Conseil Conc., 31 mars 1992, n° 92-D-25
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Exécution de la décision n° 91-MC-01 du 5 mars 1991 relative à des mesures conservatoires prises à l'encontre de l'Office d'annonces
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président : M. Béteille ; Membres : M. Frics, Mmes Hagelsteen, Lorenceau, M. Sloan ; Rapporteur : M. Bourhis ; Rapporteur général : M. Jenny.
Le Conseil de la concurrence,
Vu la lettre enregistrée le 12 août 1991 sous le numéro R 9 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence du dossier relatif à l'exécution des mesures conservatoires prises par le Conseil de la concurrence et la cour d'appel de Paris à l'encontre de l'Office d'annonces (ODA); Vu la décision n° 91-MC-01 du 5 mars 1991 du Conseil de la concurrence relative à des mesures conservatoires prises à l'encontre de l'ODA; Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 19 avril 1991 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix de la concurrence, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu les observations présentées par les parties et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de l'ODA et de l'agence Audace et Stratégies Genard Jacky entendus, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés:
I - CONSTATATIONS
1. Les mesures prises à l'encontre de l'ODA
Le 31 janvier 1991, M. Dominique André, agissant en tant que responsable de l'agence de publicité Audace et Stratégies Genard Jacky (ci-après Audace), et M. Serge Buvat, agissant en tant que vice-président national de la Confédération de défense des commerçants et artisans (CDCA), ont saisi le Conseil de la concurrence d'une demande de mesures conservatoires à l'encontre de l'ODA, régisseur de la publicité dans les annuaires officiels de France Télécom.
Cette entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 3,8 milliards de francs en 1990, dernier exercice connu au moment de l'examen des faits par le conseil.
Par décision en date du 5 mars 1991, le Conseil de la concurrence a enjoint à l'ODA :
1° Dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision, d'adresser une lettre recommandée avec avis de réception indiquant aux annonceurs figurant sur une liste fournie par M. André à l'appui de sa saisine que l'agence Audace " a la faculté, comme toute autre agence de publicité, de commercialiser les espaces publicitaires dans les annuaires de France Télécom " ;
2° Jusqu'à l'intervention de la décision au fond, " de fournir à l'agence Audace, dans les conditions identiques à celles des autres agences de publicité et conformément au contrat intitulé "conditions de collaboration avec les agences de publicité", tous les documents techniques et commerciaux nécessaires à la vente des espaces publicitaires dans les annuaires de France Télécom, cela en temps utile ".
Réformant partiellement la décision du Conseil de la concurrence précitée, la cour d'appel de Paris a, par arrêt en date du 19 avril 1991, enjoint à l'ODA :
1° Dans un délai de huit jours, d'adresser une lettre recommandée avec demande d'avis de réception indiquant aux entreprises René Belmont, hôtel Saint-Nicolas, Self Alu, Axa Assurances, Repro Pioteix, Bonsai Création, Christine Bercovic, Cuers Automobile, Fun Vidéo, cabinet Roger Teyssier, Ago. Denis Massart, Fac, que l'agence Audace " a la faculté comme toute autre agence de publicité, de commercialiser les espaces publicitaires de France Télécom "
2° " D'assurer l'exécution des ordres d'insertion émanant de l'agence Audace et Stratégies conformes aux règles en vigueur et assortis des conditions de règlement prévues à l'article 4 du contrat de collaboration, sauf à la société ODA, de prouver qu'elle a effectivement adressé à ladite agence les documents indispensables et que ceux-ci n'ont pas été exactement remplis ".
Par lettre en date du 12 août 1991 susvisée, le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, a saisi le Conseil de la concurrence de constatations effectuées par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et relatives à l'exécution des mesures conservatoires prises par le Conseil de la concurrence et la cour d'appel de Paris.
2. L'exécution de la première partie de l'injonction
Une lettre a été adressée le 28 mars 1991 aux destinataires mentionnés dans la décision n° 91-MC-01 du 5 mars 1991 susvisée, lettre dont le contenu est le suivant:
"Conformément à la décision du Conseil de la concurrence, nous vous informons que l'agence Audace et Stratégies Genard Jacky a la faculté, comme toute autre agence de publicité, de commercialiser les espaces publicitaires dans les annuaires de France Télécom.
" Toutefois, l'ODA tient à préciser que cette faculté ne confère à l'agence Audace et Stratégies Genard Jacky aucune autre position que celle, normale et classique, d'une agence de publicité parmi d'autres, sans aucun lien particulier avec l'ODA, régisseur exclusif des annuaires de France Télécom.
Nous vous prions (...) "
3. Les mesures prises par l'ODA pour ce qui concerne la seconde partie de l'injonction
3.1. L'exécution des ordres d'insertion relatifs aux éditions 1991
Les échanges de correspondance entre l'agence Audace et l'ODA établissent que les retards enregistrés à l'occasion des commandes transmises par Audace en juin 1991 et relatives aux éditions 1991 ont eu notamment pour origine les réticences de l'agence à fournir une garantie bancaire et à régler ses commandes dans les conditions fixées par le contrat de collaboration signé par M. André le 21 décembre 1990.
3.2. L'exécution des ordres d'insertion relatifs aux éditions 1992
Pour ce qui concerne les départements concernés par l'activité de l'agence Audace, les dates limites d'enregistrement des commandes relatives aux éditions 1992 par les agences (forclusion) ont été fixées comme suit par l'ODA.
- Alpes-de-Haute-Provence : 23 août 1991 ;
- Hautes-Alpes : 25 octobre 1991 ;
- Ardèche : 11 octobre 1991 ;
- Var: 29 novembre 1991 ;
- Vaucluse : 26 juin 1992.
Par lettre du 11 avril 1991, et en réponse à une demande écrite de l'agence Audace, le directeur des affaires juridiques et immobilières de l'ODA s'adresse à M. André pour l'informer qu'il recevra, à la fin du mois d'avril, " les premiers documents édition 1992, disponibles ", en fonction du calendrier de prospection relatif à chaque support, et ce " dans les termes prévus dans notre document de collaboration ".
Il indique par ailleurs :
" Pour ce qui concerne les questions relatives à l'édition 1991 ainsi que certaines que vous pourrez vous poser pour l'édition 1992, je pense que la meilleure solution consiste à prendre contact avec le conseiller commercial de l'ODA, qui est votre correspondant et se tient à votre disposition, car il s'agit souvent de questions techniques. "
Le 22 avril 1991, M. André interroge l'ODA sur la question de savoir si les ordres d'insertion doivent être envoyés au siège de l'ODA, à Sèvres, ou " chez M. Jean Martinache ", ce dernier étant le correspondant désigné de l'agence Audace pour l'édition 1991.
Le 25 avril 1991, le directeur des affaires juridiques et immobilières de l'ODA répond à M. André qu'il lui semble que " le plus simple est de vous adresser à M. Parsiani, chef de vente de la zone géographique concernée pour les éditions 1991 et 1992, qui pourra faire en sorte que votre correspondant désigné prenne contact avec vous dès que nécessaire ".
Le 30 avril, le directeur des affaires juridiques et immobilières de l'ODA adresse à M. André le "dossier agence de publicité" édition 1992 comportant :
- le calendrier de forclusion, édition 1992 ;
- le catalogue des produits ;
- les spécificités techniques, pages jaunes, pages blanches ;
- le " 11 ", catalogue de produits ;
- le " 11 ", les tarifs ;
- le catalogue des rubriques, pages jaunes ;
- la liste des logos, édition 92.
M. André a reçu lesdits documents le 3 mai 1991.
Selon l'ODA, les mêmes documents auraient été remis aux vendeurs de l'ODA lors de leur session de formation, à savoir les 24, 25 et 26 avril 1991. Les déclarations de clients recueillies par procès-verbaux d'audition établissent que l'agence Audace a commencé à prospecter la clientèle sise dans le département des Alpes-de-Haute-Provence le 23 avril 1991. Il ressort des déclarations de M. V..., ambulancier à Sisteron (04), non contestées par l'ODA, que l'intéressé a reçu la visite d'une représentante de l'ODA le 27 avril 1991, celle-ci lui ayant déclaré que la commande qu'il avait passée auprès de l'agence Audace était erronée en raison de la suppression de certaines prestations par l'ODA.
Le 5 juin 1991, M. André s'adresse en ces termes au directeur des affaires juridiques et immobilières de l'ODA, par lettre recommandée avec avis de réception :
"Suite à vos derniers courriers, je suis vraiment désolé de constater que (vous) m'avez suggéré de m'adresser d'abord au représentant correspondant, puis au chef de vente Sud-Est, que dans l'unique but de me " promener ", car malgré mes demandes répétées, jamais personne ne m'a répondu, ni vous, ni le correspondant, ni le chef de vente. Mes besoins et mes questions sont restés sans réponses ".
Le 5 août 1991, M. André s'adresse à M. Parsiani en lui demandant de bien vouloir lui préciser les coordonnées de son correspondant pour l'édition 1992, " compte tenu de l'urgence, en raison des dates de forclusion ".
Le 8 août 1991, M. Parsiani écrit à M. André : " En réponse à votre lettre du 5 août 1991, je vous confirme qu'aucune décision n'a été prise en ce qui concerne l'identité du conseiller commercial qui sera chargé de vos dossiers pour l'édition 1992. Toutefois je peux vous assurer que vous serez contacté et visité en temps utile de manière à éviter la forclusion des départements qui vous intéressent ".
Le 5 septembre 1991, M. André déclare à l'ODA : " (Vous avez attendu jusqu'à trois jours avant la date de forclusion (7 septembre 1991), pour nous faire contacter par votre conseiller commercial et nous imposer à la dernière limite vos nouvelles exigences. Nous vous prions d'enregistrer nos commandes ci-jointes (...) ".
Un additif aux instructions de vente et un rectificatif (classement par insertions) a été adressé à l'agence Audace le 6 septembre 1991.
Le dossier agence de publicités PAP et Europages a été adressé à l'agence Audace le 12 novembre 1991, la prospection de ces deux supports ayant débuté le 7 octobre 1991. Le directeur des affaires juridiques et immobilières de l'ODA a déclaré (procès-verbal du 30 octobre 1991) au sujet de la demande de ces documents formulée par M. André, le 25 mars 1991, que " l'intéressé a été invité à s'adresser à M. Martinache ".
Les premiers ordres d'insertion relatifs à l'édition 1992 du département des Alpes-de-Haute-Provence passés par l'agence Audace ont été enregistrés le 17 septembre 1991, M. André ayant reçu confirmation de leur souscription le 27 septembre par la direction de l'après-vente de l'ODA.
II - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT,
LE CONSEIL,
Sur l'envoi de la lettre recommandée :
Considérant que le conseil, statuant par application de l'article 14 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisée, ne peut faire porter son contrôle que sur l'exécution des mesures conservatoires prescrites à l'encontre de l'ODA qu'il ne peut donc, comme le lui demande M. Dominique André, se prononcer sur l'existence d'éventuels nouveaux dénigrements de l'agence Audace qui feront l'objet d'un examen au fond ;
Considérant qu'en adressant une lettre reproduite dans la partie I de la présente décision à une liste de destinataires mentionnés dans la décision n° 91-MC-01 susvisée du Conseil de la concurrence, l'ODA a exécuté la première partie de l'injonction qui lui était faite par la cour d'appel de Paris dans l'arrêt du 19 avril 1991 ;
Sur l'exécution des ordres d'insertion relatifs à l'édition 1991 :
Considérant que, contrairement à ce qu'allègue M. André dans ses observations écrites, l'injonction adressée par la cour à l'ODA visait à accorder à l'agence Audace les "conditions de règlement prévues à l'article 4 du contrat de collaboration " que cette obligation n'exonérait pas ladite agence de l'obligation de se conformer aux stipulations insérées dans l'article 5 dudit contrat de collaboration relatives à la fourniture d'une garantie bancaire qu'il ressort d'ailleurs des observations déposées par l'agence Audace devant la cour d'appel le 4 avril 1991 que cette entreprise s'était bornée à demander à la cour d'enjoindre à l'ODA de lui accorder les " modalités de règlement accordées habituellement " sans prétendre à bénéficier de conditions différentes de celles qui sont accordées aux agences de publicité, pour ce qui concerne la fourniture d'une garantie bancaire que, dans ces conditions, il n'est pas établi que l'ODA, qui s'est conformé aux conditions de règlement et de garantie stipulées dans le " contrat de collaboration avec les agences de publicité ", n'a pas assuré l'exécution des ordres d'insertion de l'agence Audace relatifs aux éditions 1991 dans les conditions fixées par la cour d'appel de Paris ;
Sur l'exécution des ordres d'insertion relatifs à l'édition 1992 :
Considérant qu'il résulte, d'une part, des règles fixées par l'ODA au sujet des agences de publicité qu'" elles ont un interlocuteur unique : le vendeur titulaire du secteur " et, d'autre part, du " contrat de collaboration avec les agences de publicité " que "seules les commandes prises sur les ordres d'insertion ODA (...) pourront être enregistrées" ; que, par ailleurs, l'ODA, qui exige que les ordres d'insertion soient remplis par le correspondant ODA désigné pour chaque édition, fixe pour les agences de publicité des dates limites d'enregistrement des commandes par département que, s'agissant de l'édition 1992 du département des Alpes-de-Haute-Provence, la date limite était fixée au 23 août 1991, la campagne de vente ayant débuté le 29 avril 1991 ;
Considérant que, si l'ODA admet dans ses observations écrites qu'il a été indiqué, le 8 août 1991, que, pour l'édition 1992, " il n'était pas sûr que M. Martinache demeure le correspondant d'Audace et Stratégies ", il considère, en revanche, que cette question fut sans effet, dans la mesure où cette agence put passer commande " dès les premiers jours de septembre " et que l'injonction d'assurer l'exécution des ordres d'insertion a, dès lors, été respectée ;
Mais considérant en premier lieu que l'ODA, qui a rappelé à l'agence Audace, par lettre du 11 juin 1991, que les agences de publicité sont, eu égard aux dates de forclusions fixées, visitées dans des délais permettant de traiter "dans les meilleures conditions " les commandes passées, ne saurait utilement soutenir que la désignation d'un correspondant commercial, postérieurement à la date de forclusion, est de nature à garantir un traitement des ordres d'insertion dans des conditions conformes aux " règles en vigueur" et à l'intérêt des consommateurs, en raison notamment de la difficulté, pour l'agence, d'assurer l'acheminement des bons à tirer dans des conditions acceptables et, pour l'ODA de garantir l'exécution des commandes " compte tenu des urgences ponctuelles toujours existantes à ces dates-là " ;
Considérant en second lieu que l'ODA qui se limite à communiquer aux agences les seuls documents techniques et commerciaux mentionnés dans le " contrat de collaboration avec les agences de publicité" a indiqué à l'agence Audace, le 11 avril 1991, que la " meilleure solution ", pour certaines questions techniques " relatives à l'édition 1992, était de s'adresser au conseiller commercial de l'ODA, son correspondant qu'il indique d'ailleurs dans ses observations écrites en réponse au rapport, au sujet du catalogue de logos dont il refuse la communication aux agences, qu'" en cas de doute, elle (l'agence) peut aisément demander une précision à l'ODA " ; qu'il s'ensuit que l'ODA, qui réserve à ses salariés l'usage des ordres d'insertion, seules pièces qui puissent garantir l'enregistrement des commandes, ne peut soutenir que le refus de désigner un correspondant commercial durant la période du 29 avril 1991 au 5 septembre 1991 pouvait assurer l'exécution des commandes passées par l'agence Audace dans les conditions de technicité exigées par l'ODA et satisfaisantes pour sa clientèle et répondait à l'injonction qui lui était faite dans l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 19 avril 1991 susvisé ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'ODA n'a pas respecté, pour ce qui concerne le département des Alpes-de-Haute-Provence, premier département concerné par la campagne 1992 de l'agence Audace, l'injonction qui lui était faite d'assurer l'exécution des ordres d'insertion de cette agence de publicité dans les termes adoptés par la cour d'appel; qu'il y a lieu de faire application des dispositions combinées des articles 14 et 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il convient, pour fixer la sanction de tenir compte, d'une part, du chiffre d'affaires réalisé par l'ODA au cours du dernier exercice connu et, d'autre part, de l'importance du manquement à l'injonction de la cour d'appel de Paris qui avait pour objet de ne pas faire courir à une entreprise nouvellement créée le risque de se voir exclure du marché avant que le conseil ait statué au fond,
Décide :
Article unique
Il est infligé à l'Office d'annonces une sanction pécuniaire de 5 000 000 F.