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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 19 octobre 1987, n° ECOC8710732X

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Chapelle, Semavem (SARL)

Défendeur :

Sony France (Sté), Philips Électronique Domestique (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Drai

Présidents de chambre :

MM. Edin, Gelineau-Larrivet

Conseillers :

MM. Schoux, Borra

Avoués :

SCP Gaultier-Kistner, Me Lecharny, SCP Fisselier-Chilioux Boulay

Avocats :

Mes Bremond, de Mello, Saint-Esteben.

CA Paris n° ECOC8710732X

19 octobre 1987

LA COUR,

La Cour a été saisie le 16 septembre 1987 du recours formé par l'entreprise Jean Chapelle et la société Semavem contre la décision n° 87-MC-07 rendue le 2 septembre 1987 par le Conseil de la concurrence qui a rejeté leur demande de mesures conservatoires à l'encontre des sociétés Philips Electronique Domestique, Sony-France et de dix autres fournisseurs de téléviseurs et de matériels "vidéo".

L'entreprise individuelle Jean Chapelle et la SARL Semavem, dirigée par M. Chapelle, son gérant, font grief aux principaux fournisseurs des produits susvisés d'exploiter abusivement la situation dans laquelle ces mêmes fournisseurs les auraient placées. Après avoir saisi, au fond, le Conseil de la concurrence le 16 mars 1987, elles lui ont demandé, le 16 juin 1987, d'ordonner auxdits fournisseurs, sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de suspendre leur refus de vente, d'ordonner à la société Philips Électronique Domestique ainsi qu'à deux autres sociétés de supprimer une clause de leurs conditions de vente ayant pour effet d'imposer un prix de revente minimal et enfin de déclarer anticoncurrentielles les nouvelles conditions de vente mises en vigueur le 1er avril 1987 par la société Sony France.

Le Conseil de la concurrence a essentiellement retenu que, sous réserve de l'examen au fond, il n'était pas établi que les demandeurs au recours fussent vis-à-vis de l'une quelconque des sociétés visées en état de dépendance économique, au sens de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Devant la cour, l'entreprise Jean Chapelle et la société Semavem maintiennent leurs demandes à l'égard des seules sociétés Philips Electronique Domestique et Sony-France. Elles concluent à l'annulation de la décision aux motifs que la commission permanente du Conseil de la concurrence n'était pas compétente pour statuer et que le principe du contradictoire n'avait pas été respecté. Elles sollicitent de plus la réformation de la décision. Elles critiquent essentiellement le choix de critères qu'elles tiennent pour insusceptibles de rendre compte de leur situation de dépendance, laquelle résulterait objectivement des refus de vente pratiqués conjointement par les sociétés Philips Électronique Domestique et Sony-France et par les autres fournisseurs non présents aux débats. Elles affirment enfin que les conditions de vente imposées par les deux sociétés défenderesses sont discriminatoires à leur égard et anticoncurrentielles. Elles demandent à la cour de condamner solidairement les défenderesses à leur payer la somme de 20000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Philips Électronique Domestique, défenderesse au recours, explique l'absence de ses livraisons aux plaignants, entre 1979 et 1985, par la situation fortement débitrice de la société Semavem à son égard et l'absence actuelle de livraisons de téléviseurs et de magnétoscopes par le défaut de commande.

Contestant l'existence des pratiques anticoncurrentielles qui lui sont reprochées et la réalité de la situation de dépendance invoquée par les demandeurs au recours, cette société conclut au rejet de leur demande de mesures conservatoires et à leur condamnation à lui payer la somme de 30000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Sony-France, seconde défenderesse au recours, observe que les demandeurs reprennent, à propos de ses conditions de vente, un litige qui a déjà fait l'objet de décisions du Conseil de la concurrence devenues définitives.

Elles soutiennent que ses livraisons ont été suspendues à la demande même de l'entreprise Jean Chapelle et de la société Semavem.

Contestant l'existence d'un état de dépendance desdites entreprises à son égard, elle conclut au rejet de leur demande et sollicite en outre leur condamnation à lui payer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur quoi,

1. Sur la demande d'annulation de la décision

Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 4 alinéa 1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que la commission permanente peut, au même titre que la formation plénière et les sections du Conseil de la concurrence, être investie sans restriction des pouvoirs d'instruction et de jugement de ce dernier ;

Que la commission permanente était en conséquence compétente pour prendre la décision déférée

Considérant d'autre part, qu'aux termes de l'article 22 alinéa 1 susvisé : "Le président du Conseil de la concurrence peut, après notification des griefs aux parties intéressées, dédier que l'affaire sens portée devant la commission permanente, sans établissement préalable d'un support. Cette décision est notifiée aux parties qui peuvent, dans les quinze jours, demander le renvoi au conseil" ;

Que, suivant l'article 12 alinéa I de l'ordonnance précitée, le Conseil de la concurrence peut, après audition des intéressés, prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ;

Qu'en l'espèce, les parties n'ont pas usé de la faculté de demander le renvoi au conseil ;

Que, dès lors, l'instruction de l'affaire ne comportait pas de rapport et qu'il suffisait, pour que fût respecté le caractère contradictoire de la procédure prescrit par l'article 18 de l'ordonnance, que les parties aient pu librement prendre connaissance de toutes les pièces du dossier, et être entendues, au cours d'un seul et même débat ;

Que ces règles ont été respectées, en la présente espèce ;

2. Sur la demande de réformation

Considérant qu'aux termes de l'article 12 alinéa 2 précité, les mesures conservatoires " ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante" ;

Considérant que ce texte subordonne la mise en œuvre des mesures protectrices qu'il organise à la constatation de faits constitutifs d'un trouble manifestement illicite auquel il conviendrait de mettre fin sans tarder ou susceptibles de réaliser un préjudice imminent et certain qu'il s'agirait alors de prévenir, dans l'attente de la décision au fond ;

Considérant qu'en l'espèce, l'entreprise Jean Chapelle et la SARL Semavem, qui opposent aux sociétés défenderesses, pour leur en faire grief, des " refus de vente ", ne peuvent sérieusement contester qu'elles- mêmes se sont volontairement abstenues de passer des commandes, en soutenant que les conditions de vente qui leur étaient faites étaient anticoncurrentielles.

Considérant qu'à défaut d'entente établie ou même simplement alléguée, les deux entreprises demanderesses au recours ne sauraient non plus imputer aux sociétés Philips ED et Sony-France une part de responsabilité dans les refus de vente, au demeurant seulement affirmés, que leur auraient opposés les autres fournisseurs, aujourd'hui absents des débats.

Considérant qu'il n'est nullement établi en l'état que la clause des conditions de vente de la société Philips ED subordonnant le bénéfice des ristournes au respect de la réglementation économique par le partenaire et qui n'est pas spécialement stipulée à l'égard des entreprises plaignantes, ait pour effet d'imposer à celles-ci un prix de revente minimal ;

Que la SARL Semavem et, par conséquent, M. Jean Chapelle qui dirige cette société, ont pu avoir connaissance de l'ensemble des conditions de vente de la société Philips ED en suite de l'ordonnance rendue le 31 août 1987 en référé par le président du tribunal de commerce de Romans ;

Considérant, par ailleurs, que la demande de communication desdites conditions est sans objet ;

Considérant que les conditions de vente mises en vigueur par la société Sony-France le 1er avril 1987, qualifiées d'anticoncurrentielles par les demandeurs au recours, ont déjà fait, indépendamment de leur examen à venir au fond, l'objet de décisions du Conseil de la concurrence relatives à des mesures conservatoires et devenues définitives ;

Considérant qu'il s'ensuit que les pratiques anticoncurrentielles reprochées aux deux sociétés défenderesses ne sont pas manifestes ;

Considérant, en ce qui concerne l'état de dépendance économique allégué par les entreprises plaignantes, qu'en raison de la pluralité de fournisseurs de réputation mondiale présents sur le marché français des produits en cause, les sociétés Philips ED et Sony France ne détiennent chacune, malgré la notoriété de leurs marques respectives, qu'une part relativement faible dudit marché et qu'elles n'interviennent que de façon secondaire dans le chiffre d'affaires des entreprises plaignantes;

Qu'il n'apparaît nullement, dans ces conditions, que celles-ci courent le risque d'être privées de solutions de remplacement, à tout le moins pendant la durée de l'instance au fond qu'elles ont engagée;

Que la situation de dépendance prétendue ne présente aucun caractère évident;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus que c'est à bon droit que le Conseil de la concurrence a estimé qu'en l'état, les pratiques commerciales imputées aux sociétés Philips ED et Sony-France ne portent pas une atteinte grave et immédiate aux entreprises plaignantes non plus qu'aux autres intérêts mentionnés à l'article 12, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Par ces motifs : Vu l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, rédaction loi du 6 juillet 1987 ; Rejette la demande d'annulation, Confirme, en toutes ses dispositions, la décision n° 87-MC-07, rendue le 2 septembre 1987 par le Conseil de la concurrence ; Dit n'y avoir lieu à mesures conservatoires à l'encontre de Philips Électronique Domestique et de Sony-France ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Condamne les demandeurs au recours aux dépens de l'instance.