Conseil Conc., 22 novembre 1988, n° 88-MC-17
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Demande de mesures conservatoires présentée par la société Semavem
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré en section, sur le rapport oral de M. J.-R. Bourhis, dans sa séance du 22 novembre 1988, où siégeaient : M. Pineau, vice-président ; MM. Cortesse, Gaillard, Sargos, Urbain, membres.
Le Conseil de la concurrence,
Vu la demande de M. Jean Chapelle présentée le 14 octobre 1988 au nom de la SARL Semavem à l'encontre de la société Sony France, et enregistrée sous le numéro C 222 ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ; Vu les observations de la Semavem enregistrées le 14 novembre 1988 ; Vu les observations de la société Sony enregistrées le 14 novembre 1988 ; Vu les observations du commissaire du Gouvernement enregistrées le 7 novembre 1988 ; Vu le rapport administratif du 8 juillet 1988 établi par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à la suite d'une enquête relative aux relations commerciales entre les entreprises Seda-Semavem-Jean Chapelle, d'une part, et la SA Sony France, d'autre part, rapport versé au dossier de la demande de mesures conservatoires Semavem à la requête de M. Chapelle par lettre du 10 novembre 1988 ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, et les parties entendus,
Considérant qu'accessoirement à une nouvelle saisine au fond la Semavem demande au Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, d'enjoindre à la société Sony France :
" - de ne plus imposer un caractère minimal à la marge et aux prix, notamment en supprimant le caractère aléatoire des ristournes et ne faisant plus facturer par les revendeurs des services liés à l'acte d'achat, habituellement à la charge du revendeur ou rémunérés par le fournisseur ;
" - de ne plus exiger que les groupements aient une enseigne unique et une politique commerciale commune pour pouvoir bénéficier des remises et ristournes quantitatives, des accords de coopération et des programmations, afin de pouvoir permettre à la société Semavem de constituer un groupement d'achats avec des revendeurs indépendants ;
" - de ne plus pénaliser les rétrocessions par la suppression des remises et ristournes ;
" - de remplacer le critère de répartition par un critère concurrentiel, qui notamment ne fige pas les parts de marché et n'interdise pas l'accès aux taux supérieurs des accords de coopération ou des programmations ;
" - de ne tenir compte que des seuls agissements des revendeurs pour éventuellement ne pas accorder les remises ou ristournes en cas de non-respect des objectifs quantitatifs, c'est-à-dire d'arrêter de tenir compte des non-livraisons imputables à Sony et notamment des effets du critère actuel de répartition de la pénurie ;
" - de revenir à l'état antérieur au 1er octobre 1988, c'est-à-dire aux conditions convenues entre Semavem et Sony France durant l'été 1988 ;
" - de ne plus exiger la renonciation par Semavem à ses procédures pour accepter de lui faire une place dans ses conditions ;
" - de ne plus exiger l'animation de 100 détaillants et un courant d'affaires continu avec 50 détaillants, ou toute autre clause interdisant l'accès aux conditions grossistes à des sociétés exerçant une activité de gros ;
" - de respecter les termes de la transaction du 21 septembre 1984 liant Sony France et Semavem ;
" - de prendre toutes autres mesures utiles à la disparition des pratiques contraires aux articles 7, 8 et 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986."
Considérant, au sujet de l'accord et de la transaction sus-visés intervenus entre les sociétés Semavem et Sony France, que des négociations, en septembre 1984, ont débouché sur la signature d'une transaction prévoyant notamment que Sony France accorde, conformément au barème d'écart alors en vigueur, le régime des remises et ristournes de 10 p. 100 plus 10 p. 100 ; que l'exécution de cette transaction a donné lieu à de nombreux litiges portés devant le tribunal de commerce de Romans qui, dans un jugement rendu le 16 décembre 1987, a enjoint à la société Sony "de livrer à la société Semavem, contre paiement comptant à la livraison les marchandises qu'elle lui commande, ce provi- soirement, au barème et conditions de vente, soit de remises de 10 p. 100 plus 10 p. 100 comme prévu dans la convention du 17 octobre 1984 soit de remises prévues aux nouveaux barèmes et conditions adoptés depuis le 1er avril 1987 par la société Sony France applicables à la société Semavem au choix de celle-ci et au besoin y condamne Sony France. Et pour les marchandises dont l'approvisionnement est insuffisant et pour lesquelles la société Sony France ne peut satisfaire toutes les commandes de les lui livrer en proportion identique à celles des livraisons faites aux autres revendeurs" ; que, par ailleurs, des négociations se sont à nouveau déroulées durant l'été 1988 entre les parties, négociations ayant abouti à l'octroi de certains avantages aux différentes sociétés du "groupe Chapelle ", avantages consistant en l'attribution d'une remise supplémentaire de 5 p. 100, en la possibilité pour les sociétés Seda, Semavem et Jean Chapelle de se regrouper pour l'obtention de la remise quantitative maximale de 12 p. 100 et en la faculté, pour la seule société Seda, d'obtenir des magnétoscopes Sony sans que Seda soit préalablement contrainte de signer un contrat de distribution sélective que, selon la société Sony, ces mesures exceptionnelles n'auraient eu qu'un caractère provisoire limité aux seuls mois de juillet, août et septembre 1988 et n'auraient eu pour seul objet que de faciliter la reprise des relations commerciales entre les différentes parties ;
Sur la dépendance économique de Semavem vis-à-vis de Sony France :
Considérant que la notoriété de la marque Sony pour certains types de matériels comme les platines laser et les camescopes est telle qu'un revendeur peut difficilement se passer de cette marque dans l'assortiment qu'il présente à sa clientèle; que les parts de la société Sony France sur les marchés des platines laser et des camescopes ont représenté, selon les enquêtes GFK, respectivement 20 p. 100 et 43 p. 100 au cours de l'année 1987; qu'il ressort des pièces du dossier que les livraisons faites par la société Sony France à Semavem ont représenté 76 p. 100 des approvisionnements de cette société durant les trois premiers trimestres de l'année 1988; qu'il ressort des déclarations du responsable de la société Semavem que la part des ventes d'appareils hi-fi de marque Sony a représenté 95 p. 100 en 1988 et que la part des ventes de camescopes de même marque s'est élevée à 100 p. 100 au cours de la même période; que, contrairement à ce qu'allègue la société Sony France, le simple fait qu'un distributeur non spécialisé commercialise des produits de marque Sony sur le marché français, dans des proportions par ailleurs non établies, ne peut suffire à établir la preuve de l'existence d'une solution alternative pour les approvisionnements d'une société telle Semavem spécialisée dans la distribution des produits "grand public" audio-vidéo-télévision ; que, dans ces conditions, il apparaît que la Semavem ne dispose pas de solution équivalente pour les lecteurs laser de salon et camescopes de la marque Sony et qu'elle est susceptible de se trouver en situation de dépendance vis-à-vis de la société Sony France; qu'en revanche, en l'état du dossier, il n'est pas établi contrairement à ce que soutient la société Semavem, qu'une telle situation de dépendance puisse exister pour les autres produits, cela en raison notamment des parts relativement modestes détenues par Sony France sur les marchés concernés ;
Sur la demande d'injonction de contraindre Sony France à respecter les termes de la transaction signée le 21 septembre 1984 entre les parties et de respecter les conditions convenues durant l'été 1988 :
Considérant d'une part qu'il n'entre pas dans la compétence du Conseil de la concurrence de faire respecter la décision du tribunal de commerce de Romans en date du 16 décembre 1987 par laquelle ce tribunal se prononçait sur les conditions d'application de la transaction signée en 1984 par les sociétés Semavem et Sony France que de même il n'entre pas dans le champ de compétence du Conseil de la concurrence de s'immiscer dans des litiges relatifs aux procédures susceptibles d'être engagées par Semavem auprès des juridictions compétentes ;
Considérant d'autre part que le fait que la société Sony France ait décidé de cesser d'appliquer à la société Semavem des conditions exceptionnelles qu'elle lui avait consenties à titre provisoire pendant l'été 1988 et de lui laisser pour l'avenir le choix entre l'application de ses conditions générales de vente ou l'application du système 10 p. 100 plus 10 p. 100 ne saurait être regardé comme une pratique visée par les dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986
Sur les autres demandes :
Considérant que l'application des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est subordonnée à la constatation de comportements manifestement illicites se rattachant aux pratiques visées par les articles 7 et 8 et auxquels il faudrait mettre fin sans délai pour prévenir ou faire cesser un trouble grave et immédiat
a) Sur le système de répartition des commandes adopté par la société Sony France et sur le refus de la prise en compte des non-livraisons découlant de l'absence de stocks pour l'octroi des remises prévues dans les accords de coopération ou de programmation :
Considérant que la société Semavem allègue que, dans les cas de pénurie de marchandises, la société Sony France entend répartir les commandes selon le poids occupé par les revendeurs dans son réseau le semestre précédent, et ce, par catégories de produits ; que, selon le demandeur, ce système aurait pour effet de figer les parts de marché existantes et donc de limiter la concurrence ; que par ailleurs, le refus par Sony France d'octroyer des remises aux revendeurs ayant pris des engagements quantitatifs dans le cadre des accords de coopération en cas d'absence de disponibilité de stocks pourrait avoir des incidences sur la concurrence ;
Considérant, en premier lieu, qu'il n'est pas manifeste au vu des éléments du dossier et sous réserve d'un examen au fond que la règle de répartition des commandes retenue par Sony France en cas d'indisponibilité relative des produits, règle fondée sur la considération des ventes passées des distributeurs concernés, entrave plus gravement la concurrence qu'un autre système de répartition de la pénurie, fondé par exemple sur la considération des commandes présentes des distributeurs, lesquelles peuvent être artificiellement gonflées ; qu'en outre, il ne ressort pas des pièces fournies que l'application de ce système ait donné lieu à des refus de vente caractérisés à la société Semavem
Considérant, en second lieu, qu'il n'est pas établi, sous réserve d'un examen au fond, que la pénurie de certains produits résulte d'une volonté délibérée de Sony France qu'il n'est dès lors non plus pas établi que le calcul des remises prévues dans les accords de coopération ou de programmation, lequel exclut la prise en compte des produits non livrés pour cause de pénurie, puisse constituer une pratique anti- concurrentielle susceptible d'être visée par les dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
b) Sur la demande relative à la modification par Sony France de certaines clauses de ses conditions de vente
Considérant que la société Semavem soutient que les nouvelles conditions générales de vente mises en application par la société Sony France en juillet 1988 auraient pour effet de conférer un caractère aléatoire aux ristournes dites "qualitatives" et, de ce fait, d'imposer un niveau minimum aux prix et aux marges en empêchant la prise en compte de ces ristournes dans le calcul des prix de revient pour la détermination du seuil de la revente à perte ; qu'il en serait de même du système visant à faire facturer certains services dits "spécifiques" par les revendeurs ; qu'en outre, les conditions de vente mises en application par Sony France en juillet 1988 interdiraient, dans les faits, les rétrocessions entre sociétés ne possédant pas la même enseigne, en supprimant certaines remises et ristournes ; qu'enfin l'imposition d'une enseigne unique aux groupements de revendeurs pour l'octroi de certaines remises qualitatives et la fixation de conditions spécifiques pour l'accès au régime "grossiste " auraient un caractère manifestement discriminatoire et des incidences sur la concurrence ;
Considérant que, sans que cela soit formellement établi à ce stade de la procédure, il ne peut être exclu que, d'une part, les ristournes différées découlant de l'application des barèmes et la facturation de certains services par les revendeurs et, d'autre part, l'imposition par Sony France d'une enseigne unique pour l'attribution de certaines remises liées aux reventes entre distributeurs ou encore la fixation de conditions restrictives d'accès au barème "grossiste " soient de nature à affecter le fonctionnement du marché dans les conditions fixées par les articles 7 et 8 de l'ordonnance de 1986 ; que l'ensemble de ces conditions de vente ainsi que leurs incidences sur le marché feront l'objet de l'instruction de l'affaire au fond ;
Considérant que les éléments financiers, joints à la demande, lesquels se limitent à la présentation de comptes de résultat 1986-1987 et à une situation provisoire sommaire au 30 septembre 1988 de la société Semavem, n'établissent nullement que la situation financière de cette société, dont une part importante de l'activité est la revente à faible marge aux sociétés Seda et Jean Chapelle, sociétés ayant des liens très étroits avec le demandeur, soit grave qu'en outre, il n'est pas établi que la définition par Sony France de nouvelles conditions de vente auxquelles la société Semavem n'est pas obligée de souscrire, en application de la décision du tribunal de Romans susvisée, serait de nature à porter à cette société une atteinte grave et immédiate appelant des mesures d'urgence ;
Considérant qu'à supposer même que la société Semavem et, par son intermédiaire, les autres sociétés du "groupe Chapelle" exercent un effet directeur sur les marchés des produits concernés, il n'est pas établi que la discrimination dont Semavem pourrait être victime et qui réduirait ses marges soit de nature à interdire à ces sociétés de poursuivre dans l'immédiat une politique de prix inférieurs à ceux pratiqués par la plupart des autres offreurs ; qu'il p'est pas non plus établi par les éléments versés au dossier que la définition par Sony France de ses nouvelles conditions générales de vente a eu pour effet de faire remonter les prix de ses produits sur le marché et de restreindre la concurrence entre l'ensemble de ses revendeurs dans des conditions telles qu'elles nécessiteraient l'intervention de mesures d'urgence ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il ne peut être donné suite à la demande de mesures conservatoires présentée par la Semavem,
Décide :
Article unique - La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro C. 222 est rejetée.