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Décisions

Conseil Conc., 22 mai 2001, n° 01-D-28

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine présentée par la ville de Marseille à l'encontre de pratique mises en œuvre lors d'un appel d'offres concernant le renouvellement des marchés de construction, d'entretien et de grosses réparations des voies publiques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Servella-Huertas, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, Mmes Perrot, Mader-Saussaye, MM. Nasse, Piot, Ripotot, membres.

Conseil Conc. n° 01-D-28

22 mai 2001

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 27 octobre 1997, sous le n° F 987, par laquelle la ville de Marseille a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre à l'occasion d'un appel d'offres concernant le renouvellement de marchés de construction, d'entretien et de grosses réparations des voies publiques ; Vu le livre IV du Code de commerce et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus au cours de la séance du 27 mars 2001, la ville de Marseille ayant été régulièrement convoquée ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I - CONSTATATIONS

La ville de Marseille a lancé, le 16 mai 1997, un appel d'offres ouvert concernant la réalisation de travaux de construction, d'entretien et de grosses réparations des voies publiques sur l'ensemble du territoire de la commune. Les travaux faisant l'objet de marchés à bons de commande ont été divisés en dix lots distincts suivant la nature des prestations et leur répartition géographique, soit cinq lots A de travaux de voirie et cinq lots B de revêtements hydrocarbonés.

Compte tenu de l'écart entre les offres des entreprises et les estimations de l'administration (variant, selon les lots, de + 9,8 % à + 65,6 %), la commission des marchés de la ville de Marseille a, le 2 octobre 1997, déclaré l'appel d'offres infructueux. Deux procédures négociées ont été successivement lancées, les 9 octobre 1997 et 23 janvier 1998, chacune concernant cinq des dix lots concernés.

Estimant que les sociétés soumissionnaires s'étaient concertées en vue d'une répartition des lots, la commission des marchés de la ville de Marseille, au cours de sa séance du 2 octobre 1997, a invité le maire à envisager la saisine du Conseil de la concurrence. Par lettre en date du 22 octobre 1997, celui-ci a saisi le conseil en application des articles 5 et 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui était représentée lors de la séance du 2 octobre 1997, a invité la ville à lui transmettre les bordereaux de prix établis par les entreprises, ainsi que les détails quantitatifs estimatifs permettant d'apprécier le niveau général des offres.

Par une note du 6 avril 1999, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a demandé au directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de mettre en œuvre une enquête relative aux procédures d'attribution de ces marchés (appel d'offres initial et procédures négociées), " au besoin en utilisant les pouvoirs de l'article 48 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ".

Par ordonnance du 7 mai 1999, le président du Tribunal de grande instance de Marseille a autorisé le directeur régional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, chef de la brigade interrégionale d'enquêtes de Marseille, à procéder ou faire procéder à l'ensemble des visites et à la saisie de tous les documents nécessaires pour apporter les preuves des pratiques mises en œuvre lors de l'attribution de ces marchés, dans les locaux des entreprises Société générale de travaux publics, Jean Lefebvre Méditerranée (agence Provence), Mino, Colas Méditerranée et Chagnaud à Marseille, SCREG Sud-Est et Gerland Provence à Vitrolles, SOGEV à Aix-en-Provence, SACER Sud-Est à Saint-Victoret et Société provençale d'espaces libres à Gardanne. Le président du Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, auquel cette ordonnance donnait commission rogatoire pour contrôler les visites et les saisies effectuées dans le ressort de sa juridiction, a, par ordonnance du 12 mai 1999, autorisé ces opérations dans les entreprises SOGEV, SCREG Sud-Est, SACER Sud-Est, Gerland Provence et Société provençale d'espaces libres.

Les visites et saisies ont été effectuées le 18 mai 1999. Elles ont conduit, notamment, à la saisie des documents suivants : dans les locaux des entreprises Mino et Colas, deux cartes, non datées, indiquant, de la même écriture manuscrite, les montants maximum et minimum des différents lots ; dans les locaux de l'entreprise Mino un historique des attributions de lots.

Par lettre en date du 25 juillet 2000, la présidente du Conseil de la concurrence a été informée de l'issue des investigations diligentées à l'initiative du ministre. Estimant que ces dernières n'apportaient pas de preuves directes et formelles d'une entente entre les entreprises soumissionnaires à l'appel d'offres, ni n'établissaient un faisceau d'indices concordants, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a fait connaître au conseil qu'il n'entendait pas le saisir.

Au vu de ces différents éléments, le rapporteur désigné pour instruire l'affaire a rédigé une proposition de non-lieu, qui a été notifiée à la partie saisissante ainsi qu'au commissaire du Gouvernement.

II - SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL,

Considérant que l'examen des offres des entreprises fait apparaître que, dans chaque catégorie de lots, certaines entreprises ont présenté des offres variables d'un lot à l'autre, alors que les prestations étaient les mêmes ;

Mais considérant que le directeur de l'agence Provence de l'entreprise Jean Lefebvre Méditerranée a indiqué, lors de son audition, que " la différenciation appliquée aux différents lots peut provenir de la taille des chantiers, de l'approvisionnement et du temps nécessaire plus que de la distance pour approvisionner le chantier " ; qu'il a ajouté qu'en milieu urbain, le travail est généralement plus difficile qu'en milieu péri-urbain, ce qui induit des différences de prix de revient, certains coûts étant plus élevés en centre ville qu'en extérieur ; que, d'une manière générale, les soumissions les moins-disantes émanaient d'entreprises qui, soit, comme c'était le cas de la société Colas Méditerranée, disposaient d'une agence dans le territoire du lot considéré, soit avaient travaillé précédemment dans des zones proches; que ces considérations permettent de penser qu'elles disposaient d'un avantage tenant à la connaissance des lieux ou à la proximité de certaines installations ;

Considérant, par ailleurs, que, s'agissant des lots B, il n'était pas incohérent que des entreprises aient choisi de présenter des offres ayant le même écart de pourcentage par rapport à l'estimation administrative, dès lors que l'administration, elle-même, avait fait la même estimation pour chacun des cinq lots ;

Considérant qu'en ce qui concerne les cartes saisies dans les locaux des entreprises Mino et Colas et indiquant, de la même écriture, les montants maximum et minimum des différents lots, M. Willocq, gérant de la société Mino, a déclaré : " Ce document [...] est une carte établie par moi-même. L'écriture manuscrite sur la carte en bas de page est de ma main " ; que M. Perez, chef de centre de la société Colas, a indiqué : " Cette pièce m'a été communiquée très récemment (début 1999) par un confrère lors d'une réflexion personnelle sur la géographie des lots " ; que les cartes dont il s'agit n'étant pas datées, aucun élément ne permet d'infirmer cette déclaration ; que ces documents, dont il ne peut donc être exclu qu'ils aient été élaborés et transmis après l'attribution des marchés, ne peuvent permettre de caractériser une entente entre les sociétés Mino et Colas ;

Considérant, enfin, qu'un historique des attributions de lots en 1990, 1994 et 1998, sous forme de cartes géographiques représentant les arrondissements de Marseille, a été saisi dans les locaux de l'entreprise Mino ; qu'il fait apparaître que ces lots ne recouvrent pas, d'une période à l'autre, les mêmes arrondissements ; que ces modifications rendent difficile la caractérisation d'une reconduction automatique des marchés ; qu'en effet, si certaines entreprises conservent des marchés incluant des arrondissements dont elles avaient déjà été adjudicataires (ainsi Colas dans le 15e arrondissement, Gerland dans le 14e, Mino dans les arrondissements du centre ville), il n'est pas possible d'en déduire une concertation, et ce d'autant moins que des éléments objectifs permettent de justifier la présence de certaines entreprises dans des secteurs déterminés (ainsi l'entreprise Colas a obtenu le marché incluant le 15e arrondissement dans lequel est établie l'une de ses agences) ;

Considérant, en conséquence, que les éléments recueillis au cours de l'enquête ne constituent pas un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes pour apporter la preuve d'une entente ; qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce,

Décide :

Article unique - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.