CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 21 avril 1992, n° ECOC9210081X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Kendo (SARL)
Défendeur :
Amiro (Sté), Player Special Diffusion (Sté), Ministre de l'économie, des finances et du budget
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Canivet, Conseillers : Mmes Beauquis, Mandel
Avoué :
Me Lagourgue
Avocats :
Mes Meffre, Mulon.
Par lettres enregistrées les 17 décembre 1991 et 5 février 1992, diverses entreprises distributrices de jeux dits " récréatifs à pièces de monnaie " ont saisi le Conseil de la concurrence (le Conseil) de pratiques anticoncurrentielles dont elles se prétendent victimes de la part du groupe Kunick, Amiro et Player Special Diffusion (PSD) qui, cumulant les fonctions d'importateur et distributeur de "flippers" fabriqués aux États-Unis sous les marques Williams et Bailly, occuperait en France une position dominante sur le marché national de ce type d'appareils dont il abuserait en se livrant à leur préjudice à des refus de vente et des pratiques discriminatoires.
Sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ces entreprises ont en outre demandé au Conseil de prendre des mesures conservatoires consistant à faire injonction à la société PSD :
- de leur faire parvenir dans des délais normaux, et en même temps qu'à tous les autres distributeurs, les annonces de prototypes permettant de passer immédiatement les commandes,
- d'éviter tout retard de livraison,
- de revenir aux conditions commerciales antérieures au 22 août 1991, en leur faisant application d'un taux de remise qui, à conditions comparables, soit similaire pour l'ensemble des distributeurs.
Tout en constatant que l'existence de pratiques prohibées par les dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne pouvait être exclue, le Conseil a estimé que les entreprises saisissantes n'avaient pas apporté la preuve qu'elles subissaient, du fait des pratiques dénoncées, une atteinte grave qui appelle une intervention d'urgence.
Conformément aux dispositions de l'article 12 alinéa 4, la société Kendo, l'une des entreprises auteurs de la saisine et de la demande de mesures conservatoires, a formé un recours contre cette décision au soutien duquel elle fait valoir
- que, poursuivant une stratégie visant à l'éliminer du marché, la société PSD, qui l'avait déterminée par une lettre du 3 décembre 1990 à orienter ses activités vers la distribution des produits de marques Williams et Bailly dont elle est l'importatrice exclusive en France, lui refuse depuis le mois d'août 1991 les tarifs distributeurs qu'elle réserve désormais aux seules entreprises de son groupe;
- que la distribution des produits en cause ne peut se faire sans disposer d'un assortiment complet comprenant les dernières créations des marques Williams et Bailly qui lui sont précisément refusées à un tarif concurrentiel ;
- qu'en fonction de cette situation de la demande, de la part prise par les produits de cette marque dans son chiffre d'affaires et de l'impossibilité de solutions de remplacement durables, elle est exposée au risque de désaffection de sa clientèle ;
- que les mesures sollicitées sont strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence.
Les sociétés Amiro et PSD concluent au rejet des mesures conservatoires sollicitées en soutenant que ne sont démontrées ni la réalité du préjudice allégué ni l'urgence à le réparer.
Comme elles l'avaient fait devant le conseil, elles demandent toutefois qu'il leur soit donné acte de ce qu'elles sont disposées à adresser à la société Kendo les bons de commandes revendiqués.
Le Ministère Public à l'audience, comme le commissaire du Gouvernement dans ses observations orales, conclut au rejet du recours
Sur quoi, LA COUR,
Considérant qu'aux termes de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les mesures conservatoires qu'il est du pouvoir du conseil de prendre ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante; qu'elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ;
Considérant qu'il appartient au conseil de vérifier, en fonction des éléments qui lui sont fournis et de ceux qu'il peut recueillir en exerçant les pouvoirs d'investigation dont il dispose, si l'atteinte alléguée est de nature à justifier les mesures demandées;
Considérant qu'en l'espèce la société Kendo, qui invoque l'atteinte grave et immédiate que lui causent les faits qu'elle dénonce et sollicite, entre autres injonctions, l'attribution forcée de remises contractuelles, ne fournit pas d'éléments probants qu'elle seule pourrait produire permettant d'établir la part réellement indispensable à son activité commerciale des produits exclusivement distribués par les sociétés Amiro et PSD ;
Que l'attestation délivrée par le Directeur de Gestion de ladite société et les éléments comptables sommaires qu'elle verse aux débats, desquels il paraît résulter que la proportion desdits produits dans son chiffre d'affaires est passée de 23,86 % en 1990 à 15,50 % en 1991,ne suffisent pas à mettre en évidence l'incidence effective des pratiques imputables aux entreprises en cause sur la poursuite des activités de la requérante, ni le risque qu'à cet égard elles lui font courir et l'urgence à laquelle il serait nécessaire de faire face;
Que nonobstant la notoriété de la marque des appareils en litige, il n'appartient pas, en raison de la présence de produits substituables sur le marché, que la société Kendo soit dépourvue de solutions alternatives propres au moins à réduire l'importance du préjudice dont elle se plaint telles que celles qu'elle dit avoir mises en œuvre à titre provisoire, alors qu'elle n'est pas totalement privée de possibilité d'offrir à sa clientèle l'assortiment des "flippers" de marque Bailly et Williams ;
Considérant qu'en l'état de l'instruction à laquelle il a procédé, le conseil était fondé à rejeter les mesures conservatoires sollicitées;
Que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, Rejette le recours, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.