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Décisions

Conseil Conc., 7 décembre 1999, n° 99-MC-08

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine et demande de mesures conservatoires présentées par l'organisation professionnelle Ténor

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de M. Lavergne, par Mme Hagelsteen, présidente, Mmes Boutard-Labarde, Flüry-Herard, MM. Lasserre, Nasse, Robin, membres.

Conseil Conc. n° 99-MC-08

7 décembre 1999

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 29 octobre 1999 sous les numéros F 1178 et M 245, par laquelle l'association professionnelle Ténor a saisi le Conseil de la concurrence de certaines pratiques de la société France Télécom qu'elle estime anticoncurrentielles et a sollicité en outre le prononcé de mesures conservatoires ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par l'association professionnelle Ténor, la société France Télécom et le commissaire du Gouvernement ; Vu l'avis n° 99-1010 adopté par l'Autorité de régulation des télécommunications le 19 novembre 1999, à la demande du conseil, sur le fondement des dispositions de l'article L. 36-10 du Code des postes et télécommunications ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de l'association professionnelle Ténor et de la société France Télécom entendus ; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général ;

Considérant que l'organisation professionnelle Ténor, association régie par la loi de 1901 composée de plus de cent vingt membres, a pour mission " l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels et commerciaux de ses membres " ; qu'elle comporte en son sein une Commission cartes téléphoniques de dix-huit membres ; que l'association a saisi le 29 octobre 1999 le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société France Télécom qui tenterait d'évincer ses concurrents sur le " marché français des services de téléphonie fixe pré-payés ", sur lequel elle serait en position dominante avec une part de marché de plus de 90 % ; que ces pratiques résulteraient des tarifs pratiqués par France Télécom pour ses télécartes, qui, par comparaison avec les coûts supportés par les concurrents offrant des services de carte à Code, révéleraient des effets de ciseau tarifaire ; qu'en effet, les cartes à Code supportent notamment, à compter du 1er novembre1999 et au titre des coûts d'interconnexion, une majoration de 25 centimes par minute destinée à rémunérer l'usage des publiphones ; que cette majoration ne s'applique pas aux télécartes ;

Considérant que les cartes téléphoniques sont matérialisées sous la forme d'un support physique figurant une carte personnelle dont le format est en général celui défini par la norme internationale ISO/CEI 7810 : 1995, intitulée "carte d'identification-caractéristiques physiques" ; que ces cartes, qui répondent à un besoin de mobilité des utilisateurs, permettent d'accéder à un service de téléphonie vocale à partir de tout terminal à touches, y compris ceux des cabines téléphoniques ; que, si le développement de la téléphonie mobile nuit en partie au potentiel de développement de ces cartes, elles constituent également un service qui permet de s'abstraire des contraintes de la téléphonie fixe ; que les cartes téléphoniques pré-payées, qui offrent un crédit de communications pré-achetées, se distinguent des cartes post-payées, liées à un abonnement résidentiel ou parfois à des cartes de crédit ou de paiement, qui permettent à l'utilisateur de bénéficier de tarifs identiques à ceux obtenus depuis le poste de sa résidence ;

Considérant qu'il existe deux types de cartes téléphoniques pré-payées, les cartes techniques, dites cartes à puces, et les cartes universelles non techniques, encore appelées cartes à Code ; que les premières, les télécartes, fonctionnent à partir des seules cabines téléphoniques, sur la base d'une technologie propriétaire de France Télécom, et intègrent un dispositif permettant à l'utilisateur de connaître le montant des unités téléphoniques restantes, alors que les secondes, qui sont utilisables à partir de tout terminal à touches, comportent, d'une part, un numéro d'accès gratuit à la plate-forme technique du fournisseur de services (de type 0800 PQMCDU ou 3BPQ) et, d'autre part, un Code d'identification, d'une dizaine de chiffres au moins, que l'utilisateur doit composer pour accéder au service ; que les cartes pré-payées à usage universel permettent, contrairement à la télécarte liée au réseau de publiphones, de fournir un service indépendant du réseau fixe d'accès et se sont développées à l'origine pour satisfaire trois catégories de clients : les communautés étrangères résidant en France à la recherche de tarifs préférentiels, les touristes nationaux ou étrangers pour lesquels ces cartes ont l'avantage de la simplicité d'utilisation et les foyers à revenus moyens et modestes, ainsi que les jeunes, qui n'ont pas à souscrire d'engagement préalable et peuvent ainsi maîtriser leur consommation ;

Considérant qu'en 1998, selon une étude réalisée en 1999 par la société Cesmo annexée à la saisine, 10,5 millions de cartes téléphoniques pré-payées (à codes) ont été vendues en France soit une progression de 480 % par rapport à 1997 ; que cette même année 1998 France Télécom a vendu 105 millions de télécartes contre 115 millions en 1997 ; qu'il existe une trentaine de fournisseurs de cartes pré-payées et que les principaux fournisseurs de cartes universelles sont la société Intercall, qui en 1998 a distribué 4,1 millions de cartes, soit 39,2 % de l'ensemble, RSL Com (1,2 million de cartes, soit 11,5 %), Kertel (0,7 million de cartes, soit 6,7 %), Omnicom, First Telecom, Kast Telecom et Kosmos ; que France Télécom a lancé, en juillet 1998, la carte universelle "Le Ticket de Téléphone" ; que le chiffre d'affaires réalisé en 1998 par les cartes téléphoniques prépayées se serait élevé à 6 milliards de francs en 1998, soit 6 % du secteur de la téléphonie fixe, dont 604,12 millions de francs, pour un volume de 383,5 millions de minutes consommées, pour les cartes universelles ;

Considérant que l'offre de cartes pré-payées universelles provient de trois types d'acteurs : les exploitants de réseaux ouverts au public au titre de l'article L. 33-1 du Code des postes et télécommunications, qui disposent d'un réseau téléphonique longue distance détenu en propre et ont accès aux tarifs d'interconnexion de France Télécom pour la collecte et la terminaison des appels sur le réseau, les fournisseurs de service téléphonique au public au titre de l'article L. 34-1, disposant non d'un réseau propre, mais seulement d'infrastructures de commutation, qui ont également accès aux tarifs d'interconnexion de France Télécom, et les fournisseurs de services au titre de l'article L. 34-2, qui n'utilisent qu'une plate-forme (ou centre serveur) pour offrir le service, achètent des minutes de télécommunications en gros auprès d'opérateurs tiers et ne bénéficient pas des tarifs inscrits au catalogue d'interconnexion de France Télécom ;

Considérant que les cartes pré-payées universelles peuvent être utilisées, exclusivement pour les télécartes, et concurremment avec les postes fixes pour les cartes à Code, à partir des 170 000 publiphones de France Télécom répartis sur le territoire français et des 30 000 pointphones adaptés ; que, depuis la loi du 26 juillet 1996, la desserte du territoire en cabines téléphoniques installées sur le domaine public n'est plus réservée à France Télécom, mais est soumise à l'autorisation du ministre chargé des Télécommunications au titre des articles L. 33-1 et L. 34-1 du Code des postes et télécommunications et au respect d'un cahier des charges ; que, par ailleurs, l'article L. 33-3 précise que " les cabines téléphoniques en dehors de la voie publique " sont établies librement ; que la desserte du territoire en cabines téléphoniques constitue une des obligations de France Télécom en tant qu'opérateur de service universel, au titre de l'article L.35-1 ; que le cahier des charges de France Télécom approuvé par le décret n° 96-1225 du 27 décembre 1996 dispose, dans son article 5, "Publiphonie. France Télécom met à la disposition du public des installations dénommées Publiphones, permettant sur le domaine public d'accéder sans restriction au service téléphonique. La couverture du territoire doit être suffisante pour répondre aux besoins de la population (...)" ; que l'article R. 20-35 du Code des postes et télécommunications dispose que le coût net de cette obligation, qui constitue une composante du service universel, donne lieu à compensation ;

Considérant que le catalogue d'interconnexion 1999 de France Télécom précise pour les exploitants de réseaux ouverts au public et les fournisseurs de service téléphonique au titre des articles L. 33-1 et L. 34-1 du Code des postes et télécommunications : "Les services spéciaux gratuits pour l'appelant sont accessibles au départ des Publiphones de France Télécom. A compter du 1er mars 1999, une majoration pour rémunérer l'usage du réseau des Publiphones sera appliquée. Son montant sera approuvé par l'Autorité de régulation des télécommunications" ; que l'ART, dans sa décision n° 99-463 du 6 juin 1999 approuvant les modifications apportées au catalogue d'interconnexion de France Télécom pour 1999 relatives à l'application d'une majoration pour rémunérer l'usage du réseau de publiphones, déclare s'être assurée que le niveau de la majoration, de 25 centimes par minute, respectait le principe d'orientation vers les coûts ; qu'en effet, cette majoration " permet une contribution équitable de tous les opérateurs utilisant les cabines publiques de France Télécom au recouvrement des coûts induits par ces Publiphones (coût d'entretien de la ligne, du poste téléphonique et de l'habitacle). Certains coûts ont toutefois été exclus de l'évaluation : les coûts correspondant aux fonctionnalités des postes non utilisés par les opérateurs de carte et les coûts prévisionnels 1999 de la composante "desserte du territoire en cabines publiques" du service universel" ; que l'ART a constaté, par ailleurs, que "l'application de cette augmentation à compter du 1er novembre 1999 permet aux opérateurs interconnectés de connaître le montant de cette majoration plusieurs mois à l'avance et d'adapter, sur le plan commercial et technique, leurs offres en conséquence" ;

Sur la saisine du Conseil de la concurrence et sur sa compétence,

Considérant que la société France Télécom soutient que l'association Ténor n'aurait pas qualité pour saisir le Conseil de la concurrence, car sa saisine fait suite à une décision du conseil d'administration de l'organisation du 30 juin 1999 qui soumettait cette saisine à l'approbation du président de l'organisation et que l'accord "formel et préalable" du président de l'association n'aurait pas été obtenu ;

Mais considérant que le compte-rendu du conseil d'administration du 30 juin 1999 précise : " Surtaxe des cabines téléphoniques par France Télécom : la Commission cartes téléphoniques et son Bureau demandent au Conseil d'administration de décider d'autoriser la Commission à mener une action contentieuse : saisine du Conseil de la concurrence, éventuelle action auprès du Conseil d'Etat, au nom de TENOR, contre France Télécom. Les administrateurs sont d'accord à l'unanimité. Sous réserve cependant que le président de TENOR soit averti de cette décision et donne son approbation" ; qu'il résulte d'une lettre du président de l'association adressée au président de France Télécom le 10 août 1999, annexée à la saisine, lettre demandant à ce dernier de rapporter la majoration de 0,25 francs par minute appliquée aux services spéciaux gratuits pour l'appelant accessibles au départ des publiphones de France Télécom, qu'à défaut de cette mesure "nous serions dans l'obligation de conclure à un refus de votre part, et de saisir les autorités compétente" ; que, par ailleurs, une lettre du 16 septembre 1999 du président de l'association au président de la commission Cartes téléphoniques de l'organisation, communiquée par l'association Ténor, mentionne "A la suite de nos discussions et de la décision de la Commission cartes de mener une action devant le Conseil de la concurrence concernant le dossier de la surtaxe "Cabines téléphoniques" je vous confirme bien volontiers mon accord pour qu'une telle action soit menée" ; qu'ainsi, le moyen n'est pas fondé ;

Considérant que la société France Télécom fait valoir que la saisine de l'association Ténor constituerait un détournement de procédure, dans la mesure où l'organisation demande au conseil de remettre en cause la décision 99-463 de l'ART du 9 juin 1999 qu'elle a envisagé, puis finalement renoncé à attaquer, alors que la situation créée par l'augmentation en cause résulte "en fait directement de cette décision" et que l'ART "a précisément examiné et rejeté l'éventualité d'un quelconque effet de ciseau tarifaire à cet égard" ;

Mais considérant, en premier lieu, que, si l'homologation d'un tarif constitue une décision de nature administrative susceptible de recours devant la juridiction administrative, elle n'a pas pour effet de conférer aux décisions prises par une personne de droit privé, dans ses relations avec ses clients dans un secteur concurrentiel, le caractère d'acte administratif ; qu'il est constant, en second lieu, que les pratiques en cause portent sur le comportement autonome de la société France Télécom à qui l'association Ténor reproche de ne pas s'imputer des coûts comparables dans la commercialisation de ses propres cartes pré-payées à puce, les télécartes ; qu'ainsi, le Conseil est compétent pour connaître des pratiques dénoncées ;

Sur les pratiques dénoncées,

Considérant que France Télécom conteste la définition du marché pertinent décrite par l'association Ténor comme " le marché français des services de téléphonie fixe pré-payés ", qui regrouperait les cartes pré-payées à puce, comme la télécarte, et les cartes prépayées à Code et exclurait les services post-payés et les services de téléphonie pré-payés mobiles, alors que l'étude Cesmo d'avril 1999 évoque " le marché français des cartes prépayées universelles " et que la société Intercall se définit comme " le premier opérateur français sur le marché des cartes téléphoniques pré-payées non techniques ", ce qui montrerait que les cartes à puce (télécartes) et les cartes à Code n'appartiennent pas au même marché ; que, de plus, les télécartes ne peuvent être utilisées qu'à partir du réseau de publiphones de France Télécom, alors que les cartes à Code sont accessibles à partir des postes fixes à touches, résidentiels et cabines téléphoniques, ce que ne permettent pas les télécartes ; que la société Intercall souligne, dans son prospectus préliminaire visé par la COB pour son introduction au nouveau marché de la Bourse de Paris le 26 mars 1999, que la carte pré-payée non technique permettrait d'obtenir une économie de 30 à 75 % pour l'usager pour les appels de la France vers l'étranger et de 40 % pour les appels nationaux, dans la mesure où le destinataire est distant de plus de 50 kms, rappelant que cette " tarification avantageuse " est due au fait que France Télécom " doit intégrer dans le prix du service Télécarte des coûts liés aux cartes à puce (plus chères que les cartes non techniques) et au parc de cabines " ; qu'il convient enfin d'inclure dans le marché pertinent les services de téléphonie mobile ;

Mais considérant que si les télécartes fonctionnent à partir des seules cabines téléphoniques de France Télécom, les cartes à Code permettent d'accéder gratuitement aux services d'un opérateur téléphonique à partir de tout équipement terminal à touches, parmi lesquels ceux installés dans les cabines publiques ; que l'ensemble des services téléphoniques prépayés sont accessibles au moyen d'une carte, que cette dernière dispose d'une puce électronique ou d'un Code ; que, si ces services sont principalement en concurrence pour les communications de longue distance, nationales et internationales, les cartes à Code permettent néanmoins d'acheminer des communications locales ; que l'ART précise, dans l'avis qu'elle a rendu à la demande du conseil le 19 novembre 1999, que "le développement des cartes pré-payées universelles semble exercer une pression concurrentielle non négligeable sur les Télécartes", notamment en ce qui concerne les offres de téléphonie longue distance grand public ; qu'ainsi, pour certains usages, les cartes à Code semblent au moins partiellement substituables aux cartes à puce par les utilisateurs ; qu'en revanche, les services liés à des cartes post-payées, associées à la gestion d'un compte téléphonique ou bancaire, et ceux de cartes pré-payées de la téléphonie mobile, qui nécessitent la possession d'un terminal mobile et présentent des différences de prix importantes avec les services fixes, ne paraissent pas substituables aux précédents ; que, de plus, la société France Télécom est la seule à disposer d'un parc de 170 000 publiphones et de 30 000 pointphones établis sur l'ensemble du territoire français et que l'utilisation des cartes à Code se ferait depuis ces équipements dans une proportion comprise entre près de 22 % et près de 50 % ; que, par ailleurs, le nombre de télécartes vendues par France Télécom s'est élevé à 105 millions en 1998, contre 10,5 millions de cartes à Code distribuées par ses concurrents ; qu'ainsi, en l'état actuel de l' instruction, il n'est pas exclu que les pratiques dénoncées se déroulent sur le marché des services de téléphones fixes pré-payés sur lequel France Télécom pourrait détenir une position dominante ;

Considérant que l'association Ténor produit à l'appui de sa saisine deux tableaux intitulés "Effet de ciseau tarifaire", l'un portant sur la "situation avant la majoration" et l'autre sur la "situation après la majoration" ; que les calculs portés sur ces tableaux sont effectués sur la base d'appels d'une durée de six minutes ; que les "effets de ciseau tarifaire" sont obtenus, en distinguant les communications locales et de "longue distance" et les périodes "heures pleines" et "heures creuses", par comparaison entre, d'une part, le prix de vente au détail de la télécarte 120, de la télécarte 50 et du ticket de téléphone de France Télécom et, d'autre part, les coûts d'un appel national pour un opérateur concurrent à partir d'une cabine téléphonique, en francs par minute ; que ces derniers coûts seraient fondés sur les coûts d'interconnexion 1999 de France Télécom, la durée d'un appel entrant efficace étant majorée d'un coefficient de 1,5 pour inclure les secondes inefficaces consacrées à la numérotation, à l'entrée des codes, à l'attente du décroché de l'appelé et aux échecs ; qu'il est tenu compte d'une "marge brute de l'opérateur" de 12 % et d'une marge de distribution de 30 % ; qu'il ressort de ces tableaux qu'il existerait un effet de ciseau tarifaire dès avant la majoration pour les communications locales, ainsi que pour les communications "longue distance" vis-à-vis de la carte à Code "le ticket de téléphone" de France Télécom ; qu'après la majoration, l'effet de ciseau tarifaire couvrirait l'ensemble des situations, à l'exception des communications "longue distance" en "heures pleines" par rapport à la télécarte 50 ;

Considérant que la société France Télécom fait valoir que l'ART, selon les " tests de squeeze " qu'elle a effectués, a exclu l'existence d'effets de ciseau tarifaire sur le trafic longue distance national et international ; que, pour environ 90 % des usages des cartes prépayées à Code, la majoration de 25 centimes par minute n'a aucune incidence sur la compétitivité et l'attractivité de ces cartes ; que la pratique d'éviction dénoncée reposerait exclusivement sur un test de ciseau construit à partir des seuls coûts de la société Intercall et qu'il comporterait de graves inexactitudes ; que, d'ailleurs, le président de la société Kertel aurait admis, dans un article du Journal du Dimanche du 7 mars 1999, une majoration de 15 centimes ; que la carte à Code "le ticket de téléphone" de France Télécom, qui est soumise à la même tarification que la télécarte 120, supporte également une majoration lorsqu'elle est utilisée à partir de publiphones ; enfin, que les fournisseurs de cartes à Code, comme Kertel ou Intercall, "disposent de réseaux (de distribution) particulièrement puissants et diversifiés" ;

Mais considérant que le test fourni par l'ART, qui s'appuie sur une consultation réalisée auprès des principaux fournisseurs de cartes lors de l'instruction de son dossier "Majoration Publiphonie", se fonde sur des hypothèses différentes que celles de l'association Ténor ; que le test de l'ART est réalisé par rapport à la télécarte 120 de France Télécom, en distinguant les opérateurs de télécommunications au titre de l'article L. 33-1 et de l'article L. 34-1 du Code des postes et télécommunications ; qu'il prend en compte l'offre d'un rabais de 10 % (par rapport à un rabais estimé à 8,4 % dans le test de Ténor) par rapport à cette télécarte, hypothèse jugée pénalisante à l'égard de France Télécom, pour une part de trafic réalisé à 40 % en heures pleines ; qu'elle adopte une loi de distribution des appels par rapport à une durée moyenne de trois minutes, afin de lisser les effets liés aux paliers de tarification ; que le test s'applique aux communications longue distance et internationales, pour des volumes identiques, le trafic international se décomposant en 30 % à destination du Maghreb, 20 % vers l'Allemagne et le Royaume-Uni et 10 % vers le Sénégal, la Belgique et les Etats-Unis ; que la part de trafic local dans le trafic national s'élève à 19 % ; que l'ART fonde son estimation sur des coûts de réseau différents de ceux de Ténor qui semblerait ne pas prendre en compte l'intégralité des coûts supportés par les opérateurs ; que la commission de distribution moyenne généralement fixée par les opérateurs est estimée à 20 % par l'ART, alors que Ténor propose 30 % ;

Considérant, d'une part, que l'ART déclare appuyer son calcul sur la consultation des principaux opérateurs (L. 33-1 et L. 34-1), Cégétel, First Telecom, Intercall, Kertel et Omnicom, alors que le nombre des offreurs de cartes parait plus important ; que, d'autre part, les calculs d'effet de ciseau effectués dépendent d'hypothèses particulières qui influent fortement sur les résultats du test ; qu'à cet égard, une lettre de la société Intercall adressée à France Télécom le 21 juillet 1999 produite par la société France Télécom en annexe de ses observations, contient la prise en compte de certaines hypothèse différentes de celles figurant dans la saisine de l'association Ténor, qui aboutissent néanmoins à l'existence d'un effet de ciseau tarifaire ; que, par ailleurs, les représentants de l'association Ténor ont indiqué en séance que, si l'ART a pu estimer qu'en aucun des cas analysés la marge brute finale était négative, il faudrait aussi rajouter aux coûts qu'elle a pris en compte les redevances au titre des autorisations délivrées, les frais de fabrication et de publicité des cartes, ainsi que des frais généraux ;

Considérant ainsi que l'existence d'effets de ciseau tarifaires de nature à empêcher les concurrents de France Télécom de pénétrer et de se maintenir sur le marché des services de téléphones fixes n'est pas exclue ;

Considérant que, si cette situation pourrait, en principe, résulter non d'un comportement anticoncurrentiel de France Télécom mais de la moindre efficience de ses concurrents, par exemple en matière de distribution des produits, il n'a pas été démontré, en l'état de l'instruction, que la majoration de 0,25 francs par minute destinée à l'usage des publiphones correspondrait au coût d'usage réel de ces équipements ni que les tarifs des communications passées avec des télécartes incluaient le coût d'usage des publiphones ; qu'il suit de là qu'en l'état actuel du dossier et sous réserve de l'instruction au fond, il ne peut être totalement exclu que la mise en œuvre de la majoration tarifaire dénoncée puisse entrer dans le champ d'application des dispositions du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur la demande de mesures conservatoires,

Considérant que l'organisation professionnelle Ténor fait valoir qu'en maintenant les tarifs de détail de ses télécartes inférieurs aux coûts imposés à ses concurrents, France Télécom porterait une atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur intéressé et, par voie de conséquence, à l'intérêt des consommateurs, "en rendant non compétitives les offres de ses concurrents sur un certain nombre de destinations (le local et le longue distance national), les privant ainsi d'une partie significative de leur attrait commercial" ; qu'il existerait une "extrême volatilité du comportement du consommateur", qui augmenterait les risques "d'effets graves et irrémédiables", alors que "dans un marché très dynamique, les clients perdus ne pourront que très difficilement être regagnés" ;

Considérant que l'association Ténor demande en conséquence au conseil d'enjoindre, en premier lieu, à France Télécom, sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance, de mettre fin aux effets de ciseau tarifaire résultant des tarifs de détail des services téléphoniques prépayés télécarte 50 et télécarte 120 par tout moyen approprié, soit par une augmentation des tarifs de détail de ces services ou une diminution, à prix de vente inchangé, du nombre d'unités téléphoniques proposées, soit, par une injonction faite à France Télécom de s'abstenir de maintenir ou de renouveler auprès de l'ART sa demande d'instauration d'une majoration pour les appels gratuits pour l'appelant à partir des cabines téléphoniques dans le cadre des discussions relatives au catalogue d'interconnexion 2000 de France Télécom ; que l'organisation Ténor demande, en second lieu, au conseil d'interdire à la société France Télécom d'imputer à ses concurrents dans sa communication vis-à-vis du public, par quelque moyen que ce soit, les mesures imposées par lui ;

Considérant qu'aux termes de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des mesures conservatoires " ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante " ; que les mesures susceptibles d'être prises à ce titre " doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence " ; que la mise en œuvre de ce texte suppose la constatation de faits constitutifs de troubles illicites auxquels il conviendrait de mettre fin sans tarder ou susceptibles de causer un préjudice imminent et certain au secteur concerné, aux entreprises victimes des pratiques ou encore aux consommateurs, préjudice qu'il faudrait alors prévenir, dans l'attente d'une décision au fond;

Considérant que la société France Télécom soutient, dans ses écritures, que " comme l'a relevé l'ART, le tarif des télécartes ne produit aucune espèce d'effet de ciseau sur les usages des cartes pré-payées universelles pour les appels longue distance national et international, seuls pertinents " ; que la demande de l'association Ténor portant sur l'augmentation des tarifs de détail des télécartes serait irrecevable car cette augmentation est subordonnée à l'autorisation des ministres compétents et que l'ART a expressément indiqué à France Télécom le 21 mai 1999 que " cette offre sera reconduite dans le catalogue d'interconnexion de l'année 2000 " ; enfin, que la demande d'interdire à France Télécom d'imputer à ses concurrents, dans sa communication vis-à-vis du public, les mesures que pourrait lui imposer le conseil n'est pas de la nature de celles qui sont visées à l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant qu'à l'appui de sa demande de mesures conservatoires, l'association Ténor produit deux tableaux destinés à démontrer l'apparition d'un "effet de ciseau tarifaire", après la mise en place de la majoration de 0,25 francs par minute ;

Mais considérant que lesdits tableaux reposent sur des hypothèses qui, à ce stade, n'ont pu être vérifiées ; qu'à supposer qu'ils reflètent la situation réelle, il n'en résulterait pas que des émetteurs de cartes pré-payées seraient dans l'impossibilité de conserver une activité rentable sur certaines destinations, notamment à l'international; qu'aucune donnée n'a été fournie de nature à démontrer qu'un nombre significatif d'opérateurs risque d'être exclus du marché; que l'argument de l'association Ténor tiré de "l'extrême volatilité du comportement du consommateur", loin d'établir la réalité d'un risque d'atteinte grave au secteur, tend à prouver que les parts de marché éventuellement gagnées par France Télécom pourraient être reperdues ultérieurement ; que, dans ces conditions, la partie saisissante n'apporte pas d'éléments suffisants pour établir que les pratiques dénoncées porteraient une atteinte grave et immédiate à l'économie, au secteur intéressé et à l'intérêt des consommateurs ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande de mesures conservatoires présentée par l'association Ténor ne peut qu'être rejetée,

Décide :

Article unique : - La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 245 est rejetée.