CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 26 mars 1990, n° ECOC9010043X
PARIS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Concurrence (SA)
Défendeur :
Sony France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gourlet
Conseillers :
MM. Canivet, Bargue
Avocats :
Me Bremond, SCP de Mello-Pepy-Percerou.
LA COUR est saisie, sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, d'un recours formé par la société Concurrence SA contre une décision n° 90-MC-01, prononcée le 13 février 1990 par le Conseil de la concurrence qui a rejeté la demande de mesures conservatoires, présentée le 3 janvier 1990 au nom de ladite société.
Référence étant faite à cette décision pour l'énoncé des faits et des demandes, il convient de rappeler les éléments essentiels suivants :
Le Conseil de la concurrence est actuellement saisi par la société Concurrence :
- d'une plainte du 23 octobre 1989 visant des pratiques anticoncurrentielles reprochées à la société Sony France
- d'une autre plainte du 3 janvier 1990 visant des pratiques de même nature imputées à la même société.
Accessoirement à la première saisine, le Conseil de la concurrence a reçu une demande tendant au prononcé de vingt mesures conservatoires tirées de deux actes de notification de griefs, intervenus le 11 octobre 1989, dans deux autres procédures consécutives à huit plaintes successivement déposées entre les années 1987 et 1989 par les sociétés Chapelle, Semavem et Concurrence, également dirigée contre la société Sony France, demande qui a été rejetée dans son intégralité par une décision du 11 décembre 1989 contre laquelle aucun recours n'a été formé.
La présente requête, accessoire à la seconde saisine, vise à la " suppression de tous les griefs qui se trouvent dans les deux notifications du 17 octobre 1987, établies à l'encontre de la société Sony France" et qui, dans leur ensemble, portent sur les conditions générales de vente appliquées par cette société à la requérante, en ce qu'elles lui imposent la vente des articles de marque Sony à des prix approchant ceux du " marché de détail ".
A cette fin, la société Concurrence réitère les moyens déjà invoqués devant le Conseil de la concurrence, selon lesquels les pratiques qu'elle dénonce et qui, selon les constatations mêmes des rapporteurs désignés dans les affaires en cours d'instruction, entrent dans le champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et portent une atteinte grave et immédiate à son entreprise par les très importantes pertes d'exploitation qu'elles lui causent.
La société Sony France qui conteste le caractère anticoncurrentiel des pratiques alléguées, prétend, au surplus, que les conditions d'application de l'article 12 de l'ordonnance précitée ne sont pas réunies et qu'en outre les griefs sur lesquels est fondée la demande, qui n'ont pas été contradictoirement débattus devant le conseil et sont produits dans la présente instance en contravention à l'article 378 du code pénal, ne sauraient en tout cas être invoqués à titre de preuve ou constituer un élément nouveau postérieur à la décision de rejet du 11 décembre 1989.
A l'audience, intervenant par son avocat, la société Concurrence a demandé qu'il lui soit donné acte de ce que, si la cour estimait que la production ou la citation des griefs dont elle se prévaut étaient prohibés, elle supprimerait de ses conclusions tous les passages s'y rapportant.
Dans ses observations, le ministre de l'économie, des finances et du budget estime que la demande doit être rejetée.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que la société Concurrence ne produit pas, dans le cadre de la présente instance, les griefs notifiés le 17 octobre à la société Sony France ;
Qu'en outre cette dernière société ne demande pas expressément le retrait des références faites par la requérante aux dits griefs mais qu'elle conteste que ceux-ci puissent constituer un fait nouveau de nature à remettre en cause une précédente décision de rejet de mesures conservatoires portant sur des points strictement identiques que dès lors il n'y a lieu de statuer sur un hypothétique retrait des griefs des débats ou sur la suppression, dans les conclusions, des passages qui leur sont empruntés ;
Considérant qu'aux termes de l'article 12, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les mesures conservatoires sollicitées ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt du consommateur ou à l'entreprise plaignante ;
Considérant que ce texte subordonne les mesures protectrices qu'il organise à la constatation de faits manifestement illicites constitutifs de pratiques prohibées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance précitée et auxquels il faudrait mettre fin sans délai pour prévenir ou faire cesser un préjudice grave et certain ;
Considérant, en outre, que les mesures demandées, qui entraînent une entrave à la liberté du commerce et de l'industrie, doivent être strictement limitées, tant dans leur objet que dans leur durée, à ce qui est nécessaire pour corriger une atteinte manifeste et intolérable à l'exercice de la libre concurrence ;
Considérant que, s'il n'est pas exclu que les faits dénoncés entrent dans le champ d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il n'apparaît pas que les pratiques qu'il est demandé à la cour de faire cesser par les mesures conservatoires sollicitées, déduites de griefs qui sont sérieusement discutés par la société Sony France, sont manifestement illicites ;
Considérant, au surplus, que, par les motifs adoptés par le Conseil de la concurrence et que la cour reprend, il n'est pas davantage établi que les pertes d'exploitation invoquées par la requérante soient la conséquence exclusive de l'application des conditions générales de vente de la société Sony France arguées d'illicéité et qu'elles portent une atteinte grave et immédiate à l'entreprise plaignante;
Considérant encore que, par une exacte appréciation des éléments de la cause, le Conseil de la concurrence a estimé que la société Concurrence n'apportait pas au soutien de la réitération, moins d'un mois après, de sa précédente demande de mesures conservatoires d'éléments qui n'aient déjà été examinés par la décision du 11 décembre 1989 ;
Considérant enfin que la société Concurrence fait porter sa demande à quinze mesures conservatoires indistinctement reprises des griefs notifiés à la société Sony France, sans justifier en quoi chacune d'elles, individuellement, serait indispensable pour faire cesser un préjudice grave, certain et actuel ;
Considérant que de ce qui précède, il résulte que les conditions de mise en œuvre des dispositions de l'article 12, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont pas réunies et que dès lors il n'y a lieu au prononcé de mesures conservatoires,
Par ces motifs, Rejetons le recours, Condamnons la requérante aux dépens.