CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 23 octobre 1991, n° ECOC9110139X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Flodor (SA)
Défendeur :
Balhsen GmbH (Sté), Flessner GmbH & Co (Sté), Snacks Produktionsgesellschaft MbH (Sté), Balhsen (SA), Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hannoun
Conseillers :
M. Cannivet, Mme Renard-ayen
Avoués :
SCP Duboscq-Pellerin, SCP Barrier-Monin
Avocats :
Mes Dubaud, Maynadier
La société Flodor a formé un recours contre la décision n° 91-MC-03 du 10 septembre 1991 par laquelle le Conseil de la concurrence, statuant dans les conditions prévues à l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a rejeté sa demande de mesures conservatoires.
Référence étant faite à cette décision pour un exposé plus complet des faits et de la procédure antérieure, il suffit de rappeler que :
La société Flodor a, entre autres, pour activité la production et la distribution de produits à base de pommes de terre.
Titulaire de la marque Top d'Or ainsi que du brevet relatif à la fabrication sous cette dénomination d'une pâte à base du tubercule sus-indiqué, elle affirme avoir l'exclusivité de l'achat et de la distribution en France de ce produit, fabriqué par la société allemande Snacks Produktionsgesellschaft MbH.
Elle soutient avoir été victime de la part de cette dernière d'une rupture fautive du contrat qui les liait, la société Balhsen France appartenant au même groupe que Snacks Produktionsgesellschaft MbH ayant, concomitamment à cette résiliation, commercialisé en France sous la dénomination de Stackers un produit absolument identique à celui vendu sous la marque Flodor.
Affirmant que l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouve de ce fait a été abusivement exploité par les sociétés du groupe Balhsen (Fressner GmbH, Balhsen GmbH, Balhsen France et Snacks Produktionsgesellschaft), c'est dans ces circonstances qu'elle a saisi le Conseil de la concurrence pour faire ordonner à son profit le prononcé des mesures conservatoires lui permettant de continuer à être livrée de toutes les quantités de produits Top d'Or qu'elle pouvait commander à Snacks Produktions jusqu'à l'issue de l'instance au fond qui l'oppose à cette dernière.
Le Conseil de la concurrence ayant rendu la décision ci-dessus rappelée, la société Flodor en poursuit l'infirmation.
Elle affirme en effet que celle-ci a négligé le fait, selon elle essentiel, de la commercialisation par Balhsen France de produits absolument identiques à ceux vendus sous sa marque et soutient:
- qu'on ne peut lui faire grief d'avoir tenté de " garder sa place sur les linéaires " en ayant recours à l'importation d'un produit identique à Top d'Or commercialisé en Italie par la société San Carlo;
- qu'en lui reprochant de ne pas établir de manière absolue qu'elle ne peut recourir à d'autres sources d'approvisionnement, le Conseil de la concurrence améconnu le sens et la portée du principe même des mesures conservatoires;
- qu'il est faux de prétendre que l'interruption des livraisons dont elle est victime n'aurait qu'un faible impact sur son chiffre d'affaires, le produit Top d'Or étant selon elle déterminant pour le reste de son activité commerciale;
- qu'en permettant la substitution sur le marché des produits du groupe Balhsen aux siens, le Conseil de la concurrence a méconnu " la distinction économique entre les notions de monopole ouvert et de monopole fermé ".
Les sociétés du groupe Balhsen s'opposent à cette demande.
Contestant le caractère anticoncurrentiel des pratiques alléguées, elles soutiennent que les conditions d'application des articles 8-2 et 12 de l'ordonnance de 1986 ne sont en l'espèce pas réunies et sollicitent la confirmation de la décision entreprise.
Le ministère de l'Economie, des Finances et du Budget et le Ministère public ont également conclu au rejet du recours.
Cela étant exposé, LA COUR,
Considérant que, comme le précise l'alinéa 2 de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des mesures conservatoires ne peuvent être ordonnées que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante;
Que ce texte subordonne donc leur prononcé à la constatation de faits manifestement illicites constitutifs de pratiques prohibées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance précitée auxquels il importerait de mettre fin sans délai pour prévenir ou faire cesser un préjudice grave et certain ;
Qu'entravant la liberté du commerce et de l'industrie, de telles mesures doivent donc, tant dans leur objet que dans leur durée, être strictement limitées à ce qui est nécessaire pour remédier à une atteinte manifeste et intolérable à l'exercice de la libre concurrence;
Considérant en l'espèce que, statuant dans le cadre précis de l'article 12 précité, c'est à juste titre que le Conseil de la concurrence, qui n'était pas saisi du fond, a rejeté la demande de la société Flodor;
Que celle-ci ne contestant pas avoir commercialisé sous la dénomination de Top d'Or un produit parfaitement substituable à celui que lui vendait son ancienne partenaire a, par-là même, établi que l'atteinte dont elle se prévaut n'a pas le caractère de gravité requis pour l'application à son profit des dispositions de l'article 12;
Que la commercialisation de Top d'Or ne représentant malgré les affirmations de celle-ci qu'une part du chiffre d'affaires de la requérante, qui ne démontre pas objectivement le caractère essentiel qu'elle présenterait pour le reste de son économie, il y a lieu sans qu'il soit nécessaire d'examiner plus avant les autres moyens développés par la société Flodor, inopérants dans le cadre d'une procédure aux fins de mesures conservatoires, de confirmer la décision entreprise, le préjudice de la société Flodor pouvant, s'il est constaté, être intégralement réparé par l'allocation ultérieure de dommages-intérêts,
Par ces motifs, Rejette le recours de la société Flodor ; Condamne cette dernière aux dépens.