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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 19 mars 1990, n° 86-5006

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

RCMH Codibel (SA)

Défendeur :

Robert Bosch France (SA), Ministre des Finances, Procureur général

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hannoun

Conseillers :

MM. Canivet, Bergougnan, Guérin

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Bolling

Avocats :

Mes Bloch, Lepen.

T. com. Bobigny, du 8 déc. 1987

8 décembre 1987

LA COUR est saisie de l'appel formé par la société RCMH contre un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bobigny, le 8 décembre 1987, qui l'a déboutée de sa demande en indemnisation formée contre la société Robert Bosch France sur le fondement d'un refus de vente de matériel électroménager, de pratiques anticoncurrentielles, enfin de la rupture abusive de leurs relations commerciales et l'a, en outre, condamnée à des dommages et intérêts.

Il est référé à ce jugement pour l'exposé détaillé des faits et de la procédure de première instance dont les éléments essentiels sont ci-après rappelés :

La société RCMH exerce à Nantes et dans sa région, depuis 1965, sous la raison commerciale Codibel, une activité de vente en gros et au détail d'appareils électroménagers et d'aménagement de cuisines.

Tout en distribuant de nombreuses marques concurrentes, elle est liée depuis 1983 à la société Robert Bosch France par un accord de coopération commerciale, annuellement renouvelé, qui fixe entre elles, sans concession d'exclusivité, les modalités de vente des matériels de cette marque selon des quantités et des conditions particulières.

En application de ce contrat, les achats de RCMH à Robert Bosch France ont été en 1986 de près de six millions de francs représentant 60 % de ses ventes en gros.

Toutefois, les pourparlers relatifs à la conclusion de leur accord de coopération pour l'année 1987 n'ayant pas abouti, la société Robert Bosch France a, au mois de mars 1987, interrompu l'exécution, au tarif grossiste, des commandes faites par la société RCMH dans des conditions qui ont déterminé l'ouverture du litige ayant donné lieu au jugement entrepris.

Au soutien de son appel, la société RCMH fait valoir qu'en procédant à une analyse arbitraire de ses résultats financiers des années 1983, 1984 et 1985, et sans tenir compte du redressement opéré en 1986, la société Robert Bosch France lui a imposé, pour le renouvellement de leur contrat, des conditions de garantie totalement injustifiées et discriminatoires à défaut desquelles celle-ci a, sans préavis ni justification, au mois de mars 1987, rompu leurs relations commerciales et refusé d'honorer les commandes passées selon leurs anciennes conditions contractuelles.

Elle en tire pour conséquences :

- que cette rupture de leurs accords de distribution caractérise à l'encontre de son adversaire "des infractions aux articles 7, 8 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986" et constitue en particulier l'exploitation abusive de l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouve à l'égard de cette société,

- que le refus de vente auquel s'est livré la société Robert Bosch France engage la responsabilité de celle-ci dans les termes de l'article 36 de l'ordonnance précitée,

- qu'il s'agit au surplus d'une rupture abusive de leurs relations commerciales que la dite société doit être tenue à réparer,

En définitive, la société RCMH conclut à l'infirmation du jugement dont appel et à la désignation d'un expert chargé de réunir les éléments d'évaluation du préjudice économique qu'elle dit avoir subi, tout en reprenant la demande de versement d'un indemnité provisionnelle, d'un montant de 350.000 F, déjà présentée en première instance.

Dans ses prétentions, l'appelante est soutenue par le Directeur de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de la Région Ile de France qui intervient aux débats conformément aux dispositions de l'article 56 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et conclut à la réformation du jugement entrepris, en ce qu'il a admis comme licite les garanties financières, selon elle disproportionnées, imposées par la société Robert Bosch France à la société RCMH et à l'annulation des conditions cumulatives exigées par la dite société pourjustifier son refus de vente en violation des dispositions de l'article 36-2 de l'ordonnance susvisée.

La société Robert Bosch France soutient au contraire :

- que la précarité de la situation financière de la société RCMH justifiait les garanties dont elle voulut assortir la renouvellement de leur contrat de distribution, selon des modalités conformes aux usages de la profession et identiques à celles qu'elle exige des autres grossistes se trouvant en semblables situations,

- que le refus opposé par la dite société de lui fournir les garanties exigées a motivé l'interruption de la livraison à cette entreprise des commandes que celle-ci n'a, de ce fait, pas passées de bonne foi,

- qu'enfin, le non renouvellement de leur accord de coopération, après l'échec de négociations prolongées durant plusieurs mois, dû à la seule carence de la société appelante, ne peut être considéré comme une rupture brutale et abusive de leurs relations commerciales,

Chacune des parties sollicite l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du NCPC,

Pour un énoncé plus détaillé des moyens et arguments des parties, la Cour renvoie aux écritures échangées en cause d'appel.

Sur quoi, LA COUR

Considérant que des pièces versées aux débats et de l'analyse pertinente qu'en ont faite les premiers juges, il apparaît que durant les années 1983, 1984 et 1985 les résultats d'exploitation de la société RCMH ont été déficitaires ;

Considérant qu'à l'occasion des pourparlers relatifs à la conclusion d'un nouvel accord de coopération, notamment lors d'une réunion qui s'est tenue le 21 janvier 1987, la société Robert Bosch France a demandé, à la société RCMH, entre autres conditions commerciales, non discutées par celle-ci dans la cadre du présent litige, de fournir une caution personnelle, à hauteur de 500.000 F, du dirigeant de l'entreprise et de bloquer les comptes courants d'associés en garantie du crédit en marchandises qu'elle lui consentirait jusqu'à 1,800.000 F ;

que lors de contacts ultérieurs, les responsables de la société RCMH se sont efforcés de convaincre leur partenaire que les meilleurs résultats enregistrés par l'entreprise au cours de l'année 1986 ne rendait plus nécessaire la fourniture de la caution exigée, ce que n'a pas admis leur interlocuteur qui, au mois de mars a suspendu l'exécution au tarif grossiste des commandes en cours ;

que la société intimée relève, à juste titre dans ses écritures que si le bilan de la société RCMH faisant apparaître un équilibre essentiellement dû à la vente d'éléments d'actifs importants, les résultats d'exploitation n'en restaient pas moins fragiles et les ratios de gestion très médiocres ;

que la position de la société Robert Bosch France est clairement exposée dans une lettre datée du 15 mai 1987 où elle indique à son distributeur "Nous vous rappelons que nous sommes d'accord pour vous livrer, au tarif de base en vigueur et en tenant compte des conditions grossistes mais que l'ensemble des commandes enregistrées ne saurait dépasser l'encours de 1.800.000 F, après mise en place de garanties. Ce chiffre et cette garantie que nous avons arrêtés en commun au cours d'un entretien du 21 janvier, ne sauraient être discutés" ;

Considérant qu'il n'est ni démontré, ni même invoqué que la société Robert Bosch France occupe une position dominante sur le marché de l'électroménager et qu'en se référant notamment à l'article 8 alinéa 1er de la dite ordonnance l'intimée se place sur un fondement juridique inadapté ;

Considérant que même s'il est avéré que les appareils de marque Bosch, dont la notoriété n'est pas discutable, représente 60 % des ventes de la société intimée, il n'est pas pour autant acquis que celle-ci se trouvait en situation de dépendance économique à l'égard de son fournisseur, dès lors que preuve n'est pas rapportée que la société RCMH qui commercialisait d'autres marques d'appareils électroménagers, ne disposait pas de solutions équivalentes et se trouvait tributaire pour son existence ou survie du maintien de ses relations avec la société Robert Bosch France;

Considérant que par la production des contrats conclus avec ses autres grossistes, la société intimée justifie que, pour la signature d'accord de coopération commerciale prévoyant des livraisons à crédit, elle exigeait des responsables de ces entreprises des garanties équivalentes à celles qu'elle a demandées à la société RCMH de constituer ; qu'une telle exigence ne peut par conséquent être regardée comme une condition discriminatoire ;

Considérant que l'appelante qui a refusé ou n'a pas pu produire de telles garanties, sachant que son partenaire en faisait une condition déterminante du renouvellement de leurs engagements contractuels, ne peut être réputée avoir continué de bonne foi à passer des commandes aux conditions dites "grossistes" ; que dès lors la société Robert Bosch France était fondée à décliner les demandes présentées dans de telles conditions par la société RCMH ;

Considérant que la caution et le blocage des comptes courant d'associés exigés de la société RCMH, en plus de la clause de réserve de propriété comprise dans les conditions générales de vente, ne sont pas injustifiées alors qu'il est avéré qu'en raison de la situation spécifique de cette entreprise et de la précarité de son équilibre financier, de telles garanties étaient les seules de nature à protéger le fournisseur du risque réel d'insolvabilité de son revendeur, même si aucun incident de paiement n'avait jusqu'alors eu lieu ;

qu'il n'est pas davantage démontré en quoi le cumul des autres conditions générales de vente fixées par la société Robert Bosch France, portant essentiellement sur l'interdiction des pratiquer des prix d'appel, dont aucune n'est en elle-même critiquée, ni par l'appelante, ni par le représentant du Ministre de l'Économie des Finances et du Budget, avec des mesures propres à garantir la solvabilité des grossistes auxquels elle consent des ouvertures de crédit, lui permettrait de choisir ses revendeurs sur la base de critères discrétionnaires ; qu'il n'est en conséquence pas établi que les dites clauses et conditions contractuelles constituent des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986

Considérant qu'intervenue dans les conditions sus-indiquées, à la suite de pourparlers qui se sont poursuivis durant plusieurs mois, la rupture des relations commerciales entre les deux sociétés concernées n'est ni brutale ni abusive ;

Considérant qu'il n'apparaît pas que la société RCMH ait abusé de son droit d'ester en justice ni qu'elle ait usé de manière, fautive de la faculté d'inviter le Ministre chargé de l'économie à intervenir dans l'instance ; qu'en conséquence le jugement dont appel sera réformé en ce qu'il a condamné la dite société à des dommages et intérêts de ce chef ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Robert Bosch France les frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs : Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société RCMH à payer à la société Robert Bosch France une somme de un franc à titre de dommages et intérêts, Le confirme en toutes ses autres dispositions, Condamne la société RCMH à payer à la société Robert Bosch France une somme de 5.000 F par application de l'article 700 du NCPC. Condamne la société RCMH aux dépens de l'appel et admet Me Bolling, Avoué à la Cour au bénéfice de l'article 699 du NCPC.