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Conseil Conc., 18 octobre 1994, n° 94-D-55

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans le secteur de l'outillage électroportatif

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport de M. Jean-Guirec Le Nom, par M. Cortesse, vice-président, présidant la séance, M. Bon, Mme Hagelsteen, MM. Marleix, Rocca, Sloan, Thiolon, membres.

Conseil Conc. n° 94-D-55

18 octobre 1994

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 9 septembre 1988 sous le numéro F182, par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget a saisi le Conseil de la concurrence de la situation de la concurrence dans le secteur de l'outillage électroportatif ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement, ainsi que par les sociétés FBC Bosch, Production Outillage Electrique, Black et Decker, Métabo, Castorama et Leroy-Merlin ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés FBC Bosch, Production Outillage Electrique, Black et Decker, Métabo, Castorama et Leroy-Merlin entendus, la société Obi ayant été régulièrement convoquée, Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I. CONSTATATIONS

A. Le marché

Les produits évoqués dans la présente décision sont les outils électroportatifs. Ce terme générique recouvre un peu plus d'une centaine de produits, parmi lesquels les perceuses constituent l'outil le plus vendu, devant les scies sauteuses, décapeuses thermiques, ponceuses, meuleuses et autres outils de bricolage.

Le marché de l'outillage électroportatif est peu dynamique, ce qui contraint les fabricants à multiplier les articles ou procédés nouveaux, à s'assurer d'un appui publicitaire fréquent et à mener une politique tarifaire agressive.

La production d'outillage électroportatif est très concentrée : les trois premières marques, Bosch, Black et Decker et Peugeot, représentaient ensemble près de 80 p. 100 des ventes en 1988. Cette situation n'a pas empêché l'entrée sur le marché grand public de la société Métabo, dont les matériels étaient auparavant réservés aux professionnels ; cette dernière marque, qui n'est pas vendue dans le circuit de la grande distribution alimentaire, offre en effet de meilleures marges aux revendeurs spécialisés.

Ces quatre fabricants ont réalisé au cours de l'année 1993 un chiffre d'affaires de 2 800 520 185 francs pour la société Bosch, dont environ 20 p. 100 concernent l'outillage électroportatif, 644 803 016 francs pour la société Black et Decker, dont environ 66 p. 100 concernent l'outillage électroportatif, 239 386 964 francs pour la société Peugeot (aujourd'hui dénommée Production Outillage Electrique) et 132 679 811 francs pour la société Métabo, ces deux dernières entreprises produisant essentiellement de l'outillage électroportatif.

Les circuits de distribution sont également caractérisés par une très forte concentration, tant en quantité qu'en valeur. La part des quincailleries traditionnelles est en effet inférieure à 10 p.100 des ventes, alors que les hypermarchés alimentaires et les grandes surfaces spécialisées en bricolage se partagent plus de 80 P. 100 du marché, le solde étant distribué par les grands magasins et par correspondance.

La progression des ventes des grandes surfaces spécialisées en bricolage s'explique par l'augmentation importante du nombre de magasins de cette catégorie ouverts au cours de la dernière décennie et par l'étendue du choix offert à la clientèle. La première enseigne est Castorama, qui avec soixante-quinze points de vente assurait en 1988 environ 8 p. 100 de la distribution d'outillage électroportatif, suivie de Leroy-Merlin, liée au groupe Auchan avec quarante quatre magasins, soit environ 6,5 p. 100 du marché. La société Obi, qui dépend du groupe Casino, rassemblait soixante-deux magasins de moindres dimensions, qui distribuaient environ 1 p. 100 de l'outillage électroportatif vendu en France.

Ces distributeurs ont réalisé au cours de l'année 1993 un chiffre d'affaires de 8 663 354 204 francs pour Castorama, 7372 347 692 francs pour Leroy-Merlin et 883 223 000 francs pour Obi, le rayon outillage électroportatif représentant environ 2 p. 100 de ces chiffres d'affaires.

B. Les pratiques relevées

1. Les conditions de vente des fabricants

1.1. Observations générales

Les outils électroportatifs sont fréquemment considérés comme des produits d'appel, tant par les grands commerces alimentaires dont ils ne représentent qu'une très faible partie des ventes que par les grandes surfaces spécialisées en bricolage.

Compte tenu de cette situation, les trois fabricants vendant aux hypermarchés alimentaires (Bosch, Black et Decker, Peugeot) ont progressivement instauré, sous diverses dénominations, des accords de coopération commerciale prévoyant en sus des ristournes de fin d'année quantitatives ou inconditionnelles sur leur tarif de base, l'octroi aux adhérents des grandes centrales alimentaires ou spécialisées, de remises différées mensuelles, trimestrielles ou quadrimestrielles.

Celles-ci, négociées annuellement, sont censées rétribuer des services qualitatifs rendus par le distributeur et explicités de manière plus ou moins précise dans les contrats de coopération. Elles rémunèrent notamment la contribution particulière qu'apporte le distributeur par sa bonne collaboration à la vente des produits : présence et mise en avant de la marque, participation aux actions promotionnelles ; un avantage supplémentaire est en outre généralement accordé aux grandes surfaces spécialisées dans le bricolage, par l'attribution d'une remise de conseil, de démonstration ou de présence d'un vendeur spécialisé.

L'application de ces remises différenciées, qu'elles correspondent ou non à la rémunération de services strictement individualisés, permet de garantir aux distributeurs des " marges arrière " et d'éviter les reventes au " prix coûtant ", en élevant le seuil de revente à perte, réputé être le prix d'achat facturé TTC.

En revanche, la société Métabo, qui n'est pas exposée à la politique de prix d'appel des hypermarchés alimentaires, n'a pas été contrainte de proposer à ses distributeurs des remises différées qualitatives ; ce fabricant a cependant établi des contrats de partenariat, qui prévoient l'attribution de remises permanentes et de ristournes différées strictement quantitatives, en fonction du nombre d'appareils achetés ou du chiffre d'affaires atteint.

1.2. Observations particulières à chaque entreprise

a) Les stipulations figurant dans les différents contrats de coopération commerciale :

Les entreprises Bosch, Peugeot et Black et Decker ont inséré dans leurs accords de coopération commerciale des stipulations subordonnant l'attribution de remises différées de coopération commerciale au respect des clauses dites qualitatives qui y étaient énumérées. Ces dispositions étaient formulées dans les termes suivants :

En ce qui concerne la société Bosch (art. 3 du contrat type) :

" La société FBC/Bosch se réserve le droit de signaler à la société ... les manquements aux clauses qualitatives constatées éventuellement dans l'un ou plusieurs de ses magasins, pour remettre en cause l'attribution de la remise de coopération commerciale. "

En ce qui concerne l'entreprise Peugeot, figurait dans un contrat, passé en septembre 1987 avec la centrale d'achat de la société Carrefour, une clause, aux termes de laquelle une remise différée inconditionnelle de coopération ne devait " pas être introduite dans le prix".

La société Black et Decker, quant à elle, avait fait figurer dans ses contrats de coopération " court terme " et " fin d'exercice " l'attribution différée de remises, différenciées selon des critères qualitatifs tels que la " présence de la marque dans l'ensemble des points de vente ", "la bonne collaboration commerciale " ou le " respect de la marque ". Or, sur plusieurs documents contractuels figurant au dossier d'instruction, des mentions complémentaires explicitaient ce qu'il fallait entendre par ces expressions : ainsi, sous la rubrique " bonne collaboration ", il fallait lire : " respect de la législation sur les prix " ou " interdiction de la vente à perte (conditions faites aux sociétés Castorama et Paridoc pour 1986/87)" et sous la rubrique " respect de la marque ", il fallait lire : " pas de vente à perte sauf en cas d'alignement sur la concurrence " (contra avec la centrale Samod pour 1987). L' " application des prix de revente conseil " figurait en outre explicitement parmi les conditions d'accès à la remise différée de 9 p. 100 qu'attribuait la société Black et Decker sur le chiffre d'affaires spécifique à cette gamme de produits.

Les accords de partenariat du fabricant Métabo subordonnaient l'attribution aux distributeurs d'une remise différée quantitative et d'une ristourne de fin d'année inconditionnelle, au " respect d'un coefficient minimum de 1,50 sur prix facturés ". Ces mêmes documents organisaient en outre le " suivi permanent par la société Métabo du respect de sa politique commerciale" dans les termes suivants : " Métabo intervient efficacement à chaque fois qu'un distributeur affiche un comportement non conforme à la politique Métabo" (points 5.1 et 5.5 du partenariat) ;

b) Les interventions de certains fabricants auprès de leurs distributeurs :

L'une des caractéristiques du marché de l'outillage électroportatif de loisirs est l'absence d'intermédiaires commerciaux entre les fournisseurs et les distributeurs. Cette situation a facilité les interventions des fabricants, soit spontanées, soit sur la demande de certains revendeurs, pour faire respecter un prix minimum de revente par l'ensemble des distributeurs. Des interventions de cette nature ont été effectuées par les sociétés Bosch et Métabo.

La société Bosch s'est ainsi opposée par divers moyens à ce que des ristournes différées soient intégrées totalement ou partiellement dans les prix de vente au public des appareils de sa marque. A l'occasion de la campagne promotionnelle de fin d'année 1986, organisée par une centrale d'achat dont les promotions avaient été annoncées sur des dépliants publicitaires, plusieurs appareils de marque Bosch concernés par cette opération ont été livrés en quantités très inférieures à celles commandées par cette centrale pour ses magasins, malgré des garanties données préalablement sur l'existence de stocks suffisants. Plusieurs documents saisis par les enquêteurs ont démontré qu'il s'agissait d'une mesure de rétorsion à l'encontre de cette centrale, dont les adhérents refusaient de suivre la politique de prix de vente préconisée par leur fournisseur.

En 1987, interrogée par la société Castorama, la société Bosch est à nouveau intervenue auprès d'un autre distributeur pour lui demander de modifier un prix promotionnel annoncé dans un journal, qui tenait compte d'une partie de la remise différée. Le responsable de cette enseigne a affirmé avoir déféré à cette demande et publié un erratum, qui rectifiait en hausse le prix concerné, calculé en ne tenant plus compte de cette ristourne.

Au cours de la même période la société Métabo, également à la suite d'une interpellation de la société Castorama, a adressé plusieurs télex à la société Leroy-Merlin, lui demandant des éclaircissements sur des prix de revente qu'elle pratiquait et qui apparaissaient inférieurs à ceux qui auraient dû résulter de l'application du coefficient de marge figurant dans l'accord de partenariat.

De la même façon, dans la préparation de la campagne de vente promotionnelle de fin d'année 1987, le fabricant Métabo a rappelé par télécopie au distributeur Obi ce que devrait être, " dans le contexte des termes du partenariat, le prix couramment pratiqué " sur les deux appareils offerts à la vente, compte tenu de leur prix d'achat promotionnel.

En revanche, aucune démarche de cette nature n'a été relevée à l'encontre des sociétés Peugeot et Black et Decker.

2. L'attitude des distributeurs

2.1. Observation commune : l'adhésion au partenariat proposé par Métabo

Au cours des mois de janvier et de février 1987, la société Métabo a communiqué aux distributeurs Castorama, Leroy-Merlin et Obi ses conditions de coopération pour 1987. Dans ces trois accords de partenariat, le " respect d'un coefficient minimum de 1,50 sur prix facturés " était associé à l'octroi de remises différées quantitatives et inconditionnelles accordées par le fabricant, l'ensemble de ces clauses figurant dans le même chapitre des accords.

Cet engagement n'a pas été contesté par les distributeurs, qui ont passé leurs commandes et perçu les ristournes prévues par cet accord de partenariat.

2.2. Observations particulières à la société Castorama : les interventions auprès des fournisseurs Bosch et Métabo

Ainsi qu'il a été exposé au B, 1.2. b ci-dessus, l'entreprise Castorama est intervenue à plusieurs reprises au cours de l'année 1987 auprès des fabricants Bosch et Métabo pour demander des éclaircissements sur les prix pratiqués par ses concurrents, lorsque ces derniers semblaient calculer leur prix de vente en prenant en compte une partie des ristournes différées accordées par la société Bosch ou appliquer une marge inférieure à celle imposée par la société Métabo. Ces interpellations ont été suivies de l'intervention du fabricant et dans deux cas il a été établi que celle-ci avait entraîné la publication d'une modification de prix par le distributeur concerné.

II. - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÉDENT, LE CONSEIL

Sur la procédure :

En ce qui concerne l'envoi d'une notification de griefs complémentaire après la notification du rapport :

Considérant que la société Castorama soutient que le fait de lui avoir adressé une notification de griefs complémentaires après l'envoi du rapport constitue un détournement de procédure contraire aux droits fondamentaux de la défense ;

Mais considérant qu'aucune disposition de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de son décret d'application du 23 décembre 1986, seuls textes applicables à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence, n'interdit à son président d'adresser une notification de griefs complémentaires aux parties, même après envoi du rapport ; que dès lors, notamment, que celles-ci, conformément aux dispositions de l'article 21 de l'ordonnance susvisée, disposent d'un délai de deux mois pour consulter le dossier et présenter leurs observations, puis d'un délai identique pour présenter un mémoire en réponse au rapport complémentaire qui leur est ensuite adressé, une telle notification de griefs complémentaires ne porte atteinte ni au principe du contradictoire ni aux garanties de la défense ;

En ce qui concerne les délais :

Considérant qu'il n'est pas démontré, contrairement à ce que soutient également la société Castorama, en quoi le délai qui s'est écoulé entre le déroulement des faits reprochés et leur examen par le Conseil aurait porté atteinte aux droits de la défense ; qu'il ne peut dès lors être soutenu que les parties n'ont pu voir leur cause entendue dans un délai raisonnable au sens de l'article 6 de la Convention européenne de la sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en tout état de cause, ce moyen est inopérant ;

Sur les pratiques constatées :

En ce qui concerne l'attribution par les fabricants de remises différées liées à l'acceptation d'un accord de coopération dissuadant les revendeurs de les intégrer dans le prix de revente :

Considérant que l'ordonnance du 1er décembre 1986 prévoit explicitement la possibilité pour un fournisseur de rémunérer les services spécifiques que peut lui rendre son distributeur ; que l'accord des deux partenaires sur les termes d'un contrat de coopération commerciale stipulant que l'attribution de remises différées est liée à la réalisation d'objectifs quantitatifs ou de prestations qualitatives n'est pas, en lui-même, contraire au droit de la concurrence ;

Mais considérant que l'inscription dans ces contrats de clauses limitant directement ou indirectement la liberté des distributeurs de fixer leurs prix, revêt en revanche le caractère d'une pratique anticoncurrentielle ; que tel est notamment le cas des dispositions qui fixent un taux de marge minimum à la revente, qui interdisent l'intégration de ristournes différées inconditionnelles dans les prix, ou encore des clauses dites " pénales" qui donnent au fabricant la possibilité de supprimer les remises de coopération commerciale s'il estime qu'il y a eu revente à perte ; que tel est encore le cas des dispositions dont la rédaction vise à permettre des interventions ultérieures du fabricant dans la politique de prix de son distributeur ;

Considérant qu'il est établi que les fabricants mis en cause ont inséré dans leurs accords de coopération l'une ou l'autre de ces clauses prohibées par l'article 7 de l'ordonnance susvisée et que certains se sont en outre attachés à leur application effective ;

Considérant ainsi que les clauses inscrites dans les contrats des sociétés Peugeot et Black et Decker qui ont été citées au paragraphe 1, 2, a du B de la partie I de la présente décision sont critiquables en ce qu'elles limitaient explicitement la liberté des revendeurs d'intégrer dans leurs prix les remises différées même conditionnelles (contrat passé en septembre 1987 entre les entreprises Peugeot et Samod) prévoyaient l'application d'un tarif fixé par le fournisseur (prix de vente " Conseil " de la société Black et Decker), ou permettaient à ce dernier d'apprécier lui-même a posteriori le seuil de revente à perte, ce qui pouvait dissuader les distributeurs d'intégrer dans leurs prix de revente les remises différées qui leur étaient accordées (contrats établis pour la campagne 1987 entre les sociétés Black et Decker d'une part, Castorama, Paridoc et Samod d'autre part).

Considérant que ces deux fabricants Peugeot et Black et Decker, font valoir que les clauses prohibées n'ont pas été mises en œuvre et s'agissant de la société Peugeot, que le contrat critiqué constitue un cas isolé qui a été modifié avant son entrée en vigueur à la suite des observations de l'administration ;

Mais considérant que la circonstance qu'une convention n'a pas eu pour effet de restreindre le jeu de la concurrence ne saurait la faire échapper à l'interdiction édictée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors qu'elle a eu pour objet et pouvait avoir pour effet de limiter la concurrence ; qu'au surplus, s'agissant de la société Black et Decker, le fait que certains distributeurs aient pratiqué des prix de revente inférieurs aux prix d'achat hors remises ou n'aient pas respecté les prix de vente " Conseil " sans avoir pour autant été pénalisés, ne saurait suffire à établir que ces clauses n'ont pas eu d'effet ;

Considérant que l'entreprise Bosch, en se référant à l'article 3 de son contrat de coopération commerciale, cité au paragraphe 1, 2, a du B de la partie I de la présente décision et dont les dispositions ne sont pas en elles-mêmes de nature anticoncurrentielle, a fait indirectement pression sur les distributeurs de ses produits afin de les dissuader d'intégrer les remises différées dans leurs prix de revente, d'autant plus efficacement que ces dernières représentaient pour les appareils Bosch des taux de 9,5 à 13 p. 100, soit un pourcentage important du prix ;

Considérant que si cette entreprise a fait valoir qu'il était légitime qu'elle puisse vérifier l'application des clauses qualitatives avant le versement des ristournes, il est constant que l'interprétation qu'elle a faite de cet article 3 lui a permis, au-delà du simple contrôle de réalisation des engagements dits qualitatifs dont il s'agit, d'intervenir dans la politique de prix des distributeurs ; que de telles interventions ont effectivement été relevées ;

Considérant que le fait pour la société Métabo, d'imposer une clause de marge minimum dans ses accords de partenariat, assortie en outre de menaces d'intervention en cas de non-respect, était de nature à limiter la liberté commerciale des distributeurs et constituait donc une disposition prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;

Considérant que contrairement à ce qu'affirme cette entreprise, l'engagement de rétribuer d'éventuelles prestations de démonstration liées à la technicité de ses produits ne saurait justifier l'imposition d'un taux de marge minimum ;

Considérant que les sociétés Bosch et Métabo font encore valoir qu'elles ont respectivement modifié et supprimé les documents litigieux, postérieurement à la saisine du Conseil ; qu'une telle circonstance, s'il en est pris acte pour l'avenir est cependant sans influence sur le fait que ceux-ci ont été utilisés, au moins au cours de l'année 1987 ;

En ce qui concerne l'acceptation par les distributeurs d'une clause prévoyant un taux de marge minimum à la revente :

Considérant que le document présenté par le fabricant Métabo et intitulé " Le Partenariat", même s'il n'a pas été signé par les sociétés Castorama, Leroy-Merlin et Obi, a été accepté explicitement ou tacitement par ces distributeurs lors de la passation des commandes et constitue en tant que tel une convention susceptible d'affecter la concurrence sur le marché considéré et d'entrer dans le champ de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que les sociétés Castorama et Leroy-Merlin font valoir que cette clause de marge ne constituait qu'une simple recommandation dépourvue de sanction et qu'elles étaient autonomes dans la fixation de leurs prix, comme en témoigneraient notamment des exemples cités de prix de revente inférieurs à ceux prescrits par la société Métabo ;

Mais considérant que tant la volonté affichée d'intervenir traduite par la société Métabo dans son accord de partenariat, que la formulation dans un même chapitre de cet accord, des différentes remises susceptibles d'être accordées et de la clause de respect d'un coefficient minimum sur prix facturés, avaient pour objectif de dissuader les revendeurs d'enfreindre cette prescription ; que dès lors, le fait que les distributeurs se soient dans quelques cas affranchis de cette clause écrite anticoncurrentielle ne démontre pas que celle-ci n'a pas eu d'effet ;

En ce qui concerne les interventions de certains fournisseurs et d'un distributeur dans la politique tarifaire des autres distributeurs :

Considérant que les fabricants Bosch et Métabo sont intervenus auprès de leurs distributeurs dans les conditions évoquées au paragraphe 1.2, b, du B de la partie I de la présente décision pour s'opposer à l'application par ces derniers de prix de revente non conformes à ceux qu'ils souhaitaient voir afficher ; que la société Castorama, qui adhérait au principe de la fixation d'une marge minimale à la revente a participé activement à ces pratiques prohibées en interpellant ces deux fournisseurs sur les prix pratiqués par des concurrents, de la façon décrite au 2.2 du B de la partie I de la présente décision : que de telles pratiques, même si elles n'étaient pas systématiques et n'ont pas toujours été suivies d'effet, constituent des actions concertées qui avaient pour objet d'obtenir une majoration des prix affichés par des distributeurs et sont donc prohibées par les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

En ce qui concerne l'atteinte portée à la concurrence sur le marché :

Considérant que la société Castorama soutient qu'en raison de l'autonomie des distributeurs dans leur politique tarifaire et de la faiblesse des marges prises sur les articles d'outillage électroportatif, considérés comme produits d'appel par la grande distribution, tant les stipulations contractuelles critiquées que les interventions dénoncées n'ont pas été de nature à porter atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence ;

Mais considérant que la circonstance que ces pratiques n'auraient pas porté atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence est sans influence sur leur qualification au regard des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui prohibent les ententes " lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché " ;

Considérant en outre que ces pratiques émanent, tant des principaux fabricants dont les marques représentent ensemble plus de 80 p. 100 du marché français de l'outillage électroportatif, que des principales enseignes spécialisées dans le bricolage, assurant plus de 15 p. 100 des ventes de ces produits ;

Sur les sanctions :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de l'ordonnance : " Le Conseil de la concurrence (...) peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos (...). Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'il désigne, l'affichage dans les lieux qu'il indique (...). Les frais sont supportés par la personne intéressée " ;

Considérant que le dommage à l'économie doit s'apprécier en tenant compte de la généralisation des pratiques reprochées, qui mettent en cause les principales marques d'outillage électroportatif et enseignes spécialisées dans le bricolage connues du grand public ; que pour apprécier le degré de gravité de ces pratiques, il y a lieu pour chaque entreprise, de tenir compte de la puissance de négociation dont elle disposait face à ses partenaires commerciaux, ainsi que de la nature et de la durée des pratiques qui lui sont spécifiquement reprochées ;

En ce qui concerne l'entreprise FBC Bosch :

Considérant que la société Bosch, qui occupe le premier rang parmi les fournisseurs d'outillage électroportatif grand public et professionnel et jouit ainsi d'une forte notoriété, est intervenue à plusieurs reprises auprès des distributeurs afin de s'opposer à la détermination des prix par le libre jeu de la concurrence ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1993 un chiffre d'affaires de 2 800 520 185 francs ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de lui infliger une sanction pécuniaire de 6 000 000 francs ;

En ce qui concerne l'entreprise Production (Peugeot) Outillage Electrique :

Considérant que la clause anticoncurrentielle citée au paragraphe 1.2, a, du B de la partie I de la présente décision, figurant dans le contrat passé par la société Production Outillage Electrique avec la centrale Samod, ne figurait pas dans les contrats habituellement signés par cette société, laquelle n'intervenait pas dans la politique de prix de ses revendeurs ; que la suppression de cette disposition avant son entrée en vigueur limite en outre la portée effective qu'elle a pu avoir sur le marché ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1993 un chiffre d'affaires de 239 386 964 francs ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de lui infliger une sanction pécuniaire de 200 000 francs ;

En ce qui concerne l'entreprise Black et Decker :

Considérant que la société Black et Decker, dont la marque est très connue du grand public, si elle n'intervenait pas a posteriori auprès de ses revendeurs, n'en a pas moins établi des contrats de coopération commerciale dont les clauses étaient de nature à dissuader les distributeurs d'intégrer plusieurs ristournes différées dans leurs prix de revente ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1993 un chiffre d'affaires de 644 803 016 francs ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de lui infliger une sanction pécuniaire de 3 000 000 francs ;

En ce qui concerne l'entreprise Métabo :

Considérant que la société Métabo, dont la marque jouit d'une grande notoriété auprès des professionnels, est intervenue à plusieurs reprises auprès des distributeurs pour faire respecter l'application du coefficient de marge minimum qu'elle avait inséré dans ses contrats de partenariat, malgré le caractère fortement anticoncurrentiel de cette disposition ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1993 un chiffre d'affaires de 132 679 822 francs ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de lui infliger une sanction pécuniaire de 1 300 000 francs ;

En ce qui concerne l'entreprise Castorama :

Considérant que la société Castorama, première enseigne parmi les grandes surfaces spécialisées dans le bricolage, s'est immiscée dans la politique de prix de distributeurs concurrents, en se prévalant auprès de ses fournisseurs Bosch et Métabo des dispositions de leurs contrats de coopération commerciale évoqués au 1.2 a du B de la partie I de la présente décision, auxquels elle adhérait ;

Considérant que cette entreprise a réalisé en 1993 un chiffre d'affaires de 8 663 354 204 francs ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de lui infliger une sanction pécuniaire de 2 000 000 francs ;

En ce qui concerne les entreprises Leroy-Merlin et Obi :

Considérant que ces deux sociétés ont adhéré, par la passation de commandes, à la clause de marge minimum explicitement anti-concurrentielle contenue dans l'accord de partenariat du fabricant Métabo, même si elles s'en sont parfois affranchies ; que la société Leroy-Merlin est par son chiffre d'affaires la seconde grande surface spécialisée dans le bricolage et que la société Obi, de moindre taille, disposait néanmoins à l'époque de plus de soixante points de vente en France ;

Considérant que ces entreprises ont réalisé, en 1993, un chiffre d'affaires de 7 372 347 692 francs pour la société Leroy-Merlin et 883 223 000 francs pour la société Obi ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de leur infliger respectivement une sanction pécuniaire de 500 000 francs pour la première et de 50 000 francs pour la seconde,

Décide :

Art. I". * Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- 6 000 000 francs à la société FBC Bosch ;

- 200 000 francs à la société Production (Peugeot) Outillage Electrique ;

- 3 000 000 francs à la société Black et Decker ;

- 1 300 000 francs à la société Métabo ;

- 2 000 000 francs à la société Castorama ;

- 500 000 francs à la société Leroy-Merlin ;

- 50 000 francs à la société Obi.

Art. 2. - Dans le délai maximum de trois mois suivant sa notification, les sociétés visées à l'article 1er de la présente décision en feront publier le texte intégral à leurs frais et à proportion des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées, dans les quotidiens Les Echos et La Tribune Desfossés.

Cette publication sera précédée de la mention " Décision du Conseil de la concurrence en date du 18 octobre 1994 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'outillage électroportatif".