CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 6 août 1990, n° ECOX9010920A
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Syndicat des Producteurs de Films Publicitaires pour le Cinéma et la Télévision
Défendeur :
Champetier, Ministre chargé de l'Economie, des Finances et du Budget,
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leonnet
Conseillers :
MM. Chanut, Bouret
Avocats :
Mes Bourdon, Lafont- Gaudriot.
Le Syndicat des Producteurs de Films Publicitaires pour le Cinéma et la Télévision (SPFP) a été autorisé à assigner à jour fixe Monsieur Michel Champetier afin qu'il soit statué sur son recours contre une décision du Conseil de la Concurrence numéro 90-MC-09 du 4 juillet 1990 faisant droit à une demande de mesures conservatoires présentées par Monsieur Champetier et décidant, en application de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qu'il était :
Enjoint au Syndicat des Producteurs de Films Publicitaires d'adresser, dans un délai de huit jours à compter de la "notification de la présente décision, à ses membres ainsi qu'à ceux de l'Association des Agences Conseils en Communication (AACC) et à l'Union des Annonceurs (UDA) une lettre recommandée avec avis de réception
a) mettant fin expressément à l'ordre de boycott frappant Monsieur Champetier, conformément d'ailleurs à la délibération de l'assemblée générale extraordinaire du SPFP. en date du 29 janvier 1990,
b) annulant expressément les paragraphes 3 et 4 de la "lettre-circulaire" du 31 janvier 1990,
c) comportant en annexe une copie intégrale de la présente "décision".
Monsieur Champetier ancien producteur de films publicitaires, nanti d'une expérience d'une dizaine d'années en ce domaine, a décidé en 1989 de mettre son passé professionnel au service des annonceurs en leur proposant son aide comme "conseil audiovisuel", et de façon plus précise, comme contrôleur des coûts de production. Partant du postulat que l'annonceur contrôlait difficilement le coût d'un film publicitaire qui se négociait le plus souvent directement entre l'agence de publicité et le producteur du film, il a adressé un dossier à quatre cent cinquante annonceurs or il expliquait que les coûts pouvaient être réduits de façon conséquente : "Combien coûte réellement un film ? Combien coûte un film à l'annonceur ? Combien devrait coûter un film à l'annonceur ? "
Le SPFP, qui a déclaré lors de l'audience représenter soixante-dix pour cent des producteurs de films, s'est ému à la lecture de ce document qu'il a estimé diffamatoire pour ses adhérents ou les agences de publicité. Aussi a t-il diffusé très largement, et notamment auprès des annonceurs, une délibération prise par ses membres, à la fin du mois de novembre 1989. Il y était indiqué que "la charte" de Monsieur Champetier posait "de graves problèmes". "Les méthodes préconisées (enlevaient), en effet, au producteur et à l'agence une part trop importante de leurs prérogatives "indispensables." C'est la raison pour laquelle "les vingt-six producteurs du SPFP (liste jointe) ont décidé de refuser les films pour lesquels Monsieur Champetier serait mandaté par les annonceurs."
Sur le fondement de l'article 11 de l'ordonnance numéro 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, Monsieur Champetier a saisi, le 25 mai 1990, le Conseil de la Concurrence d'une demande dirigée contre les pratiques du SPFP et a sollicité, en outre, le prononcé de mesures conservatoires, en application des dispositions de l'article 12 de cette même ordonnance.
Ainsi qu'il l'a été précisé liminairement le Conseil a accédé à la demande de Monsieur Champetier en considérant que la lettre circulaire du Syndicat diffusée à la fin du mois de novembre 1989 était "un véritable appel au boycott "de l'entreprise de Monsieur Champetier."
Le recours du Syndicat tend à la réformation de cette décision aux motifs que la réaction de ses membres s'explique par le caractère diffamatoire du document diffusé en 1989 par le défendeur et par le fait qu'il met à néant le rôle "coordonnateur du producteur" en supprimant toute sécurité juridique pour l'annonceur. En tout état de cause il n'y aurait jamais eu de mesures de boycott à l'encontre de Monsieur Champetier le Syndicat ayant très largement diffusé le 31 janvier 1990 une nouvelle délibération de ses membres précisant selon quelles conditions ils entendaient travailler avec lui. Ce dernier ne pourrait, dans ces conditions, faire état d'un préjudice quelconque.
En dernier lieu, le requérant a allégué que le Conseil a statué au delà de sa saisine en ordonnant au SPFP d'informer outre ses membres, ceux de l'AACC ainsi que ceux de l'Union des Annonceurs.
Monsieur Champetier a conclu à la confirmation et a sollicité l'octroi d'une somme de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Sur quoi, LA COUR
Considérant que c'est avec pertinence que le Conseil, après avoir fait une analyse exacte des faits qui lui étaient déférés, a estimé qu'il y avait lieu d'ordonner les mesures conservatoires sollicitées ;
Considérant, en effet, que l'alinéa 2 de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 précise que de telles mesures peuvent intervenir lorsque la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ;
Considérant, en l'espèce, que deux motifs justifiaient l'intervention du Conseil : l'intérêt des consommateurs et les risques d'atteinte à la survie de l'entreprise plaignante ;
Considérant, en ce qui concerne le premier motif, qu'il suffit de lire les pièces versées aux débats : articles de presse divers, dossier diffusé par Monsieur Champetier courant 1989, et réponses élaborées par le SPFP, pour constater que l'objectif recherché par l'ancien producteur de films était de rendre plus transparents les rapports entre annonceurs, agences de publicité et producteurs de films publicitaires ; qu'il voulait, dans le cadre de ses nouvelles activités, mettre fin à l'opacité des relations qui existaient entre ces différents professionnels et permettre, ainsi, par le jeu de la concurrence une diminution des coûts ;
Que cet objectif répondait donc très exactement à l'intérêt général des consommateurs - non seulement des annonceurs - mais de leurs clients sur lesquels sont répercutés les frais de publicité ;
Considérant, par ailleurs, que Monsieur Champetier qui venait de débuter dans la profession de "conseil audiovisuel" pouvait à bon droit considérer qu'il était menacé par l'attitude du SPFP et de certaines agences de publicité à son égard, dans la mesure où les actions menées contre lui étaient constitutives d'une atteinte grave et immédiate à son activité ;
Considérant que le requérant n'a jamais contesté sérieusement que la circulaire qu'il a diffusée à la fin du mois de novembre 1989 était représentative d'une mesure de boycott à l'égard de Monsieur Champetier ; qu'il ne justifie pas non plus avoir intenté une action en diffamation contre ce dernier, ce qui relativise l'affirmation selon laquelle "la charte" adressée par le défendeur aux annonceurs aurait pu présenter un caractère attentatoire à l'honneur des producteurs de films ; qu'il persiste seulement à alléguer devant la Cour que sa lettre circulaire du 31 janvier 1990 corrigeait, en quelque sorte, les excès de la première en ne s'opposant plus au libre choix par les annonceurs de ce conseil en audiovisuel ;
Mais considérant qu'outre le fait que cette lettre mentionnait en son paragraphe trois : "les propositions "d'intervention de Monsieur Champetier demeurent inacceptables "pour nous", elle prévoyait dans les paragraphes 4, 5 et 6, une procédure réglementant l'intervention de ce professionnel, puisque ce dernier ne pouvait être entendu qu'après que le devis ait été discuté directement entre le "TV Producer" et l'agence de publicité ;
Qu'il va de soi qu'une telle réglementation, outre qu'elle était illicite puisque faisant échec à la liberté d'intervention d'un mandataire choisi par un annonceur, renforçait la mesure de boycott prévue par la première circulaire, en prévoyant des mesures concrètes permettant de réduire à néant le rôle de ce conseil en audiovisuel ;
Considérant, enfin, que le requérant ne saurait prétendre que le Conseil de la Concurrence a statué au-delà de sa saisine en prévoyant que les mesures conservatoires seraient diffusées, non seulement aux membres du Syndicat, mais encore à ceux de l'Association des Agences Conseils en Communication et à l'Union des Annonceurs ; qu'en effet, Monsieur Champetier dans son mémoire complémentaire du 15 juin 1990 avait demandé que "tous les intéressés" en soient informés, ce qui impliquait au premier chef les diffuseurs de publicité par voie audiovisuelle et les annonceurs ;
Considérant qu'en l'état de ces constatations les mesures conservatoires décidées par le Conseil de la Concurrence ne sauraient être réformées ;
Considérant, par ailleurs, qu'il ne parait pas inéquitable d'allouer à Monsieur Champetier, pour les frais irrépétibles qu'il a dû engager pour suivre cette procédure devant la Cour, une somme de 6.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par ces motifs, Rejette le recours ; Condanne le Syndicat des Producteurs de Films Publicitaires Pour le Cinema et la Television (SPFP) à verser à Monsieur Champefier une indemnité de six mille francs (6.000 F) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne le requérant aux entiers dépens.