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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 19 novembre 1992, n° ECOC9210202X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ODA (SA)

Défendeur :

Audace et Stratégies (Sté), Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Conseillers :

M. Guerin, Mmes Mandel, Kamara, Beauquis

Avoué :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocat :

Me Saint-Esteben

CA Paris n° ECOC9210202X

19 novembre 1992

LA COUR statue sur le recours formé par la société Office d'Annonces (ci-après ODA) contre une décision du Conseil de la concurrence (le Conseil) n° 92-D-25 du 31 mars 1992 qui, par application des articles 13 et 14 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, lui a infligé une sanction pécuniaire de 5.000.000 F.

Référence faite à cette décision pour l'exposé des faits et de la procédure initiale, seront rappelés les éléments suivants nécessaires à l'examen du recours :

Le 31 janvier 1991, Dominique André, responsable de l'agence de publicité " Audace et Stratégies Genard Jacky " et Serge Buvat, agissant en tant que Vice-président national de la Confédération de Défense des Artisans (CDA), ont saisi le Conseil d'une demande de mesures conservatoires à l'encontre de l'ODA à laquelle ils reprochent d'abuser de la position dominante qu'elle détient en qualité de régisseur exclusif de la publicité dans les annuaires de France Telecom en empêchant l'activité de démarchage de ladite agence sur le marché considéré.

Par décision n° 91-MC-01 du 5 mars 1991, le Conseil a constaté :

- d'une part que selon les témoignages versés au dossier, l'agence Audace et Stratégies a fait l'objet d'une campagne de dénigrement de la part des représentants de l'ODA,

- d'autre part qu'il n'est pas établi que le régisseur exclusif ait donné à l'agence Audace et Stratégies la possibilité de disposer en temps utile de la totalité des documents techniques et commerciaux, prévus dans le contrat de collaboration avec les agences de publicité et considérés comme indispensables à l'établissement des commandes.

En conséquence, le Conseil a enjoint à l'ODA,

- (Article 1er) : dans un délai de huit jours, d'adresser une lettre recommandée avec avis de réception indiquant aux annonceurs figurant sur la liste fournie par Dominique André que l'agence Audace et Stratégies a la faculté, comme toute autre agence de publicité, de commercialiser les espaces publicitaires dans les annuaires France Telecom,

- (Article 2°) : jusqu'à l'intervention de la décision au fond, de fournir en temps utile à l'agence Audace et Stratégies, dans des conditions identiques à celles des autres agences de publicité et conformément au contrat intitulé "conditions de collaboration avec les agences de publicité", tous les documents techniques et commerciaux nécessaires à la vente des espaces publicitaires dans les annuaires de France Telecom.

Sur le recours introduit par l'ODA, la Cour a, par arrêt du 19 avril 1991, partiellement réformé la décision, notamment en ce qui concerne l'article 2° de son dispositif.

Le 12 août 1992, le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et du budget a saisi le Conseil du dossier relatif à l'exécution des mesures conservatoires prises à l'encontre de l'ODA.

Aux termes de la décision soumise à recours le Conseil a estimé :

- qu'en adressant aux destinataires nommément visés une lettre datée du 28 mars 1991 l'ODA a exécuté la première partie de l'injonction,

- qu'en revanche, elle n'a pas respecté, pour ce qui concerne le département des Alpes-de-Haute-Provence, l'injonction qui lui était faite d'assurer l'exécution des ordres d'insertion de cette agence de publicité dans les termes adoptés par la cour d'appel,

Il lui a en conséquence infligé une sanction pécuniaire de 5.000.000 F.

A titre principal, la société requérante prétend qu'en dépit de difficultés passagères consécutives à la réorganisation de ses services commerciaux, elle a assuré l'exécution des commandes passées par l'agence Audace et Stratégies notamment pour l'annuaire des Alpes-de-Haute-Provence et qu'en conséquence l'injonction a été exécutée dans les termes fixés par l'arrêt de la cour d'appel du 19 avril 1991.

Subsidiairement, l'ODA fait valoir que la sanction pécuniaire qui lui est infligée est sans rapport avec l'infraction retenue et demande, par réformation de la décision attaquée, que ladite sanction soit supprimée ou réduite en son montant.

Dans les mémoires qu'elle a successivement déposés, l'agence Audace et Stratégies demande que soit constatée l'inexécution des injonctions édictées à l'ODA en ce qu'elle a persisté dans ses dénigrements, a refusé de lui communiquer les documents nécessaires à la passation des commandes et omis de désigner un correspondant pour les enregistrer, l'empêchant ainsi de disposer en temps voulu des éléments indispensables à son activité.

Elle estime, de ce fait, justifié le montant de la sanction pécuniaire infligée à l'ODA.

L'agence Audace et Stratégies prie en outre la Cour d'enjoindre à la société requérante :

- de cesser sans délai la campagne de dénigrement contre elle,

- de cesser de prétendre à l'exclusivité de la commercialisation de la publicité dans les annuaires de France Telecom,

-de lui fournir en temps utile les ordres d'insertion Al et AE (Annuaire imprimé-électronique) ainsi que les instructions et documents indispensables à la vente,

- d'assurer directement, dès réception des commandes, l'exécution de ses ordres d'insertion conformes aux clauses contractuelles en vigueur, sans passer par l'intermédiaire d'un correspondant,

- de la commissionner au taux provisoire de 10 % sur le chiffre d'affaires réalisé.

Dans ses observations écrites, le ministre de l'économie et des finances estime qu'en s'abstenant de communiquer ou en adressant tardivement à l'agence Audace et Stratégies les documents et informations nécessaires à l'exacte réalisation des commandes et en tardant à désigner nommément l'intermédiaire obligé pour l'enregistrement des ordres d'insertion, l'ODA a privé ladite agence de la possibilité de bénéficier des conditions techniques et commerciales prévues par le contrat de collaboration et indispensables à l'exercice normal de son activité.

Il en déduit que, ce faisant, l'ODA n'a pas exécuté l'injonction du Conseil réformée par la Cour.

Le Conseil n'a pas entendu user de la possibilité de présenter des observations écrites, prévue par l'article 9 du décret du 19 octobre 1987.

Admises à répliquer aux observations du ministre de l'économie et des finances dans les délais prévus par une ordonnance de procédure prise le 4 juin 1992, les parties ont précisé l'argumentation développée au soutien des moyens sus-énoncés.

L'audience ayant été fixée le 8 octobre, l'ODA a produit la veille une pièce qu'elle prétend essentielle à sa défense.

Sur quoi, LA COUR :

Considérant que la Cour est saisie d'un recours formé contre une décision constatant l'inexécution par l'ODA d'injonctions prises à titre de mesures conservatoires qui lui ont été édictées par un arrêt du 19 avril 1991 réformant partiellement une décision du Conseil du 5 mars précédent ; que sont irrecevables dans le cadre spécifique de cette instance les demandes présentées par l'agence Audace et Stratégies visant au prononcé de nouvelles injonctions ;

Considérant qu'aux termes de l'article 3 du décret du 19 octobre 1987, la déclaration de recours mentionne la liste des pièces et documents justificatifs produits, lesquels sont remis au greffe en même temps que la déclaration ;

Qu'il s'ensuit que doit être écartée des débats la lettre détenue par ses propres services et produite par l'ODA la veille de l'audience, sans que l'agence Audace et Stratégies ait eu la possibilité de faire valoir ses observations sur un tel document ;

Considérant qu'aux termes de l'article 14 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil peut prononcer une sanction pécuniaire si les mesures conservatoires et injonctions prévues aux articles 12 et 13 ne sont pas respectées ;

Que par application de ce texte, les pouvoirs du Conseil consistent à vérifier avant d'envisager le prononcé d'une sanction pécuniaire si, dans les termes précis où il les a édictées ou, comme en l'espèce, telles qu'elles ont été réformées par la Cour, les mesures et injonctions ont été exécutées, sans toutefois faire porter son examen sur d'autres griefs ;

Considérant que l'arrêt du 19 avril 1991 fait expressément injonction à l'ODA :

- dans un délai de 8 jours, d'adresser une lettre recommandée avec demande d'avis de réception indiquant à treize entreprises nommément désignées que l'agence Audace et Stratégies a la faculté, comme toute autre agence de publicité, de commercialiser les espaces publicitaires dans les annuaires de France Telecom,

- d'assurer l'exécution des ordres d'insertion émanant de l'agence Audace et Stratégies conformes aux règles en vigueur et assortis des conditions de règlement prévues à l'article 4 du contrat de collaboration, sauf à l'ODA de prouver qu'elle a effectivement adressé à ladite agence les documents indispensables et que ceux-ci n'ont pas été exactement remplis.

Considérant que le mémoire produit par l'agence Audace et Stratégies le 25 mai 1992 dans les formes et délais prévus par les articles 2, 4 et 6 du décret du 19 octobre 1987 doit être regardé comme un recours incident dès lors qu'il vise à critiquer la décision du Conseil estimant exécutée la première partie de l'injonction ;

Mais considérant que, sans contester que l'ODA a bien diffusé la lettre prescrite, l'agence Audace et Stratégies affirme que le régisseur exclusif a néanmoins persisté dans ses dénigrements ; que toutefois, si un tel comportement, à le supposer démontré, pourrait par ailleurs être sanctionné, il n'est pas de nature à établir que la société requérante n'a pas exécuté l'injonction qui lui a été faite dans les termes du dispositif de l'arrêt de la Cour ;

Considérant, en ce qui concerne l'exécution de la seconde partie de l'injonction, que le Conseil a constaté que l'ODA exige que les ordres d'insertion soient, sur présentation des commandes recueillies par les agences de publicité, remplis par son propre correspondant dans des dates limites arrêtées pour chaque département ;

Que s'agissant de l'édition de 1992 de l'annuaire des Alpes-de-Haute-Provence, la fin de campagne ayant été fixée le 23 août 1991, l'ODA n'était toujours pas en mesure le 8 août précédent de faire connaître à l'agence Audace et Stratégies la personne désignée pour le traitement des commandes passées auprès d'elle par les annonceurs, lesquelles n'ont en définitive été enregistrées qu'au début du mois de septembre 1991 ;

Considérant qu'à ce grief, l'agence Audace et Stratégies ajoute que, comme le ministre le relève dans ses observations, l'ODA a également fait obstacle à son activité en ne lui communiquant pas ou en ne lui adressant qu'avec retard les documents techniques et commerciaux nécessaires à l'enregistrement correct des commandes d'encarts publicitaires dans les annuaires de France Telecom ;

Considérant qu'à partir de ses constatations le Conseil a estimé :

- d'une part que la désignation d'un correspondant commercial postérieurement à la date de forclusion de présentation des commandes n'est pas de nature à garantir un traitement des ordres d'insertion dans des conditions conformes aux règles en vigueur et à l'intérêt des consommateurs, en raison notamment de la difficulté, pour l'agence, d'assurer l'acheminement des bons à tirer dans des conditions acceptables et, pour l'ODA, de garantir l'exécution des commandes,

- d'autre part que, dès lors que l'ODA réserve à ses salariés l'usage des formulaires d'ordre d'insertion, seules pièces qui puissent en garantir l'enregistrement, son refus de désigner un correspondant commercial, durant la période du 29 avril au 5 septembre 1991, n'a pas permis d'assurer l'exécution des commandes passées auprès de l'agence Audace et Stratégies dans les conditions de technicité exigées et satisfaisantes pour la clientèle ;

Qu'il en a déduit que l'ODA n'a pas respecté l'injonction édictée par l'arrêt de la Cour ;

Mais considérant que l'arrêt précité de la Cour enjoint à l'ODA d'assurer l'exécution des ordres d'insertion émanant de l'agence Audace et Stratégies ;

Que bien qu'ils aient été enregistrés postérieurement à la date contractuellement fixée, il n'est ni soutenu ni démontré que les ordres d'insertion établis sur présentation des commandes apportées par l'agence Audace et Stratégies n'ont pas été totalement exécutés ou qu'ils l'ont été imparfaitement ;

Que, dès lors, il est sans objet de rechercher dans le cadre de la présente instance en vérification de l'exécution d'injonction si les ordres ont été établis conformément aux règles en vigueur, s'ils ont été exactement remplis et si l'ODA a adressé à ladite agence les documents indispensables à son activité, toutes ces conditions n'étant à examiner, selon les termes de l'injonction édictée par la Cour, que dans le cas, non invoqué en l'espèce, d'un défaut d'enregistrement par le régisseur exclusif des ordres consécutifs aux commandes confiées par les annonceurs à l'agence Audace et Stratégies ;

Considérant que s'il résulte des pièces versées aux débats que l'ODA a persisté dans une attitude visant à contrarier par divers procédés le libre exercice par ladite agence du démarchage pour l'insertion d'encarts publicitaires dans les annuaires de France Telecom, de telles pratiques, indépendantes de l'exécution proprement dite de l'injonction susvisée, ne pourraient qu'être examinées soit dans le cadre de nouvelles demandes de mesures conservatoires soit, au fond, avec l'ensemble des pratiques anticoncurrentielles reprochées à la société requérante;

Considérant en conséquence qu'en sanctionnant l'ODA, le Conseil de la concurrence a excédé les pouvoirs qu'il tient de l'article 14 de l'ordonnance du 1er décembre 1987 et qu'en conséquence sa décision doit être annulée ;

Par ces motifs, Annule la décision n° 92-D-25 du Conseil de la concurrence délibérée le 31 mars 1992 ; Laisse les dépens à la charge du Trésor.