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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. concurrence, 7 juillet 1995, n° ECOC9510191X

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Meghan Systems (SARL), Garnier (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Feuillard

Conseillers :

M. Perle, Mme Kamara

Avocat :

Me Franc-Valluet.

CA Paris n° ECOC9510191X

7 juillet 1995

LA COUR statue sur le recours en réformation formé par la société Meghan Systems, mise en liquidation judiciaire et représentée par son mandataire liquidateur, Me Garnier, à l'encontre de la décision du Conseil de la concurrence (ci-après le conseil) n° 95-D-05 du 11 janvier 1995, qui a déclaré irrecevable sa saisine du 4 novembre 1994 et, en conséquence, rejeté sa demande de mesures conservatoires - laquelle au demeurant était devenue sans objet par suite de la cessation de son activité.

Référence faite à cette décision pour un plus ample exposé des faits et de la procédure initiale, il suffit de rappeler que, par lettre enregistrée le 4 novembre 1994, la société Meghan Systems a saisi le conseil de pratiques de la société suisse Aarberg - devenue Sicpa-Aarberg - et de la société Sicpa-France, respectivement producteur et producteur-distributeur d'encres pour l'impression d'étiquettes, et sollicité le prononcé de mesures conservatoires visant à enjoindre aux susnommées de cesser leur concurrence déloyale et de reprendre les relations commerciales aux conditions antérieures.

Retenant que la société Meghan Systems n'a pas établi qu'auraient porté atteinte au jeu de la concurrence sur le marché des encres d'imprimerie en France le rachat de la société Aarberg par la société Sicpa et la réorganisation consécutive du réseau de distribution de cette dernière qui a confié à la société Sicpa-France la commercialisation des encres de la marque Aarberg auparavant distribuées par la requérante, le conseil a jugé qu'il n'était pas compétent pour statuer sur un litige ne portant que sur les relations contractuelles entre un distributeur et l'un de ses fournisseurs et rendu la décision ci-dessus rappelée.

Au soutien de son recours, la société Meghan Systems, en liquidation judiciaire, représentée par son mandataire liquidateur Me Garnier, conteste l'analyse du marché pertinent effectuée par le conseil, le marché à retenir étant celui - restreint certes, mais individualisé - des encres d'imprimerie pour étiquettes adhésives et non le marché général des encres d'imprimerie.

Elle prétend qu'en qualité de distributeur exclusif des encres Aarberg elle se trouvait en état de dépendance économique à l'égard de son fournisseur, avec lequel elle a réalisé 75,17 p. 100 de son chiffre d'affaires en 1994 et en tout cas plus de 50 p. 100 depuis 1990, et que les actions de concurrence déloyale mises en œuvre par le groupe Sicpa, qui a détourné sa clientèle, résilié le contrat de représentation exclusive qui les liait sans respecter ni le délai de préavis ni les formes, modifié brutalement les délais de règlement et cessé les livraisons, sont constitutives d'un abus de domination au sens de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Le ministre de l'économie conclut à la confirmation de la décision entreprise aux motifs que la requérante n'apporte aucun élément d'information d'ordre technique ou commercial à l'appui de sa définition du marché pertinent, que l'existence d'un état de dépendance économique n'est pas prouvée et qu'au demeurant les faits dénoncés semblent devoir être considérés davantage comme des actes de déloyauté relevant de la saisine des juridictions civiles sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Le conseil n'a pas entendu user de la faculté de présenter des observations écrites.

Le ministère public, estimant que le marché pertinent est celui des encres d'imprimerie, que la position de la société Sicpa sur ce marché n'est pas susceptible d'être dominante et que les conditions cumulatives permettant de démontrer l'état de dépendance économique ne sont pas démontrées, a conclu oralement au rejet du recours.

Sur ce, LA COUR :

1. Sur le marché pertinent :

Considérant que le marché est le lieu où se confrontent l'offre et la demande de produits ou de services considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens ou services offerts ;

Que, pour définir le marché pertinent, il convient d'apprécier la disponibilité de produits ou services constituant des moyens alternatifs de satisfaire la même demande ;

Considérant qu'en l'espèce la société Meghan Systems, dûment représentée, allègue que l'impression des étiquettes adhésives requiert une technologie d'impression spécifique ;

Mais considérant que la requérante ne produit aucun élément d'ordre technique ou économique de nature à caractériser un marché des encres d'imprimerie pour étiquettes adhésives distinct du marché général des encres d'imprimerie ; qu'en effet elle n'établit pas que, au regard de leur fabrication ou des conditions de leur distribution, ces encres ne seraient pas substituables avec les autres encres d'imprimerie disponibles en France, se bornant à invoquer le fait que ses conducteurs de machines sont habitués à travailler avec une marque donnée et qu'il serait en conséquence difficile, voire impossible, d'en changer, alors que les conditions d'utilisation d'un produit par les acheteurs sont sans lien avec la délimitation du marché ;

Considérant qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que le conseil a tenu pour pertinent le marché des encres d'imprimerie en France ;

2. Sur l'abus de position dominante :

Considérant que la position dominante s'entend du pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective et suppose que l'entreprise en cause occupe sur le marché pertinent une place prépondérante en raison notamment de l'importance de la part qu'elle détient dans celui-ci et de sa capacité à s'abstraire de la pression d'autres entreprises présentes sur ce marché ;

Considérant que la société Meghan Systems, représentée par son mandataire liquidateur, précise que demeuraient sur le marché des encres d'imprimerie pour étiquettes adhésives après l'absorption de la société Aarberg par la société Sicpa, outre cette dernière et elle-même, pour les encres typo UV quatre fabricants ou importateurs et pour les encres flexo à eau, deux fabricants ou importateurs.

Qu'il ne résulte pas des éléments du dossier qu'en présence de diverses entreprises concurrentes, dont les parts et les modalités d'intervention respectives sur le marché des encres d'imprimerie en France ne sont pas connues, la position de la société Sicpa aurait pu être dominante, fût-ce dans le secteur des encres d'imprimerie pour étiquettes adhésives ;

Considérant dès lors qu'il ne saurait être reproché au groupe Sicpa un abus de position dominante ;

3. - Sur l'abus de dépendance économique

Considérant qu'aux termes de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est prohibée l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve, à son égard, une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente ;

Qu'ainsi l'état de dépendance économique se caractérise par l'impossibilité de s'approvisionner en produits substituables dans des conditions équivalentes;

Qu'une telle situation s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur et de l'importance de sa part sur le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents;

Considérant que la société Meghan Systems, dûment représentée, ne justifie que de la réalisation de la majeure partie de son chiffre d'affaires avec la société Aarberg, devenue Sicpa-Aarberg, qui lui avait confié la représentation exclusive de son programme d'encres pour l'impression d'étiquettes, étant relevé que cette dépendance contractuelle procédait, non de circonstances objectives, mais d'une stratégie choisie par la requérante, laquelle n'établit pas que la notoriété des encres fabriquées par la société Aarberg ou la part de marché occupée par celle-ci l'auraient privée d'une solution d'approvisionnement équivalente;

Qu'elle ne démontre pas davantage qu'elle aurait en vain recherché d'autres fournisseurs dès lors qu'elle se contente de faire état d'une tentative infructueuse au cours du salon Labelexpo de Chicago en septembre 1994 et d'invoquer le manque de temps pour réussir une diversification ;

Considérant qu'il s'ensuit que la requérante ne prouve pas l'existence d'un état de dépendance économique;

Considérant que, de l'ensemble de ces éléments, il résulte qu'il n'est pas établi que les faits reprochés aux sociétés Aarberg et Sicpa auraient porté atteinte au jeu de la concurrence sur le marché des encres d'imprimerie en France ;

Que, par suite, c'est à bon droit que le conseil, faisant application des dispositions de l'article 19 de l'ordonnance précitée, a déclaré la saisine irrecevable et rejeté la demande de mesures conservatoires formulée par la société Meghan Systems ;

Par ces motifs : Rejetant le recours ; Confirme la décision du Conseil de la concurrence n° 95-D-05 du 11 janvier 1995 ; Met les dépens à la charge de la requérante.