obstacle à une qualification des mêmes clauses au regard de l'article 7 de cette ordonnance; que les pratiques en cause remontant à moins de trois ans à la date de sa saisine, l'exception de prescription doit être écartée; que la preuve de l'autonomie tarifaire des points de vente Castorama n'est pas établie non plus que celle de l'existence d'un progrès économique lié aux pratiques.
En ses observations orales le représentant du ministère public conclut au rejet des moyens de procédure ainsi qu'à la confirmation de la décision attaquée.
Sur quoi, LA COUR,
I) SUR LA PROCEDURE
En ce qui concerne la prescription
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 27 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, "le conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction" ;
Considérant que la société Castorama soutient que ces dispositions ont été méconnues en ce qui la concerne, dès lors qu'elle a été mise en cause au titre de l'acceptation de la clause établie par Metabo, plus de trois ans après la saisine du Conseil de la concurrence intervenue le 9 septembre 1988 ;
Considérant que le Conseil de la concurrence a été saisi par lettre du ministre de l'Economie du 8 septembre 1988 ; que tendant à la recherche, à la constatation et à la sanction de faits remontant à moins de trois ans puisqu'accomplis au cours des années 1986 et 1987, la saisine du Conseil de la concurrence est régulière au regard des dispositions ci-dessus rappelées ;
Considérant qu'interruptive de la prescription cette saisine a été suivie d'actes qui, ayant la même finalité, ont nécessairement produit le même effet; que tel est notamment le cas des procès-verbaux d'audition dressés en 1989 et de la notification des griefs effectuées en 1991 ;
Considérant que le moyen tiré de la prescription doit donc être rejeté ;
En ce qui concerne les droits de la défense
Considérant que la société Castorama soutient en premier lieu que la durée anormalement longue de la procédure a privé de toute sa substance le principe du contradictoire ;
Considérant que la notification des griefs a été effectuée le 6 mars 1991 ; qu'une première notification complémentaire de griefs est intervenue le 13 août 1992 ; que le rapporteur a déposé son rapport le 24 juin 1993, tandis qu'il était procédé le 6 décembre suivant à une seconde notification complémentaire ;
Considérant que la société Castorama, qui comme les autres parties en cause a disposé à chaque étape de la procédure, sitôt après la première notification des griefs, des délais prévus à l'article 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, pour consulter le dossier et présenter ses observations, n'établit pas en quoi le principe du contradictoire aurait été méconnu, pas plus qu'elle ne démontre avoir été empêchée par suite d'une éventuelle déperdition des preuves due à l'ancienneté des faits, par exemple, ou pour tout autre motif, de la possibilité de présenter efficacement sa défense ; que la preuve de la violation alléguée ne pouvant résulter ipso facto de la durée de la procédure, la société Castorama ne peut utilement invoquer ni la méconnaissance des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, ni plus généralement la violation du principe de la contradiction ;
Considérant que la société Castorama reproche en second lieu au conseil d'avoir fait un usage abusif du procédé des griefs et rapports complémentaires ;
Mais considérant que comme l'a pertinemment relevé le conseil, aucune disposition de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ni de son décret d'application du 23 décembre 1986, seuls textes applicables à la procédure suivie devant lui, n'interdit au président d'adresser une notification de griefs complémentaires, même après envoi du rapport ; que comme il a été dit les parties ayant, conformément aux dispositions de l'article 21 de cette ordonnance, bénéficié d'un délai de deux mois pour consulter le dossier et développer leurs observations, puis d'un délai identique pour présenter un mémoire en réponse au rapport complémentaire, le moyen invoqué par la société Castorama est sans fondement;
II) SUR LE FOND
Considérant qu'il n'est pas contesté que les fabricants Robert Bosch France SA, Black & Decker inséraient, dans les contrats de coopération commerciale conclus avec leurs distributeurs, des stipulations subordonnant l'attribution de remises différées au respect de clauses dites qualitatives, et d'autre part que les sociétés Robert Bosch France SA et Metabo intervenaient auprès de certains distributeurs pour faire respecter un prix minimum de revente ; que la société Castorama était liée au fabricant Metabo par un accord comportant une clause prévoyant le respect d'un taux de marge minimum ; qu'il lui est enfin reproché des interventions auprès des sociétés Metabo et Robert Bosch France SA;
Sur les pratiques reprochées à la société Robert Bosch France SA
Considérant que la société Robert Bosch France SA proposait à ses distributeurs un contrat de coopération commerciale comportant un article 3 aux termes duquel :
"La société FBC/Bosch se réserve le droit de signaler à la société... les manquements aux clauses qualitatives constatés éventuellement dans l'un ou plusieurs de ses magasins, pour remettre en cause l'attribution de la remise de coopération commerciale."
Considérant que ce contrat comportait en annexes des critères qualitatifs conditionnant l'obtention de ristournes ;
Considérant que comme le soutient à juste titre la société Robert Bosch France SA et comme le relève pertinemment le Conseil de la concurrence, de telles dispositions ne sont pas en elles-mêmes anticoncurrentielles ;
Mais considérant que ce contrat a permis à la société Robert Bosch France SA, au-delà du simple contrôle de réalisation des engagements qualitatifs, d'intervenir dans la politique de prix de ses distributeurs ;
Considérant que l'instruction a fait apparaître qu'à l'occasion de l'opération promotionnelle organisée du 4 au 24 décembre 1986 les adhérents de la centrale Bricomarché ont rencontré des difficultés d'approvisionnement en ce qui concerne les produits Bosch et notamment la perceuse 500 RLE;
Considérant qu'est inopérante l'argumentation de la société Robert Bosch France SA, selon laquelle ces difficultés trouveraient leur origine dans les litiges de recouvrement de factures, l'enquête ayant démontré que ceux-ci étaient antérieurs de six mois à la campagne en cause ;
Considérant que pas davantage la société Robert Bosch France SA ne saurait valablement arguer d'une rupture de stocks due à un accroissement des commandes en période de fin d'année, rupture non objectivement démontrée et en tout état de cause contredite par la note manuscrite du directeur du marketing indiquant "cette commande représente un CA de 1,3 MF SVP un soin tout particulier pour son exécution" et une autre annotation mentionnant "MAG 7070, quantités réservées" ;
Considérant qu'enfin et surtout les documents saisis ont permis d'établir la volonté sans cesse réaffirmée de la société Robert Bosch France SA de se livrer à des mesures de rétorsion à l'égard de Bricomarché dès lors que ses adhérents n'appliquaient pas la politique de prix par elle préconisée ;
Considérant notamment que, lors de son audition du 16 janvier 1989, le responsable de la société Robert Bosch France SA a reconnu être intervenu en 1987 auprès de la société Soldecor, pour s'assurer que le prix pratiqué par celle-ci et contesté par le distributeur concurrent Castorama ne "procédait pas d'une erreur" ; que les explications, selon lesquelles Soldecor avait relevé le prix de son plein gré, sont contredites par celles du responsable de ce distributeur ; qu'il est donc établi que, allant au-delà d'une simple demande d'explication, Robert Bosch France SA a sollicité et obtenu du distributeur Soldecor un relèvement du prix de vente au public au niveau par elle fixé;
Considérant que c'est donc par des motifs pertinents que la cour fait siens que le Conseil de la concurrence a retenu qu'en sortant des limites du simple contrôle du respect des clauses qualitatives elles-mêmes régulières, la société Robert Bosch France SA s'était opposée à ce que les ristournes différées soient intégrées totalement ou partiellement dans les prix de vente au public des appareils de sa marque, intervenant ainsi dans la politique tarifaire de ses distributeurs;
Sur les pratiques reprochées à la société Black & Decker
Considérant en premier lieu que le Conseil de la concurrence a fait grief à la société Black & Decker d'avoir inséré dans ses contrats de coopération des clauses lui permettant d'apprécier a posteriori le seuil de revente a perte et, ainsi, de dissuader les distributeurs d'intégrer dans leurs prix de revente les remises différées qui leur étaient accordées ;
Considérant qu'il est constant que les contrats de coopération "court terme" et "fin d'exercice" de la société Black & Decker comportaient une clause prévoyant l'attribution différée de remises différenciées selon des critères qualitatifs tels que la " présence de la marque dans l'ensemble des points de vente ", la " bonne collaboration commerciale ", ou le "respect de la marque"
Considérant que la société Black & Decker soutient qu'elle n'encoure aucune sanction dès lors que, par jugement du 16 novembre 1989, le Tribunal correctionnel de Lyon a reconnu la licéité de ses conditions de facturation incriminées ;
Mais considérant que les poursuite exercées contre la société Black & Decker devant ce tribunal l'ont été, sur le fondement de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en raison de l'absence de mention sur les factures des ristournes consenties en vertu des accords de coopération commerciale;
Considérant que cette décision, qui ne s'est pas prononcée sur l'incidence des ristournes sur la libre détermination des prix par les revendeurs, ne saurait faire obstacle à la présente poursuite engagée sur le fondement de l'article 7 de ladite ordonnance;
Considérant que la société Black & Decker soutient que ses documents contractuels pré-imprimés ne comportent pas de clause relative au respect de la législation sur les prix ou à l'interdiction de vente à perte et que les adjonctions relevées par le Conseil de la concurrence sont dues "vraisemblablement (à) l'initiative des distributeurs" ;
Or considérant qu'ont été appréhendés des documents revêtus de mentions surajoutées, venant éclairer le sens de certaines stipulations; qu'ainsi sous la rubrique "bonne collaboration commerciale" était prévue une remise supplémentaire de 0,75 % subordonnée notamment à "l'interdiction de la vente à perte" (ligne manuscrite figurant au contrat conclu avec Paridoc pour les cycles d'activité octobre à décembre 1986 et les deux premiers quadrimestres 1987) ; que de même le contrat conclu avec la société Samod prévoyait une remise différée de 0,75 %, liée au "respect de la marque. (pas de vente à perte sauf en cas d'alignement sur la concurrence)" ;
Considérant qu'il n'est pas établi, contrairement aux allégations de la société Black & Decker, que les mentions venant expliciter le sens desdites clauses aient été surajoutées par les cocontractants et n'aient pas reçu son approbation dès lors que les documents ci-dessus évoqués (Paridoc et Samod) sont revêtus de la signature du responsable de la société Black & Decker;
Considérant en second lieu, que le conseil a relevé que parmi les conditions ouvrant droit à la remise différée de 9 % attribuée par Black & Decker sur le chiffre d'affaires spécifique aux produits en cause figurait explicitement "l'application des prix de revente conseil"
Considérant que selon la société Black & Decker, les conventions conclues par elle ne comportaient pas une telle clause, "mais simplement la mention de prix conseillés dont la légalité n'est pas discutable" que toujours selon elle, cette clause n'aurait pas figuré dans la convention conclue avec la société Castorama, mais sur un simple document préparatoire à caractère interne;
Mais considérant que les documents Castorama du 4 septembre 1986, récapitulant toutes les modalités de mise en œuvre des accords "court terme", et les conditions d'accès au "programme conseil", subordonnent la remise périodique "gamme conseil" au respect des prix conseillés ; qu'il résulte en conséquence de ces constatations qu'aux termes des accords de coopération, le maintien des avantages financiers, pouvant atteindre globalement le montant non négligeable de 5 %, dépendait du respect par le partenaire des prix de revente préconisés par la société Black & Decker ;
Considérant qu'à supposer que les conditions de tarification aient été destinées à enrayer la perte des parts de marché de la société Black & Decker, en incitant les distributeurs à une démarche qualitative, il n'en demeure pas moins que le contrôle qualitatif par elle instauré lui permettait d'intervenir, le cas échéant, dans la politique commerciale de ses revendeurs afin de les inciter à respecter les prix conseillés, au mépris des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Sur les pratiques reprochées à la société Castorama
Considérant que pour l'année 1987, la société Castorama était liée au fabricant Metabo par un accord de partenariat subordonnant au " respect d'un coefficient minimum de 1,50 sur prix facturés ", l'octroi de remises différées quantitatives et inconditionnelles accordées par ce fabricant ;
Considérant que la société Castorama soutient que, non assorties de sanction, ces dispositions n'étaient pas de nature à entraver la liberté commerciale du distributeur; que n'étant pas en mesure, eu égard à son faible poids économique, d'exercer des pressions sur ses distributeurs, Metabo ne refusait jamais le paiement de remises différées en cas de non-respect du taux préconisé ;
Mais considérant qu'en donnant son adhésion, sans qu'il soit démontré que cela était de nature à apporter un quelconque progrès économique, à une clause aboutissant à l'imposition d'un prix minimum et par conséquent, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher ou de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, la société Castorama a contrevenu à la prohibition édictée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant que la société Castorama soutient en outre qu'organisée en points de vente décentralisés, dotés de directeurs jouissant d'une complète autonomie commerciale et tarifaire, il lui était impossible de mettre en place une politique de prix imposés à son initiative ;
Mais considérant qu'il ne peut être valablement soutenu que les magasins étaient libres de s'écarter du seuil de marge préconisé par le fabricant; qu'il résulte en effet tant du télex du 19 juin 1987 par lequel le magasin de Clermont-Ferrand s'enquérait auprès du siège de Castorama " qu'en est-il de notre stratégie prix vis-à-vis des produits Bosch ? ", que des interventions de la centrale auprès des sociétés Robert Bosch France SA et Metabo faisant suite aux sollicitations d'autres magasins, que les directeurs de points de vente se soumettaient à la stratégie de prix adoptée par la centrale;
Considérant en effet qu'outre son intervention précédemment relatée auprès de la société Robert Bosch France SA, la société Castorama a reconnu avoir interrogé la société Metabo sur les prix pratiqués par la société Leroy-Merlin, afin de vérifier les informations que lui transmettaient ses propres établissements ;
Considérant que de telles interventions, que ne peut à lui seul expliquer le souci de vérifier le niveau de prix pratiqué par le concurrent, avaient précisément pour but de conduire le fabricant à exercer une pression sur le distributeur concurrent de Castorama afin que celui-ci relève ses prix ; que tel était bien le cas de l'intervention effectuée auprès de Metabo qui, ainsi, a été amenée à faire pression sur son distributeur Leroy-Merlin;
Considérant enfin que, du propre aveu de Robert Bosch France SA, l'intervention de Castorama auprès d'elle a été suivie d'une majoration du prix annoncé par le concurrent ;
Considérant en conséquence, que la société Castorama ne peut valablement contester que tant son adhésion à la clause du contrat de partenariat Metabo prévoyant un taux de marge minimum, que ses interventions auprès des fabricants, n'ont pas été de nature à faire obstacle à la fixation du prix par le libre jeu du marché et qu'elle a donc contrevenu aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Considérant en conclusion que le Conseil de la concurrence a justement retenu que les pratiques mises en œuvre notamment par les sociétés Robert Bosch France SA et Black & Decker, qui tendaient à imposer aux distributeurs le respect des prix indiqués par les fournisseurs, avaient pour objet ou pour effet de restreindre la liberté commerciale des distributeurs et en particulier celle de Castorama ;
III) SUR LES SANCTIONS
Considérant qu'il ne peut être valablement soutenu que les pratiques en cause qui étaient le fait des principaux fabricants dont les marques représentaient plus de 80 % du marché de l'outillage électroportatif n'ont pas eu un effet certain sur le marché, étant en outre observé que ces produits sont distribués par les principales enseignes spécialisées assurant 15 % des ventes ;
Considérant que le Conseil de la concurrence a exactement apprécié l'importance du dommage causé à l'économie en se fondant sur la généralisation des pratiques, qui émanent des principales marques d'outillage électroportatif et enseignes spécialisées en bricolage, et caractérisé la gravité des faits en tenant compte de la puissance de négociation commerciale des sociétés requérantes et de leur notoriété ;
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 "Le montant de la sanction est pour une entreprise de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos" ;
Considérant qu'en retenant, sans opérer de distinction entre les secteurs d'activité, le montant du chiffre d'affaires globalement réalisé en 1993, et en prononçant des sanctions dans la limite du seuil de 5 % dudit montant, le Conseil de la concurrence a fait une exacte application de ces dispositions ;
Considérant que sa décision mérite dès lors confirmation ;
Par ces motifs : Rejette les recours formés par les sociétés Robert Bosch France SA, Black & Decker et Castorama ; Confirme la décision déférée, Met les dépens à la charge des sociétés requérantes.